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Egypte: «El-Baradei, dès le départ, a été relativement aveugle» selon Vincent Geisser...

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    Vincent Geisser sur RFI: «El-Baradei, dès le départ, a été relativement aveugle»

    Par Marie-Pierre Olphand


    Après le bain de sang qu'a connu l'Egypte ce mercredi 14 août, qui a fait selon un bilan provisoire quelque 340 morts, le vice-président Mohamed el-Baradei a annoncé sa démission. Pourquoi cette sanglante répression ? Comment analyser la démission de Mohamed el-Baradei ? Pour parler des derniers événements en Egypte, Vincent Geisser, professeur à l'Institut français du Proche-Orient à Beyrouth répond aux questions de RFI.

    RFI : Nous savions que les partisans de Mohammed Morsi allaient être dispersés, mais comment expliquer la violence de cette répression sanglante ?

    Vincent Geisser
    : Je crois que de toute façon, nous étions dans une sorte de reprise en main autoritaire du processus de transition politique en Egypte, avec «le triomphe» d’une coalition sécuritaire, et que, de ce point de vue là, nous n'étions pas, comme on a pu l’entendre, dans une sorte de pouvoir militaire provisoire qui était le prolongement d’une révolution populaire. Là nous sommes vraiment dans la continuation de cette reprise en main autoritaire, avec une répression qui est un peu à l’image de la coalition sécuritaire qui gouverne aujourd’hui l’Egypte. C'est-à-dire un général d’armée (le général Sissi, NDLR), qui a servi sous Moubarak et qui s’est déjà illustré par des propos qui montrent qu’il a peu de sympathie pour la démocratie ou pour les solutions négociées, les solutions pacifiques. Et aujourd’hui, la répression n’est que la manifestation sanglante d’une pratique autoritaire et répressive du pouvoir, avec un habillage démocratique et libéral, incluant notamment la « façade el-Baradei », mais qui finalement, n’a pas tenu le coup.

    Mohamed el-Baradei, prix Nobel de la paix et vice-président, a démissionné car, dit-il, il ne peut plus assumer des décisions avec lesquelles il n’est pas d’accord. Est-ce une sage décision de sa part ?

    C'est une décision sage mais on peut se demander qui faisait quoi dans cette coalition autoritaire. El-Baradei a été très vite mis au courant de ce qu’on pourrait appeler ce coup d’Etat. Il a participé et, pour ainsi dire, cautionné ce régime, puisque el-Baradei est une personnalité internationale, avec une renommée d’ouverture, une façade libérale et démocratique - à mon avis très sincère. A-t-il fait preuve de naïveté, de mauvais calculs ? En tout cas, une chose est sûre : el-Baradei, dès le départ, a été relativement aveugle. Je pense qu’il avait surtout une image à offrir, mais qu'il n’avait aucune influence sur une logique qui est d’abord une logique militaire et répressive.


    Quel impact peut avoir aujourd’hui sa démission ?

    Je dirais qu’elle est inquiétante, dans la mesure où, s’il n’a pas assumé, c’est bien qu’il reconnaît lui-même que nous sommes partis dans une logique du pire, qui peut amener encore plus de victimes. Par conséquent, el-Baradei démissionnaire, c’est un symptôme, une décision qui doit nous faire prendre conscience que nous sommes rentrés dans un face-à-face, entre Frères musulmans et régime militaire en Egypte, parce que je crois qu’il faut maintenant l’appeler comme ça, malheureusement.

    Sommes-nous dans un schéma de toute puissance de l’armée aujourd’hui ?


    Nous sommes dans une militarisation de l’Egypte, supérieure à celle de Moubarak. Moubarak était un général qui était passé au civil, là nous avons des généraux qui gouvernent. C’est-à-dire que nous sommes revenus à un stade qui est, je dirais, pire que celui de Moubarak. À la différence - et c’est peut-être la nuance encourageante et porteuse d'espoir qu’il faut apporter - que la clique militaire au pouvoir, ne pourra pas composer avec le peuple, comme avait pu le faire Moubarak, Nasser ou même Sadate.

    Comment expliquer cette vague d’hostilité sans précédent, vis à vis des Frères musulmans, dans le monde des médias, ou encore chez des intellectuels égyptiens et donc un soutien de fait au pouvoir en place ?

    Je pense que ce qui aurait pu s’exprimer comme une simple opposition à un gouvernement qui échoue et qui fait des erreurs, s’est très vite transformée en une opposition idéologique, à une forme de bipolarisation blanc ou noir. Islamistes d’un côté, anti-islamistes de l’autre. Néanmoins, il faut tout de même apporter des nuances. Il y a beaucoup de gens qui ont participé au mouvement de contestation anti-Morsi, qui ne se reconnaissent pas du tout dans le coup d’Etat militaire mais se définissent comme des opposants. Ils ne sont ni des opposants islamistes, ni des soutiens du régime militaire, mais aujourd’hui, ils ont peur de manifester dans la rue.

    Quelle alternative, justement, aujourd’hui, entre les Frères musulmans et l’armée ?

    C'est la reprise d’un dialogue politique. Mais je pense que la possibilité d’un dialogue politique avec l’armée a montré ses limites ; c’est même impossible. Donc, je dirais que c’est plus, aujourd’hui, un dialogue entre les Frères musulmans les plus ouverts, l’opposition de gauche, l’opposition nationaliste et les nassériens, qui pourra créer un contrepoids dans la société civile, pour faire face au régime militaire. Je dirais seulement qu’on en est très loin, parce qu’une partie des opposants ne veulent surtout pas discuter avec les islamistes. Or, à mon avis, c’est bien dans un vrai échange entre les islamistes les plus ouverts et l’opposition favorable à ce dialogue, qu’on pourra faire en sorte que l’Egypte ne revienne pas à un système autoritaire et militaire, qui la ramènerait 30 ans, voire 40 ans, en arrière.


    Est-ce que Mohamed el-Baradei qui vient de démissionner, peut être le fer de lance de ce dialogue ?


    A court terme je ne pense pas, parce qu’il y a un vrai mépris à son égard. Mais à moyen terme, c’est fort possible car son acte de démission, qui est aujourd’hui interprété comme une forme de tiédeur et de lâcheté, pourra être interprété plus positivement dans quelques semaines, espérons-le. Et au moins, on dira « il n'a pas cautionné le bain de sang ».

    Les Etats-Unis viennent de condamner avec force l’usage de la violence en Egypte et exhortent l’armée à faire preuve de retenue, une réaction attendue ?

    On revient effectivement dans les classiques américains. C’est-à-dire à un jeu, à la fois de soutien au régime autoritaire, avec une dénonciation de leurs actions les plus condamnables. Heureusement que les Etats-Unis condamnent, d’une certaine manière, le bain de sang d’aujourd’hui, mais ce qu’il faut espérer, c’est que les Etats-Unis adoptent un vrai tournant dans leur diplomatie et qu’ils en viennent à soutenir les processus de transition démocratique.

    Car, ce qui se passe aujourd’hui en Egypte, fait le jeu du terrorisme. Ce sont des centaines de terroristes qui découleront de ces échecs des processus de démocratisation.



    15 août 2013
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