Sur le migrant subsaharien, beaucoup de journaux algériens versent dans la xénophobie
Yassin Temlali ( Maghrebemergent)
samedi 21 septembre 2013
L’image du migrant subsaharien telle qu’elle se dégage de l’étude d’une quarantaine d’articles de la presse quotidienne algérienne est marquée par une violente xénophobie. Celui-ci est représenté, la plupart du temps, sous les traits d’un « illégal », qui constitue une menace multiforme pour la sécurité et la santé publiques. C’est « Un faussaire », « un faux-monnayeur », « un trafiquant de drogue », un « escroc », un « proxénète »… Les informations concernant l’immigration subsaharienne proviennent pour l’essentiel de sources officielles*.
L’Algérie est aujourd’hui considérée comme un important pays de transit pour les migrants subsahariens en route pour l’Europe. Son aisance financière relative fait aussi d’elle un pôle d’attraction pour une autre catégorie de migrants, qui s’installent principalement dans les villes du Sud, attirés par les chantiers du Programme spécial de développement destiné à cette région[1].
Le développement de ces migrations préoccupe les autorités algériennes[2]. Les dispositifs sécuritaires ont été renforcés. Un nouvel instrument législatif, la loi 08-11 du 25 juin 2008, a été adopté. Ce texte a aggravé les sanctions pénales des délits de « séjour illégal » et d’« entrée illégale » sur le territoire national et a donné au ministre de l’Intérieur, ainsi qu’aux walis (préfets), des pouvoirs étendus en matière de gestion des flux migratoires.
Le traitement que réservent les médias algériens aux migrations subsahariennes vers l’Algérie nous a interpellés par l’impression qu’il dégage d’une véritable unanimité nationale sur leurs présumés dangers, entre le gouvernement, les journalistes et la population. Il nous a également interpellés par ses dérogations à des règles élémentaires du journalisme (vérification des informations, précision des sources...) et sa contradiction avec certains discours tenus dans les médias sur l’Afrique et souvent teintés de « tiers-mondisme »[3].
Nous tenterons dans ce travail de saisir les lignes dominantes du traitement médiatique de ces migrations, en examinant 44 articles en arabe et en français, publiés entre le 2 mars 2008 et le 31 octobre 2009[4] dans quatre quotidiens privés. Notre objet n’étant pas une analyse discursive circonstanciée, nous avons estimé pertinent de travailler sur un corpus aussi exhaustif.
Le choix de la presse écrite nous a été dicté par l’accessibilité de ses archives. L’accès aux archives des chaînes de radio et de télévision (toutes publiques) n’est pas aisé, outre que ces médias expriment le point de vue gouvernemental et nul autre point de vue. Nous avons sélectionné les 44 articles dans la presse quotidienne car son lectorat est plus important que celui des publications à périodicité différente (hebdomadaires, etc.)[5]. Nous les avons sélectionnés dans des quotidiens privés, les tirages de ces journaux étant, de loin, plus importants que ceux des quotidiens publics, très modestes[6] comme, du reste, leur crédibilité.
Ces quatre quotidiens sont : « El Chourouk », « El Khabar », « El Watan » et « L’Expression ». Les tirages des deux premiers, arabophones, atteignent quelque 1.250.000 lecteurs. « El Watan » (150.000 exemplaires/jour) n’est pas le premier quotidien francophone, une position occupée par « Le Quotidien d’Oran » (165.000 ex./jour)[7], mais à la différence de celui-ci, il n’est pas marqué régionalement, ni par son nom ni par sa distribution[8]. Le choix de « L’Expression » a été motivé, quant à lui, par deux raisons : la première est qu’il est un des plus importants « seconds grands tirages » francophones ; la seconde est que ses archives sont parmi les plus facilement accessibles de la presse algérienne.
« Des migrations strictement illégales »
Dans les articles étudiés, les migrations subsahariennes en Algérie sont présentées comme des migrations essentiellement irrégulières. Il n’y est nulle mention des accords régissant la circulation des personnes entre l’Etat algérien et les Etats subsahariens frontaliers. Le séjour des ressortissants du Mali en Algérie, par exemple, est régi par des accords les dispensant des formalités de visa[9]. Le rappel d’une telle vérité n’est pas inutile : il permettrait d’expliquer aux lecteurs que les immigrants irréguliers maliens sont entrés légalement sur le territoire algérien et que des ressortissants d’autres Etats subsahariens, pour ne pas avoir à demander un visa algérien, se procurent des faux passeports maliens.
La méconnaissance de ces accords peut être à l’origine de fausses informations, dont voici un exemple relevé dans « El Chourouk » du 28 octobre 2008 : « ‘’El Chourouk’’ s’est longuement entretenu avec nombre de harragas[10] arrêtés, en provenance de différents pays comme le Mali, le Niger […] qui se sont infiltrés en Algérie par la frontière sud. »
Dans notre corpus, l’Algérie est aussi présentée, le plus souvent, comme étant, pour les migrants subsahariens, un pays de simple transit. Ainsi, elle n’est qualifiée de « pays d’accueil » que dans 9 articles sur 44. Or, on sait que depuis longtemps, les saisonniers maliens et nigériens vont y travailler de façon tout à fait légale[11]. En outre, 40% des migrants irréguliers (dont l’écrasante majorité sont des Subsahariens,) la considèrent comme leur destination finale[12] selon une étude menée par le CISP[13] il y a quelques années. Ce pourcentage n’a pas dû beaucoup changer, sinon dans le sens de la hausse, vu le durcissement des contrôles aux frontières européennes.
Yassin Temlali ( Maghrebemergent)
samedi 21 septembre 2013
L’image du migrant subsaharien telle qu’elle se dégage de l’étude d’une quarantaine d’articles de la presse quotidienne algérienne est marquée par une violente xénophobie. Celui-ci est représenté, la plupart du temps, sous les traits d’un « illégal », qui constitue une menace multiforme pour la sécurité et la santé publiques. C’est « Un faussaire », « un faux-monnayeur », « un trafiquant de drogue », un « escroc », un « proxénète »… Les informations concernant l’immigration subsaharienne proviennent pour l’essentiel de sources officielles*.
L’Algérie est aujourd’hui considérée comme un important pays de transit pour les migrants subsahariens en route pour l’Europe. Son aisance financière relative fait aussi d’elle un pôle d’attraction pour une autre catégorie de migrants, qui s’installent principalement dans les villes du Sud, attirés par les chantiers du Programme spécial de développement destiné à cette région[1].
Le développement de ces migrations préoccupe les autorités algériennes[2]. Les dispositifs sécuritaires ont été renforcés. Un nouvel instrument législatif, la loi 08-11 du 25 juin 2008, a été adopté. Ce texte a aggravé les sanctions pénales des délits de « séjour illégal » et d’« entrée illégale » sur le territoire national et a donné au ministre de l’Intérieur, ainsi qu’aux walis (préfets), des pouvoirs étendus en matière de gestion des flux migratoires.
Le traitement que réservent les médias algériens aux migrations subsahariennes vers l’Algérie nous a interpellés par l’impression qu’il dégage d’une véritable unanimité nationale sur leurs présumés dangers, entre le gouvernement, les journalistes et la population. Il nous a également interpellés par ses dérogations à des règles élémentaires du journalisme (vérification des informations, précision des sources...) et sa contradiction avec certains discours tenus dans les médias sur l’Afrique et souvent teintés de « tiers-mondisme »[3].
Nous tenterons dans ce travail de saisir les lignes dominantes du traitement médiatique de ces migrations, en examinant 44 articles en arabe et en français, publiés entre le 2 mars 2008 et le 31 octobre 2009[4] dans quatre quotidiens privés. Notre objet n’étant pas une analyse discursive circonstanciée, nous avons estimé pertinent de travailler sur un corpus aussi exhaustif.
Le choix de la presse écrite nous a été dicté par l’accessibilité de ses archives. L’accès aux archives des chaînes de radio et de télévision (toutes publiques) n’est pas aisé, outre que ces médias expriment le point de vue gouvernemental et nul autre point de vue. Nous avons sélectionné les 44 articles dans la presse quotidienne car son lectorat est plus important que celui des publications à périodicité différente (hebdomadaires, etc.)[5]. Nous les avons sélectionnés dans des quotidiens privés, les tirages de ces journaux étant, de loin, plus importants que ceux des quotidiens publics, très modestes[6] comme, du reste, leur crédibilité.
Ces quatre quotidiens sont : « El Chourouk », « El Khabar », « El Watan » et « L’Expression ». Les tirages des deux premiers, arabophones, atteignent quelque 1.250.000 lecteurs. « El Watan » (150.000 exemplaires/jour) n’est pas le premier quotidien francophone, une position occupée par « Le Quotidien d’Oran » (165.000 ex./jour)[7], mais à la différence de celui-ci, il n’est pas marqué régionalement, ni par son nom ni par sa distribution[8]. Le choix de « L’Expression » a été motivé, quant à lui, par deux raisons : la première est qu’il est un des plus importants « seconds grands tirages » francophones ; la seconde est que ses archives sont parmi les plus facilement accessibles de la presse algérienne.
« Des migrations strictement illégales »
Dans les articles étudiés, les migrations subsahariennes en Algérie sont présentées comme des migrations essentiellement irrégulières. Il n’y est nulle mention des accords régissant la circulation des personnes entre l’Etat algérien et les Etats subsahariens frontaliers. Le séjour des ressortissants du Mali en Algérie, par exemple, est régi par des accords les dispensant des formalités de visa[9]. Le rappel d’une telle vérité n’est pas inutile : il permettrait d’expliquer aux lecteurs que les immigrants irréguliers maliens sont entrés légalement sur le territoire algérien et que des ressortissants d’autres Etats subsahariens, pour ne pas avoir à demander un visa algérien, se procurent des faux passeports maliens.
La méconnaissance de ces accords peut être à l’origine de fausses informations, dont voici un exemple relevé dans « El Chourouk » du 28 octobre 2008 : « ‘’El Chourouk’’ s’est longuement entretenu avec nombre de harragas[10] arrêtés, en provenance de différents pays comme le Mali, le Niger […] qui se sont infiltrés en Algérie par la frontière sud. »
Dans notre corpus, l’Algérie est aussi présentée, le plus souvent, comme étant, pour les migrants subsahariens, un pays de simple transit. Ainsi, elle n’est qualifiée de « pays d’accueil » que dans 9 articles sur 44. Or, on sait que depuis longtemps, les saisonniers maliens et nigériens vont y travailler de façon tout à fait légale[11]. En outre, 40% des migrants irréguliers (dont l’écrasante majorité sont des Subsahariens,) la considèrent comme leur destination finale[12] selon une étude menée par le CISP[13] il y a quelques années. Ce pourcentage n’a pas dû beaucoup changer, sinon dans le sens de la hausse, vu le durcissement des contrôles aux frontières européennes.
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