Un tiers de la cocaïne mondiale transite par le Sahel, alimentant la violence. Rue89 publie les bonnes feuilles de « Papa Hollande au Mali » de Nicolas Beau.
Le Sahara a toujours représenté une formidable zone de passage pour d’innombrables négoces. Depuis les indépendances africaines, les produits de première nécessité, subventionnés par les Etats pétroliers libyen et algérien, étaient revendus au marché noir dans le reste de l’Afrique. Plus récemment, les routes de la contrebande ont été utilisées pour acheminer les armes, les pneus, les pièces détachées et les cigarettes. Les Touaregs ont été à l’avant-garde de ces convois qui leur permettaient d’assurer leur survie.
MAKING OF
« Papa Hollande au Mali », du journaliste Nicolas Beau, est l’un des premiers livres sur la guerre menée dans ce pays par les troupes françaises. Un livre très critique contre le rôle joué par la France dans les pays du Sahel.
L’auteur et l’éditeur, Balland, ont accepté de nous donner quelques « bonne feuilles ». Ce texte correspond au chapitre sept, « Coke à tous les étages ». Pascal Riché
Les mêmes pistes ancestrales sont empruntées aujourd’hui par les trafiquants de stupéfiants. A l’image des banlieues françaises les plus délaissées, gangrenées par le marché noir des drogues, mais à l’échelle d’une région semi-désertique de 8 millions de kilomètres carrés, ce commerce illicite constitue un formidable palliatif pour une économie en faillite.
Ces trafics juteux en direction de l’Europe, mais aussi de l’Egypte, du Moyen-Orient et jusqu’en Asie, représentent le fléau le plus grave de la zone sahélienne. Les cartels de la drogue bénéficient d’immenses complicités au sein d’administrations délabrées. Jusqu’à l’entourage de certains chefs d’Etat de la région, que cet argent facile a définitivement éloigné des réalités vécues par leurs peuples.
Premières alertes
Obsédée par les seuls djihadistes, la France n’a jamais pris la mesure de cette menace.
« Papa Hollande au Mali » de Nicolas Beau
Successivement ministre mauritanien des Affaires étrangères, ambassadeur de son pays aux Etats-Unis puis représentant de l’ONU en Afrique de l’Ouest en 2002 puis en Somalie en 2007, le Mauritanien Ahmedou Ould-Abdallah est catégorique :
« Les trafics de stupéfiants vont faire sauter le Sahel. Les rapports de l’ONU ont donné l’alerte dès le début des années 2000. Les Américains considéraient que les Européens Papa Hollande au Mali devaient agir. Mais ces derniers détournaient les yeux. »
Sollicité par les militaires français ou encore consulté par Elisabeth Guigou, présidente de la commission des Affaires étrangères, cet expert respecté avait été invité, à la fin du mois d’août 2012, à la traditionnelle Conférence des ambassadeurs qui réunit à Paris l’ensemble des représentants français à travers le monde.
Lors d’une discussion à bâtons rompus, quelques diplomates français l’interrogent sur les périls qui guettent l’Afrique.
« La drogue, assène Ahmedou Ould Abdallah, est bel et bien le problème numéro 1 de la région. – Que voulez-vous dire ? Que faites-vous du problème terroriste au Sahel ? », s’étonne Jean-Félix Paganon, un vieux routier du Quai d’Orsay chargé du Sahel depuis le mois de juin 2012 jusqu’à sa mise à l’écart par Laurent Fabius qui le nomme ambassadeur au Sénégal.
« Naturellement, répond le diplomate mauritanien, les combattants d’Aqmi qui ont investi le nord du Mali représentent un véritable danger, mais les trafics de stupéfiants, qui financent le terrorisme, constituent la principale menace pour le Sahel. »
Ces derniers mois, des mises en cause judiciaires se sont multipliées contre quelques très hauts dirigeants africains, notamment en Guinée-Bissau et au Sénégal. La pression de la Drug Enforcement Administration (DEA), la puissante administration américaine de lutte contre la drogue, a provoqué plusieurs arrestations spectaculaires.
Le 18 avril 2013, Antonio Indjal, le chef d’état-major des armées de Guinée-Bissau, un pays livré aux mafias de la drogue, est inculpé par les Etats-Unis de complot de narcoterrorisme. Ce gradé est accusé par la DEA d’avoir conspiré pour stocker puis transporter des stupéfiants.
Deux semaines auparavant, l’ancien chef de la marine de Guinée, José Bubo Na Tchuto, avait été arrêté par la DEA au Cap-Vert, un autre pays africain connu pour accueillir de gros chargements de cocaïne, puis inculpé aux Etats-Unis. Enfin, le 25 juillet 2013, le chef de la police du Sénégal, Abdoulaye Niang, est relevé de ses fonctions par les autorités de son pays suite aux accusations d’un trafiquant notoire.
Du hash au crack-cocaïne
Les routes de la drogue évoluent en permanence.
Les voies d’accès sont sans cesse modifiées. Autant hier, les ports africains de l’Atlantique et des aéroports improvisés dans le Sahara étaient privilégiés, autant aujourd’hui, le transport des stupéfiants se fait via des containers, par plus petites quantités.
Au Sénégal, en 2001, un policier en civil avec une saisie de cartons de cannabis du Maroc (SEYLLOU DIALLO/AFP)
La première des drogues à transiter par le Sahel aura été le haschich. Le Maroc, avec 7,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 10% de son PIB, en est le principal fournisseur.
Une partie de cette production prend la direction de l’Espagne, par des convois de trois ou quatre voitures baptisés « go-fast », pour gagner les banlieues françaises à vive allure. Le reste de la résine marocaine se dirige vers le sud du pays, puis vers le Mali, le Niger et le Bénin, pour rejoindre les destinations lointaines comme le Golfe et le Moyen-Orient.
En 2005, la cocaïne sud-américaine fait une entrée spectaculaire dans la région. Les cartels colombiens contournent les ports européens, trop contrôlés, pour transiter par l’Afrique sahélienne. La région présente plusieurs avantages : une population locale peu solvable et donc non consommatrice de cocaïne, des routes déjà tracées pour transporter des marchandises illicites, des Etats faillis qui ferment les yeux. Les trafiquants de Colombie et du Pérou ont racheté des îles entières en Guinée-Bissau, un Etat totalement mafieux où les trafiquants évoluent comme chez eux. Leurs avions chargés de drogue gagnent les pistes d’atterrissage que les Américains avaient construites pendant la Seconde Guerre mondiale. Le Nigeria et la Guinée-Conakry offrent également de nombreux ports d’accès hospitaliers pour les mafias en tous genres.
Rien qu’entre 2005 et 2008, 46 tonnes de cocaïne sont saisies en Afrique de l’Ouest. Ces chiffres ont quadruplé aujourd’hui. 40 tonnes de cocaïne sont destinées chaque année à l’Europe, qui représente 26% de la consommation mondiale et 34 milliards de dollars de chiffre d’affaires.
Après le haschich et la cocaïne, l’héroïne produite en Afghanistan commence à envahir, depuis 2009, les pays du Sahel. Cette fois, c’est l’Afrique de l’Est qui reçoit les containers venus d’Asie, d’après Pierre Lanaque, représentant de l’Office de l’ONU contre la drogue et le crime (ONUDC). D’après ce spécialiste, « des échanges héroïne contre cocaïne » se produisent « entre les groupes basés en Afrique de l’Est et ceux d’Afrique de l’Ouest ».
L’Afrique n’est plus seulement une zone de transit, mais aussi une zone de production. Cinq laboratoires de fabrication d’amphétamine à destination de l’Asie du Sud-est ont été démantelés au Nigeria, pays préféré des gangs de trafiquants.
La mondialisation de la voyoucratie précède de loin la prise de conscience des Etats démocratiques. Or le commerce de la drogue, avec les ressources occultes qu’il draine, est un terreau favorable au développement de mouvements violents. Ce n’est pas un hasard si c’est dans le premier pays africain producteur de drogues dures, le Nigeria, que le péril djihadiste, sous la forme du mouvement Boko Haram (« l’Education à l’occidentale est un péché »), est le plus palpable.
Le Sahara a toujours représenté une formidable zone de passage pour d’innombrables négoces. Depuis les indépendances africaines, les produits de première nécessité, subventionnés par les Etats pétroliers libyen et algérien, étaient revendus au marché noir dans le reste de l’Afrique. Plus récemment, les routes de la contrebande ont été utilisées pour acheminer les armes, les pneus, les pièces détachées et les cigarettes. Les Touaregs ont été à l’avant-garde de ces convois qui leur permettaient d’assurer leur survie.
MAKING OF
« Papa Hollande au Mali », du journaliste Nicolas Beau, est l’un des premiers livres sur la guerre menée dans ce pays par les troupes françaises. Un livre très critique contre le rôle joué par la France dans les pays du Sahel.
L’auteur et l’éditeur, Balland, ont accepté de nous donner quelques « bonne feuilles ». Ce texte correspond au chapitre sept, « Coke à tous les étages ». Pascal Riché
Les mêmes pistes ancestrales sont empruntées aujourd’hui par les trafiquants de stupéfiants. A l’image des banlieues françaises les plus délaissées, gangrenées par le marché noir des drogues, mais à l’échelle d’une région semi-désertique de 8 millions de kilomètres carrés, ce commerce illicite constitue un formidable palliatif pour une économie en faillite.
Ces trafics juteux en direction de l’Europe, mais aussi de l’Egypte, du Moyen-Orient et jusqu’en Asie, représentent le fléau le plus grave de la zone sahélienne. Les cartels de la drogue bénéficient d’immenses complicités au sein d’administrations délabrées. Jusqu’à l’entourage de certains chefs d’Etat de la région, que cet argent facile a définitivement éloigné des réalités vécues par leurs peuples.
Premières alertes
Obsédée par les seuls djihadistes, la France n’a jamais pris la mesure de cette menace.
« Papa Hollande au Mali » de Nicolas Beau
Successivement ministre mauritanien des Affaires étrangères, ambassadeur de son pays aux Etats-Unis puis représentant de l’ONU en Afrique de l’Ouest en 2002 puis en Somalie en 2007, le Mauritanien Ahmedou Ould-Abdallah est catégorique :
« Les trafics de stupéfiants vont faire sauter le Sahel. Les rapports de l’ONU ont donné l’alerte dès le début des années 2000. Les Américains considéraient que les Européens Papa Hollande au Mali devaient agir. Mais ces derniers détournaient les yeux. »
Sollicité par les militaires français ou encore consulté par Elisabeth Guigou, présidente de la commission des Affaires étrangères, cet expert respecté avait été invité, à la fin du mois d’août 2012, à la traditionnelle Conférence des ambassadeurs qui réunit à Paris l’ensemble des représentants français à travers le monde.
Lors d’une discussion à bâtons rompus, quelques diplomates français l’interrogent sur les périls qui guettent l’Afrique.
« La drogue, assène Ahmedou Ould Abdallah, est bel et bien le problème numéro 1 de la région. – Que voulez-vous dire ? Que faites-vous du problème terroriste au Sahel ? », s’étonne Jean-Félix Paganon, un vieux routier du Quai d’Orsay chargé du Sahel depuis le mois de juin 2012 jusqu’à sa mise à l’écart par Laurent Fabius qui le nomme ambassadeur au Sénégal.
« Naturellement, répond le diplomate mauritanien, les combattants d’Aqmi qui ont investi le nord du Mali représentent un véritable danger, mais les trafics de stupéfiants, qui financent le terrorisme, constituent la principale menace pour le Sahel. »
Ces derniers mois, des mises en cause judiciaires se sont multipliées contre quelques très hauts dirigeants africains, notamment en Guinée-Bissau et au Sénégal. La pression de la Drug Enforcement Administration (DEA), la puissante administration américaine de lutte contre la drogue, a provoqué plusieurs arrestations spectaculaires.
Le 18 avril 2013, Antonio Indjal, le chef d’état-major des armées de Guinée-Bissau, un pays livré aux mafias de la drogue, est inculpé par les Etats-Unis de complot de narcoterrorisme. Ce gradé est accusé par la DEA d’avoir conspiré pour stocker puis transporter des stupéfiants.
Deux semaines auparavant, l’ancien chef de la marine de Guinée, José Bubo Na Tchuto, avait été arrêté par la DEA au Cap-Vert, un autre pays africain connu pour accueillir de gros chargements de cocaïne, puis inculpé aux Etats-Unis. Enfin, le 25 juillet 2013, le chef de la police du Sénégal, Abdoulaye Niang, est relevé de ses fonctions par les autorités de son pays suite aux accusations d’un trafiquant notoire.
Du hash au crack-cocaïne
Les routes de la drogue évoluent en permanence.
Les voies d’accès sont sans cesse modifiées. Autant hier, les ports africains de l’Atlantique et des aéroports improvisés dans le Sahara étaient privilégiés, autant aujourd’hui, le transport des stupéfiants se fait via des containers, par plus petites quantités.
Au Sénégal, en 2001, un policier en civil avec une saisie de cartons de cannabis du Maroc (SEYLLOU DIALLO/AFP)
La première des drogues à transiter par le Sahel aura été le haschich. Le Maroc, avec 7,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 10% de son PIB, en est le principal fournisseur.
Une partie de cette production prend la direction de l’Espagne, par des convois de trois ou quatre voitures baptisés « go-fast », pour gagner les banlieues françaises à vive allure. Le reste de la résine marocaine se dirige vers le sud du pays, puis vers le Mali, le Niger et le Bénin, pour rejoindre les destinations lointaines comme le Golfe et le Moyen-Orient.
En 2005, la cocaïne sud-américaine fait une entrée spectaculaire dans la région. Les cartels colombiens contournent les ports européens, trop contrôlés, pour transiter par l’Afrique sahélienne. La région présente plusieurs avantages : une population locale peu solvable et donc non consommatrice de cocaïne, des routes déjà tracées pour transporter des marchandises illicites, des Etats faillis qui ferment les yeux. Les trafiquants de Colombie et du Pérou ont racheté des îles entières en Guinée-Bissau, un Etat totalement mafieux où les trafiquants évoluent comme chez eux. Leurs avions chargés de drogue gagnent les pistes d’atterrissage que les Américains avaient construites pendant la Seconde Guerre mondiale. Le Nigeria et la Guinée-Conakry offrent également de nombreux ports d’accès hospitaliers pour les mafias en tous genres.
Rien qu’entre 2005 et 2008, 46 tonnes de cocaïne sont saisies en Afrique de l’Ouest. Ces chiffres ont quadruplé aujourd’hui. 40 tonnes de cocaïne sont destinées chaque année à l’Europe, qui représente 26% de la consommation mondiale et 34 milliards de dollars de chiffre d’affaires.
Après le haschich et la cocaïne, l’héroïne produite en Afghanistan commence à envahir, depuis 2009, les pays du Sahel. Cette fois, c’est l’Afrique de l’Est qui reçoit les containers venus d’Asie, d’après Pierre Lanaque, représentant de l’Office de l’ONU contre la drogue et le crime (ONUDC). D’après ce spécialiste, « des échanges héroïne contre cocaïne » se produisent « entre les groupes basés en Afrique de l’Est et ceux d’Afrique de l’Ouest ».
L’Afrique n’est plus seulement une zone de transit, mais aussi une zone de production. Cinq laboratoires de fabrication d’amphétamine à destination de l’Asie du Sud-est ont été démantelés au Nigeria, pays préféré des gangs de trafiquants.
La mondialisation de la voyoucratie précède de loin la prise de conscience des Etats démocratiques. Or le commerce de la drogue, avec les ressources occultes qu’il draine, est un terreau favorable au développement de mouvements violents. Ce n’est pas un hasard si c’est dans le premier pays africain producteur de drogues dures, le Nigeria, que le péril djihadiste, sous la forme du mouvement Boko Haram (« l’Education à l’occidentale est un péché »), est le plus palpable.
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