Qu’est-ce qu’un enfant ?
À cette question, on entend souvent répondre : « C’est un sujet à part entière », mais est-ce bien si sûr ?
Du terme de sujet nous ne faisons pas toujours un usage pertinent comme on peut le saisir quand vient sous la plume d’analystes à propos d’une cure d’enfant, celui de « jeune sujet ». En cette occasion on confond le sujet, la personne et l’individu qu’il s’agirait au contraire de distinguer pour parvenir à donner une définition satisfaisante de l’enfant à partir de coordonnées structurales.
Dans les autres discours :
Au cours de l’histoire, la définition de l’enfant s’est modifiée en
fonction des idéologies dont il faut retenir que, quelles qu’en aient été les variations, elles ont un point commun qui est moins celui de l’âge que celui de la référence au travail.
— C’est un fait de structure pour autant que le travail socialement reconnu dans l’échange est la mise en jeu d’un savoir comme moyen de la jouissance. A cet égard le travail est structuré sur l’exploitation de l’homme par l’homme.
Rappelons que le mot Travail, vient de Tripalium, qui veut dire torture. Il faudrait y penser quand on nous parle de tous ces « enfants » mis au travail, dans notre monde.
L’enfant serait celui qui ne travaille pas, qui même ne peut pas, ne doit pas travailler.
— L’enfant serait celui qui ne travaille pas, qui même ne peut pas, ne doit pas travailler. On peut, certes, le mettre au boulot, mais, parce qu’on considère que son savoir ne vaut rien, on appelle cela le mettre en apprentissage. Le dit enfant ne pourrait pas faire valablement contrat social parce qu’on ne le tient pas pour être engagé par sa parole, même si à l’occasion elle peut faire acte. Cette notion de parole enfantine, comme témoignant du refus de s’engager dans le monde du travail pour un adulte, est une référence de Lacan.
— Selon le Code Napoléon dont nous sommes les héritiers est défini comme enfant ou à l’état infantile celui qui ne travaille pas. Les femmes en savent quelque chose et ce n’est pas par hasard si pour sortir des réserves où elles étaient parquées (on peut évoquer ici même le très, très ennuyeux Jardin du Luxembourg), leur première revendication a été celle du droit au travail.
— Le droit à la jouissance, c’est autre chose, toujours réclamé par ceux qui justement en ont marre de travailler. C’est une erreur, car le travail et la jouissance se conjuguent à commencer au niveau de l’inconscient.
Dans le droit, qui a toujours un rapport ne serait-ce que d’horizon avec la Loi, soit avec le discours du Maître, chacun est défini par son être social comme citoyen, individu.
— Le sujet à part entière, c’est l’individu au niveau duquel la coalescence est faite entre l’énoncé et énonciation, c’est ce qu’exprimé le « Nul n’est censé ignorer la loi ». On sait bien qu’en cas de délit, les circonstances atténuantes ne peuvent être accordées au prévenu que dans certaines conditions précises et notamment que si d’abord il plaide coupable.
— Il y a bien une juridiction spéciale, avec ses lacunes, qui s’applique à l’enfant, pour laquelle il n’est pas tenu civilement et pénalement responsable de ses actes, sauf exception. Mais surtout, c’est là l’important, le droit ne lui donne pas les moyens de disposer de son acte, sa signature ne vaut rien. Pas d’acte notarial ou matrimonial pour lui. En réalité, c’est plus une prévention, voire un interdit de l’acte à son endroit, qu’une véritable absolution de ses conséquences.
Dans ce registre la distinction entre l’adulte et l’enfant est précise, et nous avons à tenir compte de ces données dans la mesure où le discours analytique n’invalide pas les autres discours, même si nous ne sommes pas sur le même terrain.
Quand Lacan profère « L’analytique prime le juridique », ce n’est pas non plus encouragement à la délinquance généralisée pour les psychanalystes.
La personne, persona
On en vient maintenant à la personne dont l’étymologie remonte à persona, masque. Le masque dont se revêt l’acteur dans l’Antiquité lui permet de représenter un personnage typifié. Le tragique, le comique. C’est un personnage, la personne dont la conduite est codifiée, fixée, toujours la même, quel que soit le contexte — ce qui lui donne une présence, une consistance stable, son désir et sa jouissance sont en jeu.
— À cet égard si le moi est la doublure imaginaire du sujet, la personne va au-delà et Lacan n’a pas évacué ce terme de son enseignement. La personne c’est le sujet corrélé à sa jouissance, elle est donc rapportable au fantasme. La personne est comme l’individu un faux-être, mais à l’inverse sa définition prend en compte tout en la masquant la division du sujet entre le signifiant et le réel de la jouissance. Leur confusion s’entretient par le nom propre dont la fonction est de suturer la béance de l’être du sujet.
— Quand Lacan définit à côté du tragique, du comique ou du héros, d’autres types humains c’est, me semble-t-il, toujours en référence à la personne telle qu’on vient d’en approcher la définition, ainsi :
— Débile est celui qui n’est pas corrélé à une jouissance spécifique.
— L’idiot, c’est un peu différent, c’est celui dont la jouissance est proprement masturbatoire.
— Le riche, c’est celui qui ne peut pas jouir.
— La canaille, celui qui se retrouve bête de vouloir dérober la jouissance sans jouer le jeu du discours dont elle s’ordonne.
— Le con, c’est celui que l’on désigne de jouir toujours de la même façon invariablement. A cet égard, c’est sans doute à cause des modalités de sa jouissance non fixée du fait de sa disposition perverse polymorphe qu’on dit plus rarement d’un enfant qu’il est con.
En définitive c’est bien à partir des coordonnées structurales de la personne et non pas seulement du signifiant qu’on devrait s’efforcer de distinguer l’enfant de l’adulte, ce qui ne veut pas dire que ce soit simple ni toujours très satisfaisant.
Avec Freud
La distinction est précise chez Freud et, s’il met l’accent dans la constitution de l’appareil psychique sur le développement d’un être qui s’accomplit en suivant l’ordre de maturation du corps — le roc du biologique étant pour Freud sa façon de prendre référence au réel comme butée — il ne distingue pas seulement l’enfant de l’adulte autour de la puberté biologique réalisée, mais par rapport à elle, les définitions qu’il donne des états du sujet (enfance, latence, puberté, adolescence, maturité) sont quand même référées aux moments cruciaux du mouvement de la structure qui s’incorpore selon la diachronie du défilé œdipien.
C’est bien dans l’assomption du complexe de castration chez le garçon et du Penis-Neid chez la fille, à travers l’Œdipe, que pour Freud se trace la ligne de partage la plus assurée entre l’enfant et l’adulte via les remaniements structuraux de la période de latence et de la puberté.
Pour Freud, avant l’Œdipe il n’y aurait pas de refoulement.
La disposition perverse polymorphe de la sexualité infantile constitue une préhistoire, qui ne va cependant s’historiciser, c’est-à-dire se structurer aspirée par le primat du phallus, qu’à partir de l’Œdipe.
On peut quand même poser que dans son texte La Dénégation (1925) Freud en situant la Bejahung primordiale dans un moment mythique en vient au contraire à affirmer que la structure est incorporée beaucoup plus précocement, constituant le refoulement primaire proprement inaccessible, inanalysable, alors que le refoulement secondaire, freudien est accessible à l’interprétation.
À cette question, on entend souvent répondre : « C’est un sujet à part entière », mais est-ce bien si sûr ?
Du terme de sujet nous ne faisons pas toujours un usage pertinent comme on peut le saisir quand vient sous la plume d’analystes à propos d’une cure d’enfant, celui de « jeune sujet ». En cette occasion on confond le sujet, la personne et l’individu qu’il s’agirait au contraire de distinguer pour parvenir à donner une définition satisfaisante de l’enfant à partir de coordonnées structurales.
Dans les autres discours :
Au cours de l’histoire, la définition de l’enfant s’est modifiée en
fonction des idéologies dont il faut retenir que, quelles qu’en aient été les variations, elles ont un point commun qui est moins celui de l’âge que celui de la référence au travail.
— C’est un fait de structure pour autant que le travail socialement reconnu dans l’échange est la mise en jeu d’un savoir comme moyen de la jouissance. A cet égard le travail est structuré sur l’exploitation de l’homme par l’homme.
Rappelons que le mot Travail, vient de Tripalium, qui veut dire torture. Il faudrait y penser quand on nous parle de tous ces « enfants » mis au travail, dans notre monde.
L’enfant serait celui qui ne travaille pas, qui même ne peut pas, ne doit pas travailler.
— L’enfant serait celui qui ne travaille pas, qui même ne peut pas, ne doit pas travailler. On peut, certes, le mettre au boulot, mais, parce qu’on considère que son savoir ne vaut rien, on appelle cela le mettre en apprentissage. Le dit enfant ne pourrait pas faire valablement contrat social parce qu’on ne le tient pas pour être engagé par sa parole, même si à l’occasion elle peut faire acte. Cette notion de parole enfantine, comme témoignant du refus de s’engager dans le monde du travail pour un adulte, est une référence de Lacan.
— Selon le Code Napoléon dont nous sommes les héritiers est défini comme enfant ou à l’état infantile celui qui ne travaille pas. Les femmes en savent quelque chose et ce n’est pas par hasard si pour sortir des réserves où elles étaient parquées (on peut évoquer ici même le très, très ennuyeux Jardin du Luxembourg), leur première revendication a été celle du droit au travail.
— Le droit à la jouissance, c’est autre chose, toujours réclamé par ceux qui justement en ont marre de travailler. C’est une erreur, car le travail et la jouissance se conjuguent à commencer au niveau de l’inconscient.
Dans le droit, qui a toujours un rapport ne serait-ce que d’horizon avec la Loi, soit avec le discours du Maître, chacun est défini par son être social comme citoyen, individu.
— Le sujet à part entière, c’est l’individu au niveau duquel la coalescence est faite entre l’énoncé et énonciation, c’est ce qu’exprimé le « Nul n’est censé ignorer la loi ». On sait bien qu’en cas de délit, les circonstances atténuantes ne peuvent être accordées au prévenu que dans certaines conditions précises et notamment que si d’abord il plaide coupable.
— Il y a bien une juridiction spéciale, avec ses lacunes, qui s’applique à l’enfant, pour laquelle il n’est pas tenu civilement et pénalement responsable de ses actes, sauf exception. Mais surtout, c’est là l’important, le droit ne lui donne pas les moyens de disposer de son acte, sa signature ne vaut rien. Pas d’acte notarial ou matrimonial pour lui. En réalité, c’est plus une prévention, voire un interdit de l’acte à son endroit, qu’une véritable absolution de ses conséquences.
Dans ce registre la distinction entre l’adulte et l’enfant est précise, et nous avons à tenir compte de ces données dans la mesure où le discours analytique n’invalide pas les autres discours, même si nous ne sommes pas sur le même terrain.
Quand Lacan profère « L’analytique prime le juridique », ce n’est pas non plus encouragement à la délinquance généralisée pour les psychanalystes.
La personne, persona
On en vient maintenant à la personne dont l’étymologie remonte à persona, masque. Le masque dont se revêt l’acteur dans l’Antiquité lui permet de représenter un personnage typifié. Le tragique, le comique. C’est un personnage, la personne dont la conduite est codifiée, fixée, toujours la même, quel que soit le contexte — ce qui lui donne une présence, une consistance stable, son désir et sa jouissance sont en jeu.
— À cet égard si le moi est la doublure imaginaire du sujet, la personne va au-delà et Lacan n’a pas évacué ce terme de son enseignement. La personne c’est le sujet corrélé à sa jouissance, elle est donc rapportable au fantasme. La personne est comme l’individu un faux-être, mais à l’inverse sa définition prend en compte tout en la masquant la division du sujet entre le signifiant et le réel de la jouissance. Leur confusion s’entretient par le nom propre dont la fonction est de suturer la béance de l’être du sujet.
— Quand Lacan définit à côté du tragique, du comique ou du héros, d’autres types humains c’est, me semble-t-il, toujours en référence à la personne telle qu’on vient d’en approcher la définition, ainsi :
— Débile est celui qui n’est pas corrélé à une jouissance spécifique.
— L’idiot, c’est un peu différent, c’est celui dont la jouissance est proprement masturbatoire.
— Le riche, c’est celui qui ne peut pas jouir.
— La canaille, celui qui se retrouve bête de vouloir dérober la jouissance sans jouer le jeu du discours dont elle s’ordonne.
— Le con, c’est celui que l’on désigne de jouir toujours de la même façon invariablement. A cet égard, c’est sans doute à cause des modalités de sa jouissance non fixée du fait de sa disposition perverse polymorphe qu’on dit plus rarement d’un enfant qu’il est con.
En définitive c’est bien à partir des coordonnées structurales de la personne et non pas seulement du signifiant qu’on devrait s’efforcer de distinguer l’enfant de l’adulte, ce qui ne veut pas dire que ce soit simple ni toujours très satisfaisant.
Avec Freud
La distinction est précise chez Freud et, s’il met l’accent dans la constitution de l’appareil psychique sur le développement d’un être qui s’accomplit en suivant l’ordre de maturation du corps — le roc du biologique étant pour Freud sa façon de prendre référence au réel comme butée — il ne distingue pas seulement l’enfant de l’adulte autour de la puberté biologique réalisée, mais par rapport à elle, les définitions qu’il donne des états du sujet (enfance, latence, puberté, adolescence, maturité) sont quand même référées aux moments cruciaux du mouvement de la structure qui s’incorpore selon la diachronie du défilé œdipien.
C’est bien dans l’assomption du complexe de castration chez le garçon et du Penis-Neid chez la fille, à travers l’Œdipe, que pour Freud se trace la ligne de partage la plus assurée entre l’enfant et l’adulte via les remaniements structuraux de la période de latence et de la puberté.
Pour Freud, avant l’Œdipe il n’y aurait pas de refoulement.
La disposition perverse polymorphe de la sexualité infantile constitue une préhistoire, qui ne va cependant s’historiciser, c’est-à-dire se structurer aspirée par le primat du phallus, qu’à partir de l’Œdipe.
On peut quand même poser que dans son texte La Dénégation (1925) Freud en situant la Bejahung primordiale dans un moment mythique en vient au contraire à affirmer que la structure est incorporée beaucoup plus précocement, constituant le refoulement primaire proprement inaccessible, inanalysable, alors que le refoulement secondaire, freudien est accessible à l’interprétation.
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