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L’Université algérienne : 50 ans d’indépendance

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  • L’Université algérienne : 50 ans d’indépendance

    Certes, l’université algérienne a marqué une progression notable illustrée par le nombre de diplômés universitaires, soit presque 2 000 000 en 2012, contre 63 en 1964.


    Le nombre global des enseignants se situe actuellement à plus de 44 400 tous grades confondus dont 15% de haut rang. Il faut ajouter les universités et centres universitaires disséminés à travers tout le territoire national. Cependant, ces efforts devaient conduire à l’émergence d’une élite scientifique capable (Khalfaoui, 2003) de conduire l’industrialisation du pays, de participer au développement scientifique et de contribuer à la restauration d’une identité nationale mise à mal par 130 ans de colonisation. Cinquante ans après l’indépendance, le constat n’est pas positif. L’université algérienne est mal classée dans le palmarès mondial. Que s’est-il passé pour que cette institution du savoir descende aussi bas ?

    Le pouvoir et la science

    Au lendemain de l’indépendance, la société algérienne largement analphabète, fait de la science un instrument de différenciation et d’ascension sociale (Khalfaoui, 2001). Le savoir, nous dit H. Khalfaoui, s’imposait naturellement comme l’élément constitutif de ce système de valeurs et le seul facteur légitime de différenciation sociale. L’instituteur du village, symbole du savoir, faisait partie des personnes les plus respectées. Cette situation va vite basculer en moins de quarante ans. Le savoir, instrument de pouvoir et de domination, est délégitimé au profit d’une élite non savante. On assiste alors à une sous-évaluation du savoir où les non lettrés et les lettrés illégitimes tiennent les premières places.

    L’histoire de la délégitimation des élites savantes n’est pas étrangère au monde arabo-musulman. Il suffit de lire Ibn Khaldoun pour voir comment des tribus non lettrées et donc inconnues, venant des montagnes et du désert ont délégitimé les savoirs et détruit les cités. Il en est de même pour la société algérienne qui a vu son élite intellectuelle anéantie, sinon contrainte de quitter le pays.
    La mise en disgrâce de cette élite intellectuelle ouvrira le champ à la constitution d’une autre élite qui cette fois-ci ne sera certainement pas intellectuelle et encore moins académique.

    L’Algérie nouvellement indépendante, avec un pouvoir issu de la guerre de libération (Khelfaoui) vivait son «déficit du savoir comme une lourde menace pour l’unique source de légitimité dont il pouvait se prévaloir». Le niveau scolaire de la plupart des dirigeants de l’époque ne dépassait guère l’école primaire, sinon l’école coranique. Bref, ces dirigeants sont le produit de la mise à l’écart des élites intellectuelles à la veille et au lendemain de l’indépendance. Surévalué par une société algérienne quasiment analphabète, le pouvoir de la science attire la convoitise du pouvoir politique.

    L’élite politique ne pouvait réclamer la seule légitimité révolutionnaire, puisque c’est tout le peuple qui pouvait s’en prévaloir. Tout le peuple Algérie a participé d’une manière ou d’une autre à l’acte libérateur du pays. Mais, la gestion des affaires du pays nécessite un minimum de savoir. Nous assistons alors à un face-à-face de deux élites : l’une révolutionnaire au pouvoir, mais dépourvue de savoir, et l’autre intellectuelle mais sans le pouvoir. Dit autrement, cette situation met en jeu le savoir, symbole de liberté, et le pouvoir symbole de l’hégémonie.

    L’Université algérienne va être le lieu où l’élite politique tente de contrôler le savoir. Son histoire sera traversée par cette tentative de soumettre la science au politique. Le pouvoir, légitimé par la guerre de Libération nationale, fait poursuivre le mouvement national dans sa lutte pour la souveraineté nationale vers la lutte contre le capitalisme. Toutes les représentations qu’a produites la bourgeoisie européenne (marché, concurrence, liberté, démocratie) ont été déclarées non valables. Il «algérianise» les programmes des sciences sociales. Il dirige les sciences dures telles que la chimie, la biologie, la physique, les sciences de la terre vers les besoins de l’industrialisation.

    La réforme de 1971 projetait de mettre fin à une institution qui était le prolongement de l’université de l’ancienne puissance coloniale, écrivait Ghalamallah (1996), pour inventer une nouvelle identité universitaire : une institution originale enracinée dans son environnement national et conçue à partir des besoins du développement économique et culturel du pays. Il fallait remettre en question la conception élitiste de la science en créant (Ghalamallah, 2006) une identité éducative nouvelle : «l’université algérienne». En rejetant le principe de participation (élection des doyens, syndicat libre…), la réforme de 1971 a institué un système de commandement où le ministère nomme les responsables aux différents échelons de l’université. La communauté universitaire, nous dit Ghalamallah (2006), «a ainsi été dessaisie de sa responsabilité de gérer collégialement ses activités scientifiques et pédagogiques». L’université algérienne, en cessant d’être le prolongement de l’université coloniale perd son principe d’indépendance et se place sous la tutelle du pouvoir politique.

    Le temps de l’arabisation

    C’est dans les années 1980 que le parti unique FLN adopte une résolution sur la généralisation de l’utilisation de la langue arabe. A la veille de la rentrée universitaire de 1980, le pouvoir décide d’arabiser les sciences sociales, juridiques et économiques. Beaucoup d’enseignants sont recrutés sur la base de la licence. Pour les besoins de l’arabisation, l’Etat fait appel à un grand nombre d’enseignants venus d’Egypte, d’Irak et de Syrie. L’anecdote raconte que beaucoup d’entre eux étaient des maçons dans leur pays d’origine. A défaut d’être mis au placard, les enseignants francophones s’arabisent à la hâte.

    «L’objectif de ces réformes (Miliani, 2003), avoué ou non, semble, avec le temps, avoir été la construction d’un pays homogène, linguistiquement et culturellement parlant, d’où la mise en branle de politiques systématiques de laminages des idiosyncrasies culturelles, et autres traits distinctifs qui ont toujours fait de l’Algérie un pays ouvert vers l’Autre et la modernité». Dans cette situation de délégitimation des élites francophones, les promoteurs de ce changement (Henni) se doivent d’en appeler à une mission. Ils sont venus pour redresser le pays.

    Et comme à chaque fois, cette nouvelle élite missionnaire vient du désert... Ils font exactement comme les Banu-Hilal, peuple nomade qu’Ibn Khaldoun décrit comme des dévastateurs venus pour arabiser les peuples du Maghreb. C’est ainsi que les orientations économiques des années 1970 sont remises en cause. On désindustrialise par le démantèlement des grandes entreprises nationales en petites unités. L’élite gestionnaire, industrialiste et francophone qui était à la tête de ces grands ensembles industriels, perd sa base économique. Bientôt elle perdra aussi son moyen de communication : le français. C’est le moment de l’arabisation qui va être le terreau de l’islamisme. L’université est le théâtre des premiers affrontements entre les courants qui se réclamaient du socialisme et les islamistes qui prêchaient un retour aux sources. La langue devient le critère d’appartenance idéologique. La langue arabe et l’Islam sont inséparables. L’arabe est la langue du Coran et du prophète.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

  • #2
    Le temps de l’islamisme

    Octobre 1988, c’est «l’émeute populaire» dans les grandes villes du pays. Le pouvoir s’ouvre à la société. Il se fait «démocratique» non par conviction, mais par contrainte (El Kenz, 1992). Les acteurs de la contestation sociale se transforment en nouveaux acteurs de la vie politique nationale. Cependant, cette transition vers la démocratie n’a pas empêché une force politique latente depuis la fin des années 70 de dominer puis éliminer toutes les autres. L’islamisme agit à découvert, il n’a pas besoin de structures pour mobiliser ses foules, il a la mosquée et la rue. Comme disait A. Chedid (Le Liban, 1969), «Dans les pays du Sud, tout est dans la rue».

    L’islamisme a un impact sur les opinions publiques lorsqu’il dénonce au nom de l’Islam le chômage, la corruption, les inégalités sociales, etc. Les prêches virulents contre l’Etat s’approprient le discours populiste du parti unique. Ils canalisent le mécontentement social en promettant l’idéal de l’Etat islamique. Beaucoup d’universitaires et notamment des enseignants se transforment en prédicateurs. Ils deviennent des missionnaires qui, au nom de Dieu, interdisent et tolèrent. La violence qui a accompagné l’arrêt du processus électoral de décembre 1991 a plongé le pays dans une crise profonde. C’est la chasse aux intellectuels. Beaucoup sont assassinés.

    Les algériens n’oublieront jamais la décennie 1990 qui restera la période de la mise en exécution d’un véritable projet d’extermination des intellectuels algériens. L’université algérienne sera dépossédée de son élite intellectuelle. Rachid Mimouni, s’adressant à l’opinion française, écrivait dans le journal Le monde du 18 mai 1994 que «c’est la première fois dans l’histoire qu’on voit un mouvement terroriste se proposer d’éradiquer toute l’intelligentsia d’un pays, comme s’il s’agissait d’une mauvaise herbe ou d’une maladie. Le projet consiste à décerveler le pays».

    Selon Cherbal (2011), pour la seule année 2001, 536 universitaires en poste à l’université quittent le pays. Selon une étude parue dans Le Courrier de l’Unesco en 1998, les pays du Sud exportent chaque année 10 milliards de dollars vers les pays du Nord. Ce montant représente tout simplement le coût de la formation et des frais de séjour des étudiants des pays du Sud dans les pays du Nord où ils s’exilent pour continuer leurs études. Cette migration des enseignants chercheurs est une manière de contester l’ordre établi.

    Le temps du LMD

    La nouvelle réforme tente de replacer les universités au centre du débat politique et faire repenser leurs missions. Il s’agit de rendre l’enseignement supérieur plus compétitif et plus attractif (Ghouati, 2009). L’université devra se transformer en usine à produire des savoirs selon les critères de l’efficacité économique. C’est le processus de Bologne auquel l’Algérie à l’instar des pays du Maghreb adhère. Cette «transplantation» du LMD (Remaoun et Senouci, 2009) est présentée par les pouvoirs publics comme solution aux dysfonctionnements et aux problèmes rencontrés par l’Université en Algérie. Il s’agit de mettre à niveau par les différents programmes d’enseignement, ainsi qu’une réorganisation de la gestion pédagogique. La réforme vise (Jorda, 2007) à transformer les savoirs transmis en connaissances utiles et rentables dans un souci de compétitivité des nations et d’employabilité des individus. Bref, il s’agit de rendre le système d’enseignement supérieur plus compétitif et performant (MESRS, 2007).

    Importé à la hâte et sans consultation de la communauté universitaire, ce système qui devait assurer des formations «professionnalisantes» s’est soldé par un émiettement et une parcellisation des formations (Remaoun et Senouci, 2009). Chaque université a son propre cursus de formation sanctionné par un diplôme d’université. Ainsi, plusieurs cursus différents peuvent donner lieu à un même diplôme. Au-delà du marché commun des diplômes que vise la réforme, il y a des qualifications différentes. Aussi, le tissu économique dépourvu d’entreprises évolue en marge de l’université.

    La très petite taille de l’entreprise algérienne ne lui permet pas de s’engager dans un processus de formation avec l’université. Il suffit de voir le nombre dérisoire de formations professionnelles orientées vers les secteurs productifs. Sur un autre plan, les pratiques d’enseignement qui devaient évoluer avec le système LMD n’ont pas changé. Les comportements propres à l’ancien système sont toujours de mise. Enfin, les flux importants des étudiants qui accèdent à l’université ne permettent pas une gestion de la formation selon les normes admises. Notons à ce titre que l’université n’est pas faite pour accueillir tous les bacheliers. Cette situation où l’université croule sous le nombre important des étudiants est due en partie à la fermeture des instituts et écoles supérieures qui étaient sous tutelle des grandes entreprises liquidées. Ce constat nous permet d’avancer que l’université est faite pour produire du sens dont la société a besoin, elle n’est pas faite pour former des techniciens.

    Que reste-t-il de l’université ?

    La «déligitimation» du savoir fait que l’universitaire n’est plus la référence sociale enviable, il n’est plus l’exemple à suivre comme il l’a été durant les années 1960 et 1970. La domination du champ politique sur l’université fait que les universitaires, incapables de se distinguer par leur savoir, sont conduits à développer (Khalfaoui) des pratiques favorisant la proximité du champ politique, indispensable pour l’accès aux positions dominantes au sein-même du champ universitaire. C’est ainsi que sont désignés les gens, non en fonction de leur efficacité mais en fonction de leur l’allégeance aux donneurs d’ordre (Rouadjia, 2012). Ces désignés vont a leur tour reproduire les mêmes pratiques de cooptation où l’allégeance devient le critère par excellence. Voilà l’université algérienne conduite par des agents sans légitimité scientifique.

    "En hommage à notre collègue Hocine Khalfaoui, décédé en mars 2013"



    Références :
    Benghabrit-Remaoun N. et Z. Rabahi-Senouci, «Le système L.M.D (Licence-Master Doctorat) en Algérie : de l’illusion de la nécessité au choix de l’opportunité», JHEA/RESA Vol. 7, N° 1&2, 2009, pp. 189–207
    Ferfera Y-M. et Mekideche T., «La place des sciences sociales et humaines dans le système supérieur algérien», Revue internationale d’éducation de Sèvres, N°49 décembre 2008.
    Ghalamallah M. «Le système social algérien captif de l’étatisme et de la logique rentière» In El Watan le 20 - 04 - 2008
    Ghalamallah M. «Sauver l’université pour sauver la société» in El Watan du 14 - 05 - 2006
    Ghalamallah M., «Pédagogie universitaire et pouvoir politique en Algérie», Revue du CREAD, N°42. 3e trimestre 1996.
    Ghouati A., (2009), «Réforme LMD au Maghreb : éléments pour un premier bilan politique et pédagogique», JHEA/RESA Vol. 7, N° 1 et 2, pp. 61–77
    Henni A., «La production des élites économiques en Algérie», in «Islam et changement social», Payot, 1998.
    Jorda H., «L’enseignement supérieur au service de la société entrepreneuriale : chronique d’une mort annoncée», Marché et organisations, 2007/3 N° 5, p. 41-59
    Khelfaoui H., «Algérie : le rapport savoir-pouvoir ou le rêve avorté de la différenciation par le savoir» Journal of Higher Education in Africa, Volume 8, n° 2, 2010, Codesria
    Khelfaoui H., «Le champ universitaire algérien entre pouvoirs politiques et champ économique», Actes de la recherche en sciences sociales, 2003/3 no 148, p. 34-46.
    Miliani M., «La dualité français-arabe dans le système éducatif algérien», Education et Sociétés Plurilingues n°15-décembre 2003
    Rouadjia A. «La réforme universitaire saisie à l’aune du LMD importé», in Algérie New, jeudi 1er mars 2012.


    Abdelatif Kerzabi : université de Tlemcen
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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