Une étude récemment publiée par le New York Times révèle que les services de renseignement américains anticipent une partition de cinq des plus grands Etats du Proche-Orient. Une théorie partagée par de nombreux analystes de la région.
L’ensemble du Moyen Orient est tiraillé par des dynamiques ethniques et confessionnelles qui remettent en cause le tracé des frontières issues du démembrement de l’Empire ottoman tel qu’il a été prévu dans les accords Sykes-Picot1. Ce découpage, né d’une répartition des zones d’influence entre les empires français et britannique, s’est maintenu par la force des autocrates au pouvoir, au cours de la seconde moitié du XXème siècle. Pour Robin Wright2, l’architecture tout entière est à bout de souffle, et c’est la guerre en Syrie – pivot moyen-oriental - qui va lui porter le coup de grâce. Kurdes, Sunnites et Alaouites pourraient chacun créer leur Etat. Ce démembrement syrien servirait de modèle dans la région, si bien que 15 entités étatiques naîtraient des 5 suivants : Arabie Saoudite, Libye, Irak, Syrie, Yémen.
Un éclairage sur l’Irak, un pays particulièrement vulnérable aux dynamiques centrifuges en raison de sa structure ethnico-confessionnelle composite, s'impose ici pour comprendre les mécanismes à l'oeuvre. A un clivage ethnique Arabes-Kurdes se superpose le conflit Sunnites-Chiites, qui déchire l’Irak du nord au sud, via le cœur de Bagdad. Wright prévoit une partition du pays en une entité kurde au nord, un Chiistan à l’est et un Sunnistan à l’ouest, qui se prolongerait en direction de la Méditerranée. Cet éclatement sur des bases confessionnelles se nourrirait des antagonismes exacerbés par la guerre en Syrie.
La crise syrienne a fait irruption en Irak de manière brutale : la violence terroriste a été multipliée par trois depuis 2012, Al Qaida se renforce de manière spectaculaire, et les populations sunnites de l’ouest regardent avec espoir le vent de l’histoire tourner en leur faveur. Maliki, l'actuel premier ministre, a tout intérêt à soutenir le régime syrien de toutes ses forces… mais se garde de le faire, au moins ouvertement. En effet, il veut ménager également ses deux grands parrains, les Etats-Unis et l’Iran, espérant ainsi être reconduit pour un troisième mandat en 2014.
Alors qu’on se demande encore si la crise syrienne va s’exporter au Liban, la question ne se pose plus pour l’Irak. La violence terroriste a explosé depuis un an (plus de mille morts par mois, trois fois plus qu’en 2012). La Syrie a bel et bien fait irruption en Irak, malgré les Irakiens. Elle leur pose un triple défi :
un défi humanitaire, surtout pour les Kurdes. Les réfugiés syriens affluent, comme jamais auparavant. Ils sont 230 000 à être venus s’installer en Irak. La majorité d’entre eux, des Kurdes de Syrie, ont naturellement cherché refuge dans le nord, au Kurdistan. C’est un lourd fardeau pour la région autonome…. mais une chance aussi pour les Kurdes irakiens, qui entendent peser de tout leur poids entre Ankara et Bagdad, sur le chemin de l’indépendance. Une opportunité, donc, pour Erbil, mais sûrement pas pour Bagdad qui n’y voit qu’une source d’instabilité.
un terrible défi sécuritaire. Le développement des groupes armés, notamment jihadistes et la prolifération des armes en Syrie créent des foyers d’instabilité dans tout l’ouest irakien (provinces de Ninive et d’Anbar). L’organisation Al-Qaida s’est considérablement renforcée. Elle a établi une jonction entre les branches syrienne et irakienne. Elle vient frapper des symboles de l’Etat central dans tout l’ouest irakien, le faisant sans cesse reculer. Le 21 juillet, deux attaques ont été menées contre des prisons, planifiées et exécutées comme de véritables opérations militaires. Le 23 septembre, un assaut a été réalisé contre la caserne et les édifices publics d’une petite localité proche de la frontière syrienne (Rawa). Les assaillants étaient près d’une centaine, ils étaient équipés de mitrailleuses, mortiers et explosifs. Les forces de sécurité irakiennes ? Inexistantes. Comme si elles n’osaient plus s’interposer. Les jihadistes de l’Etat Islamique en Irak (branche locale d’Al Qaida) jouissent d’une telle impunité qu’ils viennent prélever l’ « impôt révolutionnaire » auprès des notables et des commerçants, dans les villes de l’ouest. Forts de leur impunité et de leur moyens décuplés, ils organisent des séries d’attentats meurtriers dans une bonne partie de l’Irak, y compris au cœur de Bagdad. Et vont se réfugier, si besoin, de l’autre côté de la frontière syrienne, une passoire au milieu d'un désert long de 600 kilomètres. La dégradation sécuritaire a un effet désastreux sur l’activité économique, déjà fragilisée par la rupture des échanges commerciaux avec la Syrie. Seuls les contrebandiers y trouvent un intérêt en s’enrichissant des divers trafics.
Un angoissant défi existentiel. Les chiites, qui sont désormais les maitres à Bagdad, observent avec effroi la recomposition politico-confessionnelle à l’œuvre chez leur voisin syrien. Cela fait tout juste 10 ans qu’ils ont pris le pouvoir, après en avoir chassé les sunnites qui les ont dominés pendant….12 siècles ! Maliki et son clan ont beau verrouiller le pouvoir pour en éliminer soigneusement tous les non-chiites, ils sont angoissés face à la lente montée en puissance des sunnites syriens. Ils savent parfaitement qu’une fois au pouvoir, ceux-ci l’accapareront. Ils sont persuadés que les sunnites ne laisseront pas de places aux minorités, qu’elles soient alaouites, chiites, kurdes ou chrétiennes, pas plus que eux ne l’ont fait en Irak depuis 2003. Maliki sait aussi que les sunnites irakiens, désespérés par leur marginalisation sur la scène politique, brûlent d’impatience en attendant que leurs frères l’emportent en Syrie. Quand ce jour viendra où les sunnites s’imposeront à Damas, ou au minimum dans un émirat de la future Syrie, les dynamiques d’épuration confessionnelles vont s’accélérer, sur fond de terrorisme et de déplacements de population. Ce basculement syrien pourrait tout simplement sonner le glas de l’Irak dans sa forme actuelle. Les sunnites irakiens auront beaucoup plus à partager avec leurs frères de l’ouest, qu’avec un pouvoir qui joue à fond la carte du sectarisme chiite. L’éclatement serait parachevé par la sécession des Kurdes, qui n’attendent que le moment opportun pour couper tous les ponts avec le reste de l’Irak3.
Objectivement, le pouvoir irakien ne rêve aujourd'hui que d’une neutralisation des groupes djihadistes dans l’est et le nord syriens. Ces bandes armées qui entretiennent l’instabilité, alimentent la circulation des armes et dynamisent la contestation sunnite. Mais la neutralisation de ces groupes djihadistes ne peut passer que… par le renforcement du régime syrien. Donc, Bagdad n’a qu’un intérêt, c’est d’aider Damas !
L’ensemble du Moyen Orient est tiraillé par des dynamiques ethniques et confessionnelles qui remettent en cause le tracé des frontières issues du démembrement de l’Empire ottoman tel qu’il a été prévu dans les accords Sykes-Picot1. Ce découpage, né d’une répartition des zones d’influence entre les empires français et britannique, s’est maintenu par la force des autocrates au pouvoir, au cours de la seconde moitié du XXème siècle. Pour Robin Wright2, l’architecture tout entière est à bout de souffle, et c’est la guerre en Syrie – pivot moyen-oriental - qui va lui porter le coup de grâce. Kurdes, Sunnites et Alaouites pourraient chacun créer leur Etat. Ce démembrement syrien servirait de modèle dans la région, si bien que 15 entités étatiques naîtraient des 5 suivants : Arabie Saoudite, Libye, Irak, Syrie, Yémen.
Un éclairage sur l’Irak, un pays particulièrement vulnérable aux dynamiques centrifuges en raison de sa structure ethnico-confessionnelle composite, s'impose ici pour comprendre les mécanismes à l'oeuvre. A un clivage ethnique Arabes-Kurdes se superpose le conflit Sunnites-Chiites, qui déchire l’Irak du nord au sud, via le cœur de Bagdad. Wright prévoit une partition du pays en une entité kurde au nord, un Chiistan à l’est et un Sunnistan à l’ouest, qui se prolongerait en direction de la Méditerranée. Cet éclatement sur des bases confessionnelles se nourrirait des antagonismes exacerbés par la guerre en Syrie.
La crise syrienne a fait irruption en Irak de manière brutale : la violence terroriste a été multipliée par trois depuis 2012, Al Qaida se renforce de manière spectaculaire, et les populations sunnites de l’ouest regardent avec espoir le vent de l’histoire tourner en leur faveur. Maliki, l'actuel premier ministre, a tout intérêt à soutenir le régime syrien de toutes ses forces… mais se garde de le faire, au moins ouvertement. En effet, il veut ménager également ses deux grands parrains, les Etats-Unis et l’Iran, espérant ainsi être reconduit pour un troisième mandat en 2014.
Alors qu’on se demande encore si la crise syrienne va s’exporter au Liban, la question ne se pose plus pour l’Irak. La violence terroriste a explosé depuis un an (plus de mille morts par mois, trois fois plus qu’en 2012). La Syrie a bel et bien fait irruption en Irak, malgré les Irakiens. Elle leur pose un triple défi :
un défi humanitaire, surtout pour les Kurdes. Les réfugiés syriens affluent, comme jamais auparavant. Ils sont 230 000 à être venus s’installer en Irak. La majorité d’entre eux, des Kurdes de Syrie, ont naturellement cherché refuge dans le nord, au Kurdistan. C’est un lourd fardeau pour la région autonome…. mais une chance aussi pour les Kurdes irakiens, qui entendent peser de tout leur poids entre Ankara et Bagdad, sur le chemin de l’indépendance. Une opportunité, donc, pour Erbil, mais sûrement pas pour Bagdad qui n’y voit qu’une source d’instabilité.
un terrible défi sécuritaire. Le développement des groupes armés, notamment jihadistes et la prolifération des armes en Syrie créent des foyers d’instabilité dans tout l’ouest irakien (provinces de Ninive et d’Anbar). L’organisation Al-Qaida s’est considérablement renforcée. Elle a établi une jonction entre les branches syrienne et irakienne. Elle vient frapper des symboles de l’Etat central dans tout l’ouest irakien, le faisant sans cesse reculer. Le 21 juillet, deux attaques ont été menées contre des prisons, planifiées et exécutées comme de véritables opérations militaires. Le 23 septembre, un assaut a été réalisé contre la caserne et les édifices publics d’une petite localité proche de la frontière syrienne (Rawa). Les assaillants étaient près d’une centaine, ils étaient équipés de mitrailleuses, mortiers et explosifs. Les forces de sécurité irakiennes ? Inexistantes. Comme si elles n’osaient plus s’interposer. Les jihadistes de l’Etat Islamique en Irak (branche locale d’Al Qaida) jouissent d’une telle impunité qu’ils viennent prélever l’ « impôt révolutionnaire » auprès des notables et des commerçants, dans les villes de l’ouest. Forts de leur impunité et de leur moyens décuplés, ils organisent des séries d’attentats meurtriers dans une bonne partie de l’Irak, y compris au cœur de Bagdad. Et vont se réfugier, si besoin, de l’autre côté de la frontière syrienne, une passoire au milieu d'un désert long de 600 kilomètres. La dégradation sécuritaire a un effet désastreux sur l’activité économique, déjà fragilisée par la rupture des échanges commerciaux avec la Syrie. Seuls les contrebandiers y trouvent un intérêt en s’enrichissant des divers trafics.
Un angoissant défi existentiel. Les chiites, qui sont désormais les maitres à Bagdad, observent avec effroi la recomposition politico-confessionnelle à l’œuvre chez leur voisin syrien. Cela fait tout juste 10 ans qu’ils ont pris le pouvoir, après en avoir chassé les sunnites qui les ont dominés pendant….12 siècles ! Maliki et son clan ont beau verrouiller le pouvoir pour en éliminer soigneusement tous les non-chiites, ils sont angoissés face à la lente montée en puissance des sunnites syriens. Ils savent parfaitement qu’une fois au pouvoir, ceux-ci l’accapareront. Ils sont persuadés que les sunnites ne laisseront pas de places aux minorités, qu’elles soient alaouites, chiites, kurdes ou chrétiennes, pas plus que eux ne l’ont fait en Irak depuis 2003. Maliki sait aussi que les sunnites irakiens, désespérés par leur marginalisation sur la scène politique, brûlent d’impatience en attendant que leurs frères l’emportent en Syrie. Quand ce jour viendra où les sunnites s’imposeront à Damas, ou au minimum dans un émirat de la future Syrie, les dynamiques d’épuration confessionnelles vont s’accélérer, sur fond de terrorisme et de déplacements de population. Ce basculement syrien pourrait tout simplement sonner le glas de l’Irak dans sa forme actuelle. Les sunnites irakiens auront beaucoup plus à partager avec leurs frères de l’ouest, qu’avec un pouvoir qui joue à fond la carte du sectarisme chiite. L’éclatement serait parachevé par la sécession des Kurdes, qui n’attendent que le moment opportun pour couper tous les ponts avec le reste de l’Irak3.
Objectivement, le pouvoir irakien ne rêve aujourd'hui que d’une neutralisation des groupes djihadistes dans l’est et le nord syriens. Ces bandes armées qui entretiennent l’instabilité, alimentent la circulation des armes et dynamisent la contestation sunnite. Mais la neutralisation de ces groupes djihadistes ne peut passer que… par le renforcement du régime syrien. Donc, Bagdad n’a qu’un intérêt, c’est d’aider Damas !
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