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Le "thigh gap"

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  • Le "thigh gap"

    Le "thigh gap" fait partie de ces nombreuses obsessions qu’ont les anorexiques, désireuses de contrôler leur corps. Une maladie, qui envahit notre société à tous les âges et à tous les plans.

    J'aimais sentir mes os, c'était mon obsession

    Anne-Lise, comme toi, j’ai passé des années à toucher mon corps, à me mesurer les cuisses pour être certaine que je n’avais pas pris un millimètre de graisse. J’en avais besoin et j’aimais sentir mes os, mon thorax, mes hanches. C’était mon obsession. Mon cerveau entier n’était polarisé que sur mon corps. Il devait sans cesse être plus mince.


    Enfant, ado, jeune adulte, je me suis toujours vue grosse. Même à 32 kg pour 1,60 mètre, j’étais trop grosse. Je me regardais dans la glace, et je me voyais toute gonflée. Mon entourage, lui, s’inquiétait de voir mon visage se creuser un peu plus chaque jour, mes cheveux tomber par poignées, mes muscles disparaître, mes règles s’arrêter.

    Rien ne me freinait. Je devais perdre toujours plus de poids. Pour entrer dans la norme, celle des jeunes filles longilignes, celle des danseuses étoiles aux jambes si parfaites.

    Le chiffre sur la balance donnait le ton de ma journée

    Au départ donc, une simple volonté d’effacer quelques kilos pour être plus belle. Mais rapidement, je me suis laissé emporter par la spirale infernale. Féculents, viandes rouges, les plaisirs sucrés ont disparu semaine après semaine de mon assiette pour ne laisser place plus qu’aux légumes et à de l’eau.

    "En période de régime, buvez beaucoup pour drainer votre corps", disaient les magazines féminins. J’ai appliqué la règle à la lettre. Un peu trop même, jusqu’à 12 litres par jour. Je remplissais mon estomac d’eau pour ne pas me faire vomir comme la majeure partie des anorexiques. À chaque haricot vert avalé, trois gorgées d’eau. En plus d’être anorexique, j’étais potomane. Ma solution à moi pour cacher ma volonté de maigrir, pour faire disparaître la faim et mon corps, et avec lui ma personnalité.

    Car si l’anorexie efface les kilos, elle gomme celle que vous êtes. L’aspect alimentaire et physique n’est que la phase émergée de l’iceberg. Je n’avais plus de conversation, plus d’avis sur les choses de la vie, plus d’envie, plus aucun plaisir.

    Plus rien ne m’intéressait dans la vie. Toute ma vie n’était que maîtrise. Le chiffre sur la balance chaque matin donnait le ton de ma journée. Plus il montait, plus je me privais. Plus il baissait, plus je jubilais, plus je prenais confiance en moi. Dans le monde que je m’étais créé, j’étais la plus forte. Une manière de compenser ce manque d’assurance que j’avais depuis toute jeune dans la société. Société dans laquelle je ne parvenais jamais à trouver ma place.

    Plus personne ne me reconnaissait

    Chacune de mes actions était dirigée vers la perte de poids. Je suis ainsi devenue hyperactive, intellectuellement, en passant des heures à travailler, et physiquement, en pratiquant jusqu’à 12 heures de sport par semaine. Une force intérieure me poussait à me lever la nuit pour aller courir seule dans le froid le long du périphérique, à 35 kg.

    Autour de moi, plus personne ne me reconnaissait. La Barbara vive, rigolote et bonne vivante avait laissé place à ce squelette, sombre et totalement renfermée. Mes parents et mes amies ont pourtant tout essayé, ont tenté de me redonner la joie de vivre, le moral. Rien ne pouvait y faire. Je voulais être seule dans mon monde. Seule avec mes maux, qui me rongeaient de l’intérieur. Ceux-là même que j’étais incapable d’exprimer avec des mots.

    Les médecins, eux, étaient quelque peu démunis aussi. Leur obsession était que je reprenne un poids normal, le fameux indice de masse corporel (IMC). Le reste suivrait. Mais non. Pour la plupart, ils appliquent une théorie datée du 19e siècle, la théorie de Charcot, qui préconise d’isoler la patiente pour la soigner, pour qu’elle réagisse.

    J'avais besoin qu'on me réapprenne à vivre en société

    J’ai passé deux mois en hôpital, coupée du monde, à ne faire que manger des plateaux repas et avec interdiction de me lever pour couper mon hyperactivité. Certes, j’ai repris huit kilos, j’ai récupéré des forces, j’ai évité la mort à deux heures près. Mais j’ai perdu tout réflexe de vie et je n’étais pas guérie sur le plan psychologique.


    Au contraire, j’avais besoin qu’on me réapprenne à parler, à être avec les gens, à vivre dans cette société dans laquelle je me sentais si mal. J’avais besoin qu’on m’aide à aimer mon corps, à l’accepter. J’avais besoin d’un traitement global, de la nutrition, au psychologique, en passant par l’ostéopathie pour reprendre conscience de mon corps, aux pots entre copains le soir après les cours.

    Aujourd’hui, guérie, je croise souvent des anorexiques dans la rue. Je les reconnais, là où vous vous ne savez pas qu’elles le sont. Comme s’il y avait un code, une attitude. Je n’arrive pas à m’arrêter et à leur dire : "la vie est plus belle loin de cet enfer, agissez". Mais ce message-là, je l’ai écrit, dans "Descente en anorexie".




    Le Nouvel Observateur
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