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Contes et légendes du couscous

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  • Contes et légendes du couscous

    L’on raconte qu’autrefois où la viande était rare, si rare qu’on en rêvait, un homme dit un jour à sa femme :
    - Demain nous aurons des invités. J’achèterai de la viande au marché pour que tu puisses nous faire un bon couscous de fête.

    Il se rendit donc au marché de grand matin et il en revint, tenant dans ses mains un chapelet de morceaux de viande, enfilés comme des oignons le long d’un brin de jonc.
    C’était de la belle viande de mouton tendre et grasse. La femme avait déjà allumé le feu dans la cour et roulé le grain du couscous, un grain si blond qu’il répandait de la lumière.
    Elle avait épluché et lavé les légumes.
    Elle avait mis la viande à macérer dans l’huile d’olive et toutes sortes d’aromates et d’épices : viande et légumes remplissaient une terrine.
    La femme les jeta dans la marmite. Puis elle mit à cuire le couscous à la vapeur et vint tranquillement s’asseoir sur le pas de sa porte ; son mari pourrait être fier d’elle, le repas serait prêt à l’heure et il promettait d’être excellent.

    Au bout d’un moment, un agréable fumet se répandit dans la cour. La femme se leva pour goûter le sel. La viande était presque cuite : elle en prit un morceau et s’éloigna.
    Mais l’odeur la suivait, la bonne odeur de la sauce l’enveloppait et la ramenait irrésistiblement vers la marmite. La femme taquina le feu, ajouta une bûche, alla même jusqu’à l’outre en peau de chèvre au fond de la cour. Mais le vent lui renvoya au visage la bonne odeur de la sauce.
    Alors elle revint sur ses pas, tourna en rond, ajouta encore une bûche et finit par soulever le couvercle.
    Elle retira un morceau de viande puis un autre. Un autre et encore un autre…
    Elle mangeait avec tant de fièvre et si vite qu’elle se brûlait les doigts et la langue. Et si au moins sa gourmandise s’en trouvait contentée !
    Mais on eût dit qu’elle se faisait plus exigeante à mesure que la femme retirait morceau sur morceau. Résolue à en manger un dernier morceau, la femme plongea encore une fois la louche mais ne ramena que légumes.
    Affolée, la femme la plongea et la replongea désespérément : la marmite ne contenait plus un seul morceau de viande ! Alors, la malheureuse se souvint des invités que son mari devait lui amener.
    Qu’allait-elle leur présenter ? Comme elle s’arrachait les cheveux d’angoisse, Ali, son petit garçon, poussa la porte et entra. Il venait de courir dans les champs et de boire à la source.
    Il était rose et tout essoufflé.
    Elle l’égorgea comme un agneau et le coupa en morceaux qu’elle jeta précipitamment dans la marmite. Elle fait disparaître les dernières traces de son crime, lorsque rentra l’aînée, une fillette silencieuse et douce. Zaïna comprit mais ne dit mot, craignant sans doute le même sort.
    Elle se retira tristement dans un coin.
    Peu après, arriva le père, accompagné de ses invités. Le repas était prêt et la sauce répandait une odeur engageante. Tous mangèrent de grand appétit, à l’exception de la fillette.
    L’homme s’étonna bien de ne pas voir le petit garçon qu’il aimait comme sa prunelle. Mais la femme répondit :
    - Mes parents s’ennuyaient de lui. Ils sont venus le chercher avec leur âne, ce matin.

    L’homme se remit à manger de plus belle. Quand il ne resta plus un seul morceau de viande ni un grain de couscous, l’homme, satisfait, offrit des fruits et du café à ses hôtes. Et puis il les reconduisit. Et la femme courut rapporter un tamis qu’une voisine lui avait prêté.
    Alors, Zaïna s’approcha du grand plat de bois qui avait contenu le festin : il était vide maintenant. Seuls quelques os fragiles et blancs traînaient au fond : c’était là tout ce qui restait de son frère. La fillette les ramassa soigneusement, les essuya et les étendis sur le toit.
    Quand ils furent bien secs, elle les enveloppa délicatement dans un linge fin et les cacha dans sa couchette.
    Dès que s’éloignaient ses parents, la fillette prenait le linge sur ses genoux et pleurait, pleurait son petit compagnon. Ainsi fit-elle chaque jour.
    Or voici que sous l’effet des larmes qui chaque jour tombaient en pluie sur eux, les petits os se ressoudèrent les uns aux autres. Et c’est un bel oiseau qui s’échappa du linge, un matin, pour se poser su le toit et chanter :

    « Ma mère m’a égorgé, égorgé…
    Mon père m’a mangé, mangé…
    Ma sœur a rassemblé mes os. »
    La petite fille reconnut la voix de son frère et se mit à trembler. « Que va faire mon père quand il entendra ? » se dit-elle. Car chaque jour le père demandait :
    - Où est le petit ?
    Et la femme répondait, de plus en plus embarrassée :
    - Il est chez mes parents, il rentrera bientôt.
    Arriva le moment où la femme ne put plus répondre : « Il est chez mes parents, il rentrera bientôt ». Car l’homme devenait soupçonneux. Elle dut finir par dire, le jour où elle se sentit acculée :
    - Je ne sais ce que le petit est devenu. Ma mère m’a dit qu’il a disparu.
    La femme venait juste d’apporter un grand plat de couscous garni de viande et de légumes, car c’était jour de marché.
    - C’est un jour comme celui-ci, et à pareille heure que je me suis inquiété pour la première fois du petit, dit l’homme d’une voix sombre.
    C’est alors que l’oiseau se posa sur le toit et se mit à chanter :
    « Ma mère m’a égorgé, égorgé…
    Mon père m’a mangé, mangé…
    Ma sœur a rassemblé mes os. »
    Le père comprit. Il se leva, terrible, et marcha vers la femme. Mais alors l’oiseau chanta à nouveau, avec la douce voix de l’enfant :
    « Garde-toi bien de la tuer, tuer…
    Car ma sœur pleurerait, pleurerait…
    Et serait orpheline. »
    L’oiseau ne revient plus sur le toit. La mère fut pardonnée. La fillette cessa de trembler. Mais l’homme perdit à jamais le goût de vivre.



    « Le grain magique. Contes, poèmes et proverbes

    berbères de Kabylie », Taos Amrouche, Editions La découverte/Poche, 1996.
    Dernière modification par katiaret, 08 novembre 2013, 22h57.
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