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Dans l'Iowa, le maïs devient carburant

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  • Dans l'Iowa, le maïs devient carburant

    Il n'est pas peu fier, Bill Couser, de son exploitation de l'Iowa, en lisière de la Corn Belt américaine. Fier des cinq mille bovins engraissés chaque année sans le moindre brin d'herbe, mais grâce à un savant mélange de granulés, de tourteaux et de maïs. Fier aussi de ce même maïs qu'il cultive sur plus de 3 000 hectares d'une terre noire labourée et moissonnée par ses cinq salariés.

    Comme bien des cultivateurs de céréales du Nouveau Monde, Bill a fini par se persuader qu'il était imprudent de ne compter que sur la Chine pour absorber les formidables excédents du maïs américain. Sans parler de la pluie trop chiche ou diluvienne, qui vient régulièrement doucher les cours, et de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) où les pays en développement risquent de contraindre, un jour, l'Amérique à réduire et, pire, à supprimer ses subventions agricoles.

    Il s'est mis à écouter sa protectrice, The National Corn Growers Association, ou des professeurs comme Robert Brown, spécialiste du bioéthanol à l'université d'Ames (Iowa). Ceux-ci lui ont démontré par A + B que la flambée des cours du pétrole ouvrait à son maïs des perspectives insoupçonnées.

    Bill n'est pas écolo le moins du monde et c'est sans remord qu'il bourre d'hormones ses vaches. Mais comment résister à la mode "verte" quand le professeur Brown vous dit : "Au lieu de consacrer toute votre récolte de maïs à la nourriture de votre bétail, transformez-en une partie en bioéthanol : les sous-produits de vos grains se décomposeront en un tiers pour ce carburant rendu de plus en plus obligatoire dans l'essence par les nouvelles normes américaines en matière d'énergie, un tiers pour vos bovins sous forme de tourteaux et un tiers rejeté comme gaz carbonique dans l'atmosphère, mais ce n'est pas grave parce que ce CO2 provient de plantes qui l'ont déjà absorbé."

    Bill se moque pas mal des diverses études européennes et américaines qui plébiscitent l'éthanol et font de cet alcool issu de la fermentation des sucres contenus dans le maïs un champion du bilan énergétique (coefficient 2 contre 0,87 pour l'essence classique), un champion contre le réchauffement de l'atmosphère (il dégage 2,5 fois moins de gaz à effet de serre que son concurrent fossile) et un champion de l'emploi (il est 60 fois plus intensif en main-d'oeuvre que le raffinage pétrolier).

    Bill a surtout vu que, depuis 2002, la production d'éthanol américain bondit de 20 % par an et qu'elle ne suffit plus à la demande. Dans le même temps, il a fallu tripler les importations d'éthanol brésilien issu de la canne à sucre.

    Il sait que son gros pick-up fonctionne sans modification technique et sans aucun problème avec le mélange E10 (10 % d'éthanol et 90 % d'essence) et qu'il n'est pas le seul à profiter de l'aubaine, car il en coûte aujourd'hui 2,60 dollars le gallon (3,7853 litres) quand l'essence sans plomb oscille au-dessus de 3 dollars.

    Ce qui a achevé de persuader notre homme de l'importance du "gisement", là sous ses pieds, c'est que les 61 usines de fabrication de l'éthanol de 2002 sont devenues 97, bientôt rejointes par 33 nouvelles. Même la crème du business, comme Bill Gates (Microsoft) et Richard Branson (Virgin), mise des centaines de millions de dollars sur l'éthanol. Alors, pourquoi pas Bill Couser et ses 3 200 hectares de terre noire ?

    Il a tenu 75 réunions en 50 jours pour persuader ses voisins de rentrer dans le capital de sa future usine d'éthanol. Le médecin du coin, le représentant local de John Deere, un banquier et un chauffeur de bus font partie des 945 actionnaires de Lincolway Energy Plant. "Ça a tellement bien marché que nous avons dû refuser du monde et rendre l'argent qu'on nous proposait !", se remémore Bill. Les agriculteurs représentent 12 % du capital et garantissent un approvisionnement régulier de l'usine en maïs.

    Deux ans et 100 millions de dollars plus tard, l'outil est là, au milieu des champs, d'une capacité de 54 millions de gallons ou 2 millions d'hectolitres. Subventions ? "Seulement 560 000 dollars." Prix du maïs payé à l'agriculteur ? "70 dollars la tonne, soit le même prix que le marché."

    "AU TOUT DÉBUT DU BIOÉTHANOL"


    Bill se frotte les mains, car, dit-il, "nous utilisons tout ce qui est dans le grain de maïs. Sa transformation en bioéthanol produit des tourteaux pour l'alimentation de nos bêtes que nous payons 4 dollars la tonne, soit deux fois moins chers que les autres produits disponibles". Ce qui améliore aussi la rentabilité de l'usine.

    En fait, le vrai profit pour le céréalier tient au fait que "son" usine lui donne le choix. Désormais, en fonction du prix qui lui est offert, il peut arbitrer entre céder - via Internet - sa récolte en tout ou partie sur le marché à terme du Chicago Board of Trade ou bien l'expédier vers l'usine d'éthanol. "Nous allons devenir le Koweït du monde !", s'emballe Bill qui ajoute cependant, prudent, "mais peut-être pas de mon vivant". Veau, vache, cochon, couvée...

    Notre Pérette au pot-au-lait du Midwest risque de devoir réfréner son enthousiasme, car si on trouve bien de l'éthanol mélangé dans 40 % de l'essence américaine, il faut vraiment chercher pour trouver une station-service qui distribue le carburant de l'avenir, le E85 : les Etats-Unis en totalisent 813, peintes en jaune, sur les 170 000 que compte le pays. En plus, ces pompes jaunes sont localisées dans les Etats céréaliers, comme l'Iowa, le Minnesota, l'Illinois ou le Nebraska. Le E10 se vend bien, mais le E85 pas encore. Il est pourtant détaxé et ne coûte que 2,30 dollars le gallon.

    Les grands constructeurs américains et japonais offrent des modèles fonctionnant à l'E85, dénommés "flexfuel", au même prix que les véhicules classiques. "Seule contrainte, précise Mark Jenkins, directeur marketing régional chez General Motors (GM), avant la mise en service, il faut faire le plein d'essence, puis vider le réservoir avant de le remplir avec l'E85 pour que l'ordinateur de bord apprenne à gérer les différents carburants." Et à la conduite, rien ne distingue une Chevy Impala essence de sa soeur flexfuel. Histoire de lever les dernières préventions, GM fait cadeau à tout acheteur de ses véhicules flexfuel d'un crédit de 1 000 dollars pour acheter du mélange E85.

    C'est encore au Chicago Board of Trade, où le maïs de Bill se vend quelquefois, que l'on comprend où en est l'éthanol américain. Sur le marché, sont conclus chaque jour une trentaine de contrats dédiés à l'éthanol, à comparer avec les 100 000 concernant le maïs. "C'est tout petit, reconnaît Fred Seamon, responsable de ces contrats depuis leur lancement en 2004, mais on ne comptait que 12 contrats quotidiens, il y a un an. Nous en sommes au tout début du bioéthanol."

    Car les recherches vont bon train pour remplacer le maïs dans la fabrication du bioéthanol par des herbes de la prairie, switch grass ou miscanthus. Ces graminées de 2 mètres de haut consomment moins d'eau que les céréales, et leur cellulose pourrait fournir plus d'alcool que le maïs, les enzymes aidant.

    Les vaches de Bill Couser finiront peut-être par brouter de l'herbe. Ou des résidus d'herbes à éthanol.

    Par Le monde
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