Par Ahmed Cheniki
Chers Messieurs, votre engagement pour un monde où règneraient la paix et la solidarité entre les peuples est le lieu d’articulation de votre discours politique. C’est pour cette raison que j’ai décidé de vous interpeller, vous, les dignes représentants de cette France autre, différente, qui ne conjugue nullement le monde aux jeux tragiques des bombes et des massacres. Je suis avec une extrême attention vos déclarations sur la question syrienne, et je ne peux qu’applaudir vos positions allant dans le sens du respect des règles internationales et du rejet de la loi de la jungle.
Le langage guerrier, mensonger et outrancier de la presse et du PS est perçu dans nos sociétés, — encore traumatisées par les traces mémorielles d’effroyables pratiques coloniales et traversées par les marques du mépris de dirigeants locaux trop fascinés par la parole «occidentale» —comme une des manifestations du racisme ordinaire dont est coutumier le PS français dont l’un de ses anciens patrons, François Mitterrand, a ordonné la liquidation par l’usage de la guillotine du premier condamné à mort algérien, Ahmed Zabana, le 19 juin 1956, à la prison Barberousse à Alger. Un de nos écrivains, Malek Haddad, très apprécié par Louis Aragon, disait ceci de la France : «Qu’elle est belle, la France… quand elle ne fait pas de guerre.» Mais, malheureusement, elle y est depuis quelques années en Côte d’Ivoire, en Libye, au Mali et en Syrie. Oui, la France, la belle France de Vallès, de Renoir, de Sartre, de Genet et d’Althusser est carrément insultée par les va-t-en-guerre, médiocres, inhumains, renouant avec le discours colonial, pensant que la peau d’un Arabe ou d’un Africain ne vaut absolument rien, ces peuples, disait déjà Sarkozy à Dakar, ne sont pas encore entrés dans l’Histoire. Il faut, donc, les bombarder, en usant d’un euphémisme tragique «frappe chirurgicale» accolé à un syntagme caractérisé par une extraordinaire immoralité «victimes collatérales», en faisant allusion aux populations civiles. L’humain est mort, le temps de la recolonisation structure la pensée de ces dirigeants qui ne sont pas du tout convaincus de la justesse de leur désir sadique d’en finir avec de pauvres gens, incapables de se défendre. Mais la mémoire est une instance qui conjugue le temps à des confrontations futures et à une accumulation de mauvais actes, pas manqués, mais accomplis.
Faut-il liquider les Arabes et les Africains, déstabiliser leurs sociétés et leurs armées pour en faire des momies, à l’image des pays du Golfe qui usent de leurs pétrodollars pour acheter les consciences en France et ailleurs ? L’ancêtre de la sociologie, le grand Ibn Khaldoun, décrit dans son texte, El Mouqqadima (Introduction à l’Histoire universelle ou Les prolégomènes) la sécheresse et la pauvreté de ces territoires d’Arabie, habités par des gens frustes, souvent sans culture. Les Arabes et les petites gens dans le monde n’oublieront jamais cette position extraordinaire de Jacques Chirac relayée par Dominique de Villepin ou cette démission mémorable du poste de ministre de la défense de J-P. Chevènement, protestant contre l’engagement de la France de Mitterrand dans la guerre contre l’Irak, qui ont montré au monde que la France pouvait être indépendante, au grand plaisir de ceux qui estiment que jamais les guerres ne règleront les problèmes du monde.
En Irak, l’intervention qui a fait plus d’un million de morts continue encore à faire des dizaines de victimes quotidiennes dont personne ne parle aujourd’hui, ce ne sont que des Arabes, en Libye, l’Otan, avec la France, a été à l’origine de la disparition de plus de 40 000 personnes et, aujourd’hui, ce pays connaît une insécurité croissante, divisé en milices semant la mort et la terreur, et déstabilisant le Mali où les milices, à l’époque, armées par le gouvernement français, vont tuer avec des armes françaises des soldats français et constituant une grave menace à la sécurité de l’Algérie. Toute une région est sous le choc de ces massacres en Libye qui vit désormais la peur et la mort au quotidien. C’est la culture de l’ordinaire. En Afghanistan, c’est le désordre mortel et une économie dévastée, dominée par la drogue. Au Mali, les choses ne sont pas encore stables, c’est une simple illusion. En Côte d’Ivoire, les plaies sont encore béantes.
On tue en usant de mensonges pour justifier l’inhumaine liquidation de personnes humaines dont le seul délit est d’être au mauvais moment et au mauvais lieu, à Damas, quand va tomber le missile français ou américain, semant la mort et la terreur. C’est un jeu. On a sorti le mensonge des armes de destruction massive en Irak, puis les «prétendues massacres des populations» pour la Libye et aujourd’hui, en Syrie, on sort l’histoire des attaques chimiques alors qu’il aurait été beaucoup plus indiqué moralement d’attendre les conclusions de la commission d’enquête de l’ONU. Mais, comme de fortes présomptions relayées par les Russes qui auraient les preuves et un grand journaliste américain pèsent sur la responsabilité des «rebelles», on préfère mépriser le secrétaire général de l’ONU, les deux médiateurs, Koffi Annan (poussé à la démission) et Lakhdar Brahimi et même le pape qui a, dans une magistrale supplique, appelé tous les belligérants, mais surtout les Américains et les Français à éviter la solution militaire.
Aujourd’hui, en Syrie, c’est encore des Arabes qu’on veut bombarder, ce ne sont que des infrahumains, ils ne comptent pas, c’est du moins ce que je comprends à la lecture de la presse et du discours politique du PS qui devrait normalement s’occuper de la grave crise économique et sociale d’un pays, la France qui, chaque mois, voit la courbe du chômage croître dramatiquement et le déficit public prendre des volumes inimaginables. Trêve de plaisanterie !
La presse, c’est grave, se drape du treillis du soldat, fonctionnant comme la voix de son maître, illustrant le discours politique du pouvoir en place, peut-être au niveau de la forme, n’ayant aucune différence avec les médias nord-coréens qu’on attaque souvent, d’ailleurs, sans un travail sérieux d’investigation. Une insulte au grand Albert Londres. J’ai beaucoup apprécié la lettre de Jean-François Kahn au journal Le Monde, désormais otage du monde des affaires, incarné par le trio à la tête de ce média qui est devenu médiocre, extrêmement médiocre, à la traîne. Quand la presse française se décidera-t-elle à faire du journalisme, à vérifier ses sources et à écouter toutes les versions, l’opposition et le régime syrien, en évitant les généralisations, l’usage des jugements de valeur et un jargon raciste ? Ce n’est pas possible, selon moi, d’autant plus qu’elle est prisonnière d’un regard péjorant et minorant l’autre, les Arabes, les Africains et à un degré moindre les Asiatiques. Elle est également et surtout prisonnière du monde des finances, incapable de poser les vraies questions, ni de donner des informations vérifiées. Quand on évoque les décisions de ce «machin» (pour reprendre le mot de Charles de Gaulle) qu’on appelle pompeusement la «Ligue arabe» réduite aux positions de l’Arabie Saoudite et du Qatar, on oublie volontairement de parler des positions de trois grands pays arabes, l’Algérie, l’Égypte et l’Irak, sans oublier l’opposition syrienne de l’intérieur, qui rejettent toute intervention militaire extérieure, privilégiant une solution politique tout en demandant aux pays occidentaux de respecter la commission des inspecteurs dépêchés par l’ONU à Damas et les décisions des Nations unies. Cette presse et les partis guerriers parlent souvent de conflit religieux, reproduisant sciemment le discours de l’Arabie Saoudite et du Qatar, oubliant que les choses sont plus complexes et qu’aujourd’hui, dans les sociétés arabes et africaines, meurtries par des décennies de colonisation, marquées par d’effroyables génocides, les conflits sont de type politique. En 2006, le Hizbollah libanais avait été soutenu par les chiites, des sunnites, des communistes et des chrétiens, il y avait autant d’opposants provenant de différents courants religieux et politiques.
Les chercheurs et les journalistes français qui défendent la laïcité quand ça les arrange, en tapant sur les Arabes, les Africains et les musulmans, proposent ici, quand il s’agit des Arabes de catégories mentales dépassées, réduisant les divergences et les différends à des contradictions religieuses. Le langage religieux travaille toute la logorrhée guerrière «occidentale» : la fonction de punir est liée à la volonté divine. On se substitue à Dieu.
Le recours au discours moral préfigure cette propension à sévir, en dehors de toute structure profane, le système des Nations unies. Ce serait extrêmement instructif pour Hollande et les cadres du PS de lire le fabuleux texte de Michel Foucault, Surveiller et Punir qui donne à voir cette propension du monarque absolu à vouloir punir. Ce désir de punir s’inscrit dans une logique carnavalesque, usant du spectaculaire et participant d’une entreprise voyeuriste, cynique et sadique.
Chers Messieurs, votre engagement pour un monde où règneraient la paix et la solidarité entre les peuples est le lieu d’articulation de votre discours politique. C’est pour cette raison que j’ai décidé de vous interpeller, vous, les dignes représentants de cette France autre, différente, qui ne conjugue nullement le monde aux jeux tragiques des bombes et des massacres. Je suis avec une extrême attention vos déclarations sur la question syrienne, et je ne peux qu’applaudir vos positions allant dans le sens du respect des règles internationales et du rejet de la loi de la jungle.
Le langage guerrier, mensonger et outrancier de la presse et du PS est perçu dans nos sociétés, — encore traumatisées par les traces mémorielles d’effroyables pratiques coloniales et traversées par les marques du mépris de dirigeants locaux trop fascinés par la parole «occidentale» —comme une des manifestations du racisme ordinaire dont est coutumier le PS français dont l’un de ses anciens patrons, François Mitterrand, a ordonné la liquidation par l’usage de la guillotine du premier condamné à mort algérien, Ahmed Zabana, le 19 juin 1956, à la prison Barberousse à Alger. Un de nos écrivains, Malek Haddad, très apprécié par Louis Aragon, disait ceci de la France : «Qu’elle est belle, la France… quand elle ne fait pas de guerre.» Mais, malheureusement, elle y est depuis quelques années en Côte d’Ivoire, en Libye, au Mali et en Syrie. Oui, la France, la belle France de Vallès, de Renoir, de Sartre, de Genet et d’Althusser est carrément insultée par les va-t-en-guerre, médiocres, inhumains, renouant avec le discours colonial, pensant que la peau d’un Arabe ou d’un Africain ne vaut absolument rien, ces peuples, disait déjà Sarkozy à Dakar, ne sont pas encore entrés dans l’Histoire. Il faut, donc, les bombarder, en usant d’un euphémisme tragique «frappe chirurgicale» accolé à un syntagme caractérisé par une extraordinaire immoralité «victimes collatérales», en faisant allusion aux populations civiles. L’humain est mort, le temps de la recolonisation structure la pensée de ces dirigeants qui ne sont pas du tout convaincus de la justesse de leur désir sadique d’en finir avec de pauvres gens, incapables de se défendre. Mais la mémoire est une instance qui conjugue le temps à des confrontations futures et à une accumulation de mauvais actes, pas manqués, mais accomplis.
Faut-il liquider les Arabes et les Africains, déstabiliser leurs sociétés et leurs armées pour en faire des momies, à l’image des pays du Golfe qui usent de leurs pétrodollars pour acheter les consciences en France et ailleurs ? L’ancêtre de la sociologie, le grand Ibn Khaldoun, décrit dans son texte, El Mouqqadima (Introduction à l’Histoire universelle ou Les prolégomènes) la sécheresse et la pauvreté de ces territoires d’Arabie, habités par des gens frustes, souvent sans culture. Les Arabes et les petites gens dans le monde n’oublieront jamais cette position extraordinaire de Jacques Chirac relayée par Dominique de Villepin ou cette démission mémorable du poste de ministre de la défense de J-P. Chevènement, protestant contre l’engagement de la France de Mitterrand dans la guerre contre l’Irak, qui ont montré au monde que la France pouvait être indépendante, au grand plaisir de ceux qui estiment que jamais les guerres ne règleront les problèmes du monde.
En Irak, l’intervention qui a fait plus d’un million de morts continue encore à faire des dizaines de victimes quotidiennes dont personne ne parle aujourd’hui, ce ne sont que des Arabes, en Libye, l’Otan, avec la France, a été à l’origine de la disparition de plus de 40 000 personnes et, aujourd’hui, ce pays connaît une insécurité croissante, divisé en milices semant la mort et la terreur, et déstabilisant le Mali où les milices, à l’époque, armées par le gouvernement français, vont tuer avec des armes françaises des soldats français et constituant une grave menace à la sécurité de l’Algérie. Toute une région est sous le choc de ces massacres en Libye qui vit désormais la peur et la mort au quotidien. C’est la culture de l’ordinaire. En Afghanistan, c’est le désordre mortel et une économie dévastée, dominée par la drogue. Au Mali, les choses ne sont pas encore stables, c’est une simple illusion. En Côte d’Ivoire, les plaies sont encore béantes.
On tue en usant de mensonges pour justifier l’inhumaine liquidation de personnes humaines dont le seul délit est d’être au mauvais moment et au mauvais lieu, à Damas, quand va tomber le missile français ou américain, semant la mort et la terreur. C’est un jeu. On a sorti le mensonge des armes de destruction massive en Irak, puis les «prétendues massacres des populations» pour la Libye et aujourd’hui, en Syrie, on sort l’histoire des attaques chimiques alors qu’il aurait été beaucoup plus indiqué moralement d’attendre les conclusions de la commission d’enquête de l’ONU. Mais, comme de fortes présomptions relayées par les Russes qui auraient les preuves et un grand journaliste américain pèsent sur la responsabilité des «rebelles», on préfère mépriser le secrétaire général de l’ONU, les deux médiateurs, Koffi Annan (poussé à la démission) et Lakhdar Brahimi et même le pape qui a, dans une magistrale supplique, appelé tous les belligérants, mais surtout les Américains et les Français à éviter la solution militaire.
Aujourd’hui, en Syrie, c’est encore des Arabes qu’on veut bombarder, ce ne sont que des infrahumains, ils ne comptent pas, c’est du moins ce que je comprends à la lecture de la presse et du discours politique du PS qui devrait normalement s’occuper de la grave crise économique et sociale d’un pays, la France qui, chaque mois, voit la courbe du chômage croître dramatiquement et le déficit public prendre des volumes inimaginables. Trêve de plaisanterie !
La presse, c’est grave, se drape du treillis du soldat, fonctionnant comme la voix de son maître, illustrant le discours politique du pouvoir en place, peut-être au niveau de la forme, n’ayant aucune différence avec les médias nord-coréens qu’on attaque souvent, d’ailleurs, sans un travail sérieux d’investigation. Une insulte au grand Albert Londres. J’ai beaucoup apprécié la lettre de Jean-François Kahn au journal Le Monde, désormais otage du monde des affaires, incarné par le trio à la tête de ce média qui est devenu médiocre, extrêmement médiocre, à la traîne. Quand la presse française se décidera-t-elle à faire du journalisme, à vérifier ses sources et à écouter toutes les versions, l’opposition et le régime syrien, en évitant les généralisations, l’usage des jugements de valeur et un jargon raciste ? Ce n’est pas possible, selon moi, d’autant plus qu’elle est prisonnière d’un regard péjorant et minorant l’autre, les Arabes, les Africains et à un degré moindre les Asiatiques. Elle est également et surtout prisonnière du monde des finances, incapable de poser les vraies questions, ni de donner des informations vérifiées. Quand on évoque les décisions de ce «machin» (pour reprendre le mot de Charles de Gaulle) qu’on appelle pompeusement la «Ligue arabe» réduite aux positions de l’Arabie Saoudite et du Qatar, on oublie volontairement de parler des positions de trois grands pays arabes, l’Algérie, l’Égypte et l’Irak, sans oublier l’opposition syrienne de l’intérieur, qui rejettent toute intervention militaire extérieure, privilégiant une solution politique tout en demandant aux pays occidentaux de respecter la commission des inspecteurs dépêchés par l’ONU à Damas et les décisions des Nations unies. Cette presse et les partis guerriers parlent souvent de conflit religieux, reproduisant sciemment le discours de l’Arabie Saoudite et du Qatar, oubliant que les choses sont plus complexes et qu’aujourd’hui, dans les sociétés arabes et africaines, meurtries par des décennies de colonisation, marquées par d’effroyables génocides, les conflits sont de type politique. En 2006, le Hizbollah libanais avait été soutenu par les chiites, des sunnites, des communistes et des chrétiens, il y avait autant d’opposants provenant de différents courants religieux et politiques.
Les chercheurs et les journalistes français qui défendent la laïcité quand ça les arrange, en tapant sur les Arabes, les Africains et les musulmans, proposent ici, quand il s’agit des Arabes de catégories mentales dépassées, réduisant les divergences et les différends à des contradictions religieuses. Le langage religieux travaille toute la logorrhée guerrière «occidentale» : la fonction de punir est liée à la volonté divine. On se substitue à Dieu.
Le recours au discours moral préfigure cette propension à sévir, en dehors de toute structure profane, le système des Nations unies. Ce serait extrêmement instructif pour Hollande et les cadres du PS de lire le fabuleux texte de Michel Foucault, Surveiller et Punir qui donne à voir cette propension du monarque absolu à vouloir punir. Ce désir de punir s’inscrit dans une logique carnavalesque, usant du spectaculaire et participant d’une entreprise voyeuriste, cynique et sadique.
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