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Tout le monde connaît à peu près ce qui s’est passé lors du procès dit « de Gdeim Izik », en février 2013, à Rabat, au Maroc. Un tribunal militaire a condamné des civils, militants sahraouis pro-indépendance, à perpétuité pour 8 d’entre eux, à 30 ans pour 4 autres, à 25 et 20 ans pour les 9 suivants.
Énormité des peines
Alors que, si l’acte d’accusation était lourd : « constitution de bande criminelle, violences sur des forces de l’ordre ayant entraîné la mort avec préméditation et mutilation de cadavres »,aucune preuve n’a été produite, et les témoins ont tous été renvoyés sans témoigner…
Toutes les raisons de s’indigner d’un tel verdict, sur lequel il ne peut y avoir de jugement d’appel, c’est-à-dire de discussion sur le fond, car il émane d’un tribunal militaire… Les allégations des accusés, disant que leurs aveux avaient été extorqués sous la torture, n’ont même pas été examinées…
Aujourd’hui, 8 mois après le procès, le dossier judiciaire en est accessible.
Je ne connais personnellement que l’un des accusés, le premier d’entre eux sur la liste, Ennaâma ASFARI : un militant des droits de l’homme de longue date, un intellectuel, qui prépare un doctorat en droit à Nanterre. Eh bien, selon le dossier du procès, voilà ce qu’il aurait déclaré :
« Dans le cadre de la planification de l’idée d’exode d’un groupe de familles à l’extérieur de la ville de Laâyoune et leur installation sous les tentes pour dénoncer la détérioration de leur état social et économique et en tentant de réaliser ce projet et créer la discorde, la terreur et la transgression du règlement et déstabiliser cette ville calme ainsi que sa région ; j’ai fait deux tentatives auparavant en collaboration avec le dénommé Mahmoud Mbarek El Fakir […]. »
« Concernant les armes blanches que vous avez trouvées en ma possession et que vous avez étalées devant moi, je les ai reçues pour les offrir aux éléments de la sécurité intérieure du campement afin de les utiliser pour terroriser certains résidents du campement qui montraient leur désir de retourner chez eux à Laâyoune et nous sommes parvenus à nos fins jusqu’à l’intervention des forces publiques. »
Je ne vais pas plus loin (le dossier fait 242 pages…) : voilà comment un militant des droits de l’homme a tenté de créer la terreur et a menacé la sécurité et les libertés publiques ! Voilà surtout comment un homme, qui est resté en détention sans jugement pendant plus de 2 ans, reconnaît librement avoir fomenté un véritable complot… pour « ses intérêts personnels » !
Bien sûr qu’il s’agit d’une mascarade
Ce dont nos dirigeants font semblant de ne pas s’apercevoir. Quand on les alerte sur l’iniquité d’un tel jugement, et sur la nécessité de faire pression sur le royaume du Maroc pour qu’un procès équitable ait lieu, le président de la République François Hollande fait répondre[1] : « Selon la législation marocaine, la compétence du Tribunal permanent des Forces armées royales, qui est présidé par un magistrat civil, était due au chef d’inculpation de “constitution de bande criminelle et de violences contre les forces de l’ordre…” [voir plus haut]. Le procès s’est en outre déroulé en présence d’une cinquantaine d’observateurs internationaux et marocains, dont le Conseil national des droits de l’homme (CNDH). »
Oui, sur la forme, tout s’est déroulé impeccablement, et les amis du Maroc ont pu s’en féliciter bruyamment !
Mais François Hollande continue en disant : « Toute amélioration durable de la situation des droits de l’homme, au Sahara Occidental et dans les camps de Tindouf, nécessite toutefois un règlement juste et durable du conflit. La France considère que le processus politique doit rester la priorité. »
Voilà qui donne envie de crier !
Cela fait plus de vingt ans que « le processus politique est la priorité », et que la France met son veto au Conseil de sécurité de l’ONU à tout ce qui pourrait ressembler à un début de pression sur le Maroc pour qu’il accepte l’application du droit international, à savoir la mise en œuvre d’un référendum d’autodétermination pour les Sahraouis !
Le dossier de Gdeim Izik n’est que la partie (à peine) émergée de l’iceberg
Le Sahara Occidental n’est pas un territoire autonome :
« En revanche, la Cour conclut que les éléments et renseignements portés à sa connaissance n’établissent l’existence d’aucun lien de souveraineté territoriale entre le territoire du Sahara Occidental d’une part, le Royaume du Maroc ou l’ensemble mauritanien d’autre part.
La Cour n’a donc pas constaté l’existence de liens juridiques de nature à modifier l’application de la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale des Nations Unies quant à la décolonisation du Sahara Occidental et en particulier l’application du principe d’autodétermination grâce à l’expression libre et authentique de la volonté des populations du territoire. » Cour Internationale de Justice, le 16 octobre 1975.
Les choses sont ainsi extrêmement claires.
Mais le Maroc réussit à brouiller les pistes
Avec l’appui de ses alliés occidentaux, dont la France en premier lieu, et l’Espagne, qui s’est lâchement tirée du bourbier colonial en 1975 en « vendant », il n’y a pas d’autre mot, le Sahara Occidental au Maroc et à la Mauritanie, le Maroc réussit à faire croire que le référendum d’autodétermination n’est pas possible pour des raisons techniques de recensement du corps électoral, et depuis propose une solution d’« autonomie » qu’il veut faire prendre comme base valable de négociation à la communauté internationale (l’ONU), à l’exclusion de toute autre.
(Soit dit en passant, quand on voit dans les villes du Sahara occidental occupé la soldatesque omniprésente et les milliers de policiers en uniforme et en civil, alors que le cessez-le-feu signé en 1991 entre le Front Polisario et le Maroc est respecté à la lettre, on se demande quelle peut être la sincérité d’une telle proposition d’autonomie…).
Un témoignage de poids
Voilà justement que cette thèse marocaine de l’impossibilité du référendum est contestée de manière éclatante à l’ONU par une pétitionnaire, dans le cadre des auditions de la 4e Commission chargée de la décolonisation, et pas n’importe quelle pétitionnaire !
Il s’agit de Kathleen THOMAS (américaine) qui, en sa qualité d’ancien membre de la MINURSO (Mission des Nations Unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara Occidental) chargée des questions juridiques, déclare avoir contribué, en 1995, aux négociations sur les critères d’éligibilité, agréés par les parties au conflit, au référendum d’autodétermination, et avoir participé, en 1999, à la publication de la liste des électeurs.
À ce propos, elle confie qu’elle est venue témoigner à ce débat devant la Commission de décolonisation « dans le souci de dissiper le mythe selon lequel le référendum ne pouvait pas avoir lieu en 2000 pour des raisons pratiques ».
Elle confirme alors que « la seule raison pour laquelle ce référendum n’a pas eu lieu, c’est la décision du Maroc de se retirer du processus, parce qu’il a craint que les électeurs sahraouis se prononcent pour l’autodétermination ».
Pour que cette dame prenne soudain la décision de faire une telle révélation relative à des faits vieux de plus de 10 ans, il faut que :
1) elle ait été soumise à un sévère droit de réserve,
2) elle trouve moralement inacceptable de laisser ce gros mensonge sans démenti.
Voilà donc un argument sur lequel la France ne pourra plus s’appuyer avec autant d’assurance pour défendre la seule proposition d’« autonomie » du Maroc….
Tout le monde connaît à peu près ce qui s’est passé lors du procès dit « de Gdeim Izik », en février 2013, à Rabat, au Maroc. Un tribunal militaire a condamné des civils, militants sahraouis pro-indépendance, à perpétuité pour 8 d’entre eux, à 30 ans pour 4 autres, à 25 et 20 ans pour les 9 suivants.
Énormité des peines
Alors que, si l’acte d’accusation était lourd : « constitution de bande criminelle, violences sur des forces de l’ordre ayant entraîné la mort avec préméditation et mutilation de cadavres »,aucune preuve n’a été produite, et les témoins ont tous été renvoyés sans témoigner…
Toutes les raisons de s’indigner d’un tel verdict, sur lequel il ne peut y avoir de jugement d’appel, c’est-à-dire de discussion sur le fond, car il émane d’un tribunal militaire… Les allégations des accusés, disant que leurs aveux avaient été extorqués sous la torture, n’ont même pas été examinées…
Aujourd’hui, 8 mois après le procès, le dossier judiciaire en est accessible.
Je ne connais personnellement que l’un des accusés, le premier d’entre eux sur la liste, Ennaâma ASFARI : un militant des droits de l’homme de longue date, un intellectuel, qui prépare un doctorat en droit à Nanterre. Eh bien, selon le dossier du procès, voilà ce qu’il aurait déclaré :
« Dans le cadre de la planification de l’idée d’exode d’un groupe de familles à l’extérieur de la ville de Laâyoune et leur installation sous les tentes pour dénoncer la détérioration de leur état social et économique et en tentant de réaliser ce projet et créer la discorde, la terreur et la transgression du règlement et déstabiliser cette ville calme ainsi que sa région ; j’ai fait deux tentatives auparavant en collaboration avec le dénommé Mahmoud Mbarek El Fakir […]. »
« Concernant les armes blanches que vous avez trouvées en ma possession et que vous avez étalées devant moi, je les ai reçues pour les offrir aux éléments de la sécurité intérieure du campement afin de les utiliser pour terroriser certains résidents du campement qui montraient leur désir de retourner chez eux à Laâyoune et nous sommes parvenus à nos fins jusqu’à l’intervention des forces publiques. »
Je ne vais pas plus loin (le dossier fait 242 pages…) : voilà comment un militant des droits de l’homme a tenté de créer la terreur et a menacé la sécurité et les libertés publiques ! Voilà surtout comment un homme, qui est resté en détention sans jugement pendant plus de 2 ans, reconnaît librement avoir fomenté un véritable complot… pour « ses intérêts personnels » !
Bien sûr qu’il s’agit d’une mascarade
Ce dont nos dirigeants font semblant de ne pas s’apercevoir. Quand on les alerte sur l’iniquité d’un tel jugement, et sur la nécessité de faire pression sur le royaume du Maroc pour qu’un procès équitable ait lieu, le président de la République François Hollande fait répondre[1] : « Selon la législation marocaine, la compétence du Tribunal permanent des Forces armées royales, qui est présidé par un magistrat civil, était due au chef d’inculpation de “constitution de bande criminelle et de violences contre les forces de l’ordre…” [voir plus haut]. Le procès s’est en outre déroulé en présence d’une cinquantaine d’observateurs internationaux et marocains, dont le Conseil national des droits de l’homme (CNDH). »
Oui, sur la forme, tout s’est déroulé impeccablement, et les amis du Maroc ont pu s’en féliciter bruyamment !
Mais François Hollande continue en disant : « Toute amélioration durable de la situation des droits de l’homme, au Sahara Occidental et dans les camps de Tindouf, nécessite toutefois un règlement juste et durable du conflit. La France considère que le processus politique doit rester la priorité. »
Voilà qui donne envie de crier !
Cela fait plus de vingt ans que « le processus politique est la priorité », et que la France met son veto au Conseil de sécurité de l’ONU à tout ce qui pourrait ressembler à un début de pression sur le Maroc pour qu’il accepte l’application du droit international, à savoir la mise en œuvre d’un référendum d’autodétermination pour les Sahraouis !
Le dossier de Gdeim Izik n’est que la partie (à peine) émergée de l’iceberg
Le Sahara Occidental n’est pas un territoire autonome :
« En revanche, la Cour conclut que les éléments et renseignements portés à sa connaissance n’établissent l’existence d’aucun lien de souveraineté territoriale entre le territoire du Sahara Occidental d’une part, le Royaume du Maroc ou l’ensemble mauritanien d’autre part.
La Cour n’a donc pas constaté l’existence de liens juridiques de nature à modifier l’application de la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale des Nations Unies quant à la décolonisation du Sahara Occidental et en particulier l’application du principe d’autodétermination grâce à l’expression libre et authentique de la volonté des populations du territoire. » Cour Internationale de Justice, le 16 octobre 1975.
Les choses sont ainsi extrêmement claires.
Mais le Maroc réussit à brouiller les pistes
Avec l’appui de ses alliés occidentaux, dont la France en premier lieu, et l’Espagne, qui s’est lâchement tirée du bourbier colonial en 1975 en « vendant », il n’y a pas d’autre mot, le Sahara Occidental au Maroc et à la Mauritanie, le Maroc réussit à faire croire que le référendum d’autodétermination n’est pas possible pour des raisons techniques de recensement du corps électoral, et depuis propose une solution d’« autonomie » qu’il veut faire prendre comme base valable de négociation à la communauté internationale (l’ONU), à l’exclusion de toute autre.
(Soit dit en passant, quand on voit dans les villes du Sahara occidental occupé la soldatesque omniprésente et les milliers de policiers en uniforme et en civil, alors que le cessez-le-feu signé en 1991 entre le Front Polisario et le Maroc est respecté à la lettre, on se demande quelle peut être la sincérité d’une telle proposition d’autonomie…).
Un témoignage de poids
Voilà justement que cette thèse marocaine de l’impossibilité du référendum est contestée de manière éclatante à l’ONU par une pétitionnaire, dans le cadre des auditions de la 4e Commission chargée de la décolonisation, et pas n’importe quelle pétitionnaire !
Il s’agit de Kathleen THOMAS (américaine) qui, en sa qualité d’ancien membre de la MINURSO (Mission des Nations Unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara Occidental) chargée des questions juridiques, déclare avoir contribué, en 1995, aux négociations sur les critères d’éligibilité, agréés par les parties au conflit, au référendum d’autodétermination, et avoir participé, en 1999, à la publication de la liste des électeurs.
À ce propos, elle confie qu’elle est venue témoigner à ce débat devant la Commission de décolonisation « dans le souci de dissiper le mythe selon lequel le référendum ne pouvait pas avoir lieu en 2000 pour des raisons pratiques ».
Elle confirme alors que « la seule raison pour laquelle ce référendum n’a pas eu lieu, c’est la décision du Maroc de se retirer du processus, parce qu’il a craint que les électeurs sahraouis se prononcent pour l’autodétermination ».
Pour que cette dame prenne soudain la décision de faire une telle révélation relative à des faits vieux de plus de 10 ans, il faut que :
1) elle ait été soumise à un sévère droit de réserve,
2) elle trouve moralement inacceptable de laisser ce gros mensonge sans démenti.
Voilà donc un argument sur lequel la France ne pourra plus s’appuyer avec autant d’assurance pour défendre la seule proposition d’« autonomie » du Maroc….
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