Lettre à Malika Mokkedem
Chère Malika,
Pourquoi écrivez-vous ?
J’aurais pu vous poser cette question en mars 2003 lorsque vous m’avez dédicacé La Transe des insoumis. Aujourd’hui, j’essaie d’imaginer les éléments de votre réponse en les dérobant à votre œuvre.
«Avec le droit à l’insomnie, c’est celui d’avoir un corps à moi, distinct de la cellule familiale que je conquiers. La solitude et la lecture en seront les seules libertés jusqu’à la fin de l’adolescence», écrivez-vous dans l’avertissement au lecteur de La Transe des insoumis.
J’imagine que cette phrase aurait pu constituer l’un des éléments d’une réponse. L’évocation de la solitude, de la lecture mais aussi de l’insomnie constituant autant d’éléments propices à la mise en route d’une réflexion.
Sans doute vous a-t-il encore fallu recevoir de quelqu’un votre talent de conteuse. Je pense alors à cette transmission symbolique évoquée dans votre premier roman, Les Hommes qui marchent. La grand-mère Zohra inspire sa petite fille Leïla : «Elle n’eut pas à chercher longtemps. Sa plume se mit à écrire avec fébrilité, comme sous la dictée de l’aïeule qui revivait en elle. Un souffle puissant dénoua ses entrailles et libéra enfin sa mémoire», écrivait la narratrice en épilogue.
Pourtant, cette dernière évocation me paraît toujours insuffisante. Permettez-moi d’en ajouter une autre plus violente et troublante ; celle de la représentation romanesque du meurtre originel d’un nouveau-né dans votre dernier roman Je dois tout à ton oubli:
«La main de la mère qui s’empare d’un oreiller blanc, l’applique sur le visage du nourrisson allongé par terre auprès de la tante Zahia et qui appuie, appuie.»
J’arrête là mon indiscrétion et me permets de vous dire que si les motifs de l’insomnie et de l’amnésie traversent votre œuvre en lui imprimant cette marque singulière, la part allégorique que vous réservez à l’enfance survivante, et donc bien vivante, m’a aussi beaucoup touchée.
À partir de votre roman L’Interdite, je vous offre un début de réflexion.
Il nous semble en effet que chaque maturation sociale ou humaine nécessite tout autant de connaître les jalons de sa propre histoire que de pouvoir rêver, rêver pour se construire et grandir. Est-ce pour cela que les figures enfantines, référant souvent aux contes, sont aussi nombreuses dans les romans de Malika Mokeddem, témoignant ainsi, nous semble-t-il, d’une volonté de réhabilitation de l’espoir dont l’enfant est symboliquement porteur ?
L’enfant rêveur
Dans L’Interdite, la petite Dalila s’échappe à la surveillance des adultes pour rêver le monde et dialoguer avec les personnages imaginaires de son choix ; mais son personnage est déjà métissé d’éléments cantiques et réalistes, si bien que ce procédé semble suggérer au lecteur d’entrer dans une double lecture, celle du conte, et par conséquent d’une morale pour aider à grandir, mais aussi propose une réflexion sur la représentation de l’enfance.
En effet, son personnage est très proche de celui du «Petit Prince», personnage auquel elle fait de multiples allusions au cours de la narration, et dont elle partage certaines caractéristiques. Comme lui, elle a la passion du dessin. Si elle a élu la dune comme refuge, c’est que, surplombant ainsi l’immensité, elle partage avec le Petit Prince une même vision esthétique et spirituelle du désert car «Ce qui embellit le désert, dit le Petit Prince, c’est qu’il cache un puits quelque part…» (1).
Ce puits du Petit Prince comme la dune de Dalila nous paraissent constituer des «espaces-refuges»(2). Ainsi, au sommet de la dune, Dalila rêve. Là, elle convoque alors pour un véritable dialogue, des êtres invisibles issus de légendes, de contes ou de romans :
Et dans le sable, sur le sable, y a les gens des rêves, qui vont au ciel et redescendent, qui font la lumière et qui meurent jamais. Les gens de la vie, ils ne savent pas toujours voir. Moi, je les vois, je leur parle(3).
Mais si elle invite, au gré de son imagination, des êtres immortels pour donner vie à son monde intérieur et apprivoiser la mort, c’est aussi nous semble-t-il pour grandir et élargir peu à peu ses perspectives. Car tous les personnages qu’elle évoque sont à la croisée de sa culture d’origine, sa culture arabe, et de la culture européenne. En effet, en référence à sa culture d’origine elle évoque Targou, un spectre féminin, mais aussi Jaha, personnage de légende doué de grande malice.
En évoquant le Petit Prince mais aussi Oscar le héros du Tambour, elle introduit dans son monde des personnages européens. Avec Oscar, le petit garçon qui a cessé de grandir à l’âge de trois ans, elle exprime les sentiments ambivalents de l’enfance : son refus de quitter le monde de l’enfance mais aussi son désir de grandir.
Lorsqu’il est contrarié, Oscar crie et la puissance de ses cris détruit le verre.
Chère Malika,
Pourquoi écrivez-vous ?
J’aurais pu vous poser cette question en mars 2003 lorsque vous m’avez dédicacé La Transe des insoumis. Aujourd’hui, j’essaie d’imaginer les éléments de votre réponse en les dérobant à votre œuvre.
«Avec le droit à l’insomnie, c’est celui d’avoir un corps à moi, distinct de la cellule familiale que je conquiers. La solitude et la lecture en seront les seules libertés jusqu’à la fin de l’adolescence», écrivez-vous dans l’avertissement au lecteur de La Transe des insoumis.
J’imagine que cette phrase aurait pu constituer l’un des éléments d’une réponse. L’évocation de la solitude, de la lecture mais aussi de l’insomnie constituant autant d’éléments propices à la mise en route d’une réflexion.
Sans doute vous a-t-il encore fallu recevoir de quelqu’un votre talent de conteuse. Je pense alors à cette transmission symbolique évoquée dans votre premier roman, Les Hommes qui marchent. La grand-mère Zohra inspire sa petite fille Leïla : «Elle n’eut pas à chercher longtemps. Sa plume se mit à écrire avec fébrilité, comme sous la dictée de l’aïeule qui revivait en elle. Un souffle puissant dénoua ses entrailles et libéra enfin sa mémoire», écrivait la narratrice en épilogue.
Pourtant, cette dernière évocation me paraît toujours insuffisante. Permettez-moi d’en ajouter une autre plus violente et troublante ; celle de la représentation romanesque du meurtre originel d’un nouveau-né dans votre dernier roman Je dois tout à ton oubli:
«La main de la mère qui s’empare d’un oreiller blanc, l’applique sur le visage du nourrisson allongé par terre auprès de la tante Zahia et qui appuie, appuie.»
J’arrête là mon indiscrétion et me permets de vous dire que si les motifs de l’insomnie et de l’amnésie traversent votre œuvre en lui imprimant cette marque singulière, la part allégorique que vous réservez à l’enfance survivante, et donc bien vivante, m’a aussi beaucoup touchée.
À partir de votre roman L’Interdite, je vous offre un début de réflexion.
Il nous semble en effet que chaque maturation sociale ou humaine nécessite tout autant de connaître les jalons de sa propre histoire que de pouvoir rêver, rêver pour se construire et grandir. Est-ce pour cela que les figures enfantines, référant souvent aux contes, sont aussi nombreuses dans les romans de Malika Mokeddem, témoignant ainsi, nous semble-t-il, d’une volonté de réhabilitation de l’espoir dont l’enfant est symboliquement porteur ?
L’enfant rêveur
Dans L’Interdite, la petite Dalila s’échappe à la surveillance des adultes pour rêver le monde et dialoguer avec les personnages imaginaires de son choix ; mais son personnage est déjà métissé d’éléments cantiques et réalistes, si bien que ce procédé semble suggérer au lecteur d’entrer dans une double lecture, celle du conte, et par conséquent d’une morale pour aider à grandir, mais aussi propose une réflexion sur la représentation de l’enfance.
En effet, son personnage est très proche de celui du «Petit Prince», personnage auquel elle fait de multiples allusions au cours de la narration, et dont elle partage certaines caractéristiques. Comme lui, elle a la passion du dessin. Si elle a élu la dune comme refuge, c’est que, surplombant ainsi l’immensité, elle partage avec le Petit Prince une même vision esthétique et spirituelle du désert car «Ce qui embellit le désert, dit le Petit Prince, c’est qu’il cache un puits quelque part…» (1).
Ce puits du Petit Prince comme la dune de Dalila nous paraissent constituer des «espaces-refuges»(2). Ainsi, au sommet de la dune, Dalila rêve. Là, elle convoque alors pour un véritable dialogue, des êtres invisibles issus de légendes, de contes ou de romans :
Et dans le sable, sur le sable, y a les gens des rêves, qui vont au ciel et redescendent, qui font la lumière et qui meurent jamais. Les gens de la vie, ils ne savent pas toujours voir. Moi, je les vois, je leur parle(3).
Mais si elle invite, au gré de son imagination, des êtres immortels pour donner vie à son monde intérieur et apprivoiser la mort, c’est aussi nous semble-t-il pour grandir et élargir peu à peu ses perspectives. Car tous les personnages qu’elle évoque sont à la croisée de sa culture d’origine, sa culture arabe, et de la culture européenne. En effet, en référence à sa culture d’origine elle évoque Targou, un spectre féminin, mais aussi Jaha, personnage de légende doué de grande malice.
En évoquant le Petit Prince mais aussi Oscar le héros du Tambour, elle introduit dans son monde des personnages européens. Avec Oscar, le petit garçon qui a cessé de grandir à l’âge de trois ans, elle exprime les sentiments ambivalents de l’enfance : son refus de quitter le monde de l’enfance mais aussi son désir de grandir.
Lorsqu’il est contrarié, Oscar crie et la puissance de ses cris détruit le verre.
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