Dans la seconde moitié du xive siècle, les documents de la pratique latins et hébraïques dévoilent des flux de corailleurs et de médecins juifs entre Provence, Sardaigne et Catalogne, à l’instar de Mordacays Joseph, Bonjuson Bondavin ou encore Maymon Ferrier. Or, ces juifs qui partent travailler chez l’autre ne semblent connaître ni les affres du déracinement ni celles de l’altérité et ce, non pour les raisons classiquement avancées dans le cadre de la diaspora, donc pas grâce à la solidarité communautaire. L’exemple de l’entreprise du corail à l’échelle de la Méditerranée occidentale dévoile plutôt un emboîtement complexe, dans lequel les frontières culturelles entre les partenaires économiques juifs et chrétiens ne sont pas surdéterminantes.
L’ensemble du monde méditerranéen médiéval a connu une extrême mobilité humaine.
Des groupes ont essaimé sur les pourtours du bassin méditerranéen, au point de former parfois de véritables diasporas, à l’instar des communautés italiennes qui s’étendent des rives de la mer Noire à l’Angleterre, lesquelles constituent de multiples lieux d’accueil pour les marchands péninsulaires. Le concept de diaspora s’applique, bien sûr, par excellence, aux communautés juives qui se pérennisent au Moyen Âge dans les mondes chrétien, occidental et byzantin, et dans le monde arabo-musulman. Les communautés juives médiévales participent d’une même koinê, que décrit, notamment, Benjamin de Tudèle dans son Livre des voyages, au xiie siècle (v.1165/6-1173).
Les relations économiques qu’elles entretiennent entre elles sont bien connues, grâce, en particulier, au fonds d’archives exceptionnel de la Geniza du Caire exploité d’abord par Shelomoh Goitein.
Plus généralement, les historiens, mais aussi les géographes, les économistes et les sociologues se sont déjà beaucoup penchés sur le fonctionnement économique des diasporas, passées et contemporaines. L’examen de migrations individuelles définitives ou de longue durée au sommet de la société juive, dans le milieu des corailleurs et des médecins, au sein d’une aire qui s’étend entre Provence, Catalogne et Sardaigne, permet toutefois de renouveler et de compléter l’approche de la question.
Pour la péninsule Ibérique, les spécialistes sont nombreux également : outre l’œuvre d’Ytzhak Baer, les études de Yom Tov Assis sur les juifs de la Couronne d’Aragon, puis l’ouvrage d’Elka Klein sur les juifs de Barcelone au Moyen Âge,
des travaux sont actuellement en cours sur les juifs de Gérone à partir du fonds hébraïque récemment exhumé, réalisés par l’équipe d’historiens et de paléographes coordonnée par Claude Denjean. La collecte des sources hébraïques médiévales connaît un grand élan depuis quelques années. Mais pour l’heure, les communautés juives restent principalement connues à partir de sources dites « externes », à savoir latines ou romanes, ayant trait à la norme ou à la pratique. C’est le cas, notamment, de la communauté juive de Marseille au xive siècle, qui sert d’ancrage à cette étude. Le fonds exploité est latin – il s’agit principalement d’actes notariés et de pièces judiciaires –, à l’exception d’un registre entièrement rédigé en hébreu.
3Au xive siècle, au temps des Angevins, la communauté juive de Marseille est l’une des trois plus importantes du comté de Provence, estimée entre 1 000 et 2 000 individus, soit environ 10 % de la population totale de la ville. Elle se caractérise par une frange élargie de notables, composée de plusieurs dizaines de familles, détentrices du pouvoir politique dans le cadre de la communauté, du pouvoir économique grâce au prêt à intérêt, à l’artisanat et au commerce, et d’un savoir à deux volets, sacré, mais aussi profane, par le biais de la médecine. Ces élites urbaines juives marseillaises cultivent des solidarités fondées sur la richesse avec la noblesse urbaine chrétienne. Elles investissent dans la terre et dans la pierre, preuve de confiance dans le présent et l’avenir, et preuve de stabilité. Cette stabilité va toutefois de pair avec des migrations de longue durée ou définitives.
4Les juifs marseillais qui partent travailler chez l’autre et qui émergent de la documentation appartiennent à ces élites, à l’instar du corailleur Mordacays Joseph ainsi que du médecin et rabbin Bonjuson Bondavin, tous deux juifs de Marseille partis en Sardaigne à la fin des années 1380, ou encore de leur contemporain catalan Maymon Ferrier, corailleur originaire de Barcelone, qui tente de se faire une place à Marseille avant de s’implanter à Alghero.
5Or, leur parcours, entre Provence, Catalogne et Sardaigne, ne semble pas procéder de mécanismes habituellement opérants en diaspora, dans le sens où ils ne relèvent pas exclusivement de réseaux communautaires ni de solidarités fortes entre minoritaires.
L’ensemble du monde méditerranéen médiéval a connu une extrême mobilité humaine.
Des groupes ont essaimé sur les pourtours du bassin méditerranéen, au point de former parfois de véritables diasporas, à l’instar des communautés italiennes qui s’étendent des rives de la mer Noire à l’Angleterre, lesquelles constituent de multiples lieux d’accueil pour les marchands péninsulaires. Le concept de diaspora s’applique, bien sûr, par excellence, aux communautés juives qui se pérennisent au Moyen Âge dans les mondes chrétien, occidental et byzantin, et dans le monde arabo-musulman. Les communautés juives médiévales participent d’une même koinê, que décrit, notamment, Benjamin de Tudèle dans son Livre des voyages, au xiie siècle (v.1165/6-1173).
Les relations économiques qu’elles entretiennent entre elles sont bien connues, grâce, en particulier, au fonds d’archives exceptionnel de la Geniza du Caire exploité d’abord par Shelomoh Goitein.
Plus généralement, les historiens, mais aussi les géographes, les économistes et les sociologues se sont déjà beaucoup penchés sur le fonctionnement économique des diasporas, passées et contemporaines. L’examen de migrations individuelles définitives ou de longue durée au sommet de la société juive, dans le milieu des corailleurs et des médecins, au sein d’une aire qui s’étend entre Provence, Catalogne et Sardaigne, permet toutefois de renouveler et de compléter l’approche de la question.
- 5 . Joseph Shatzmiller, Recherches sur la communauté juive de Manosque. 1241-1329, Paris / La Haye,
- 6 . Cecilia Tasca, Gli Ebrei in Sardegna nel XIV secolo. Società, cultura, istituzioni, Cagliari, D
- 7 . Ytzhak Fritz Baer, A History of the Jews in Christian Spain,t. 1 : From the Age of Reconquest t
- 8 . Il s’agit de JACOV – acronyme de « De Juifs à Chrétiens : Origine des Valeurs sur les marchés mé
- 9 . Le projet Books within Books : Hebrew Fragments in European Libraries mobilise un réseau de cher
- 10 . Juliette Sibon, Les juifs de Marseille au xive siècle, Paris, Le Cerf, 2011.
- 11 . Archives municipales de Marseille, 10 II 1.
Pour la péninsule Ibérique, les spécialistes sont nombreux également : outre l’œuvre d’Ytzhak Baer, les études de Yom Tov Assis sur les juifs de la Couronne d’Aragon, puis l’ouvrage d’Elka Klein sur les juifs de Barcelone au Moyen Âge,
des travaux sont actuellement en cours sur les juifs de Gérone à partir du fonds hébraïque récemment exhumé, réalisés par l’équipe d’historiens et de paléographes coordonnée par Claude Denjean. La collecte des sources hébraïques médiévales connaît un grand élan depuis quelques années. Mais pour l’heure, les communautés juives restent principalement connues à partir de sources dites « externes », à savoir latines ou romanes, ayant trait à la norme ou à la pratique. C’est le cas, notamment, de la communauté juive de Marseille au xive siècle, qui sert d’ancrage à cette étude. Le fonds exploité est latin – il s’agit principalement d’actes notariés et de pièces judiciaires –, à l’exception d’un registre entièrement rédigé en hébreu.
3Au xive siècle, au temps des Angevins, la communauté juive de Marseille est l’une des trois plus importantes du comté de Provence, estimée entre 1 000 et 2 000 individus, soit environ 10 % de la population totale de la ville. Elle se caractérise par une frange élargie de notables, composée de plusieurs dizaines de familles, détentrices du pouvoir politique dans le cadre de la communauté, du pouvoir économique grâce au prêt à intérêt, à l’artisanat et au commerce, et d’un savoir à deux volets, sacré, mais aussi profane, par le biais de la médecine. Ces élites urbaines juives marseillaises cultivent des solidarités fondées sur la richesse avec la noblesse urbaine chrétienne. Elles investissent dans la terre et dans la pierre, preuve de confiance dans le présent et l’avenir, et preuve de stabilité. Cette stabilité va toutefois de pair avec des migrations de longue durée ou définitives.
4Les juifs marseillais qui partent travailler chez l’autre et qui émergent de la documentation appartiennent à ces élites, à l’instar du corailleur Mordacays Joseph ainsi que du médecin et rabbin Bonjuson Bondavin, tous deux juifs de Marseille partis en Sardaigne à la fin des années 1380, ou encore de leur contemporain catalan Maymon Ferrier, corailleur originaire de Barcelone, qui tente de se faire une place à Marseille avant de s’implanter à Alghero.
5Or, leur parcours, entre Provence, Catalogne et Sardaigne, ne semble pas procéder de mécanismes habituellement opérants en diaspora, dans le sens où ils ne relèvent pas exclusivement de réseaux communautaires ni de solidarités fortes entre minoritaires.
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