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    "… Il manquait à l’Algérie d’aujourd’hui un album photo pour que chacun, à défaut de s’y voir, puisse la voir, et cela est chose faite à présent, grâce à Gyps.'"
    Gyps, Fis end Love. Edité par l’auteur, 1996, 59 p, 65F. (+ 15F. de frais de port), à commander à Gyps : 150, rue Legendre 75017 Paris.
    Il manquait à l’Algérie d’aujourd’hui un album où l’on puisse lire son histoire comme on lirait un manuel scolaire, c’est-à-dire où l’on puisse s’instruire, dans une chronologie précise, année après année, sans perdre le fil et sans omettre les principaux événements qui ont été à l’origine de la tragédie que connaît ce pays. Voilà, c’est réalisé. Gyps nous résume les faits en une soixante de pages, des faits qui ont duré quatre ans. En cela, il s’agit déjà d’un tour de force... Mais mieux qu’un simple manuel, Gyps nous livre aussi un regard subjectif, le sien, qui confère à chaque événement le recul indispensable à l’historien. Ce mode, ce “raccourci”, seul l’humour et la dérision le permettent. Et ni l’un ni l’autre ne sont absents ici.
    Nous rions. La fonction opère. Nous rions d’une tragédie, et en cela nous la percevons mieux que si nous en pleurions seulement. Car rire c’est aussi pleurer et l’inverse n’est pas vrai.
    Il manquait à l’Algérie d’aujourd’hui un album photo pour que chacun, à défaut de s’y voir, puisse la voir, et cela est chose faite à présent, grâce à Gyps. D’autres pourront venir après lui, le chemin est tracé. D’une certaine façon le genre est né. Combien de dessinateurs se sont-ils exercés à nous raconter une page d’histoire pour n’obtenir de nous qu’un vague intérêt? On dira donc que le procédé est classique. Mais, avec Gyps, le résultat est tout à fait autre.
    L’humour frappe, atteint sa cible, nous fait tomber... de rire. Le procédé fonctionne. Et nous apprenons autant que nous rions. Bref, il manquait terriblement ce Fis end Love...
    Pourtant, sa lecture n’est pas aisée pour tous. Trop près du lecteur algérien, averti des personnages “croqués”, comme on dit, et des événements dans lesquels ils sont insérés, ils faut sans cesse accompagner ce qui risque d’altérer la compréhension par des annotations expliquant qui est Hamrouche, et son parapluie, qui est Mohamed-Saïd, et ses “habitudes alimentaires et vestimentaires qu’il nous fallait changer”, qui est Belaïd Abdesselam, et ses “laïcoassimilationnistes”, etc., etc. De la cuisine algéro-algérienne qui ne va pas de soi.
    Malgré ce handicap, chaque page, chaque image de cet album de dessins est un régal. Le tour de force ne réside pas dans la superbe du trait, à l’instar de Slim — même si Gyps a beaucoup évolué depuis ce jour, il y a quatre ans, où je l’ai vu arriver à l’hebdomadaire L’Hebdo-Libéré — , ni d’ailleurs dans le texte qui est, à mon avis, moins condensé que celui de Dilem, peut-être moins percutant aussi, mais dans la tonalité qui résulte des deux, dans cet univers que le dessin, en tant que tout, renvoie et qui lui est propre.
    Dans la cohérence de la thématique aussi. Le dessin de Gyps illustre une actualité, la dévoile, s’y réfère, s’en réclame et lui colle à la peau. Il prend le risque d’afficher son opinion politique, mais la surpasse aussitôt. Il ne se contente pas d’exploiter une idée après l’autre, il propose un scénario, déjà ficelé par les médias, le fait dérouler en respectant toutes ses contraintes et parvient à en faire surgir ce que nous n’avions pas vu : le noyau comique que, forcément, il devait contenir. Il ne choisit pas une idée pour nous faire rire, il entreprend de nous faire rire sur une idée qui ne semblait pas destinée à cela. Sa force est là, dans sa capacité à transmuer en humour ce qui n’était que triste sécheresse.
    Gyps est un conteur qui utilise le dessin comme mode d’expression. Il a du style, beaucoup. Il pourrait être romancier. Il a envers ses personnages une certaine tendresse psychologique qui nous les rend humains, y compris dans leur pire cruauté. S’il n’imagine pas lui même les situations dans lesquels il choisit de faire "tomber" ces personnages, y compris en se mettant en scène lui-même — car jamais personne n’est fictif dans ses dessins — , il ne s’en plaint pas, voire s’en réjouit. Car, faisant ce que personne ne fait, il caricature la caricature. Avec bonheur et talent.
    Au fond, c’est cela son secret.

    Écrit par Aissa Khelladi
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