La forêt et le Maghreb colonial
Par Claire Fredj
Compte-rendu de lecture de l'ouvrage de Diana K. Davis. Les mythes environnementaux de la colonisation française au Maghreb, Seyssel, Champ Vallon, 2012 (Resurrecting the Granary of Rome: Environmental History and French Colonial Expansion in North Africa, Athens, Ohio University Press, 2007), 331 p., 26 €
En s’intéressant la question environnementale, Diana K. Davis aborde un sujet encore peu traité de l’histoire coloniale du Maghreb. Centré sur la construction, l’usage et la performativité d’un discours environnemental décliniste, son ouvrage montre la fabrication d’un nouvel outil de contrôle et de domination.
Le terme de « désertification » apparaît en 1927 sous la plume du forestier Louis Lavauden. C’est pourtant dès 1830 que les nomades d’Algérie en sont accusés, à travers le récit d’un déclin environnemental précocement construit par différents acteurs de la colonisation. Ce récit, qu’étudie Diana K. Davis, sert de toile de fond à l’imposition d’une nouvelle législation sur les terres, porteuse de dépossessions foncières et de nouvelles pratiques agraires.
Dès le début de la conquête, en une vingtaine d’années, émerge un récit environnemental accusant les indigènes, surtout les nomades, d’avoir déboisé et dégradé les fertiles « greniers à blé » de l’Afrique du nord. Par ce discours, se trouve justifié le devoir de la France de rendre à l’Algérie la prospérité qu’elle aurait connue à l’époque romaine. Cette assurance s’appuie sur les textes classiques et les résultats de fouilles archéologiques, tandis que la lecture sélective d’auteurs comme Ibn Khaldoun présente les invasions arabes « hilaliennes » du XIe siècle comme responsables de la ruine d’un pays autrefois très riche. La déforestation et la désertification, attribuées au nomadisme pastoral, sont au cœur d’un récit « décliniste », utilisé pour rationaliser la colonisation française : le besoin de reboiser les espaces censés avoir été déboisés par les indigènes devient un argument fréquemment utilisé pour justifier l’appropriation des terres.
En même temps que diverses lois restreignent et criminalisent la plupart des usages traditionnels de l’environnement, les pratiques agro-pastorales traditionnelles connaissent un processus de délégitimation. Ainsi en est-il notamment des incendies semi-contrôlés ou du pâturage en forêt, qui entrent en conflit avec les usages en train de se mettre en place en métropole. Le code forestier français de 1827 est appliqué à la lettre en Algérie. La protection des forêts doit d’abord répondre aux besoins en bois de l’armée. C’est pourquoi, en même temps que le service forestier, institué en 1838, commence à travailler à des plantations et des pépinières d’arbres, interdiction est faite de mettre le feu aux bois, taillis, haies vives, etc. Des amendes sont prévues pour tout incendie destiné à fertiliser la terre, les sanctions sont aggravées en 1846. La culture et le pâturage sont ainsi rendus plus difficiles pour une majorité de la population rurale, d’autant que plusieurs mesures contraignent les paysans à céder leurs terres. Selon Diana K. Davis, le récit décliniste triomphe sous la Troisième République, alors que la colonisation reprend de plus belle, notamment grâce à la loi Warnier (1873) qui permet de nouvelles confiscations de pâturages et de jachères par le démembrement de la propriété collective traditionnelle, transformée en propriété privée individuelle.
Par Claire Fredj
Compte-rendu de lecture de l'ouvrage de Diana K. Davis. Les mythes environnementaux de la colonisation française au Maghreb, Seyssel, Champ Vallon, 2012 (Resurrecting the Granary of Rome: Environmental History and French Colonial Expansion in North Africa, Athens, Ohio University Press, 2007), 331 p., 26 €
En s’intéressant la question environnementale, Diana K. Davis aborde un sujet encore peu traité de l’histoire coloniale du Maghreb. Centré sur la construction, l’usage et la performativité d’un discours environnemental décliniste, son ouvrage montre la fabrication d’un nouvel outil de contrôle et de domination.
Le terme de « désertification » apparaît en 1927 sous la plume du forestier Louis Lavauden. C’est pourtant dès 1830 que les nomades d’Algérie en sont accusés, à travers le récit d’un déclin environnemental précocement construit par différents acteurs de la colonisation. Ce récit, qu’étudie Diana K. Davis, sert de toile de fond à l’imposition d’une nouvelle législation sur les terres, porteuse de dépossessions foncières et de nouvelles pratiques agraires.
Dès le début de la conquête, en une vingtaine d’années, émerge un récit environnemental accusant les indigènes, surtout les nomades, d’avoir déboisé et dégradé les fertiles « greniers à blé » de l’Afrique du nord. Par ce discours, se trouve justifié le devoir de la France de rendre à l’Algérie la prospérité qu’elle aurait connue à l’époque romaine. Cette assurance s’appuie sur les textes classiques et les résultats de fouilles archéologiques, tandis que la lecture sélective d’auteurs comme Ibn Khaldoun présente les invasions arabes « hilaliennes » du XIe siècle comme responsables de la ruine d’un pays autrefois très riche. La déforestation et la désertification, attribuées au nomadisme pastoral, sont au cœur d’un récit « décliniste », utilisé pour rationaliser la colonisation française : le besoin de reboiser les espaces censés avoir été déboisés par les indigènes devient un argument fréquemment utilisé pour justifier l’appropriation des terres.
En même temps que diverses lois restreignent et criminalisent la plupart des usages traditionnels de l’environnement, les pratiques agro-pastorales traditionnelles connaissent un processus de délégitimation. Ainsi en est-il notamment des incendies semi-contrôlés ou du pâturage en forêt, qui entrent en conflit avec les usages en train de se mettre en place en métropole. Le code forestier français de 1827 est appliqué à la lettre en Algérie. La protection des forêts doit d’abord répondre aux besoins en bois de l’armée. C’est pourquoi, en même temps que le service forestier, institué en 1838, commence à travailler à des plantations et des pépinières d’arbres, interdiction est faite de mettre le feu aux bois, taillis, haies vives, etc. Des amendes sont prévues pour tout incendie destiné à fertiliser la terre, les sanctions sont aggravées en 1846. La culture et le pâturage sont ainsi rendus plus difficiles pour une majorité de la population rurale, d’autant que plusieurs mesures contraignent les paysans à céder leurs terres. Selon Diana K. Davis, le récit décliniste triomphe sous la Troisième République, alors que la colonisation reprend de plus belle, notamment grâce à la loi Warnier (1873) qui permet de nouvelles confiscations de pâturages et de jachères par le démembrement de la propriété collective traditionnelle, transformée en propriété privée individuelle.
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