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Nuits d’hiver

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  • Nuits d’hiver

    I
    Comme la nuit tombe vite !
    Le jour, en cette saison,
    Comme un voleur prend la fuite,
    S’évade sous l’horizon.
    Il semble, ô soleil de Rome,
    De l’Inde et du Parthénon,
    Que, quand la nuit vient de l’homme
    Visiter le cabanon,
    Tu ne veux pas qu’on te voie,
    Et que tu crains d’être pris
    En flagrant délit de joie
    Par la geôlière au front gris.
    Pour les heureux en démence
    L’âpre hiver n’a point d’effroi,
    Mais il jette un crêpe immense
    Sur celui qui, comme moi,
    Rêveur, saignant, inflexible,
    Souffrant d’un stoïque ennui,
    Sentant la bouche invisible
    Et sombre souffler sur lui,
    Montant des effets aux causes,
    Seul, étranger en tout lieu,
    Réfugié dans les choses
    Où l’on sent palpiter Dieu,
    De tous les biens qu’un jour fane
    Et dont rit le sage amer,
    N’ayant plus qu’une cabane
    Au bord de la grande mer,
    Songe, assis dans l’embrasure,
    Se console en s’abîmant,
    Et, pensif, à sa masure
    Ajoute le firmament !
    Pour cet homme en sa chaumière,
    C’est une amère douleur
    Que l’adieu de la lumière
    Et le départ de la fleur.
    C’est un chagrin quand, moroses,
    Les rayons dans les vallons
    S’éclipsent, et quand les roses
    Disent : Nous nous en allons !
    ……..
    V
    Oh ! Reviens ! printemps ! fanfare
    Des parfums et des couleurs !
    Toute la plaine s’effare
    Dans une émeute de fleurs.
    La prairie est une fête ;
    L’âme aspire l’air, le jour,
    L’aube, et sent qu’elle en est faite ;
    L’azur se mêle à l’amour.
    On croit voir, tant avril dore
    Tout de son reflet riant,
    Éclore au rosier l’aurore
    Et la rose à l’orient.
    Comme ces aubes de flamme
    Chassent les soucis boudeurs !
    On sent s’ouvrir dans son âme
    De charmantes profondeurs.
    On se retrouve heureux, jeune,
    Et, plein d’ombre et de matin,
    On rit de l’hiver, ce jeûne,
    Avec l’été, ce festin.
    Oh ! mon coeur loin de ces grèves
    Fuit et se plonge, insensé,
    Dans tout ce gouffre de rêves
    Que nous nommons le passé !
    Je revois mil huit cent douze,
    Mes frères petits, le bois,
    Le puisard et la pelouse,
    Et tout le bleu d’autrefois.
    Enfance ! Madrid ! campagne
    Où mon père nous quitta !
    Et dans le soleil, l’Espagne !
    Toi dans l’ombre, Pepita !
    Moi, huit ans, elle le double ;
    En m’appelant son mari,
    Elle m’emplissait de trouble… -
    O rameaux de mai fleuri !
    Elle aimait un capitaine ;
    J’ai compris plus tard pourquoi,
    Tout en l’aimant, la hautaine
    N’était douce que pour moi.
    Elle attisait son martyre
    Avec moi, pour l’embraser,
    Lui refusait un sourire
    Et me donnait un baiser.
    L’innocente, en sa paresse,
    Se livrant sans se faner,
    Me donnait cette caresse
    Afin de ne rien donner.
    Et ce baiser économe,
    Qui me semblait généreux,
    Rendait jaloux le jeune homme,
    Et me rendait amoureux.
    Il partait, la main crispée ;
    Et, me sentant un rival,
    Je méditais une épée
    Et je rêvais un cheval.
    Ainsi, du bout de son aile
    Touchant mon coeur nouveau-né,
    Gaie, ayant dans sa prunelle
    Un doux regard étonné,
    Sans savoir qu’elle était femme,
    Et riant de m’épouser,
    Cet ange allumait mon âme
    Dans l’ombre avec un baiser.
    Mal ou bien, épine ou rose,
    A tout âge, sages, fous,
    Nous apprenons quelque chose
    D’un enfant plus vieux que nous.
    Un jour la pauvre petite
    S’endormit sous le gazon… -
    Comme la nuit tombe vite
    Sur notre sombre horizon !



    Victor Hugo,
    Les quatre vents de l’esprit
    dz(0000/1111)dz
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