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Malgré la crise estivale, la croissance indonésienne, sa classe moyenne et l'immensité de ses richesses conservent au pays tout son attrait. Accor , Total , L'Oréal , Danone … les Français y croient.
Nous sommes le marché le moins inattractif du monde ! » Ce responsable indonésien résume bien la situation. L'Indonésie n'est sans doute pas un pays de cocagne, sa monnaie a tangué cet été, ses infrastructures sont lamentables, l'an dernier l'OMC l'a nommée championne du monde pour le nombre de barrières non tarifaires élevées en un an, la corruption prospère et la décentralisation n'a fait qu'y rajouter des couches locales supplémentaires.
Enfin, la polémique actuelle sur un projet de test de virginité infligé aux lycéennes rappelle que l'on est dans le premier pays musulman du monde… Mais qui peut afficher un régime politique stabilisé, un taux de croissance plancher d'au moins 6 % depuis dix ans, la quatrième population mondiale et une classe moyenne avide de marques, dont le Boston Consulting Group relève qu'elle affiche le taux d'optimisme le plus élevé du monde sur son avenir ?
C'est sans doute un de nos meilleurs choix, assurent aujourd'hui la plupart des chefs d'entreprise interrogés. Consultants, Banque mondiale, FMI sont formels. Le cabinet Bain juge ce marché « unique » tant par le profil de ses consommateurs que par son étendue et y voit « la prochaine frontière » émergente. L'agence Fitch remonte sa note.
Même le « Docteur Doom », Nouriel Roubini, est enthousiaste car l'activité repose bien davantage sur la consommation intérieure que sur les exportations, un gage de stabilité. Bref, il faudrait être fou pour ne pas s'embarquer dans cette économie aux 18.000 îles bien partie, selon McKinsey, pour se hisser du seizième rang mondial au septième d'ici à 2030.
La fin des années noires
L'Indonésie séduit après avoir fait peur. Elle a eu ses drames, les attentats de Bali. Elle a connu ses années noires ; la crise asiatique de 1997 fit craindre le défaut de paiement, Suharto dut partir au bout de trente ans.
Beaucoup d'entreprises étrangères plièrent bagage. Aujourd'hui, avec la confiance qu'a su faire naître son président dans la bonne tenue des comptes publics, elles reviennent, attirées par les 74 millions de membres d'une classe moyenne dont les rangs grossissent de 8 à 9 millions chaque année.
Pour la courtiser, elles passent d'ailleurs de plus en plus par les réseaux sociaux de ces fanas du tweet : premier utilisateur mondial de Twitter, quatrième de Facebook, relève Bain.
Les Galeries Lafayette ont choisi Jakarta pour leur grand retour en Asie. Des marques comme Zadig et Voltaire sont là pour présenter le meilleur des mondes français possible aux promeneurs du week-end du prestigieux Pacific Mall. Dans une ville sans trottoirs, quel meilleur endroit pour venir marcher ? Remplir son chariot ou son sac Vuitton.
Toute l'échelle des revenus est visée. Unilever, le géant qui doit sa domination dans l'ancienne colonie néerlandaise à sa nationalité, y vend avec profit des échantillons individuels de shampoing pour 2 à 3 centimes. Les marges y sont même supérieures à celles des pays « mûrs ».
Ce n'est pas pour rien que L'Oréal a choisi le pays pour y implanter sa plus grande usine dans le monde. C'est là aussi que Danone, avec ses 19 usines et ses 15.000 salariés, affiche sa plus belle réussite extérieure. Parce qu'il a su faire patte blanche en 2000 avec la famille propriétaire d'Aqua, il a fait de cette eau la plus vendue dans le monde : 10 milliards de litres écoulés en 2012, contre 1 milliard pour Evian.
Son rachat du néerlandais Numico lui a aussi permis de s'imposer au premier rang du « baby food ». Dans ce marché trusté par les grands asiatiques, japonais en tête, si les français ont pris du retard (moins de 1 % des importations), ceux qui ont sauté le pas ne le regrettent pas.
Les nouvelles troupes de la classe moyenne voyagent entre leurs îles, prennent l'avion. Le trafic explose. Les compagnies aériennes ont beau acheter des Airbus et Boeing à tour de bras, les vols sont toujours complets. Ils vont à l'hôtel. Accor touche les dividendes de ne pas avoir baissé les bras durant les années difficiles. De l' Ibis Budget au Pullman, un superbe M Gallery, orné de bois anciens, à Borobudur, les 11.000 chambres de ses 60 hôtels lui donnent 8 % du marché.
D'ici à fin 2014, il va encore doubler sa capacité, voyages d'affaires et tourisme lui assurant des remplissages record. Dans un pays où il manque 15 millions de logements, Saint-Gobain veut surfer sur la construction neuve, qui flambe comme les prix de l'immobilier dans la capitale. Lafarge depuis vingt ans y cimente ses positions et a mis au point un programme de « logement abordable » couplé avec un microcrédit. « En 2025, il s'y construira 4 à 5 fois plus de logements qu'en France », insiste Bruno Lafont, son président.
Des voitures et des routes
Côté automobile aussi, ça démarre. GM relance une usine naguère abandonnée. Renault débarque avec son Duster, associé à Indomobil. Valeo y installe deux usines d'essuie-glaces et d'air conditionné. Michelin va y produire du caoutchouc synthétique pour des pneus haut de gamme. AXA compte d'ailleurs sur cet engouement automobile pour réitérer, en assurance-dommages, le succès remporté dans l'assurance-vie avec son partenaire local : 40 % d'un marché et des progressions du même niveau !
Pour circuler, il faudrait des routes - 40 % ne sont pas goudronnées. Les camions de Saint-Gobain mettent quatre jours à parcourir les 800 kilomètres qui séparent deux de ses usines. Le gouvernement a débloqué un plan de 440 milliards de dollars d'investissement.
Philippe Louis-Dreyfus, président du conseil de chefs d'entreprise France Indonésie, voit un excellent tremplin pour le savoir-faire français dans cet énorme besoin d'infrastructures d'un pays aussi large que les Etats-Unis. Jakarta a ravi à Bangkok le titre de la ville la plus embouteillée du monde. Le patron de Louis Dreyfus Armateurs veut décrocher une licence d'armateur national pour participer à l'exportation de centaines de millions de tonnes de matières premières.
L'Indonésie n'est qu'un gigantesque tas de charbon : « On gratte 10 centimètres, et on en trouve 10 mètres sur des millions d'hectares ! » Mais il est difficile de s'imposer dans les secteurs stratégiques. Total en sait quelque chose, qui attend l'arme au pied pour obtenir l'autorisation de lancer la nouvelle étape d'une aventure qui, en cinquante ans, a fait de lui le premier pétrolier puis le premier producteur de gaz du pays. Une centaine de personnes parmi son effectif de 22.000 se consacrent exclusivement à répondre aux questions de l'administration.
L'intérêt du pays, devenu importateur de brut, serait pourtant d'être plus incitatif. Il faut être patient. Depuis plusieurs années, il manquait le dernier bloc de béton d'une bretelle aérienne enjambant le trafic de Jakarta ; il vient d'être posé ! Les industriels entrent rarement sans partenaire ; un système qu'ils ne critiquent d'ailleurs pas, y voyant le meilleur moyen d'aborder des marchés aussi lointains. Présent depuis 1966, Alstom, comme les autres, paie son écot à la responsabilité sociale : un pont, des réservoirs d'eau pour des villages pauvres du nord de Bali…
Il veut surtout participer au grand branchement du pays, qu'il s'agisse de transports ou d'électricité. L'énergie, c'est aussi la grande affaire de Schneider et GDF Suez. Depuis 1973, le premier y a tissé un maillage dense de 7 usines et de 150 partenaires locaux, installateurs de ses mécanismes tendant à améliorer l'efficacité et la sécurité des réseaux électriques, impératif de base dans un pays en plein boom.
C'est lui qui, en Asie du Sud-Est, abrite le plus d'usines de Schneider Electric. Sa filiale Degremont installée depuis 1951 fournissait déjà de l'eau potable à 20 millions de personnes, grâce à son rachat d'International Power, GDF Suez est devenu le premier fournisseur d'énergie indépendant du pays, dont la demande d'électricité croît plus vite qu'ailleurs dans la région. Laquelle ne craint pas vraiment le court-circuit.
Sabine Delanglade
Les Echos
Les chifres clefs
Avec ses 18.000 îles, l'Indonésie a une superficie 4 fois supérieure à celle de la France.
Son PIB, 895 milliards de dollars est deux fois et demie inférieur, mais l'activité indonésienne devrait être multipliée par 6 d'ici 2025.
Taux de croissance 6,2%
Population 240 millions (400 millions
en 2030). La classe moyenne compte 74 millions de personnes et grossit de 9 millions chaque année
PIB par habitant 3.700 dollars
Investissements étrangers 9,3 milliards en 2008, 18,9 en 2011
Endettement public moins de 25% du PIB
A lire :
- « Winning in the fast-evolving indonesian consumer market. The Next Frontier », Bain Capital
- « Indonesia's Rising Middle-Class and Affluent Consumers :
Asia's Next Big Opportunity », BCG
Nous sommes le marché le moins inattractif du monde ! » Ce responsable indonésien résume bien la situation. L'Indonésie n'est sans doute pas un pays de cocagne, sa monnaie a tangué cet été, ses infrastructures sont lamentables, l'an dernier l'OMC l'a nommée championne du monde pour le nombre de barrières non tarifaires élevées en un an, la corruption prospère et la décentralisation n'a fait qu'y rajouter des couches locales supplémentaires.
Enfin, la polémique actuelle sur un projet de test de virginité infligé aux lycéennes rappelle que l'on est dans le premier pays musulman du monde… Mais qui peut afficher un régime politique stabilisé, un taux de croissance plancher d'au moins 6 % depuis dix ans, la quatrième population mondiale et une classe moyenne avide de marques, dont le Boston Consulting Group relève qu'elle affiche le taux d'optimisme le plus élevé du monde sur son avenir ?
C'est sans doute un de nos meilleurs choix, assurent aujourd'hui la plupart des chefs d'entreprise interrogés. Consultants, Banque mondiale, FMI sont formels. Le cabinet Bain juge ce marché « unique » tant par le profil de ses consommateurs que par son étendue et y voit « la prochaine frontière » émergente. L'agence Fitch remonte sa note.
Même le « Docteur Doom », Nouriel Roubini, est enthousiaste car l'activité repose bien davantage sur la consommation intérieure que sur les exportations, un gage de stabilité. Bref, il faudrait être fou pour ne pas s'embarquer dans cette économie aux 18.000 îles bien partie, selon McKinsey, pour se hisser du seizième rang mondial au septième d'ici à 2030.
La fin des années noires
L'Indonésie séduit après avoir fait peur. Elle a eu ses drames, les attentats de Bali. Elle a connu ses années noires ; la crise asiatique de 1997 fit craindre le défaut de paiement, Suharto dut partir au bout de trente ans.
Beaucoup d'entreprises étrangères plièrent bagage. Aujourd'hui, avec la confiance qu'a su faire naître son président dans la bonne tenue des comptes publics, elles reviennent, attirées par les 74 millions de membres d'une classe moyenne dont les rangs grossissent de 8 à 9 millions chaque année.
Pour la courtiser, elles passent d'ailleurs de plus en plus par les réseaux sociaux de ces fanas du tweet : premier utilisateur mondial de Twitter, quatrième de Facebook, relève Bain.
Les Galeries Lafayette ont choisi Jakarta pour leur grand retour en Asie. Des marques comme Zadig et Voltaire sont là pour présenter le meilleur des mondes français possible aux promeneurs du week-end du prestigieux Pacific Mall. Dans une ville sans trottoirs, quel meilleur endroit pour venir marcher ? Remplir son chariot ou son sac Vuitton.
Toute l'échelle des revenus est visée. Unilever, le géant qui doit sa domination dans l'ancienne colonie néerlandaise à sa nationalité, y vend avec profit des échantillons individuels de shampoing pour 2 à 3 centimes. Les marges y sont même supérieures à celles des pays « mûrs ».
Ce n'est pas pour rien que L'Oréal a choisi le pays pour y implanter sa plus grande usine dans le monde. C'est là aussi que Danone, avec ses 19 usines et ses 15.000 salariés, affiche sa plus belle réussite extérieure. Parce qu'il a su faire patte blanche en 2000 avec la famille propriétaire d'Aqua, il a fait de cette eau la plus vendue dans le monde : 10 milliards de litres écoulés en 2012, contre 1 milliard pour Evian.
Son rachat du néerlandais Numico lui a aussi permis de s'imposer au premier rang du « baby food ». Dans ce marché trusté par les grands asiatiques, japonais en tête, si les français ont pris du retard (moins de 1 % des importations), ceux qui ont sauté le pas ne le regrettent pas.
Les nouvelles troupes de la classe moyenne voyagent entre leurs îles, prennent l'avion. Le trafic explose. Les compagnies aériennes ont beau acheter des Airbus et Boeing à tour de bras, les vols sont toujours complets. Ils vont à l'hôtel. Accor touche les dividendes de ne pas avoir baissé les bras durant les années difficiles. De l' Ibis Budget au Pullman, un superbe M Gallery, orné de bois anciens, à Borobudur, les 11.000 chambres de ses 60 hôtels lui donnent 8 % du marché.
D'ici à fin 2014, il va encore doubler sa capacité, voyages d'affaires et tourisme lui assurant des remplissages record. Dans un pays où il manque 15 millions de logements, Saint-Gobain veut surfer sur la construction neuve, qui flambe comme les prix de l'immobilier dans la capitale. Lafarge depuis vingt ans y cimente ses positions et a mis au point un programme de « logement abordable » couplé avec un microcrédit. « En 2025, il s'y construira 4 à 5 fois plus de logements qu'en France », insiste Bruno Lafont, son président.
Des voitures et des routes
Côté automobile aussi, ça démarre. GM relance une usine naguère abandonnée. Renault débarque avec son Duster, associé à Indomobil. Valeo y installe deux usines d'essuie-glaces et d'air conditionné. Michelin va y produire du caoutchouc synthétique pour des pneus haut de gamme. AXA compte d'ailleurs sur cet engouement automobile pour réitérer, en assurance-dommages, le succès remporté dans l'assurance-vie avec son partenaire local : 40 % d'un marché et des progressions du même niveau !
Pour circuler, il faudrait des routes - 40 % ne sont pas goudronnées. Les camions de Saint-Gobain mettent quatre jours à parcourir les 800 kilomètres qui séparent deux de ses usines. Le gouvernement a débloqué un plan de 440 milliards de dollars d'investissement.
Philippe Louis-Dreyfus, président du conseil de chefs d'entreprise France Indonésie, voit un excellent tremplin pour le savoir-faire français dans cet énorme besoin d'infrastructures d'un pays aussi large que les Etats-Unis. Jakarta a ravi à Bangkok le titre de la ville la plus embouteillée du monde. Le patron de Louis Dreyfus Armateurs veut décrocher une licence d'armateur national pour participer à l'exportation de centaines de millions de tonnes de matières premières.
L'Indonésie n'est qu'un gigantesque tas de charbon : « On gratte 10 centimètres, et on en trouve 10 mètres sur des millions d'hectares ! » Mais il est difficile de s'imposer dans les secteurs stratégiques. Total en sait quelque chose, qui attend l'arme au pied pour obtenir l'autorisation de lancer la nouvelle étape d'une aventure qui, en cinquante ans, a fait de lui le premier pétrolier puis le premier producteur de gaz du pays. Une centaine de personnes parmi son effectif de 22.000 se consacrent exclusivement à répondre aux questions de l'administration.
L'intérêt du pays, devenu importateur de brut, serait pourtant d'être plus incitatif. Il faut être patient. Depuis plusieurs années, il manquait le dernier bloc de béton d'une bretelle aérienne enjambant le trafic de Jakarta ; il vient d'être posé ! Les industriels entrent rarement sans partenaire ; un système qu'ils ne critiquent d'ailleurs pas, y voyant le meilleur moyen d'aborder des marchés aussi lointains. Présent depuis 1966, Alstom, comme les autres, paie son écot à la responsabilité sociale : un pont, des réservoirs d'eau pour des villages pauvres du nord de Bali…
Il veut surtout participer au grand branchement du pays, qu'il s'agisse de transports ou d'électricité. L'énergie, c'est aussi la grande affaire de Schneider et GDF Suez. Depuis 1973, le premier y a tissé un maillage dense de 7 usines et de 150 partenaires locaux, installateurs de ses mécanismes tendant à améliorer l'efficacité et la sécurité des réseaux électriques, impératif de base dans un pays en plein boom.
C'est lui qui, en Asie du Sud-Est, abrite le plus d'usines de Schneider Electric. Sa filiale Degremont installée depuis 1951 fournissait déjà de l'eau potable à 20 millions de personnes, grâce à son rachat d'International Power, GDF Suez est devenu le premier fournisseur d'énergie indépendant du pays, dont la demande d'électricité croît plus vite qu'ailleurs dans la région. Laquelle ne craint pas vraiment le court-circuit.
Sabine Delanglade
Les Echos
Les chifres clefs
Avec ses 18.000 îles, l'Indonésie a une superficie 4 fois supérieure à celle de la France.
Son PIB, 895 milliards de dollars est deux fois et demie inférieur, mais l'activité indonésienne devrait être multipliée par 6 d'ici 2025.
Taux de croissance 6,2%
Population 240 millions (400 millions
en 2030). La classe moyenne compte 74 millions de personnes et grossit de 9 millions chaque année
PIB par habitant 3.700 dollars
Investissements étrangers 9,3 milliards en 2008, 18,9 en 2011
Endettement public moins de 25% du PIB
A lire :
- « Winning in the fast-evolving indonesian consumer market. The Next Frontier », Bain Capital
- « Indonesia's Rising Middle-Class and Affluent Consumers :
Asia's Next Big Opportunity », BCG