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Voici la recette qui met les suisses à l'abri du chômage

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  • Voici la recette qui met les suisses à l'abri du chômage

    Dominique Perrin
    ENQUETE A la différence de la France, où le nombre des chômeurs est au plus haut, la Suisse connaît presque le plein emploi. Un miracle dont nous pourrions nous inspirer?



    En Suisse, le taux de chômage des jeunes est 4 fois moins élevé qu'en France. Une des recettes de ce miracle: l'apprentissage. 7 jeunes suisses sur 10 s'est formé à son métier en étant apprenti. (SIPA)

    Tout le monde pense au chocolat, aux montres, aux banques, aux vertes prairies à la Heidi… Mais qui sait que la Suisse détient le plus faible taux de chômage du continent européen avant même l'Autriche, championne de l'UE en la matière : 4,5 % selon l'OCDE ? Faisant ainsi mieux encore que son voisin l'Autriche Dans quel autre pays rencontre-t-on un jeune de 24 ans dont aucun copain, cousin ou connaissance n'est sans emploi ?

    Alors qu'en Europe un quart des jeunes, en moyenne, sont au chômage, ils ne sont que 6,1 % en Suisse, toujours selon l'OCDE. Pour percer les secrets du miracle helvète, il faut prendre un train à Lausanne, voie 70, et longer les rives du Léman, avec les vignes qui plongent dans l'eau et les sommets alpins enneigés au loin –le paradis n'est pas encore là–, descendre à Lucens, village au milieu des collines, et découvrir l'étonnant patron de l'usine de laine de verre Saint-Gobain, Isover.

    Former les jeunes, un devoir pour le patrons suisses

    Homme mince aux cheveux gris, Richard Krebs a des yeux d'un bleu aussi profond que ses convictions. A la tête d'une entreprise de 160 salariés, il est intarissable sur la première force de la Suisse pour combattre le chômage : l'intégration des jeunes, via l'apprentissage. Sa société en compte quatorze. "Un manager français me disait que les apprentis représentaient un coût et un facteur de perturbation, s'étonne-t-il. En Suisse, cela ne fonctionne pas comme ça. Les chefs d'entreprise s'impliquent dans l'insertion des jeunes, c'est dans notre culture. Il faut prendre ça comme un devoir."

    De belles paroles… suivies d'actes. Même lorsqu'il réduit ses effectifs d'intérimaires, comme en ce moment, Richard Krebs ne se sépare d'aucun apprenti. Sacré. "Si on doit sacrifier trois places d'apprentis pour sauver l'entreprise, elle est déjà cliniquement morte."

    70% des jeunes optent pour l'apprentissage

    Même le "retour sur investissement", il s'en moque. Après leur cursus de trois ou quatre ans – en général à raison de trois jours par semaine en entreprise et deux à l'école –, il incite les apprentis à aller travailler dans une autre société ou à l'étranger. Masochiste, Richard Krebs ? Juste confiant. "Le patron d'à côté peut former un jeune qui travaillera chez moi. C'est une sorte d'accord tacite entre les employeurs."

    Dans l'usine, la responsable des apprentis, Barbara Joye, une blonde dynamique de 28 ans, a débuté à Isover à l'âge de 15 ans. "A l'école, j'étais une bosseuse, mais j'avais de la peine à obtenir de bons résultats. L'apprentissage m'a changé la vie. Il m'a permis de montrer aux autres de quoi j'étais capable. Quand on devient apprenti, tous les préjugés contre le mauvais élève qu'on était tombent. C'est un nouveau départ."

    De quoi faire rêver les décrocheurs du système éducatif français… En Suisse, pas moins de 70% des jeunes choisissent l'apprentissage plutôt que la filière académique. Tous les métiers s'apprennent ainsi, sauf exceptions (médecin, professeur d'université, avocat…). Et des passerelles existent entre les deux formules.

    Un succès qui intriguent Américains et Coréens

    Le système est devenu un tel modèle qu'il est scruté aux quatre coins du monde. Près de Lausanne, à Mex, entre les champs de maïs et les vaches, l'entreprise Bobst a reçu la visite d'Américains et de Coréens. L'usine, qui produit des machines destinées à fabriquer des emballages en carton, compte 218 apprentis sur 1.600 salariés en Suisse (5.000 dans le monde). Elle possède même un grand centre de formation spécifique. Car, ici, l'apprentissage est la norme. Chaque directeur rencontré se remémore avec fierté et un brin de nostalgie sa période d'alternance.

    Sylvain Lieb, par exemple, ex-cancre à l'école, a démarré comme apprenti de commerce dans une société de distribution. Il a ensuite travaillé à Nestlé, passé un master en Italie, et dirige désormais les ressources humaines de Bobst. Il en est persuadé, le mélange de profils pratiques et universitaires "contribue à gérer une usine de façon plus pragmatique".

    Surtout, "l'apprentissage forme bien sûr des salariés maison, mais aussi des jeunes qui monteront peut-être une PME à côté, et éviteront ainsi que la région ne se désindustrialise". En Suisse, l'industrie représente 22 % du PIB. Le système de formation est donc bien au cœur de la réussite suisse, qui s'appuie aussi sur un monde du travail très consensuel.

    Les Suisses sont les champions du consensus

    "Déjà, dans ce pays, il y a une culture favorable à l'entreprise", explique François Garçon, maître de conférences à Paris 1 et auteur du livre Le Modèle suisse (Editions Perrin, 2011). "Cela se ressent en politique, de la commune au Parlement, où les députés entrepreneurs sont les plus nombreux. Et côté formation, les échanges entre le système éducatif et les entreprises sont multiples." L'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) en est le meilleur exemple. Financée par de grosses sociétés, elle compte 250 start-up dans son parc scientifique.

    De plus, les relations sociales sont apaisées, et le marché du travail est étonnamment souple. « La faculté d'adaptation des salariés est un des moteurs de l'économie », explique Philippe Cordonier, responsable pour la Suisse romande de l'organisation patronale Swissmem (machines, équipements électriques et métaux).

    Si les employés obtempèrent si facilement, c'est que tout changement fait l'objet d'un accord entre représentants des salariés et des patrons, sans intervention de l'Etat. "Le droit de grève existe, mais il n'est quasiment pas utilisé, on préfère discuter jusqu'au bout de la nuit." Et, ici, on embauche comme on licencie. "Si le dirigeant d'une entreprise de 300 personnes se sépare de 10% de son personnel, en trois semaines, tout est dit, précise Bernard Courtaud, consultant en reclassement à Genève. En France, cela demande six mois. Cela permet de réembaucher plus vite quand les affaires reprennent."

    Le pôle emploi suisse est généreux mais intraitable

    S'il est facile de licencier, les chômeurs ne sont pas laissés devant leur télé. "La Suisse est un modèle pour les politiques actives de recherche d'emploi", explique Stefano Scarpetta, à la direction de l'emploi de l'OCDE. En échange d'allocations généreuses –70 ou 80% du salaire pendant deux ans–, le demandeur d'emploi est réellement aidé, conseillé, mais aussi contrôlé. "S'il ne se rend pas à un rendez-vous, il perd une semaine d'indemnités, explique Roger Pic-cand, directeur du Service de l'emploi du canton de Vaud. S'il refuse un emploi, il perd 30 ou 40 jours." Ce n'est pas une simple menace. "Dans notre canton, qui compte 18.000 chômeurs, on prononce 2500 sanctions chaque mois."

    Résultat : le pays du plein-emploi attire, d'autant que la Suisse manque de bras. Elle est le pays de l'OCDE qui accueille le plus d'étrangers par rapport à sa population. Outre les 150.000 frontaliers séduits par des salaires plus de deux fois plus élevés, 11.500 Français obtiennent chaque année les clés de ce paradis.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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