Membres à part entière à l’OMC depuis déjà quelques années, partenaires économiques et commerciaux de l’Union européenne dans le cadre d’accords d’association qu’ils ont été parmi les premiers pays tiers-méditerranéens à signer, le Maroc et la Tunisie ont engagé de véritables programmes de restructuration de leurs économies pour les préparer à être des sujets actifs du processus de mondialisation.
Notons tout d’abord que nos deux voisins appuient leurs stratégies sur des institutions de planification très efficaces (ministère du Développement économique et de la Planification en Tunisie, Instituts de planification et de prévisions économiques au Maroc). Les politiques conjoncturelles que leur imposent les institutions de Bretton Woods et plus particulièrement le FMI ne leur ont pas fait abandonner ni leurs travaux ni leurs actions de moyen et long terme et ce sont de véritables feuilles de route qui sont élaborées pour inscrire l’ensemble des actions dans une vision globale et cohérente (cohérente bien évidemment avec les objectifs que chacun des Etats a fixés à son économie et sur lesquels nous ne portons aucun jugement). C’est un collègue tunisien qui me lançait récemment : “Notre bonheur est dans le plan”. Du point de vue des choix stratégiques arrêtés dans chacun des deux pays, il y a incontestablement matière à réflexion et probablement quelques leçons à tirer pour notre économie, nous qui enregistrons dans ce domaine un grand retard puisque nous n’avons encore élaboré ni perspectives décennales économiques, ni nouvelle politique industrielle, ni stratégie d’ouverture économique. La fin de l’accord multifibres (suppression des quotas dans les exportations textiles) et le démantèlement tarifaire qui a fait suite à l’application graduelle de l’accord d’association avec l’Union européenne ont fait prendre conscience au Maroc et à la Tunisie du déclassement de leurs modèles industriels et du retard qu’ils ont accumulé dans la bataille de la compétitivité. Marocains et Tunisiens rappellent qu’en plus des parts de leurs propres marchés intérieurs qu’ils perdent (à cause de l’ouverture), leurs débouchés traditionnels, notamment européens, sont passés entre les mains des entreprises chinoises, vietnamiennes, et à un degré moindre, indiennes.
Pour le Maroc, la nouvelle politique économique se fonde (si l’on en croit le ministre marocain de l’Industrie, du Commerce et de la Mise à niveau économique), sur trois orientations principales :
1) La concurrence mondiale plus intense et notamment celle en provenance des pays asiatiques exige de ne plus rester isolé, exige de conclure des alliances et des partenariats. Pour développer l’attractivité du site Maroc et ouvrir de nouvelles possibilités d’exportations aux investisseurs directs étrangers potentiels, le Maroc a opté pour la multiplication des accords de libre-échange. C’est ainsi qu’il en a signé avec : l’Union européenne, les USA, la Tunisie, l’Egypte et la Jordanie (accord d’Agadir), la Turquie et bientôt le Mercosure (Brésil, Argentine, Bolivie, et sous peu, le Chili). Le Maroc offre ainsi aux investisseurs étrangers qui viennent dans le pays des “fenêtres d’exportation” qui leur ouvrent de grands marchés. “Investissez chez nous et vous profiterez des marchés que nous avons ouverts grâce à nos accords de libre-échange.” Ces accords de libre-échange sont donc conçus à la fois comme force de captation des investissements étrangers et comme opportunités de diversification des exportations marocaines.
2. La seconde orientation de la stratégie industrielle marocaine concerne la restructuration du capital industriel. Il y a au Maroc trop de PME à structure financière familiale dont la taille, trop petite, ne permet pas de se lancer à la conquête de grands marchés éloignés tels que ceux du Brésil, de l’Argentine, des USA, de la Turquie ... Il faut alors travailler à spécialiser davantage les entreprises marocaines et favoriser la construction d’entreprises de grande taille par des opérations de regroupements, fusions, partenariats). La construction de champions passe nécessairement par ces opérations de restructuration du capital productif.
3. La troisième orientation de la nouvelle politique industrielle marocaine est celle qui pousse l’Etat à la mise en œuvre d’une politique volontariste de formation d’élites managériales, d’ingénieurs de haut niveau ainsi que de mise en œuvre de programme étatique de recherche-innovation, de création technologique améliorant de la sorte l’attractivité de l’économie marocaine, les investisseurs internationaux accordant une attention particulière au niveau de qualification de la main-d’œuvre locale et aux possibilités de délocalisation de leurs programmes de recherche-innovation. Comme on peut le constater, les orientations sont claires même s’il reste bien entendu à les concrétiser réellement et avec efficacité.
En ce qui concerne la Tunisie, qui subit les mêmes contraintes que le Maroc et dont le système économique a toujours été proche du système économique marocain, c’est-à-dire une économie mixte combinant économie de marché et intervention de l’Etat, la préoccupation est la même et la démarche quelque peu différente. Il faut d’abord rappeler que la Tunisie a été un pays pétrolier de petite dimension certes mais jusqu’à la moitié des années 70, 30% du PIB provenait du secteur pétrolier. Début de la décennie 2000, la Tunisie n’est plus un pays pétrolier et s’est engagée avec quelques succès dans l’aprèspétrole.
Aujourd’hui, pour faire face aux problèmes nés de l’ouverture commerciale (Union européenne et OMC) et pour juguler la compétitivité chinoise sur ses propres parts de marché (notamment européen), la Tunisie a lancé une véritable stratégie d’attractivité et de construction de facteurs compétitifs.
La démarche comporte deux volets :
1. Le premier est centré sur l’entreprise et vise à améliorer sa compétitivité.
2. Le second touche à la restructuration industrielle et vise à faire émerger de nouvelles spécialisations.
1. L’entreprise doit être aidée à construire sa compétitivité :
La politique économique adoptée allège l’ensemble des charges qui pèsent sur l’entreprise.
1. Ainsi, les prix du crédit bancaire sont abaissés (baisse des taux d’intérêt).
2. Les droits de douanes sont réduits.
3. Une démarche de modération salariale est adoptée.
4. Les prix de l’énergie sont abaissés.
5. Les charges patronales dans le domaine des cotisations sociales sont abaissées.
6. L’impôt sur les bénéfices est abaissé et notamment en faveur des entreprises exportatrices qui en sont exonérées pendant 10 ans, délai après lequel un abattement de 50% leur est accordé.
7. La Banque centrale de Tunisie a dévalué le dinar tunisien pour rendre les exportations concurrentielles. Simultanément à ces actions fiscales, monétaires et sur les prix prises en faveur de l’entreprise, les planificateurs tunisiens ont mis en œuvre un important programme de “mise à niveau des entreprises”. A ce jour, 2 200 entreprises sur 5000 prévues ont bénéficié de ce programme qui a coûté 3 375 millions de dinars tunisiens (dont 15% sont des subventions allouées par l’Etat). Dans le même temps, un vaste programme de qualification de la main-d’œuvre tunisienne est lancé avec la création de 20 instituts supérieurs d’enseignement technique (ISET) répartis à travers le territoire.
2. Les nouvelles spécialisations industrielles :
Nous avons déjà signalé combien l’émergence des industries asiatiques et leur grande compétitivité sur les créneaux mêmes sur lesquels se sont construits les modèles industriels marocain et tunisien ont déclassé ces derniers. Dans le cas de la Tunisie, les industries textiles et habillement, chaussures, industries du bois, et à un degré moindre, industrie sidérurgique ont perdu leur compétitivité et des parts de marchés tant intérieurs qu’extérieurs. La Tunisie restructure donc son industrie et se lance dans de nouvelles spécialisations qui sont le haut de gamme de l’industrie de l’habillement, la manufacture du bois et de l’ameublement et surtout les industries mécaniques, électriques et électroniques où la Tunisie émerge comme équipementier des grands constructeurs automobiles. La Tunisie tente aussi de se spécialiser comme économie d’accueil de l’outsourcing en prenant en sous-traitance un certain nombre de fonctions de gestion des grandes entreprises internationales. “Ça bouge chez nos voisins”, m’a crié à l’oreille un collègue économiste algérien quelque peu dépité, moins pour exprimer une quelconque admiration pour les politiques économiques tunisienne et marocaine que pour mettre encore plus en relief l’immobilisme de notre gouvernement et l’absence d’imagination de nos “policymakers”.
Par le Soir
Notons tout d’abord que nos deux voisins appuient leurs stratégies sur des institutions de planification très efficaces (ministère du Développement économique et de la Planification en Tunisie, Instituts de planification et de prévisions économiques au Maroc). Les politiques conjoncturelles que leur imposent les institutions de Bretton Woods et plus particulièrement le FMI ne leur ont pas fait abandonner ni leurs travaux ni leurs actions de moyen et long terme et ce sont de véritables feuilles de route qui sont élaborées pour inscrire l’ensemble des actions dans une vision globale et cohérente (cohérente bien évidemment avec les objectifs que chacun des Etats a fixés à son économie et sur lesquels nous ne portons aucun jugement). C’est un collègue tunisien qui me lançait récemment : “Notre bonheur est dans le plan”. Du point de vue des choix stratégiques arrêtés dans chacun des deux pays, il y a incontestablement matière à réflexion et probablement quelques leçons à tirer pour notre économie, nous qui enregistrons dans ce domaine un grand retard puisque nous n’avons encore élaboré ni perspectives décennales économiques, ni nouvelle politique industrielle, ni stratégie d’ouverture économique. La fin de l’accord multifibres (suppression des quotas dans les exportations textiles) et le démantèlement tarifaire qui a fait suite à l’application graduelle de l’accord d’association avec l’Union européenne ont fait prendre conscience au Maroc et à la Tunisie du déclassement de leurs modèles industriels et du retard qu’ils ont accumulé dans la bataille de la compétitivité. Marocains et Tunisiens rappellent qu’en plus des parts de leurs propres marchés intérieurs qu’ils perdent (à cause de l’ouverture), leurs débouchés traditionnels, notamment européens, sont passés entre les mains des entreprises chinoises, vietnamiennes, et à un degré moindre, indiennes.
Pour le Maroc, la nouvelle politique économique se fonde (si l’on en croit le ministre marocain de l’Industrie, du Commerce et de la Mise à niveau économique), sur trois orientations principales :
1) La concurrence mondiale plus intense et notamment celle en provenance des pays asiatiques exige de ne plus rester isolé, exige de conclure des alliances et des partenariats. Pour développer l’attractivité du site Maroc et ouvrir de nouvelles possibilités d’exportations aux investisseurs directs étrangers potentiels, le Maroc a opté pour la multiplication des accords de libre-échange. C’est ainsi qu’il en a signé avec : l’Union européenne, les USA, la Tunisie, l’Egypte et la Jordanie (accord d’Agadir), la Turquie et bientôt le Mercosure (Brésil, Argentine, Bolivie, et sous peu, le Chili). Le Maroc offre ainsi aux investisseurs étrangers qui viennent dans le pays des “fenêtres d’exportation” qui leur ouvrent de grands marchés. “Investissez chez nous et vous profiterez des marchés que nous avons ouverts grâce à nos accords de libre-échange.” Ces accords de libre-échange sont donc conçus à la fois comme force de captation des investissements étrangers et comme opportunités de diversification des exportations marocaines.
2. La seconde orientation de la stratégie industrielle marocaine concerne la restructuration du capital industriel. Il y a au Maroc trop de PME à structure financière familiale dont la taille, trop petite, ne permet pas de se lancer à la conquête de grands marchés éloignés tels que ceux du Brésil, de l’Argentine, des USA, de la Turquie ... Il faut alors travailler à spécialiser davantage les entreprises marocaines et favoriser la construction d’entreprises de grande taille par des opérations de regroupements, fusions, partenariats). La construction de champions passe nécessairement par ces opérations de restructuration du capital productif.
3. La troisième orientation de la nouvelle politique industrielle marocaine est celle qui pousse l’Etat à la mise en œuvre d’une politique volontariste de formation d’élites managériales, d’ingénieurs de haut niveau ainsi que de mise en œuvre de programme étatique de recherche-innovation, de création technologique améliorant de la sorte l’attractivité de l’économie marocaine, les investisseurs internationaux accordant une attention particulière au niveau de qualification de la main-d’œuvre locale et aux possibilités de délocalisation de leurs programmes de recherche-innovation. Comme on peut le constater, les orientations sont claires même s’il reste bien entendu à les concrétiser réellement et avec efficacité.
En ce qui concerne la Tunisie, qui subit les mêmes contraintes que le Maroc et dont le système économique a toujours été proche du système économique marocain, c’est-à-dire une économie mixte combinant économie de marché et intervention de l’Etat, la préoccupation est la même et la démarche quelque peu différente. Il faut d’abord rappeler que la Tunisie a été un pays pétrolier de petite dimension certes mais jusqu’à la moitié des années 70, 30% du PIB provenait du secteur pétrolier. Début de la décennie 2000, la Tunisie n’est plus un pays pétrolier et s’est engagée avec quelques succès dans l’aprèspétrole.
Aujourd’hui, pour faire face aux problèmes nés de l’ouverture commerciale (Union européenne et OMC) et pour juguler la compétitivité chinoise sur ses propres parts de marché (notamment européen), la Tunisie a lancé une véritable stratégie d’attractivité et de construction de facteurs compétitifs.
La démarche comporte deux volets :
1. Le premier est centré sur l’entreprise et vise à améliorer sa compétitivité.
2. Le second touche à la restructuration industrielle et vise à faire émerger de nouvelles spécialisations.
1. L’entreprise doit être aidée à construire sa compétitivité :
La politique économique adoptée allège l’ensemble des charges qui pèsent sur l’entreprise.
1. Ainsi, les prix du crédit bancaire sont abaissés (baisse des taux d’intérêt).
2. Les droits de douanes sont réduits.
3. Une démarche de modération salariale est adoptée.
4. Les prix de l’énergie sont abaissés.
5. Les charges patronales dans le domaine des cotisations sociales sont abaissées.
6. L’impôt sur les bénéfices est abaissé et notamment en faveur des entreprises exportatrices qui en sont exonérées pendant 10 ans, délai après lequel un abattement de 50% leur est accordé.
7. La Banque centrale de Tunisie a dévalué le dinar tunisien pour rendre les exportations concurrentielles. Simultanément à ces actions fiscales, monétaires et sur les prix prises en faveur de l’entreprise, les planificateurs tunisiens ont mis en œuvre un important programme de “mise à niveau des entreprises”. A ce jour, 2 200 entreprises sur 5000 prévues ont bénéficié de ce programme qui a coûté 3 375 millions de dinars tunisiens (dont 15% sont des subventions allouées par l’Etat). Dans le même temps, un vaste programme de qualification de la main-d’œuvre tunisienne est lancé avec la création de 20 instituts supérieurs d’enseignement technique (ISET) répartis à travers le territoire.
2. Les nouvelles spécialisations industrielles :
Nous avons déjà signalé combien l’émergence des industries asiatiques et leur grande compétitivité sur les créneaux mêmes sur lesquels se sont construits les modèles industriels marocain et tunisien ont déclassé ces derniers. Dans le cas de la Tunisie, les industries textiles et habillement, chaussures, industries du bois, et à un degré moindre, industrie sidérurgique ont perdu leur compétitivité et des parts de marchés tant intérieurs qu’extérieurs. La Tunisie restructure donc son industrie et se lance dans de nouvelles spécialisations qui sont le haut de gamme de l’industrie de l’habillement, la manufacture du bois et de l’ameublement et surtout les industries mécaniques, électriques et électroniques où la Tunisie émerge comme équipementier des grands constructeurs automobiles. La Tunisie tente aussi de se spécialiser comme économie d’accueil de l’outsourcing en prenant en sous-traitance un certain nombre de fonctions de gestion des grandes entreprises internationales. “Ça bouge chez nos voisins”, m’a crié à l’oreille un collègue économiste algérien quelque peu dépité, moins pour exprimer une quelconque admiration pour les politiques économiques tunisienne et marocaine que pour mettre encore plus en relief l’immobilisme de notre gouvernement et l’absence d’imagination de nos “policymakers”.
Par le Soir
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