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Le projet du chef d'Aqmi pour le Mali

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  • Le projet du chef d'Aqmi pour le Mali

    Par Nicolas Champeaux
    RFI diffuse en intégralité la feuille de route d’Aqmi pour l’Azawad, un document signé de la main du chef d’Aqmi, retrouvé le 16 février 2013 par Nicolas Champeaux et Jean-Louis Le Touzet, envoyés spéciaux de RFI et Libération à Tombouctou. Dans ce document édifiant, daté du 20 juillet 2012, le sanguinaire Abdelmalek Droukdel dévoile noir sur blanc son objectif au nord du Mali : créer un Etat islamique qui ne sera pas étiqueté jihadiste. Droukdel indique clairement la marche à suivre : ses hommes doivent duper les populations locales, donner aux mouvements armés du Nord l’illusion qu’ils auront le pouvoir, et ne pas éveiller l’attention de la communauté internationale. Pour parvenir à ses fins, Droukdel est prêt à renoncer à l’application stricte et immédiate de la charia. Ce document révèle donc une surprenante inflexion dans la stratégie du chef terroriste et confirme par ailleurs les profondes tensions au sein de la filiale d’al-Qaïda. Il indique enfin que le Mali n’est pas à l’abri d’un retour des jihadistes. C’est la première fois qu’un tel document interne d’Aqmi est diffusé dans son intégralité.

    Lire le document du chef d'Aqmi

    L’opération Serval a mis fin à dix mois d’occupation des grandes villes du nord du Mali par des groupes jihadistes. Elle a chassé les combattants d’Aqmi et d’Ansar Dine des grottes qui leur ont servi de refuge dans la vallée de l’Amettetaï, où ils ont abandonné un important stock de carburant, d’armes et de munitions.

    Capacité de nuisance intacte

    La filiale d’al-Qaïda conserve néanmoins une réelle capacité de nuisance au Mali, qui est loin d’être à l’abri de nouvelles secousses. En témoigne l’attaque suicide, samedi 28 septembre, dans une garnison de Tombouctou. Revendiqué par Aqmi, cet attentat a fait seize morts, tous des soldats maliens, selon l’organisation dirigée par Abdelmalek Droukdel, six morts dont les quatre kamikazes et deux civils, selon des sources officielles.

    Dans sa feuille de route pour le Mali, l’Algérien Droukdel, alias Abou Moussa Abdelouadoud, est conscient de la nature éphémère de son expérience en tant qu’administrateur de la région septentrionale du Mali. Mais il semble s’en accommoder lorsqu’il file cette métaphore de la graine et de l’arbre, car l’Azawad est pour lui un laboratoire. « Si notre courte expérience n'aboutit, écrit-il, qu'à des résultats positifs d'ampleur limitée et que notre projet venait à tomber à l'eau pour quelque raison que ce soit, nous nous contenterons du fait d'avoir planté une bonne graine dans un bon terreau que nous avons fertilisé avec un engrais qui aidera l'arbre à pousser et grandir jusqu'à devenir, nous l'espérons, haut et prospère, même si cela doit prendre du temps. ».


    22/07/2013 - CARTE
    Carte : Le Mali
    Cet extrait de la feuille de route de Droukdel au Mali, intitulée « Directives générales relatives au projet islamique jihadiste dans l’Azawad », sonne comme un avertissement cinglant au président Ibrahim Boubacar Keïta, vainqueur de l’élection du mois d’août dernier. Il est manifeste que Droukdel envisage de renouveler « l’expérience ». Dans ce document d’une quinzaine de pages et daté du 20 juillet 2012, soit approximativement quatre mois après le début de l’occupation, Droukdel opère surtout un revirement dans la stratégie d’Aqmi. Il souhaite rompre momentanément avec les pratiques terroristes qui font la réputation de son groupe, et exprime le désir de gouverner « avec douceur et sagesse ».

    Marqué par les printemps arabes et l’aisance avec laquelle la rue a fait tomber les régimes tunisiens et égyptiens, l’homme qui est responsable de la mort de centaines de civils, en tant qu’artificier du Groupement islamique armé, puis émir du GSPC et d’Aqmi, écrit noir sur blanc qu’il aspire à gagner les cœurs et les esprits des populations. Plus par pragmatisme que par idéologie, et sans doute parce qu’il a tiré les leçons de l’échec de son jihad en Algérie, il prône la modération et dénonce les destructions de mausolées et les lapidations.

    Citant Oussama ben Laden, il vante même les vertus de la concession et de la flexibilité. A court terme, il condamne l’application stricte et immédiate de la charia, car il s’agit au préalable d’éduquer les populations. « Il est très important de considérer, écrit-il, notre projet islamique dans la région d'Azawad comme un nouveau-né qui doit passer par des étapes avant de grandir, écrit Droukdel. Ce nouveau né est aujourd'hui à ses premiers jours, il ne marche même pas encore, alors est-il prudent de lui faire porter des fardeaux qui l'empêcheraient de se lever et pourraient même l'étouffer ! [...] Si nous voulons vraiment que ce bébé grandisse dans ce monde truffé d'ennemis puissants et prêts à l'achever, il faudrait le traiter en douceur et l'aider à grandir. »

    Une stratégie qui repose sur la séduction et la discrétion

    Droukdel vise à mettre sur pied un émirat dirigé par Aqmi, mais pour dissimuler la nature de son projet, il est disposé, sur le papier, à œuvrer pour la mise en place d’un Etat dirigé par des mouvements locaux. En réalité, dans l’esprit de Droukdel, ces groupes ne sont qu’une vitrine, une façade présentable. D’abord, des sources au sein des services anti-terroristes anti-Occidentaux le confirment, Aqmi contrôle Ansar Dine, un groupe qu’il a développé et financé.

    Ensuite, si Droukdel indique qu’il souhaite confier la direction du futur gouvernement au chef d’Ansar Dine, Iyad ag Ghali, il précise qu’il sera encadré : « Nous proposons de mettre une partie des moujahidines d’al-Qaïda à la disposition de l’émir d’Ansa Dine afin qu’ils participent à l’administration des zones libérées ». Droukdel, au passage, met en garde ses hommes contre « le fanatisme des Touaregs », et induit qu’il se range lui-même dans la classe des modérés.

    Les intentions de Droukdel à long terme sont claires, puisqu’il prévoit un Haut Conseil islamique chargé de l’application de la charia et doté d’importants pouvoirs de contrôle sur le gouvernement. Ces solutions, aux yeux de Droukdel, présentent l’avantage de la discrétion, notamment vis-à-vis de la communauté internationale : « L’intervention étrangère sera imminente et rapide si nous avons la main sur le gouvernement et si notre influence s’affirme clairement. L’ennemi aura plus de difficulté à recourir à cette intervention si le gouvernement comprend la majorité de la population de l’Azawad, que dans le cas d’un gouvernement d’al-Qaïda ou de tendance salafiste jihadiste ».

    Il est évident dans cette feuille de route que Droukdel n’envisageait pas d’étendre la zone de sanctuarisation d’Aqmi au Mali. Tout indique qu'il était contre l'offensive menée par les jihadistes vers le Sud, qui a conduit la France à décider de frappes aériennes et d'une intervention au sol. Selon des sources au sein des milieux anti-terroristes, le chef d'Aqmi a été placé devant un fait accompli. Ansar Dine a pris l'initiative, car elle souhaitait grignoter des territoires vers le Sud pour contraindre le gouvernement de transition malien à signer des accords et à renoncer à l'Azawad. Le moment était propice, car les autorités étaient fragilisés par l'ex-putschiste Sanogo.

    Les combattants d'Aqmi ont vraisemblablement été séduits par ce concept d'offensive vers une région qui aurait aussi permis de mieux irriguer l'Azawad en denrées, mais Droukdel, qui n'a jamais mis les pieds au Mali durant cette période, y était sans doute opposé.

    Droukdel, un chef sans autorité

    Confrontée à la réalité de l'occupation et à son épilogue, la feuille de route de Droukdel, un document structuré, articulé en six chapitres, et rédigé en arabe classique, confirme qu'il avait très peu de prise sur la situation sur le terrain, et sur ses lieutenants, qui jouissent d'une importante liberté opérationnelle. Droukdel s’énerve, dénonce des politiques insensées, de graves erreurs, mais rien n’indique que ses directives aient été suivies après leur diffusion.

    Les hommes d’Aqmi se sont en effet mis à dos les habitants de la ville aux 333 saints, qui ont été écoeurés par la destruction des mausolées, les arrestations arbitraires, les persécutions subies par les femmes qui, selon les jihadistes, portaient des voiles jugés tantôt transparents, tantôt aguicheurs.

    Tout au long du vade-mecum, Droukdel oscille entre optimisme et pessimisme. Droukdel est en effet réaliste dans la mesure où il sait que ses hommes seront sous peu délogés. Il est en revanche optimiste lorsqu’il s’engage dans une longue réflexion sur les objectifs concrets d’un futur gouvernement transitoire dans l’Azawad, et lorsqu’il se livre à une répartition des portefeuilles ministériels.

    Il s’agit d’un document rare et précieux, car il permet de pénétrer la stratégie d’un chef terroriste en situation de gouverner.

    Le document d'Aqmi
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

  • #2
    Que faire des mécréants et des déserteurs ?... La doctrine d'Aqmi

    Par Nicolas Champeaux
    La deuxième partie du document retrouvé à Tombouctou par RFI et Libération est composée de deux fatwas. Les fatwas et le document politique de Droukdel pour le nord du Mali, quatre-vingts pages environ, formaient sans doute un livre de bord pour les jihadistes. Les fatwas, émises par le comité de jurisprudence d’Aqmi, portent sur le sort à réserver aux mauvais musulmans et aux déserteurs. Depuis leur arrivée à Tombouctou en avril 2012, les brigades d’Aqmi ont des difficultés à cohabiter avec des communautés peu imprégnées par la doctrine salafiste, et imposent brutalement la charia. Droukdel et le comité de jurisprudence d’Aqmi prônent au contraire la clémence.

    Première fatwa : Droukdel en appelle à la doctrine pour justifier la clémence

    Dans la première fatwa, les théologiens d’Aqmi mettent en garde contre les excommunications expéditives, et contre les dangers de l’excommunication sans fondement. Il ressort également de cette fatwa que l’excuse pour cause d’ignorance, la contrainte, et l’empêchement, peuvent être retenus dans une large palette de situations. Le conseil de jurisprudence d’Aqmi choisit de clore la fatwa par un appel à la prudence : « Beaucoup pensent que l'on peut faire triompher la vérité par l'extrémisme au point de finir par élargir la sphère de l'excommunication à ceux que ni Allah, ni le prophète ne juge mécréants. Alors il faut observer la plus haute prudence pour ne pas tomber dans l'extrémisme qui nous empêcherait d'accepter la divergence légitime au point de tomber dans l'innovation, l'excommunication et de semer la discorde parmi les musulmans.»

    Cette fatwa a été rédigée en 2010. Elle a été retrouvée trois années plus tard dans des locaux occupés par des jihadistes à Tombouctou, et ce n’est pas anodin, selon Dominique Thomas, spécialiste des mouvements islamistes à l’EHESS. « Des chefs des petites brigades jihadistes durant l’occupation du nord du Mali ont été confrontés à des populations peu imprégnées du salafisme. Certains ont décidé d’appliquer la charia avec brutalité, en partie parce qu’ils ont eux-mêmes une connaissance peu élevée de la charia, d’où l’intérêt de se référer aux recommandations des instances religieuses d’Aqmi », explique le chercheur doctorant.

    Cette doctrine vient appuyer le document politique d’Abdelmalek Droukdel sur le Mali. Dans sa feuille de route, le chef d’Aqmi encourage ses hommes à faire des concessions, il vante la vertu de la flexibilité pour associer la population à son projet d’Etat islamique de l’Azawad. C’est pourquoi Droukdel tenait à ce que ses hommes au nord du Mali s’imprègnent des fatwas. « C’était très important en terme d’image, car pour séduire, le comportement des jihadistes devait être en adéquation avec les idées de Droukdel, qui prônait la modération, donc sur le terrain les jihadistes devaient être irréprochables pour que son projet aboutisse ».

    L’opération Serval a certes mis fin au projet, mais Droukdel a sans doute tiré les leçons de cette expérience, et des difficultés à mettre en œuvre sa stratégie.

    Seconde fatwa : le chef d’Aqmi s’oppose à l’exécution systématique des déserteurs

    Un autre document du comité de jurisprudence, daté du 15 mai 2010, est très éclairant sur les procédures internes d’Aqmi. Elle répond à une question relative au jugement des « déserteurs ». Le mot utilisé dans le texte arabe signifie littéralement les « descendeurs », en référence aux éléments qui étaient dans les rangs des moudjahidines dans les montagnes et qui sont « descendus ».

    D’emblée, Droukdel, cité directement par le conseil de jurisprudence d’Aqmi (la choura), se prononce contre l’exécution automatique des déserteurs : « Le devoir du musulman est aussi bien de traiter les faits et les personnes, selon les critères légaux tels qu'ils ont été compris et expliqués par les érudits sunnites, que d'éviter de réagir sous l'influence des faits et remédier à l'erreur par l'erreur, ce qui a constitué et constitue une cause de déviation des groupes ».

    Sur cette question, Droukdel a évolué, estime l’islamologue Mathieu Guidère. « Lorsque le président algérien Abdelaziz Bouteflika avait offert aux jihadistes l’immunité en cas de repentir, Droukdel avait menacé d’exécution tous ceux qui seraient tentés par son offre.» L’inflexion de Droukdel est sans doute liée à l’évolution du chef d’al-Qaïda Ayman al-Zawihiri, mais aussi aux difficultés que rencontre Aqmi au niveau du recrutement. « Une doctrine trop rigoureuse risque de dissuader les combattants sur le point de rejoindre Aqmi, ou d’encourager des membres à déserter », souligne Mathieu Guidère. « Droukdel trouvait que Abou Zeid (chef de l’importante brigade Tareq, tué en mars 2012. ndlr) était très rigide sur ce point, son rival Mokhtar Belmokthar l’était moins, il lui était donc plus facile de recruter », ajoute l'islamologue.

    Le chef d’Aqmi, Droukdel, encourage donc le cas par cas. « Le commandement de l'Aqmi, écrit Droukdel, pense qu'il n'est convenable - en aucun cas - de traiter les affaires des " déserteurs " de manière générale, par l'exécution ou la grâce, mais plutôt les aborder au cas par cas. Ainsi, lorsqu'il existe des preuves sur le soutien et la collaboration contre les moujahidines, le coupable sera condamné à la peine capitale, sans discernement, mais celui qui nous épargne et cesse ses activités malveillantes à notre encontre, sera sauf ».

    Dans les cas où l’exécution est retenue, la fatwa prévoit une procédure complexe.
    Si un soldat détient des preuves attestant de la traîtrise d’un membre, plus précisément si un membre a choisi de changer de camp et de combattre ses anciens frères moujahidines, le soldat doit présenter cette preuve à l'émir de la compagnie ou au capitaine du bataillon, qui saisit ensuite l’émir régional. Les faits rapportés sont examinés par l'émir, le juge et le conseiller régional, avant délibération. Même si les preuves sont avérées, l’émir peut décider de ne pas recourir à une exécution, si celle-ci présente trop « d’inconvénients ». La décision de l'émir régional engage tous ses subordonnés, quiconque la transgresserait en connaissance de cause encourt des sanctions. Dernière étape : le commandement d'Aqmi atteste devant Allah qu'il a œuvré pour obéir à Dieu.
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    • #3
      Exclusif: les dessous de l'accord entre Aqmi et les mouvements armés du Nord

      Par Guillaume Thibault
      Gao. Avril-mai 2012. Les cadres du MNLA et d’Ansar Dine se retrouvent dans la grande ville du nord du Mali pour engager des négociations. Leur but : allier ces deux mouvements qui défendent pourtant des objectifs radicalement opposés et organiser la gestion de l’Etat de l’Azawad. Le document, écrit par l’émir d’Aqmi Abdelmalek Droukdel, découvert à Tombouctou, permet de comprendre les coulisses de ces discussions qui n’ont finalement pas abouti et de découvrir l’influence du groupe terroriste dans le nord du Mali.
      « Nous tenons à exprimer notre désolation quant à l'échec de l'accord ». Ces propos prononcés par Abdelmalek Droukdel font référence au « protocole d'entente » signé le 26 mai 2012 à Gao par les leaders du Mouvement de libération de l'Azawad (MNLA) et d'Ansar Dine. Accord qui « explose» 24 heures plus tard en raison des dissensions au sein du MNLA et de la volonté des émirs d’Aqmi, notamment d’Abou Zeid à Tombouctou, d’imposer immédiatement la charia. Mais malgré cet échec, l’émir d’Aqmi va tout faire pour que son projet aboutisse.

      A l’ouverture des discussions de Gao, le nord du Mali est occupé depuis cinq mois, l'armée malienne, impuissante, s'est retirée sur Mopti. Après la période des combats, s'engage la phase politique. Au sein des groupes du Nord, le mot indépendance est sur toutes les lèvres. Si le MNLA et Ansar Dine sont puissants militairement et communiquent à outrance, le leader d'Aqmi, Abdelmalek Droukdel et ses émirs dans la région, Abou Zeid, Mokthar Belmokhtar et Oumar Ould Hamaha travaillent dans l’ombre pour manipuler les groupes armés.

      L’art de la manipulation

      L'objectif du chef d’Aqmi est clair : son organisation doit décider, diriger mais ne jamais apparaître officiellement. Pour le mouvement terroriste, les rebelles maliens du MNLA qui se disent laïcs et ont des connexions dans le monde entier, doivent ainsi servir de façade, de vitrine. Dans le document découvert à Tombouctou par RFI et Libération, Droukdel s'interroge : « Quelle est la meilleure conception pour la formation du gouvernement, qui nous assure d'une part un Etat islamique sans qu'il soit étiqueté comme un gouvernement jihadiste ? »

      Les discussions entre le MNLA et Ansar Dine débutent donc à Gao le 27 avril 2012. La pièce centrale du dispositif politique imaginé par Droukdel, c'est son allié dans la région, Iyad ag Ghali. Figure des rebellions du nord du Mali depuis les années 1990, ag Ghali a aidé le mouvement terroriste à prendre pied dans le massif de l’Adrar du Tigharghar au nord du Mali au début des années 2000. L'homme est respecté, puissant. Critiqué, rejeté par une frange du MNLA, ag Ghali nomme un émissaire pour négocier en son nom. Il choisi Alghabass ag Intalla, le fils du chef coutumier de Kidal. Au sein du Mouvement national de libération de l'Azawad, ils sont alors une poignée, pour des raisons familiales ou des questions de pouvoir, à vouloir un ralliement avec Ansar Dine, notamment le président Bilal ag Acherif et l'un des porte-parole du mouvement Hama ag Sid Ahmed.

      Appliquer une législation islamique

      Dès les premières discussions, la ligne dure souhaitée par Aqmi et défendue par Iyad ag Ghali apparaît. L'ensemble des articles qui sont écrits jour après jour s'articulent en effet autour de l'instauration de la charia même si le terme n'est jamais employé. Dans l'article 2 du protocole, il est indiqué : « Il faut appliquer la législation islamique basée sur le Coran et la Sunna ». L'article 9 est également très précis : « Tout désaccord avec l'un des principes fondamentaux de la religion abroge le présent accord ». Cette volonté de créer un émirat islamique dans l'Azawad est rejetée par la frange laïque du MNLA. « Nous savions que les populations pratiquaient, ou non, un islam tolérant, qu'il était impossible d'obliger les gens à vivre sous le régime de la charia », explique un cadre du MNLA.

      Depuis son fief en Kabylie où il vit caché, Droukdel critique d’ailleurs les méthodes de ses combattants sur le terrain qui amputent ou flagellent les populations. Il appelle ses hommes à prendre le temps pour éduquer les habitants du nord du Mali aux principes de l’islam radical et conseille aux négociateurs qui sont à Gao de revoir leur position si le MNLA se braque : « Si l'application de la législation islamique est susceptible d'empêcher la signature de l'accord, il vaut mieux s'en séparer ». En fin stratège, Droukdel a déjà sa théorie pour soumettre dans le futur toutes les parties à ses idéaux. Il prévoit ainsi de mettre en place, après la signature du protocole, « un Haut Conseil islamique indépendant qui veille à protéger la charia et s'assurer qu'aucune violation n'en est faite à tous les niveaux de l'Etat ». Ce conseil religieux n’est évidemment jamais abordé lors des discussions avec les cadres du MNLA.

      Armée du jihad

      Le quatrième article de ce protocole d'accord a également provoqué un débat au sein du MNLA. Il porte sur la création d’une armée commune. Article 4 : « Les deux parties s'engagent pour la fusion de leurs forces respectives pour constituer une armée unifiée de l'Etat de l'Azawad ». « Ce qui nous posait problème, explique un cadre du MNLA, c'est que derrière cette fusion, on sentait que la priorité des leaders d'Ansar Dine, c'était de créer une armée pour défendre la cause d'Aqmi, à savoir mener le jihad, et non pour protéger nos populations et notre territoire.»

      Depuis sa base algérienne, l’émir Droukdel dénonce une fois encore le manque de réflexion de ses éléments qui gèrent les discussions : « Est-ce que nous cherchons à ce que les membres du MNLA deviennent salafistes et jihadistes du jour au lendemain ? Cette idée est loin d'être réaliste et aura l'effet inverse sur eux, conduisant à leur éloignement. Les éléments du MNLA se sont ligués avec nous contre l'ennemi, que vouloir de plus ? »

      Rassembler pour mieux diriger

      A Gao, si les membres d’Ansar Dine négocient avec le MNLA, ils approchent dans le même temps les responsables de toutes les communautés, les leaders religieux, les grands commerçants, les responsables des différentes milices peul et songhaï. Ce n’est pas un hasard si, lorsqu'il écrit son texte en juillet 2012, Abdelmalek Droukdel sait qu’il doit chercher du soutien dans toutes les composantes de la zone en cas d’intervention militaire internationale : « L'ennemi aura plus de difficulté à recourir à cette intervention tant que le gouvernement comprend la majorité de la population de l'Azawad avec toutes ces composantes, ses mouvements et ses tribus et non un gouvernement d'al-Qaïda ou de tendance salafiste ».

      Le rôle d’Abdelkrim le Touareg

      Aujourd'hui, ces écrits de Droukdel agacent les anciens cadres d'Ansar Dine, désormais à la tête d'un nouveau mouvement touareg, le HCUA, le Haut Conseil pour l'unité de l'Azawad. « Il n'y avait aucun lien entre Iyad ag Ghali et Aqmi, nous n'avions pas les mêmes objectifs », s'énerve l'un d'eux. « Iyad c'est Iyad, Droukdel c'est Droukdel, je suis certain que ce document est un faux », ajoute un autre.

      Pourtant, tous les éléments décrits avec précision par le numéro un d'Aqmi ne laissent aucun doute. « Droukdel avait des émissaires chargés de lui faire remonter des informations », affirme un responsable du MNLA présent à Gao. Il poursuit : « Abdelkrim le Touareg était en ville, il a participé à certaines discussions. Et même si c'est un taiseux, il était très attentif ». Abdelkrim le Touareg ou encore Abdelkrim Taleb, ou Targui, autant de surnoms pour cet émir d'Aqmi, Hamada ag Hama à l'état civil, Touareg natif de Kidal.
      A la tête de sa brigade Al Ansar, il est responsable, entre autres, de l'enlèvement des Français Philippe Verdon, Serge Lazarevic et Michel Germaneau. « Abdelkrim a joué un rôle important dans les négociations », explique un expert de la zone. « C'est un cousin d'Iyad ag Ghali, on sait qu'il a tenté d'approcher directement les cadres du MNLA mais l'opération séduction a échoué ». Un journaliste de Gao raconte : « Iyad et Abdelkrim étaient toujours ensemble durant la période des discussions. Les négociations se tenaient à l'assemblée régionale mais dès qu'il y avait un problème, tout le monde se rendait dans le QG d'Iyad qui vivait dans la maison d'un notable. Et à chaque fois, Abdelkrim participait aux réunions ». Un combattant touareg, un temps membre d’Ansar Dine qui est ensuite passé au MNLA, est lui aussi formel : « Il avait l'étiquette Ansar Dine mais Abdelkrim travaillait directement pour Aqmi, il a été de toutes les stratégies pour que les idées de Droukdel se retrouvent dans l'accord ».
      Le gouvernement Droukdel
      Gao, fin mai 2012. Le protocole d'entente est, malgré toutes les difficultés, quasiment terminé. Les dix points, très condensés, tiennent sur deux pages. Mais Droukdel et ses hommes voient déjà plus loin. Des cadres du MNLA travaillent depuis des semaines sur un second document, de vingt pages cette fois. Son nom : Cadre institutionnel provisoire des instances de l'Etat islamique de l'Azawad.

      Ce document, très complet, prévoit et décrit, article par article, l'organisation de l'Etat islamique prévu dans le protocole d'accord, notamment le nombre de ministres, leurs fonctions. Il est précisé que le CTEIA, le Conseil transitoire de l'Etat islamique de l'Azawad, comprendra quarante membres : vingt désignés par le MNLA, vingt désignés par Ansar Dine. Droukdel connaît l'existence de ce document. Et si aucun nom n'est inscrit au moment des discussions, l'émir d'Aqmi a déjà tout prévu. Il écrit dans son long rapport : « Il conviendrait de confier la présidence au Cheick Abou Al-Fadl car il est un symbole ». Al Fadl est le nom de guerre d'Iyad ag Ghali. Droukdel prévoit aussi une répartition des postes du futur gouvernement entre le MNLA et Ansardine qu'il assimile ici à Aqmi : « Les ministères que nous devons garder pour nous concernent l'Armée, les Médias, la Justice, la Prédication et les affaires islamiques. Les ministères qui peuvent être laissés au MNLA sont les Affaires étrangères, les Finances, les Travaux publics ».
      26 mai 2012
      Alghabass ag Intalla signe le protocole d'entente au nom d'Iyad ag Ghali. Bilal ag Achérif au nom du MNLA. Le lendemain, des cadres du MNLA s'opposent et rejettent le texte. « On a mis du temps à comprendre le rôle central d'Aqmi dans toutes ces négociations. Si on avait accepté et participé à son application, l'Azawad serait devenu l'émirat d'Aqmi en Afrique sub-saharienne», analyse un doyen des rébellions. La rupture est alors consommée. Quelques semaines plus tard, mi-juin, après des combats très durs, le MNLA est chassé de Gao mais aussi de Tombouctou par les combattants du Mujao et d'Aqmi. Le groupe terroriste d’Abdelmalek Droukdel sort de l’ombre et prend officiellement le contrôle du territoire de l'Azawad. L’occupation, très dure pour la population, prend fin au moment de l'intervention militaire française en janvier 2013.
      The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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      • #4
        La sécession de Mokhtar Belmokhtar avec Aqmi et ses conséquences

        Par Nicolas Champeaux
        Aqmi et le groupe al-Morabitoune de Mokthar Belmokhtar, sont désormais en concurrence dans la bande sahélienne. Al Morabitoune est née de la fusion en août dernier de la brigade des signataires par le sang de Belmokhtar, avec le Mujao. Dix mois plus tôt, Belmokhtar, le principal fournisseur en armes de la filiale d’al-Qaïda, claquait la porte d’Aqmi, après dix années de relations tumultueuses avec son chef Abdelmalek Droukdel.

        Tarek bin Ziyad, al-Furqan et al-Ansar : trois brigades d’Aqmi évoluent dans la zone de Mokthar Belmokthar. La filiale d’al-Qaïda vient de désigner l’Algérien Saïd Abou Moughatil pour prendre la tête de Tareq. Il succède à Abou Zeid, tué en mars lors de l’opération Serval, selon les informations de l’agence mauritanienne Nouakchott Information (ANI), l’un des trois groupes à relayer les communiqués d’Aqmi. Sur le terrain, Abou Zeid devait constamment déjouer les initiatives de Belmokhtar, relève un membre des services antiterroristes occidentaux. Ces querelles devraient se poursuivre avec le remplaçant d’Abou Zeid. « Moughadil était le bras droit d’Abou Zeid, c’est un rigoriste, comme Abou Zeid, donc on observe une certaine continuité », explique l’islamologue Mathieu Guidère.

        Repositionnement au Maghreb

        Depuis sa défaite essuyée au Mali, Aqmi donne des signes d’un repositionnement au Maghreb, mais la filiale d’al-Qaïda ne renonce pas pour autant à la bande sahélienne. Elle l’a clairement signifié en organisant un attentat suicide dans une garnison de Tombouctou le 28 septembre.

        Abdelmalek Droukdel avait au fil des années multiplié la création de brigades dans le Sud, pour empêcher Belmokthar de régner en maître dans sa zone, qui comprend le sud-ouest de l’Algérie, le nord du Mali, la Mauritanie, et le Niger, où Belmokthar a organisé un double attentat meurtrier en mai. C’est également pour tenter de superviser Belmokthar que Droukdel avait nommé des coordinateurs dans la région.

        Les commandants de brigade d’Aqmi ont toujours joui d’une importante liberté opérationnelle. Belmokhtar en a beaucoup profité, car Droukdel hésitait à tancer l’homme qui pourvoyait l’organisation en subsides et en équipement militaire. Grâce à son ancrage dans sa zone, sa proximité avec les Touaregs, et les nombreux contacts noués pour établir ses trafics, Belmokthar était devenu un homme incontournable pour Aqmi. Il en était vraisemblablement conscient, et agissait souvent sans l’aval de sa hiérarchie. Son comportement a fini par irriter les chefs d’Aqmi. Droukdel, par exemple, n’a pas du tout apprécié ses initiatives en Libye. C’est ce qui ressort de l’édifiante correspondance entre les deux hommes retrouvés par l’agence Associated Press en février 2013 à Tombouctou. Deux unités de Tareq bin Ziyad [la brigade que dirigeait Abou Zeid, ndlr] ont posé des fondations en Libye. Leur projet là-bas se poursuit. Mais tu as envoyé des hommes de ta brigade en Libye sans prévenir les émirs, ce qui constitue une transgression, car les émirs avaient confié le dossier libyen à Abou Zeid !

        Une accumulation de tensions

        Dans cette lettre, datée d’octobre 2012, le comité jurisprudence d’Aqmi répond en trente points à un précédent courrier de Belmokthar, qui en dit long sur les tensions accumulées. « Ta lettre n’est pas sans mérite, mais elle est truffée d’erreurs de jugement. Et puis, elle est médisante, dénigrante, et injurieuse. Il n’y a pas de place pour ce type de langage dans nos correspondances officielles. »

        Dans sa réponse, le conseil de jurisprudence, qui a sans doute reçu l’aval d’Abdelmalek Droukdel, énumère les nombreux défauts qu’il attribue à Belmokhtar. Il l’accuse d’avoir négocié une rançon ridicule, sept cent mille euros, pour l’otage canadien Robert Fowler et son collaborateur, enlevés au Niger en 2008, et d’avoir insuffisamment approvisionné l’organisation en armes. Il lui reproche aussi de bouder les réunions de l’organisation, de ne pas répondre au téléphone alors qu’il trouve le temps de se répandre dans les médias, et enfin d’agir en électron libre.

        Belmokhtar n’a jamais porté Abdelmalek Droukdel en estime. Il s’était opposé à ce qu’il devienne l’émir du Groupe salafiste pour la prédication et le combat en 2004, et leurs relations se sont ensuite détériorées au fil des années.

        Le conseil de jurisprudence plaide dans sa lettre qu’il a été patient et indulgent envers Belmokthar, malgré ses nombreux défauts. S’il a été tolérant, le chef d’Aqmi a tout fait pour freiner la progression de Belmokthar au sein de l’organisation. Cela avait sans doute contrarié Belmokthar, mais tout porte à croire qu’il a stratégiquement choisi le moment de son émancipation d’Aqmi.

        Droukdel devait être informé de l'intervention étrangère

        Droukdel devait savoir qu’une intervention étrangère se profilait, et cela l’a sans doute encouragé à prendre ses distances avec Aqmi, explique un membre des services anti-terroristes occidentaux, la brigade de Belmokthar a observé une phase d’évitement durant les combats contre les hommes de Serval, car Belmokthar avait donné pour consigne à ses hommes de se préserver durant la phase des combats, poursuit cette source. Son départ d’Aqmi prive la filiale d’al-Qaida de plusieurs centaines de combattants et d’une importante source de financement.

        Belmokthar souhaite désormais être en lien direct avec la maison mère al-Qaïda, qui, d’après la correspondance entre les deux hommes, encourage Aqmi à organiser des opérations d’envergure. C’est sans doute dans ce contexte qu’il faut analyser la prise d’otages sur le site gazier d’In Amenas. Lancée à la mi-janvier 2012, peu après la rupture de Belmokthar avec Aqmi, elle s’était soldée par la mort de trente-sept travailleurs étrangers et un Algérien, et elle a été revendiquée par Belmokthar.

        La compétition entre les deux groupes devrait se vérifier au niveau du recrutement des combattants. Elle constitue également une menace pour les Etats où ces organisations sont implantées, mais aussi pour les intérêts étrangers. Il n’est pas exclu en effet qu’Aqmi et al-Mourabitoune se livrent à une course aux otages, et à une surenchère d’opérations spectaculaires, et forcément terroristes.
        The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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