Ce regard sur la littérature féminine algérienne n’a aucune prétention à l’exhaustivité, non seulement à cause de l’étendue de ce domaine extrêmement riche et du choix du genre romanesque — choix limitatif même si le roman est (comme chez les auteurs masculins) la forme dominante ou en tous cas la plus lue— , mais encore à cause d’une certaine subjectivité qui nous a fait retenir certaines écrivaines, certaines oeuvres et en passer d’autres sous silence.
On sait que l’émergence de cette littérature féminine fut assez lente pour des raisons dont la plupart sont bien identifiables. En rompant le silence auquel les astreint la tradition, les femmes qui écrivent se lancent dans une entreprise périlleuse : si la prise de parole féminine n’est jamais anodine quelle que soit la société dans laquelle ces femmes évoluent, elle l’est encore moins dans la nôtre où cette prise de parole est généralement considérée comme indécente ; elles s’installent ainsi, même si elles ne le veulent pas, dans une situation de provocation que certaines essaient d’atténuer, en se cherchant une légitimité, en se réfugiant derrière un pseudonyme et, pour les oeuvres les moins fortes, en donnant les preuves de leur conformité ou de leur orthodoxie, l’accusation d’exhibitionnisme ou d’impudeur n’étant jamais très loin quand la société fait de la réserve, de la retenue, des notions survalorisées et, bien sûr, essentiellement féminines.
Les pionnières
Toutes ces contraintes font que les femmes sont entrées d’abord à petits pas en littérature et que longtemps cette littérature s’est limitée à quelques noms de pionnières, objets de curiosité, auxquelles d'ailleurs de nombreux travaux ont été consacrés, Djamila Debêche, les Amrouche : Fadhma Aït Mansour, la mère, Marguerite Taos, la fille.
La première publiait en 1947 Leïla, jeune fille d’Algérie (Alger, Imprimerie Charras) puis Aziza en 1955 (Imprimerie Imbert), romans bien conventionnels, il faut le dire, où l’intrigue sert de prétexte à des développements sur la possibilité pour la “femme musulmane ” de s’émanciper dans l’Algérie coloniale, sur l’opposition tradition/modernité recouvrant une opposition culture musulmane/culture française. Le premier roman reprend les mythes de l’idéologie coloniale, le second marque une légère évolution ; il met encore en scène une jeune fille déchirée entre tradition et modernité qui assiste d’abord inquiète à la montée du nationalisme puis admet peu à peu l’idée que, peut-être, le monde qui se construit sera de progrès.
Le récit de Fadhma Aït Mansour, Histoire de ma vie, antérieur aux récits de Djamila Debêche puisqu’il est écrit en 1946, ne sera cependant publié qu’en 1968 (Maspéro), après sa mort et celle de son mari. L’auteure raconte sa vie, insistant fortement sur le statut de marginale auquel la condamnent sa naissance illégitime, son instruction et sa conversion au christianisme. Témoignage sur la colonisation culturelle et ses conséquences, le texte est plein de la souffrance née de la différence, de l’exil et de la mort des siens, éclairé cependant, ainsi qu’elle l’écrit, par le travail de “fixation des chants berbères hérités des ancêtres qui (lui) ont permis de supporter l’exil et de bercer la douleur ”. Sa fille écrit aussi dès 1947 son premier roman Jacinthe noire (Charlot), suivi en 1960 de Rue des
tambourins (La Table Ronde) et, en 1975, de L’Amant imaginaire (Nouvelle société Morel). Elle est connue par les chants recueillis avec son frère auprès de sa mère. Les romans, à forte coloration autobiographique, mettent en scène des jeunes femmes instables, à la sensibilité exacerbée, refusant de se soumettre, s’analysant avec quelque complaisance, et posent le problème de l’exil et de la marginalité.
Pendant la guerre émerge celle qui sera longtemps la figure de proue de la littérature féminine algérienne, Assia Djebar, qui occupera pratiquement seule le terrain pendant quelque temps. (On rappellera que la guerre a favorisé l’éclosion de la poésie, genre approprié aux circonstances, permettant l’expression, parfois sans lendemain, de l’émotion du moment comme l’ont montré Jamel Eddine Bencheikh et Jacqueline Lévi Valensi dans leur Diwan).
Assia Djebar
Elle est sans doute la plus connue, la plus médiatisée aussi, de nos écrivaines depuis la parution de son premier roman, La Soif (Julliard, 1957) que l’on compara à l’époque au Bonjour tristesse de Françoise Sagan, oeuvre de jeunesse que l’auteure elle-même considérait comme un “exercice de style ”.
Deux parties dans sa production : avant et après Femmes d’Alger dans leur appartement(Éditions des femmes, 1980), cette oeuvre marquant un tournant remarquable dans l’ensemble de la production. Ce qu’on peut appeler les romans de jeunesse : La Soif, Les Impatients(Julliard, 1958), Les Enfants du nouveau monde(Julliard, 1962), Les Alouettes naïves(Julliard, 1967) mettent en scène des jeunes femmes en qui s’ébauche le caractère des personnages féminins qui viendront ensuite.
Si La Soifapparaît comme en dehors de la lutte qui est alors celle du pays, plus préoccupé de l’intrigue psychologique, Les Impatients, sans faire davantage allusion à la tension d’alors (on est en 1958) se déroule cependant dans un contexte plus algérien— le roman est, dit l’auteure, “une image d’intérieur d’une maison traditionnelle, avec un patio, un premier étage, des rampes… ”— et le personnage de la jeune fille, Dalila, est en révolte contre l’enfermement, la tradition, prélude à d’autres révoltes; s’y amorce aussi une thématique de l’amour marqué, chez l’homme, par le désir de possession et, chez la femme, par le désir d’indépendance, de liberté.
On sait que l’émergence de cette littérature féminine fut assez lente pour des raisons dont la plupart sont bien identifiables. En rompant le silence auquel les astreint la tradition, les femmes qui écrivent se lancent dans une entreprise périlleuse : si la prise de parole féminine n’est jamais anodine quelle que soit la société dans laquelle ces femmes évoluent, elle l’est encore moins dans la nôtre où cette prise de parole est généralement considérée comme indécente ; elles s’installent ainsi, même si elles ne le veulent pas, dans une situation de provocation que certaines essaient d’atténuer, en se cherchant une légitimité, en se réfugiant derrière un pseudonyme et, pour les oeuvres les moins fortes, en donnant les preuves de leur conformité ou de leur orthodoxie, l’accusation d’exhibitionnisme ou d’impudeur n’étant jamais très loin quand la société fait de la réserve, de la retenue, des notions survalorisées et, bien sûr, essentiellement féminines.
Les pionnières
Toutes ces contraintes font que les femmes sont entrées d’abord à petits pas en littérature et que longtemps cette littérature s’est limitée à quelques noms de pionnières, objets de curiosité, auxquelles d'ailleurs de nombreux travaux ont été consacrés, Djamila Debêche, les Amrouche : Fadhma Aït Mansour, la mère, Marguerite Taos, la fille.
La première publiait en 1947 Leïla, jeune fille d’Algérie (Alger, Imprimerie Charras) puis Aziza en 1955 (Imprimerie Imbert), romans bien conventionnels, il faut le dire, où l’intrigue sert de prétexte à des développements sur la possibilité pour la “femme musulmane ” de s’émanciper dans l’Algérie coloniale, sur l’opposition tradition/modernité recouvrant une opposition culture musulmane/culture française. Le premier roman reprend les mythes de l’idéologie coloniale, le second marque une légère évolution ; il met encore en scène une jeune fille déchirée entre tradition et modernité qui assiste d’abord inquiète à la montée du nationalisme puis admet peu à peu l’idée que, peut-être, le monde qui se construit sera de progrès.
Le récit de Fadhma Aït Mansour, Histoire de ma vie, antérieur aux récits de Djamila Debêche puisqu’il est écrit en 1946, ne sera cependant publié qu’en 1968 (Maspéro), après sa mort et celle de son mari. L’auteure raconte sa vie, insistant fortement sur le statut de marginale auquel la condamnent sa naissance illégitime, son instruction et sa conversion au christianisme. Témoignage sur la colonisation culturelle et ses conséquences, le texte est plein de la souffrance née de la différence, de l’exil et de la mort des siens, éclairé cependant, ainsi qu’elle l’écrit, par le travail de “fixation des chants berbères hérités des ancêtres qui (lui) ont permis de supporter l’exil et de bercer la douleur ”. Sa fille écrit aussi dès 1947 son premier roman Jacinthe noire (Charlot), suivi en 1960 de Rue des
tambourins (La Table Ronde) et, en 1975, de L’Amant imaginaire (Nouvelle société Morel). Elle est connue par les chants recueillis avec son frère auprès de sa mère. Les romans, à forte coloration autobiographique, mettent en scène des jeunes femmes instables, à la sensibilité exacerbée, refusant de se soumettre, s’analysant avec quelque complaisance, et posent le problème de l’exil et de la marginalité.
Pendant la guerre émerge celle qui sera longtemps la figure de proue de la littérature féminine algérienne, Assia Djebar, qui occupera pratiquement seule le terrain pendant quelque temps. (On rappellera que la guerre a favorisé l’éclosion de la poésie, genre approprié aux circonstances, permettant l’expression, parfois sans lendemain, de l’émotion du moment comme l’ont montré Jamel Eddine Bencheikh et Jacqueline Lévi Valensi dans leur Diwan).
Assia Djebar
Elle est sans doute la plus connue, la plus médiatisée aussi, de nos écrivaines depuis la parution de son premier roman, La Soif (Julliard, 1957) que l’on compara à l’époque au Bonjour tristesse de Françoise Sagan, oeuvre de jeunesse que l’auteure elle-même considérait comme un “exercice de style ”.
Deux parties dans sa production : avant et après Femmes d’Alger dans leur appartement(Éditions des femmes, 1980), cette oeuvre marquant un tournant remarquable dans l’ensemble de la production. Ce qu’on peut appeler les romans de jeunesse : La Soif, Les Impatients(Julliard, 1958), Les Enfants du nouveau monde(Julliard, 1962), Les Alouettes naïves(Julliard, 1967) mettent en scène des jeunes femmes en qui s’ébauche le caractère des personnages féminins qui viendront ensuite.
Si La Soifapparaît comme en dehors de la lutte qui est alors celle du pays, plus préoccupé de l’intrigue psychologique, Les Impatients, sans faire davantage allusion à la tension d’alors (on est en 1958) se déroule cependant dans un contexte plus algérien— le roman est, dit l’auteure, “une image d’intérieur d’une maison traditionnelle, avec un patio, un premier étage, des rampes… ”— et le personnage de la jeune fille, Dalila, est en révolte contre l’enfermement, la tradition, prélude à d’autres révoltes; s’y amorce aussi une thématique de l’amour marqué, chez l’homme, par le désir de possession et, chez la femme, par le désir d’indépendance, de liberté.
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