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Mouloud Feraoun : "Ils nous coudoient continuellement sans nous voir"

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  • Mouloud Feraoun : "Ils nous coudoient continuellement sans nous voir"

    Il y a quelques années, la critique saluait, comme la naissance d’un printemps timide, l’éclosion d’une certaine littérature algérienne qui fut reçue en France avec cet intérêt anxieux que suscitent, dans les moments difficiles, des messagers authentiques. Pour la première fois, une certaine Algérie faisait entendre sa voix, une voix qui ne trompait pas, un langage qui venait du cœur et qui empoignait les cœurs. Quelques écrivains, musulmans de naissance et de tradition, bénéficiant d’un accueil chaleureux, s’installaient de plain-pied dans la littérature française. D’où vient cet intérêt et, aussi, pourquoi cette floraison de bon augure ?

    Dans le drame cruel qui nous déchire depuis de longs mois, il pourrait sembler puéril et vain de se poser de telles questions alors que l’unique problème qui doit tous nous préoccuper est celui de notre commune angoisse, de nos deuils communs. Condamné à un douloureux mutisme, au cours d’un tragique affrontement, nous croyons cependant que l’écrivain peut jeter un regard en arrière pour tenter de découvrir, dans un passé plus serein, les promesses d’un avenir fraternel qu’il a voulu aider à préparer, ne serait-ce que pour se justifier, pour déclarer sans rougir qu’il pas failli à sa tâche, en même temps qu’il redit son espoir. L’intérêt vient, sans doute, de ce que l’on était prêt à nous entendre et qu’on attendait de nous des témoignages sincères ; la floraison s’explique par notre impérieux besoin de témoigner sincèrement, entièrement, de saisir notre réalité sur le vif et dans tous ses aspects afin de dissiper des malentendus tenaces et de priver les consciences tranquilles de l’excuse de l’ignorance.

    Tout cela, nous le trouvons dans les œuvres de Gabriel Audisio, Albet Camus, Edmond Brua, Jules Roy, Rosfelder, Claude de Fréminville, René Jeans Clot, Marcel Moussy, Emmanuel Roblès. Cependant, ce milieu familier, où nous ne discernons ni parti pris, ni outrance, demeure malgré tout étranger au nôtre : voisin, si l’on veut, juxtaposé, bien distinct. On peut y rencontrer une chaude sympathie pour l’autochtone, parfois même de l’amitié, mais en général l’autochtone en est absent, et si nous le déplorons profondément les uns et les autres, ce n’est pas du fait de l’écrivain, il ne s’agit pas d’une regrettable lacune littéraire, c’est tout bonnement une des tristes réalités algériennes. Celle qui a assuré une stupide permanence à l’hostilité initiale en cultivant l’indifférence et le plus souvent le mépris. Or, si nous connaissons Meursault au point de pouvoir mettre un nom sur son visage parce qu’il est bien de chez nous, ce n’est pas par hasard, que l’Étranger tue un Arabe et se voit condamné à mort. Les annales judiciaires pourraient peut-être révéler combien d’Européens ont été condamnés à mort pour avoir tué un Arabe. Nous savons donc à quoi nous en tenir : si nous sommes absents dans l’œuvre d’un Camus qui ne cesse de proclamer noblement la misère et la grandeur de la condition humaine, si les Algériens de Moussy (…) nous coudoient continuellement sans nous voir, c’est que ni Moussy ni Camus ni presque tous les autres n’ont pu venir jusqu’à nous pour suffisamment nous connaître.

    La Dépêche de Kabylie
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