L’islam en Europe, c’est une histoire bien plus ancienne que l’arrivée des travailleurs migrants du Maghreb et de Turquie dans les années 1960. Personne n’ignore la présence ancienne de l’islam dans la Provence d’époque carolingienne, la Sicile médiévale et dans la péninsule ibérique jusqu’à la fin du XVe siècle. Par contre, on connaît moins les communautés musulmanes des pays slaves à l’Oural, Aqui se sont développées depuis le haut Moyen Âge et dont la présence est quasi continue.
La diffusion de l’islam à l’est de l’Europe, dans ce qu’il est convenu d’appeler l’Eurasie, remonte aux IXe et Xe siècles et a été la conséquence d’une expansion économique et de mouvements de populations. C’est pour le commerce des fourrures que des commerçants musulmans entrent en contact avec les populations riveraines de la Volga, à savoir les Khazars et les Bulgares. Ils finissent par donner l’envie aux Bulgares de la Volga de se convertir à l’islam, au milieu du Xe siècle. Ceux-ci choisissent un emplacement à la confluence de la Volga avec la Kama pour établir leur capitale - le site actuel de Bulgarskoïe, dans les environs de Kazan - et initient ainsi une présence musulmane qui perdure jusqu’à nos jours malgré les vicissitudes de l’histoire.
Par ailleurs, la présence musulmane chez les Khazars s’étend à la fédération des tribus hongroises, les Magyars, dès le IXe siècle, alors qu’ils nomadisent encore entre le Don et le Danube. Cela se confirme au siècle suivant lorsqu’ils s’installent dans le bassin des Carpates. Malgré la christianisation de la Hongrie sous Etienne Ier (997-1038) et une certaine pression politique pour la conversion au christianisme, la présence musulmane s’épanouit au XIIe siècle. Elle est connue grâce au témoignage du voyageur arabe Abû Hâmid al-Gharnâtî qui traverse l’Europe orientale à cette époque et par les sources latines qui nous montrent les musulmans occupant des postes à responsabilité dans l’État. Sous le roi André II, dans le deuxième quart du XIIIe siècle, des restrictions leur sont imposées. Finalement, le christianisme est imposé à tous par le roi Charles-Robert d’Anjou dans la première moitié du XIVe siècle.
Les Tatars de Pologne
Ceci dit, les communautés toujours vivantes à l’heure actuelle sont dues à deux événements ultérieurs: les invasions mongoles au XIIIe siècle et les conquêtes ottomanes dans les Balkans aux XIVe et XVe siècles. Il faut savoir que les invasions mongoles en Europe de l’est, au milieu du XIIIe siècle, donnent naissance relativement rapidement à un “État”, le célèbre khanat de la Horde d’or. Lors de la dislocation du khanat dans le courant du XIVe siècle, des tribus et des prisonniers tatars sont accueillis par le grand-duc de Lituanie Witold, qui les installe dans la région actuelle de Vilnius. Ils conservent aussi la liberté de pratiquer l’islam, ils reçoivent des terres et se mettent au service du grand-duc et par la suite des rois de Pologne. Ils s’établissent aussi dans les régions de Minsk et de Grodno.
Ils servent dans les régiments tatars, se retrouvent comme interprètes ou encore marchands. Leur situation étrange éveille même l’intérêt de Soliman le Magnifique au XVIe siècle, qui demande à l’un d’entre eux, de passage à Istanbul sur la route du pèlerinage, de décrire par écrit leur situation. Loyaux à la couronne polonaise jusqu’au XVIIe siècle, ils développent une culture polonaise musulmane (textes polonais écrits en caractères arabes). Ils pratiquent leur religion et, au XVIIe siècle, on dénombre 60 mosquées en Pologne. Pensons aussi aux traductions en ruthénien (vieux-biélorusse), écrites en caractères arabes, de textes musulmans tatars. Par ailleurs, leur bravoure militaire a laissé une trace jusqu’en français dans le terme “uhlan”, que l’allemand a pris au polonais et lui-même au tatar et dans lequel on retrouve le mot oghlan (“jeune homme”), également présent en turc.
Cependant, la réaction populaire de la majorité chrétienne et un certain ostracisme les poussent à regarder d’un bon œil les entreprises de la Porte, voire à émigrer dans l’empire ottoman. Sous Jean III Sobieski, ils combattent les Ottomans du côté polonais à Chocim et à Vienne. À ce fond, viennent s’ajouter les Tatars de Crimée qui, à la fin du XVIIe siècle, lorsque le khan s’allie au Polonais contre les Suédois, finissent par rejoindre le territoire polonais. Dans la Pologne démembrée, au XIXe siècle, ils se retrouvent majoritairement en territoire russe mais cela leur permet de nouer plus facilement contact avec leurs coreligionnaires de l’empire. Ils participent aussi à la même époque à l’émergence d’un mouvement national, ainsi dans la Pologne restaurée on voit se fonder une “Association culturelle et éducative des Tatars dans la République de Pologne” (1926).
Un musée est fondé à Vilnius, là où le mufti était installé. En 1932, ils sont à peu près 6000 et possèdent 16 mosquées. Après la Seconde Guerre mondiale, la majorité se retrouve en territoire russe. À l’heure actuelle, ils sont environ 5000, leurs centres étant les villages de Bohoniki et de Kruszyniany. Des tensions sont apparues entre ces Tatars (ou Lipqas) musulmans mais parfaitement imprégnés de culture slave et polonaise et les Arabes plus récemment arrivés en Pologne.
Les Pomaks de Bulgarie
Plus au sud, s’est développée une communauté musulmane mais de langue slave: les Pomaks, principalement en Bulgarie et en Macédoine. Leur conversion s’étale sur une longue période, du XIVe au XIXe siècle, après la conquête de ces régions par l’empire ottoman. Les raisons et la période exacte de cette islamisation restent discutées chez les historiens. Il n’y a pas eu, de la part des Ottomans, une volonté d’encourager un tel mouvement; que du contraire, ils donnent les terres les plus fertiles à des colons turcs qui constituent une communauté bien structurée mais séparée des Pomaks, qui étaient des paysans et des pasteurs des montagnes des Rhodopes.
On doit supposer que le passage de ceux-ci à l’islam s’est fait par osmose sociale d’autant qu’il s’agit plus chez eux d’une religion populaire qu’une religion de clercs. On les retrouve principalement en Macédoine, en Thrace et au sud de la Bulgarie. Lors des guerres qui secouèrent le pays entre 1876 et 1908 et qui voient l’autonomie puis l’indépendance du pays face à la Porte, les populations turques implantées retournent en Turquie et seuls les Pomaks restent. Culturellement parlant, l’islamisation n’a pas évacué leurs coutumes chrétiennes. De langue bulgare, cette communauté était éloignée de la communauté turque du pays, nettement mieux structurée. Entre les deux guerres, son niveau social ne s’améliore pas et elle doit faire face à l’hostilité de l’État, ce qui pousse certains de ses membres à émigrer en Turquie.
Les Pomaks vivaient dans un dénuement économique ainsi qu’un retard culturel par rapport au reste du pays. En revanche, la communauté musulmane turque était organisée et possédait pour cadres des muftis, chapeautés par un Grand mufti résidant à Sofia. Le pays compta un moment 2 300 mosquées en service. La communauté avait aussi ses tribunaux aux compétences étendues aux litiges concernant le statut personnel.
Après la Seconde Guerre mondiale, la Bulgarie communiste ne leur a pas fait une situation commode, favorisant parfois une laïcisation à outrance. En 1945, par ordre d’importance numérique, les Pomaks représentaient la deuxième communauté musulmane (env. 150 000âmes) alors que les Turcs constituaient la première avec environ 600000 personnes. Dans l’historiographie bulgare de l’époque, les Pomaks sont vus comme des Bulgares égarés. À partir des années 1980, cette communauté subit même une assimilation forcée de la part des autorités communistes, que la chute de régime fit stopper. En 1989, la Bulgarie pousse à l’émigration en Turquie sa minorité turque. Les Pomaks constituent maintenant une communauté en cours de disparition.
La Suite...
La diffusion de l’islam à l’est de l’Europe, dans ce qu’il est convenu d’appeler l’Eurasie, remonte aux IXe et Xe siècles et a été la conséquence d’une expansion économique et de mouvements de populations. C’est pour le commerce des fourrures que des commerçants musulmans entrent en contact avec les populations riveraines de la Volga, à savoir les Khazars et les Bulgares. Ils finissent par donner l’envie aux Bulgares de la Volga de se convertir à l’islam, au milieu du Xe siècle. Ceux-ci choisissent un emplacement à la confluence de la Volga avec la Kama pour établir leur capitale - le site actuel de Bulgarskoïe, dans les environs de Kazan - et initient ainsi une présence musulmane qui perdure jusqu’à nos jours malgré les vicissitudes de l’histoire.
Par ailleurs, la présence musulmane chez les Khazars s’étend à la fédération des tribus hongroises, les Magyars, dès le IXe siècle, alors qu’ils nomadisent encore entre le Don et le Danube. Cela se confirme au siècle suivant lorsqu’ils s’installent dans le bassin des Carpates. Malgré la christianisation de la Hongrie sous Etienne Ier (997-1038) et une certaine pression politique pour la conversion au christianisme, la présence musulmane s’épanouit au XIIe siècle. Elle est connue grâce au témoignage du voyageur arabe Abû Hâmid al-Gharnâtî qui traverse l’Europe orientale à cette époque et par les sources latines qui nous montrent les musulmans occupant des postes à responsabilité dans l’État. Sous le roi André II, dans le deuxième quart du XIIIe siècle, des restrictions leur sont imposées. Finalement, le christianisme est imposé à tous par le roi Charles-Robert d’Anjou dans la première moitié du XIVe siècle.
Les Tatars de Pologne
Ceci dit, les communautés toujours vivantes à l’heure actuelle sont dues à deux événements ultérieurs: les invasions mongoles au XIIIe siècle et les conquêtes ottomanes dans les Balkans aux XIVe et XVe siècles. Il faut savoir que les invasions mongoles en Europe de l’est, au milieu du XIIIe siècle, donnent naissance relativement rapidement à un “État”, le célèbre khanat de la Horde d’or. Lors de la dislocation du khanat dans le courant du XIVe siècle, des tribus et des prisonniers tatars sont accueillis par le grand-duc de Lituanie Witold, qui les installe dans la région actuelle de Vilnius. Ils conservent aussi la liberté de pratiquer l’islam, ils reçoivent des terres et se mettent au service du grand-duc et par la suite des rois de Pologne. Ils s’établissent aussi dans les régions de Minsk et de Grodno.
Ils servent dans les régiments tatars, se retrouvent comme interprètes ou encore marchands. Leur situation étrange éveille même l’intérêt de Soliman le Magnifique au XVIe siècle, qui demande à l’un d’entre eux, de passage à Istanbul sur la route du pèlerinage, de décrire par écrit leur situation. Loyaux à la couronne polonaise jusqu’au XVIIe siècle, ils développent une culture polonaise musulmane (textes polonais écrits en caractères arabes). Ils pratiquent leur religion et, au XVIIe siècle, on dénombre 60 mosquées en Pologne. Pensons aussi aux traductions en ruthénien (vieux-biélorusse), écrites en caractères arabes, de textes musulmans tatars. Par ailleurs, leur bravoure militaire a laissé une trace jusqu’en français dans le terme “uhlan”, que l’allemand a pris au polonais et lui-même au tatar et dans lequel on retrouve le mot oghlan (“jeune homme”), également présent en turc.
Cependant, la réaction populaire de la majorité chrétienne et un certain ostracisme les poussent à regarder d’un bon œil les entreprises de la Porte, voire à émigrer dans l’empire ottoman. Sous Jean III Sobieski, ils combattent les Ottomans du côté polonais à Chocim et à Vienne. À ce fond, viennent s’ajouter les Tatars de Crimée qui, à la fin du XVIIe siècle, lorsque le khan s’allie au Polonais contre les Suédois, finissent par rejoindre le territoire polonais. Dans la Pologne démembrée, au XIXe siècle, ils se retrouvent majoritairement en territoire russe mais cela leur permet de nouer plus facilement contact avec leurs coreligionnaires de l’empire. Ils participent aussi à la même époque à l’émergence d’un mouvement national, ainsi dans la Pologne restaurée on voit se fonder une “Association culturelle et éducative des Tatars dans la République de Pologne” (1926).
Un musée est fondé à Vilnius, là où le mufti était installé. En 1932, ils sont à peu près 6000 et possèdent 16 mosquées. Après la Seconde Guerre mondiale, la majorité se retrouve en territoire russe. À l’heure actuelle, ils sont environ 5000, leurs centres étant les villages de Bohoniki et de Kruszyniany. Des tensions sont apparues entre ces Tatars (ou Lipqas) musulmans mais parfaitement imprégnés de culture slave et polonaise et les Arabes plus récemment arrivés en Pologne.
Les Pomaks de Bulgarie
Plus au sud, s’est développée une communauté musulmane mais de langue slave: les Pomaks, principalement en Bulgarie et en Macédoine. Leur conversion s’étale sur une longue période, du XIVe au XIXe siècle, après la conquête de ces régions par l’empire ottoman. Les raisons et la période exacte de cette islamisation restent discutées chez les historiens. Il n’y a pas eu, de la part des Ottomans, une volonté d’encourager un tel mouvement; que du contraire, ils donnent les terres les plus fertiles à des colons turcs qui constituent une communauté bien structurée mais séparée des Pomaks, qui étaient des paysans et des pasteurs des montagnes des Rhodopes.
On doit supposer que le passage de ceux-ci à l’islam s’est fait par osmose sociale d’autant qu’il s’agit plus chez eux d’une religion populaire qu’une religion de clercs. On les retrouve principalement en Macédoine, en Thrace et au sud de la Bulgarie. Lors des guerres qui secouèrent le pays entre 1876 et 1908 et qui voient l’autonomie puis l’indépendance du pays face à la Porte, les populations turques implantées retournent en Turquie et seuls les Pomaks restent. Culturellement parlant, l’islamisation n’a pas évacué leurs coutumes chrétiennes. De langue bulgare, cette communauté était éloignée de la communauté turque du pays, nettement mieux structurée. Entre les deux guerres, son niveau social ne s’améliore pas et elle doit faire face à l’hostilité de l’État, ce qui pousse certains de ses membres à émigrer en Turquie.
Les Pomaks vivaient dans un dénuement économique ainsi qu’un retard culturel par rapport au reste du pays. En revanche, la communauté musulmane turque était organisée et possédait pour cadres des muftis, chapeautés par un Grand mufti résidant à Sofia. Le pays compta un moment 2 300 mosquées en service. La communauté avait aussi ses tribunaux aux compétences étendues aux litiges concernant le statut personnel.
Après la Seconde Guerre mondiale, la Bulgarie communiste ne leur a pas fait une situation commode, favorisant parfois une laïcisation à outrance. En 1945, par ordre d’importance numérique, les Pomaks représentaient la deuxième communauté musulmane (env. 150 000âmes) alors que les Turcs constituaient la première avec environ 600000 personnes. Dans l’historiographie bulgare de l’époque, les Pomaks sont vus comme des Bulgares égarés. À partir des années 1980, cette communauté subit même une assimilation forcée de la part des autorités communistes, que la chute de régime fit stopper. En 1989, la Bulgarie pousse à l’émigration en Turquie sa minorité turque. Les Pomaks constituent maintenant une communauté en cours de disparition.
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