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Tant l’Algérie officielle que l’Algérie populaire a résisté aux mirages des « printemps arabes », qui n’ont pas tardé à tourner aux « hivers islamistes ».
Ceux-ci ont fini par dévoiler les agendas occultes des puissances occidentales et les calculs machiavéliques de leurs roquets arabes comme le Qatar et l’Arabie Saoudite, qui vivent aujourd’hui sur leurs marges la fable de « l’arroseur arrosé ». Les Algériens ont franchi cette passe difficile, malgré les pressions extérieures qui s’étaient conjuguées pour faire souffler les vents mauvais d’une révolte fantasmée, alors que le pays s’employait à surmonter le traumatisme d’une tragédie nationale qui le poussait vers les abysses. À la grande déception des protagonistes d’un changement inspiré de l’extérieur, l’Algérie ne s’est pas levée pour renverser un gouvernement légitime qui a fait de la réconciliation nationale sa boussole depuis plus de dix ans, mais pour dire non aux manipulations. Ce faisant, elle a apporté le démenti le plus cinglant à ceux qui la voyaient se fourvoyer dans une voie aventureuse et sans issue qui n’a jamais été la sienne.
Des hommes politiques, des analystes et des observateurs de diverses obédiences ont dit les raisons de ce rejet algérien. On peut résumer les divers argumentaires comme suit. Primo : le printemps politique algérien a bien eu lieu, mais en 1988, lorsque la jeunesse s’est soulevée pour réclamer l’abrogation du parti unique, l’instauration du multipartisme et l’ouverture du pays à ce qu’on n’appelait pas encore la mondialisation. Elle avait alors reçu une réponse qui, si elle était prudente et mesurée par certains côtés, n’avait rien d’hésitant. Secundo : les Algériens ont payé au prix fort les erreurs commises dans la foulée et les embardées faites par certains apprentis sorciers. Ceux-là qui ont joué impunément avec le feu en entrouvrant la porte à l’islamisme, dont l’objectif jamais démenti reste l’instauration d’une théocratie et l’enterrement, au nom de la démocratie, de toute espérance démocratique dans l’espace politique sur lequel il lui arrive de poser la main. Cette transition dévoyée est à l’origine des retards enregistrés dans la réforme institutionnelle que le peuple algérien appelait de ses vœux et qu’il fallait préparer par une remise en état de l’économie délabrée, soumise pendant des années aux diktats contre-productifs et imbéciles du FMI, et en recousant le tissu social déchiré.
Tertio : tout en pansant ses plaies, les dirigeants politiques du pays ont poursuivi leur quête de la réforme. Ils ont défriché des pistes hors des sentiers battus et ouvert toujours plus grand le champ des libertés à la presse, les partis, les syndicats et la société civile. Ces divers boucliers ont incontestablement protégé le pays d’une contamination annoncée comme imminente. Un échec cuisant pour les cassandres.
En fait, l’Algérie s’est constamment démarquée des solutions de facilité et n’a jamais rien fait comme les autres. Il faut comprendre qu’elle s’est refusée à tout panurgisme, au suivisme et au mimétisme béat qui paralysent la pensée et obstruent l’horizon politique. En 1954 déjà, les militants nationalistes du Front de libération nationale (FLN) avaient rejeté la voie pacifiste et électoraliste qui leur était « généreusement » recommandée, pour entrer en guerre contre le colonialisme, avec des moyens dont on sait, l’ouverture des archives aidant, qu’ils ont été dérisoires au vu de ceux déployés par l’ennemi colonisateur. Ils avaient seulement compris – les uns intuitivement, les autres à la suite d’une analyse approfondie – que c’était « le moment ». La victoire fut au bout du fusil.
Au début des années 1970, alors que la plupart de leurs partenaires au sein de l’Organisation des exportateurs de pétrole (Opep) et leurs conseillers empressés préconisaient des aménagements avec les Sept Sœurs du cartel international du pétrole et les sociétés françaises implantées au Sahara, ils n’ont pas hésité à franchir, seuls, le Rubicon en nationalisant leurs hydrocarbures. Ils ont fini par avoir gain de cause, malgré la pression internationale et la mise sous embargo de leur pétrole.
Contre vents et marées, endurant les critiques injustes et intéressées qui fondaient sur sa tête, Alger a aidé les mouvements africains de libération nationale jusqu’à l’indépendance de leur pays. Elle continue à apporter son ferme soutien au parachèvement de la décolonisation en Afrique et au Maghreb, tout en faisant face aux stratégies interventionnistes à contre-courant en Libye, Syrie, Mali.
Dans les années 1990, elle fut la seule à relever le défi du terrorisme islamiste avec lequel Paris et Washington lui conseillaient de passer des compromis, aussi bien que de livrer le pays aux « barbus » et de leur donner l’occasion de « faire leur expérience pour voir jusqu’où ils peuvent aller ». En d’autres termes, transformer l’Algérie en laboratoire des stratégies qui ont trouvé un point d’application dans les pays du « printemps arabe ».
Les exemples illustrant l’indépendance d’esprit et l’allergie aux modes politiques abondent dans l’histoire algérienne récente. L’universitaire américain William B. Quandt, un des observateurs les plus lucides des réalités de l’Algérie, qui les suit depuis plus de cinquante ans, résume l’ensemble dans l’appréciation suivante : « En Algérie, les gens revendiquent, certes, un changement du système, mais ne veulent pas le faire avec violence. Ils ont conscience que le changement va venir un jour ou l'autre. C'est pourquoi les citoyens se sont montrés patients. Et puis il faut souligner que, en Algérie, il y a des atouts permettant un changement sérieux sans pour autant passer par une révolte. Le peuple a connu beaucoup d'expériences en matière de lutte. Il y a donc des alternatives qui se construisent, par-ci par-là, contrairement aux autres pays arabes. Il faut dire que les autorités ont anticipé le traitement de certaines questions qui fâchent. À ma connaissance, des réformes sont engagées, même si j'ignore leur contenu. S'il y a une volonté effective et ferme des autorités pour œuvrer à la réalisation et à la traduction sur le terrain des revendications du peuple, cela pourrait épargner à l'Algérie de passer par un changement violent et réaliser un changement plutôt tranquille. La situation actuelle exige l'ouverture d'un dialogue sincère et franc entre les franges de la société et le pouvoir en place. »
C’est dans cette direction que s’est engagé le président Abdelaziz Bouteflika en ouvrant une vaste concertation sur les réformes institutionnelles, dont le dernier étage, les amendements à la Constitution en vigueur, doit être mis sur pied au début de l’année prochaine. Déjà, la levée de l’état d’urgence, les amendements à la loi sur les partis, la réforme de la loi électorale, l’ouverture de l’Assemblée à la représentation féminine (une vague de 144 députées élues sur les diverses listes en concurrence d’un seul coup), la dépénalisation des délits de presse, etc., étaient des jalons bienvenus sur cette voie. On peut en prendre les paris : avant 2014, échéance du mandat en cours du chef de l’État, la nouvelle architecture institutionnelle donnera un nouveau visage à l’Algérie.
La Constitution actuelle, dont la refonte est envisagée, est en fait le résultat de plusieurs compromis politiques qui se sont succédé dans le temps au gré de circonstances, parfois dramatiques, pour parer au plus pressé. Déséquilibrée par endroits, bancale dans d’autres, la Loi fondamentale a pu faire son office pour gérer le pays et lui éviter d’horribles secousses parce qu’elle a été appliquée avec souplesse, compte tenu des autres urgences auxquelles était confrontée l’Algérie. Un des derniers amendements a consisté à supprimer la dyarchie à la tête de l’exécutif, en conférant au président de la République la plénitude des pouvoirs attachés à ses fonctions par son élection au suffrage universel. Le premier ministre est ainsi devenu le « premier des ministres », coordinateur du gouvernement et responsable exclusivement devant le chef de l’État.
Cette ambiguïté levée, faut-il aller plus loin ? Certains estiment que ni le régime parlementaire ni le régime semi-présidentiel ne conviennent à l’Algérie. Ils plaident pour un régime présidentiel « à l’américaine ». Mais tous les acteurs politiques sont d’accord sur la nécessité de renforcer les contre-pouvoirs, d’aller vers plus de décentralisation et de conforter les organismes de contrôle dans leur rôle, notamment pour lutter contre la corruption.
Dans la somme historique décapante qu’il vient de publier à Alger, Hachemi Djiar, ancien conseiller à la présidence, ancien ministre, anticipe que ces « réformes [qui] tendent à assurer un passage pacifique entre un système fondé sur la légitimité historique et un autre fondé sur la légitimité démocratique ». Il ajoute, fixant les enjeux : « Ces réformes interviennent dans des contextes marqués par des bouleversements profonds, porteurs d’espoir, mais aussi d’incertitudes et de risques dans un monde instable où la compétition fait rage. Et où seules les nations entreprenantes, soucieuses de leur cohésion et conscientes des enjeux du monde qui bouge, peuvent se ménager une place solide sur une scène internationale en voie de reconfiguration. »
Tant l’Algérie officielle que l’Algérie populaire a résisté aux mirages des « printemps arabes », qui n’ont pas tardé à tourner aux « hivers islamistes ».
Ceux-ci ont fini par dévoiler les agendas occultes des puissances occidentales et les calculs machiavéliques de leurs roquets arabes comme le Qatar et l’Arabie Saoudite, qui vivent aujourd’hui sur leurs marges la fable de « l’arroseur arrosé ». Les Algériens ont franchi cette passe difficile, malgré les pressions extérieures qui s’étaient conjuguées pour faire souffler les vents mauvais d’une révolte fantasmée, alors que le pays s’employait à surmonter le traumatisme d’une tragédie nationale qui le poussait vers les abysses. À la grande déception des protagonistes d’un changement inspiré de l’extérieur, l’Algérie ne s’est pas levée pour renverser un gouvernement légitime qui a fait de la réconciliation nationale sa boussole depuis plus de dix ans, mais pour dire non aux manipulations. Ce faisant, elle a apporté le démenti le plus cinglant à ceux qui la voyaient se fourvoyer dans une voie aventureuse et sans issue qui n’a jamais été la sienne.
Des hommes politiques, des analystes et des observateurs de diverses obédiences ont dit les raisons de ce rejet algérien. On peut résumer les divers argumentaires comme suit. Primo : le printemps politique algérien a bien eu lieu, mais en 1988, lorsque la jeunesse s’est soulevée pour réclamer l’abrogation du parti unique, l’instauration du multipartisme et l’ouverture du pays à ce qu’on n’appelait pas encore la mondialisation. Elle avait alors reçu une réponse qui, si elle était prudente et mesurée par certains côtés, n’avait rien d’hésitant. Secundo : les Algériens ont payé au prix fort les erreurs commises dans la foulée et les embardées faites par certains apprentis sorciers. Ceux-là qui ont joué impunément avec le feu en entrouvrant la porte à l’islamisme, dont l’objectif jamais démenti reste l’instauration d’une théocratie et l’enterrement, au nom de la démocratie, de toute espérance démocratique dans l’espace politique sur lequel il lui arrive de poser la main. Cette transition dévoyée est à l’origine des retards enregistrés dans la réforme institutionnelle que le peuple algérien appelait de ses vœux et qu’il fallait préparer par une remise en état de l’économie délabrée, soumise pendant des années aux diktats contre-productifs et imbéciles du FMI, et en recousant le tissu social déchiré.
Tertio : tout en pansant ses plaies, les dirigeants politiques du pays ont poursuivi leur quête de la réforme. Ils ont défriché des pistes hors des sentiers battus et ouvert toujours plus grand le champ des libertés à la presse, les partis, les syndicats et la société civile. Ces divers boucliers ont incontestablement protégé le pays d’une contamination annoncée comme imminente. Un échec cuisant pour les cassandres.
En fait, l’Algérie s’est constamment démarquée des solutions de facilité et n’a jamais rien fait comme les autres. Il faut comprendre qu’elle s’est refusée à tout panurgisme, au suivisme et au mimétisme béat qui paralysent la pensée et obstruent l’horizon politique. En 1954 déjà, les militants nationalistes du Front de libération nationale (FLN) avaient rejeté la voie pacifiste et électoraliste qui leur était « généreusement » recommandée, pour entrer en guerre contre le colonialisme, avec des moyens dont on sait, l’ouverture des archives aidant, qu’ils ont été dérisoires au vu de ceux déployés par l’ennemi colonisateur. Ils avaient seulement compris – les uns intuitivement, les autres à la suite d’une analyse approfondie – que c’était « le moment ». La victoire fut au bout du fusil.
Au début des années 1970, alors que la plupart de leurs partenaires au sein de l’Organisation des exportateurs de pétrole (Opep) et leurs conseillers empressés préconisaient des aménagements avec les Sept Sœurs du cartel international du pétrole et les sociétés françaises implantées au Sahara, ils n’ont pas hésité à franchir, seuls, le Rubicon en nationalisant leurs hydrocarbures. Ils ont fini par avoir gain de cause, malgré la pression internationale et la mise sous embargo de leur pétrole.
Contre vents et marées, endurant les critiques injustes et intéressées qui fondaient sur sa tête, Alger a aidé les mouvements africains de libération nationale jusqu’à l’indépendance de leur pays. Elle continue à apporter son ferme soutien au parachèvement de la décolonisation en Afrique et au Maghreb, tout en faisant face aux stratégies interventionnistes à contre-courant en Libye, Syrie, Mali.
Dans les années 1990, elle fut la seule à relever le défi du terrorisme islamiste avec lequel Paris et Washington lui conseillaient de passer des compromis, aussi bien que de livrer le pays aux « barbus » et de leur donner l’occasion de « faire leur expérience pour voir jusqu’où ils peuvent aller ». En d’autres termes, transformer l’Algérie en laboratoire des stratégies qui ont trouvé un point d’application dans les pays du « printemps arabe ».
Les exemples illustrant l’indépendance d’esprit et l’allergie aux modes politiques abondent dans l’histoire algérienne récente. L’universitaire américain William B. Quandt, un des observateurs les plus lucides des réalités de l’Algérie, qui les suit depuis plus de cinquante ans, résume l’ensemble dans l’appréciation suivante : « En Algérie, les gens revendiquent, certes, un changement du système, mais ne veulent pas le faire avec violence. Ils ont conscience que le changement va venir un jour ou l'autre. C'est pourquoi les citoyens se sont montrés patients. Et puis il faut souligner que, en Algérie, il y a des atouts permettant un changement sérieux sans pour autant passer par une révolte. Le peuple a connu beaucoup d'expériences en matière de lutte. Il y a donc des alternatives qui se construisent, par-ci par-là, contrairement aux autres pays arabes. Il faut dire que les autorités ont anticipé le traitement de certaines questions qui fâchent. À ma connaissance, des réformes sont engagées, même si j'ignore leur contenu. S'il y a une volonté effective et ferme des autorités pour œuvrer à la réalisation et à la traduction sur le terrain des revendications du peuple, cela pourrait épargner à l'Algérie de passer par un changement violent et réaliser un changement plutôt tranquille. La situation actuelle exige l'ouverture d'un dialogue sincère et franc entre les franges de la société et le pouvoir en place. »
C’est dans cette direction que s’est engagé le président Abdelaziz Bouteflika en ouvrant une vaste concertation sur les réformes institutionnelles, dont le dernier étage, les amendements à la Constitution en vigueur, doit être mis sur pied au début de l’année prochaine. Déjà, la levée de l’état d’urgence, les amendements à la loi sur les partis, la réforme de la loi électorale, l’ouverture de l’Assemblée à la représentation féminine (une vague de 144 députées élues sur les diverses listes en concurrence d’un seul coup), la dépénalisation des délits de presse, etc., étaient des jalons bienvenus sur cette voie. On peut en prendre les paris : avant 2014, échéance du mandat en cours du chef de l’État, la nouvelle architecture institutionnelle donnera un nouveau visage à l’Algérie.
La Constitution actuelle, dont la refonte est envisagée, est en fait le résultat de plusieurs compromis politiques qui se sont succédé dans le temps au gré de circonstances, parfois dramatiques, pour parer au plus pressé. Déséquilibrée par endroits, bancale dans d’autres, la Loi fondamentale a pu faire son office pour gérer le pays et lui éviter d’horribles secousses parce qu’elle a été appliquée avec souplesse, compte tenu des autres urgences auxquelles était confrontée l’Algérie. Un des derniers amendements a consisté à supprimer la dyarchie à la tête de l’exécutif, en conférant au président de la République la plénitude des pouvoirs attachés à ses fonctions par son élection au suffrage universel. Le premier ministre est ainsi devenu le « premier des ministres », coordinateur du gouvernement et responsable exclusivement devant le chef de l’État.
Cette ambiguïté levée, faut-il aller plus loin ? Certains estiment que ni le régime parlementaire ni le régime semi-présidentiel ne conviennent à l’Algérie. Ils plaident pour un régime présidentiel « à l’américaine ». Mais tous les acteurs politiques sont d’accord sur la nécessité de renforcer les contre-pouvoirs, d’aller vers plus de décentralisation et de conforter les organismes de contrôle dans leur rôle, notamment pour lutter contre la corruption.
Dans la somme historique décapante qu’il vient de publier à Alger, Hachemi Djiar, ancien conseiller à la présidence, ancien ministre, anticipe que ces « réformes [qui] tendent à assurer un passage pacifique entre un système fondé sur la légitimité historique et un autre fondé sur la légitimité démocratique ». Il ajoute, fixant les enjeux : « Ces réformes interviennent dans des contextes marqués par des bouleversements profonds, porteurs d’espoir, mais aussi d’incertitudes et de risques dans un monde instable où la compétition fait rage. Et où seules les nations entreprenantes, soucieuses de leur cohésion et conscientes des enjeux du monde qui bouge, peuvent se ménager une place solide sur une scène internationale en voie de reconfiguration. »
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