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«DITS, SILENCES, OCCULTATIONS, MANIPULATIONS» : Les Algériens au miroir de leur histoire

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  • «DITS, SILENCES, OCCULTATIONS, MANIPULATIONS» : Les Algériens au miroir de leur histoire

    Écrit par Abdelmadjid Merdaci


    A un an du soixantième anniversaire du déclenchement de l’insurrection du 1er Novembre 1954, la question des rapports des Algériens à la séquence fondatrice de la guerre d’indépendance nationale demeure d’actualité.Il n’est pas besoin, notamment, d’établir un bilan éditorial détaillé pour faire le constat de l’accentuation des retards de la recherche algérienne par rapport aux travaux engagés, en particulier en France, d’une part, et les effets, désormais contraignants, de la privatisation de la mémoire de la guerre.

    La recherche algérienne, on le sait, a longtemps subi le handicap majeur de l’hégémonie d’une histoire institutionnelle adossée à la censure, l’occultation, le mensonge d’Etat, et a eu à composer avec la thèse officielle érigeant le peuple en acteur collectif au principe de la lutte pour l’indépendance.

    1- L’aggiornamento de la décennie quatre-vingt

    De ce point de vue, il convient de relever l’aggiornamento clairement initié par le président Bendjedid, dans la décennie quatre-vingt, par l’inscription de la journée du 19 mars 1962 – jusque-là officiellement ignorée, quand elle n’était pas stigmatisée – dans le calendrier des fêtes légales, l’ouverture du débat entre acteurs de la guerre dans le cadre de séminaires régionaux et de manière spectaculaire la réhabilitation de Krim Belkacem, admis au Carré des martyrs de manière solennelle à l’occasion du trentième anniversaire de Novembre 54.
    Ce changement de socle dans la représentation de la guerre d’indépendance sera prolongé avec le retour progressif dans l’espace public national de figures du nationalisme longtemps occultées – Abbas, Messali, Boudiaf – et anticipe ou/et accompagne le mouvement de réforme économique et politique projeté par la direction de l’Etat. La libéralisation du secteur de l’édition se traduira, peu à peu, par un processus de privatisation de la mémoire de la guerre par la multiplication de publications, de mémoires et de récits de vie – le plus souvent d’acteurs secondaires de la guerre – qui, consacrant l’émergence du « je » et l’effacement progressif du « peuple, acteur collectif », marque bien une rupture dans la construction d’un récit national sur la guerre d’indépendance.
    Sous réserve d’une recension plus exhaustive de ces publications – il faut signaler qu’un premier traitement a été réalisé par Ouarda Siari et Fouad Soufi – il est notable que le prisme de l’engagement individuel fasse plus droit aux déterminations locales – tribales parfois – et que la relative faible qualité informative des ouvrages contribue plus à l’émiettement de la vision globale du conflit qu’à sa meilleure intelligence.


    2- Une double fracture

    La gestion politique des archives de la guerre d’indépendance – elles n’ont jamais fait l’objet de clarifications officielles quant à leur affectation, les conditions de leur gestion et particulièrement leur accessibilité à la recherche – outre d’ouvrir droit à une forme de privatisation de la mémoire collective – faut-il ajouter que, souvent, des documents, des photos, rattachés à des institutions de l’ALN ou du FLN, soutiennent les récits de vie – contraint la recherche algérienne à la dépendance vis-à-vis des archives françaises et du principe de la dérogation.
    Cette même recherche – et les rares colloques encore consacrés aux questions d’histoire le vérifient quasi systématiquement – apparaît, de plus en plus, otage d’une double fracture générationnelle et linguistique qui hypothèque sa visibilité et d’une manière générale le crédit du discours de l’histoire. La génération productive en matière de recherche historique demeure significativement celle des toutes premières promotions de l’Université algérienne du lendemain de l’indépendance, formée en langue française et qui a, peu ou prou, été marquée par les enseignements de Nouschi, Ageron, Gallissot ou Meynier et dont les principales références algériennes auront été Mahfoud Kaddache et Mostefa Lacheraf, rapporté, quant à lui, plus facilement à la tradition sociologique.
    Cette génération, aujourd’hui largement sexagénaire, est aussi celle qui fut, longtemps, le plus durement confrontée à la censure, au diktat des vérités officielles, qui aura à connaître une progressive marginalisation avec l’arabisation autoritaire des enseignements en sciences sociales, alors que le représentant le plus fécond de la recherche historique algérienne – Mohamed Harbi – était contraint à l’exil.
    Le constat peut difficilement être contesté que l’arabisation de la discipline « Histoire », absolument légitime dans son principe, comme l’élargissement de l’offre de formation par de nouveaux instituts et de nouvelles universités n’a pas – encore ? – donné lieu à l’émergence indiscutée de nouvelles générations de chercheurs, de nouvelles thématiques ou de nouvelles approches. Cette double fracture, qui pénalise le champ de la recherche académique, hypothèque aussi la lisibilité, dans l’espace public, de questions d’histoire, de plus en plus relayées par les médias et principalement par la presse écrite.


    3- Une histoire médiatique

    L’expérience pionnière du quotidien La Tribune – consacrée en novembre 2004 par la publication d’un ouvrage collectif avec pour titre
    La nuit rebelle – répondait à un souci de mettre dans l’espace public, par le biais du support médiatique, les questions en débat au niveau de la recherche historique et de familiariser le lectorat avec les historiens ou les acteurs du mouvement national et de la guerre d’indépendance. Si la presse publique et la télévision nationale restaient, dans l’ensemble, dans leur rôle de relais du discours institutionnel – fut il d’ailleurs sans impact – la multiplication des titres privés marque un tournant dans le traitement de l’histoire et particulièrement de la représentation de la guerre d’indépendance.

    La fracture éditoriale, relativement fictive, entre titres francophones et arabophones ne peut masquer ni la fonction prescriptive que s’accordent ces titres en matière d’histoire, ni leur proximité dans son traitement. L’histoire médiatique instituée s’appuie rarement sur l’histoire académique, quand bien même elle convoque l’appréciation de l’historien, qui prend appui sur l’écrit strictement journalistique et prend en compte moins le long cours de l’histoire que la récurrence de quelques dates ou quelques acteurs. Il est de ce point de vue remarquable que cette histoire médiatique fasse, finalement, peu de place à la critique documentée d’ouvrages spécialisés, et une évaluation informée de la qualité des témoignages d’acteurs édités. Inscrite dans la durée, l’histoire médiatique, dans les registres convenus laïque /démocratique ou nationaliste/islamiste, produit les mêmes effets de méconnaissance qui soumet les évènements et les acteurs à de strictes considérations idéologiques. A bien y regarder, cette idéologisation – qui met de manière plus ou moins explicite des segments de l’identité algérienne, l’islam ou l’amazaghité, au principe de la guerre d’indépendance – informe aussi sur la fragilisation du lien national et sur l’échec de la conception autoritaire de l’histoire de construire les bases indiscutées d’un vivre ensemble.


    4- Autour du Congrès de la Soummam


    Le traitement du Congrès de la Soummam, particulièrement par une partie de la presse francophone, offre une illustration exemplaire de l’histoire médiatique et de ses dérives.
    L’organisation du congrès, rapportée principalement à la personnalité d’Abane Ramdane et ses travaux aux thèses sur la primauté du politique sur le militaire et de l’intérieur sur l’extérieur, sa présentation médiatique déplace de manière subreptice les enjeux et en distrait les conditions réelles de tenue.
    Le lectorat est-il invité, sur fond de charge émotionnelle liée à l’assassinat d’Abane, à moins lire le passé qu’à le projeter sur la nature du régime en place et en résonance sur le primat figuré de la hiérarchie militaire sur le pouvoir civil. La situation politico-militaire du FLN en amont de l’organisation du congrès, les conditions de sa possibilité, les filiations de la charte de la Soummam avec la proclamation du 1er Novembre 1954 sont évacués par l’histoire médiatique, qui n’interroge pas plus l’identité, les trajectoires des rédacteurs de la charte, pas plus que n’est souligné le rôle exceptionnel de Krim et de Ben M’hidi dans l’organisation du congrès. Sans s’appesantir sur l’invention d’Abane en « démocrate kabyle » – alors même que les témoignages ne manquent pas, notamment dans les rangs des militants de la Wilaya III sur le traitement qu’Abane avait réservé aux tenants des thèses berbéristes – est-ce la puissance de la cécité de l’histoire médiatique qui peut troubler.
    Du 20 au 28 août 1957 s’est tenue au Caire une réunion du Conseil national de la révolution algérienne (CNRA), dont les conclusions et les décisions sanctionnent non seulement la mise en minorité politique d’Abane Ramdane, mais le clair abandon de l’essentiel des thèses de la Soummam. Le renforcement de la composante du Comité de coordination et d’exécution (CCE), qui passe de cinq à quatorze membres, ajouté au limogeage de Benkhedda et Dahlab, valide une direction plus militarisée du FLN et l’isolement d’Abane. Sans doute quelques-unes des dispositions de la charte de la Soummam ont-elles connu une mise en œuvre sur le terrain, mais à compter d’août 1987, le FLN change de socle idéologique, de références et d’incarnation. Tout semble se passer, pour les tenants de l’histoire médiatique, comme si l’histoire de la guerre d’indépendance ou à tout le moins sa légitimité s’était arrêtée à Ifri. Et la suite des évènements devient illisible pour leur lectorat.
    A la longue censure politique de l’histoire de la guerre d’indépendance par le régime autoritaire, plus facilement mise en cause aujourd’hui qu’hier, répond ce qui s’apparente à une forme insidieuse de révision, dont la fragmentation de la mémoire collective, les pulsions ethniques ou religieuses nourrissent l’histoire médiatique.
    Alors même qu’une critique rigoureuse du populisme, de ses fondements, de ses fonctions sociales reste encore à faire, le délitement de la figure du « peuple » dans la représentation fait autant problème.
    On peut observer aujourd’hui que ni l’édition – dépendante au mieux de la production française – ni les colloques contraints par nature au champ clos académique, ni les médias, au pouvoir prescriptif souvent abusif, ne peuvent contribuer à une prise en charge éthique et conforme aux normes de la recherche historique du passé national.
    Comme si la société algérienne d’aujourd’hui aspirait à se libérer d’un passé, où les mensonges l’ont longtemps disputé aux mythes.
    reporters.dz
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

  • #2
    Merci Solas

    Merci Solas , tu alimentes ce forum d'articles toujours très intéressants.
    « Le monde est dangereux à vivre ! Non pas tant à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire. » Albert EINSTEIN

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