VOUS ÊTES ARABES PUISQUE JE VOUS LE DIS !
Par Franck Salameh
Un siècle après l'effondrement de l'Empire ottoman et l'émergence de l'actuel système d'État, l'Occident ne cesse de voir le Proche-Orient à travers le prisme monoculturel et les préjugés du nationalisme arabe. Or, cette vision défectueuse, bien que flatteuse vis-à-vis des engagements des nationalistes arabes et de leurs sympathisants occidentaux, met à l'écart d'importants récits historiques et de légitimes revendications nationales prônés par des dizaines de millions de minorités non arabes marginalisées. Du coup, cet oubli, ou plutôt ce rejet du récit minoritaire, a conduit à une lecture tendancieuse et imparfaite de l'histoire du Proche-Orient et de ses peuplades bafouées. Cela a par conséquent contribué à une époque moderne turbulente dans cette région, ainsi qu'à des rapports tumultueux et confus entre ce Proche-Orient, estimé à défaut monoculturel, et ses partenaires étrangers. Cette étude espère jeter de la lumière sur la question des minorités non arabes du Proche-Orient, tente de remettre en examen les propensions négatrices du récit historique dominant des arabisants et propose un traitement plus impartial d'une région du monde qui est remarquablement riche et diverse dans son histoire, ses cultures, ses langues, ses ethnies, ses croyances et ses mémoires collectives.
Le titre de cette étude tire ses origines du discours nationaliste de Sati’ al-Housri [1], prophète du nationalisme intégral arabe des années 1930 et guide spirituel de Michel Aflak, idéologue-en-chef et fondateur du fameux parti Baas. Quoique moqueur en apparence, ce titre mérite bien d’être mis en examen, surtout à la lumière de l’arabisme forcé qu’il prescrit. Cette remise en question est d’autant plus pertinente compte tenu des bouleversements phénoménaux survenus au cours des quelques dernières années, non seulement dans les divers pays du Proche-Orient, mais aussi dans nos idées reçues et nos perceptions, en tant qu’Occidentaux, vis-à-vis de cette région du monde.
De surcroît, le titre de cet essai préconise une vision restrictive d’un Proche-Orient prétendu homogène, uniculturel, arabe, tel que l’avait revendiqué al-Housri. En bref, un monde issu d’une idéologie qui veut que toute personne « arabophone », en dépit de ses références culturelles et de ses accrétions historiques, se déclare arabe, sans équivoques ni réserves. Or cette conception arbitraire, voire violente, qui veut que l’on soit arabe malgré soi, pour la simple raison que l’on fait usage de la langue arabe, qui n’est d’ailleurs pas une langue parlée, est chose nouvelle dans le Moyen-Orient. Elle date du début des années 1930, de la montée de l’extrême droite, du fascisme patriotard et du pangermanisme intégral de l’Europe nazie–idéologies et engouements desquels s’étaient imprégnés Sati’ al-Housri, Michel Aflak et tous leurs compagnons de route arabisants.
Or cette conception fermée de l’identité ne représentait aucunement les revendications de la mosaïque culturelle, ethnique, religieuse et linguistique qu’a toujours été le Moyen-Orient, depuis la nuit des temps. Néanmoins, les élites intellectuelles « arabophones » du début du siècle dernier, qui cherchaient à se défaire de l’emprise d’un Empire ottoman en déroute–ainsi que les puissances mandataires (France et Royaume Uni) qui faisaient cause commune avec ces nationalistes autochtones ont trouvé dans le nationalisme arabe une explication pratique et facile à ce paradoxe multiethnique que demeure le Proche-Orient de nos jours. D’où l’option simpliste arabisante.
Cela n’a pour autant pas contribué à un meilleur pronostique, ni même à une solution équitable aux conflits politiques et culturels qui sévissent encore au Proche-Orient. Les massacres et l’arabisation forcée des Kurdes en Irak, et leur répression en Turquie et en Syrie, la persécution continue des minorités coptes en Égypte, l’abus et le harcèlement des Chrétiens du Liban, les représailles violentes contre les Assyriens et les Chaldéens de l’Irak, l’isolement forcé de l’État hébreu dans un environnement hostile, et le recours à bien d’autres tactiques de violence, d’intimidation et de négation culturelle à l’encontre de toute minorité qui refuse de se conformer aux exigences de l’arabisme, tout cela n’est que confirmation de l’exclusivisme et du chauvinisme agressif arabisant, mais aussi de la diversité ethnique qui, malgré tout, demeure une réalité assez résiliente au Moyen-Orient.
En effet, si l’actuel débattement trouble des États-Unis en Irak a pu produire un quelconque résultat positif, hormis le déclenchement timide de quelques démocraties néophytes, c’est justement le dévoilement d’un Proche-Orient culturel et ethnique d’une extrême diversité, un univers nouveau, vieux de plusieurs millénaires, qui sombrait depuis déjà un siècle sous le joug d’un arabisme étroit et d’un dirigisme culturel restrictif et négateur, mis une fois de plus à la lumière.
PROCHE-ORIENT PLURIEL OU MONDE ARABE RESTRICTIF ?
L’Histoire est le produit le plus dangereux que la chimie de l’intellect ait élaboré. Ses propriétés sont bien connues. Il fait rêver, il enivre les peuples, leur engendre de faux souvenirs, exagère leurs réflexes, entretient leurs vieilles plaies, les tourmente dans leur repos, les conduit au délire des grandeurs ou à celui de la persécution, et rend les nations amères, superbes, insupportables et vaines. […] L’Histoire justifie ce que l’on veut. Elle n’enseigne rigoureusement rien, car elle contient tout, et donne des exemples de tout.[2]
Dans cet âpre passage de son Regards sur le Monde Actuel, Paul Valéry semblait, à coup sûr, viser l’irrédentisme brutal de l’Allemagne nazie sévissant dans l’Europe des années 1940. Mais, de nos jours, il existe peu de mots aussi pertinents qui pourraient aussi véridiquement dépeindre les réflexes vaniteux et la répression culturelle pratiqués par les adeptes de l’arabisme et du nationalisme arabe. Les chimères d’une unité linguistique, la prétendue harmonie nationale, la mémoire collective, les tourments, les injures, les « vielles plaies » et les souvenirs de grandeur, dégoisés à jets continus par le récit national arabe, ne détiennent ni plus ni moins de vérités ou de légitimité que les émotions exprimées par ceux qui refusent de se fondre dans ce leitmotiv arabisant. En effet, cette intransigeance et ce refus de reconnaître tout discours prêtant légitimité ou dignité aux peuples non arabes du Moyen-Orient, ont transformé ces nobles Arabes–du moins aux yeux de leurs minorités opprimées–en insupportables bastonneurs, odieux, arrogants et négateurs.
Considérons pour un moment la langue arabe, la pierre angulaire du nationalisme arabe tel que l’ont conçu al-Housri et ses collaborateurs. L’arabe n’est pas une langue parlée uniforme, mais plusieurs parlés génériques, qui sont souvent mutuellement incompréhensibles. La langue proprement dite « arabe », c’est plutôt un arcane binaire, une langue savante spécialisée d’un côté, et de l’autre, un mélange de dialectes et de patois se rapprochant de la situation du latin de l’Europe médiévale et de ses correspondants « dialectes » français, italien, espagnol et portugais. En effet, tout comme le latin médiéval, l’arabe proprement dit reste le domaine de l’enseignement et des médias, et non pas des parlés quotidiens. Entre eux, les « Arabes » parlent une multiplicité d’idiomes, souvent dévalorisés au niveau de « simples dialectes », mais des idiomes qui, selon un linguiste de Harvard, le professeur Wheeler Thackston, « se ressemblent entre eux et ressemblent à l’arabe [proprement dit] autant que le latin médiéval ressemble à l’anglais [de nos jours] »[3]. Or, malgré sa situation archaïque et bien qu’elle ne soit la langue parlée de personne, cette langue arabe continue d’être considérée par al-Housri et ses partisans comme le ciment de la nationalité arabe et l’instrument par lequel ils s’acharnent à nier les revendications culturelles des minorités ethniques du Moyen-Orient.
En outre, pour bon nombre « d’arabophones », tels que les Coptes d’Égypte, les Maronites du Liban, les Assyriens et les Chaldéens d’Irak, ainsi que pour bien d’autres–Kurdes, Arméniens et Turcomans–une unité arabe et une identité cohésive arabe fondées sur une prétendue unité linguistique seraient un raisonnement aussi cohérent et aussi persuasif qu’un nationalisme français conçu et établi sur une unité linguistique française, et qui serait inclusif des Belges, des Québécois, des Luxembourgeois et des Suisses. De même, une identité anglaise renfermant anglophones, irlandais, écossais, gallois et américains dans une même appartenance nationale, n’aurait pas de sens dans le monde d’aujourd’hui. Pourtant, c’est dans ce sens-là que les arabisants ont oeuvré, depuis bientôt un siècle, à mettre tout le Moyen-Orient dans un même sac.
QU'EST-CE QU'UN ARABE ?
Ce n’est pas pour autant qu’il faut refuser la légitimité de l’identité arabe. Les peuples qui se désignent ou se définissent comme arabes aujourd’hui ne sont pas une illusion. L’histoire et la culture dont ils se vantent, romancées et embellies comme c’est souvent le cas, ne sont pas une invention. Par la même occasion, le concept de nationalisme arabe, de l’identité arabe et de la culture arabe est devenu une référence pratique impérieuse et compréhensive, à la mode, mais qui inclut de force toute personne venant du Moyen-Orient, qu’elle soit arabe ou pas. Sati’ al-Housri a été inconditionnel, sans réserve et à la limite brutal à cet égard. Il affirma que les nationalistes arabes :
ne devraient en aucun cas dire « tant qu’un [arabophone] ne souhaite pas être arabe, et tant qu’il est dédaigneux de son arabité, il n’est donc pas arabe ». Il est arabe, qu’il le veuille ou non ! Qu’il soit ignorant, indifférent, peu consciencieux ou déloyal à son arabité, il est [et demeurera] arabe, mais un Arabe sans sentiments et sans conscience nationale, et peut-être même sans conscience, tout court, mais arabe tout de même.[4]
Michel Aflak fit même appel à la violence et à la cruauté contre les minorités chrétiennes et juives du Moyen-Orient qui s’entêtaient à refuser de se soumettre à l’identité arabe telle qu’il la concevait. Ainsi, il a prêché que les nationalistes arabes devaient être :
impitoyables envers eux-mêmes et impitoyables envers les autres [… et] imprégnés de haine […] jusqu’à la mort, envers toute personne qui incarnait une idée contraire à l’idée du nationalisme arabe. […] Une théorie contraire [à la nôtre] ne part pas de rien : elle incarne des individus qui, eux-mêmes, devraient être anéantis afin que l’idée même [l’idée contraire à la nôtre] puisse être anéantie à son tour.[5]
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Par Franck Salameh
Un siècle après l'effondrement de l'Empire ottoman et l'émergence de l'actuel système d'État, l'Occident ne cesse de voir le Proche-Orient à travers le prisme monoculturel et les préjugés du nationalisme arabe. Or, cette vision défectueuse, bien que flatteuse vis-à-vis des engagements des nationalistes arabes et de leurs sympathisants occidentaux, met à l'écart d'importants récits historiques et de légitimes revendications nationales prônés par des dizaines de millions de minorités non arabes marginalisées. Du coup, cet oubli, ou plutôt ce rejet du récit minoritaire, a conduit à une lecture tendancieuse et imparfaite de l'histoire du Proche-Orient et de ses peuplades bafouées. Cela a par conséquent contribué à une époque moderne turbulente dans cette région, ainsi qu'à des rapports tumultueux et confus entre ce Proche-Orient, estimé à défaut monoculturel, et ses partenaires étrangers. Cette étude espère jeter de la lumière sur la question des minorités non arabes du Proche-Orient, tente de remettre en examen les propensions négatrices du récit historique dominant des arabisants et propose un traitement plus impartial d'une région du monde qui est remarquablement riche et diverse dans son histoire, ses cultures, ses langues, ses ethnies, ses croyances et ses mémoires collectives.
Le titre de cette étude tire ses origines du discours nationaliste de Sati’ al-Housri [1], prophète du nationalisme intégral arabe des années 1930 et guide spirituel de Michel Aflak, idéologue-en-chef et fondateur du fameux parti Baas. Quoique moqueur en apparence, ce titre mérite bien d’être mis en examen, surtout à la lumière de l’arabisme forcé qu’il prescrit. Cette remise en question est d’autant plus pertinente compte tenu des bouleversements phénoménaux survenus au cours des quelques dernières années, non seulement dans les divers pays du Proche-Orient, mais aussi dans nos idées reçues et nos perceptions, en tant qu’Occidentaux, vis-à-vis de cette région du monde.
De surcroît, le titre de cet essai préconise une vision restrictive d’un Proche-Orient prétendu homogène, uniculturel, arabe, tel que l’avait revendiqué al-Housri. En bref, un monde issu d’une idéologie qui veut que toute personne « arabophone », en dépit de ses références culturelles et de ses accrétions historiques, se déclare arabe, sans équivoques ni réserves. Or cette conception arbitraire, voire violente, qui veut que l’on soit arabe malgré soi, pour la simple raison que l’on fait usage de la langue arabe, qui n’est d’ailleurs pas une langue parlée, est chose nouvelle dans le Moyen-Orient. Elle date du début des années 1930, de la montée de l’extrême droite, du fascisme patriotard et du pangermanisme intégral de l’Europe nazie–idéologies et engouements desquels s’étaient imprégnés Sati’ al-Housri, Michel Aflak et tous leurs compagnons de route arabisants.
Or cette conception fermée de l’identité ne représentait aucunement les revendications de la mosaïque culturelle, ethnique, religieuse et linguistique qu’a toujours été le Moyen-Orient, depuis la nuit des temps. Néanmoins, les élites intellectuelles « arabophones » du début du siècle dernier, qui cherchaient à se défaire de l’emprise d’un Empire ottoman en déroute–ainsi que les puissances mandataires (France et Royaume Uni) qui faisaient cause commune avec ces nationalistes autochtones ont trouvé dans le nationalisme arabe une explication pratique et facile à ce paradoxe multiethnique que demeure le Proche-Orient de nos jours. D’où l’option simpliste arabisante.
Cela n’a pour autant pas contribué à un meilleur pronostique, ni même à une solution équitable aux conflits politiques et culturels qui sévissent encore au Proche-Orient. Les massacres et l’arabisation forcée des Kurdes en Irak, et leur répression en Turquie et en Syrie, la persécution continue des minorités coptes en Égypte, l’abus et le harcèlement des Chrétiens du Liban, les représailles violentes contre les Assyriens et les Chaldéens de l’Irak, l’isolement forcé de l’État hébreu dans un environnement hostile, et le recours à bien d’autres tactiques de violence, d’intimidation et de négation culturelle à l’encontre de toute minorité qui refuse de se conformer aux exigences de l’arabisme, tout cela n’est que confirmation de l’exclusivisme et du chauvinisme agressif arabisant, mais aussi de la diversité ethnique qui, malgré tout, demeure une réalité assez résiliente au Moyen-Orient.
En effet, si l’actuel débattement trouble des États-Unis en Irak a pu produire un quelconque résultat positif, hormis le déclenchement timide de quelques démocraties néophytes, c’est justement le dévoilement d’un Proche-Orient culturel et ethnique d’une extrême diversité, un univers nouveau, vieux de plusieurs millénaires, qui sombrait depuis déjà un siècle sous le joug d’un arabisme étroit et d’un dirigisme culturel restrictif et négateur, mis une fois de plus à la lumière.
PROCHE-ORIENT PLURIEL OU MONDE ARABE RESTRICTIF ?
L’Histoire est le produit le plus dangereux que la chimie de l’intellect ait élaboré. Ses propriétés sont bien connues. Il fait rêver, il enivre les peuples, leur engendre de faux souvenirs, exagère leurs réflexes, entretient leurs vieilles plaies, les tourmente dans leur repos, les conduit au délire des grandeurs ou à celui de la persécution, et rend les nations amères, superbes, insupportables et vaines. […] L’Histoire justifie ce que l’on veut. Elle n’enseigne rigoureusement rien, car elle contient tout, et donne des exemples de tout.[2]
Dans cet âpre passage de son Regards sur le Monde Actuel, Paul Valéry semblait, à coup sûr, viser l’irrédentisme brutal de l’Allemagne nazie sévissant dans l’Europe des années 1940. Mais, de nos jours, il existe peu de mots aussi pertinents qui pourraient aussi véridiquement dépeindre les réflexes vaniteux et la répression culturelle pratiqués par les adeptes de l’arabisme et du nationalisme arabe. Les chimères d’une unité linguistique, la prétendue harmonie nationale, la mémoire collective, les tourments, les injures, les « vielles plaies » et les souvenirs de grandeur, dégoisés à jets continus par le récit national arabe, ne détiennent ni plus ni moins de vérités ou de légitimité que les émotions exprimées par ceux qui refusent de se fondre dans ce leitmotiv arabisant. En effet, cette intransigeance et ce refus de reconnaître tout discours prêtant légitimité ou dignité aux peuples non arabes du Moyen-Orient, ont transformé ces nobles Arabes–du moins aux yeux de leurs minorités opprimées–en insupportables bastonneurs, odieux, arrogants et négateurs.
Considérons pour un moment la langue arabe, la pierre angulaire du nationalisme arabe tel que l’ont conçu al-Housri et ses collaborateurs. L’arabe n’est pas une langue parlée uniforme, mais plusieurs parlés génériques, qui sont souvent mutuellement incompréhensibles. La langue proprement dite « arabe », c’est plutôt un arcane binaire, une langue savante spécialisée d’un côté, et de l’autre, un mélange de dialectes et de patois se rapprochant de la situation du latin de l’Europe médiévale et de ses correspondants « dialectes » français, italien, espagnol et portugais. En effet, tout comme le latin médiéval, l’arabe proprement dit reste le domaine de l’enseignement et des médias, et non pas des parlés quotidiens. Entre eux, les « Arabes » parlent une multiplicité d’idiomes, souvent dévalorisés au niveau de « simples dialectes », mais des idiomes qui, selon un linguiste de Harvard, le professeur Wheeler Thackston, « se ressemblent entre eux et ressemblent à l’arabe [proprement dit] autant que le latin médiéval ressemble à l’anglais [de nos jours] »[3]. Or, malgré sa situation archaïque et bien qu’elle ne soit la langue parlée de personne, cette langue arabe continue d’être considérée par al-Housri et ses partisans comme le ciment de la nationalité arabe et l’instrument par lequel ils s’acharnent à nier les revendications culturelles des minorités ethniques du Moyen-Orient.
En outre, pour bon nombre « d’arabophones », tels que les Coptes d’Égypte, les Maronites du Liban, les Assyriens et les Chaldéens d’Irak, ainsi que pour bien d’autres–Kurdes, Arméniens et Turcomans–une unité arabe et une identité cohésive arabe fondées sur une prétendue unité linguistique seraient un raisonnement aussi cohérent et aussi persuasif qu’un nationalisme français conçu et établi sur une unité linguistique française, et qui serait inclusif des Belges, des Québécois, des Luxembourgeois et des Suisses. De même, une identité anglaise renfermant anglophones, irlandais, écossais, gallois et américains dans une même appartenance nationale, n’aurait pas de sens dans le monde d’aujourd’hui. Pourtant, c’est dans ce sens-là que les arabisants ont oeuvré, depuis bientôt un siècle, à mettre tout le Moyen-Orient dans un même sac.
QU'EST-CE QU'UN ARABE ?
Ce n’est pas pour autant qu’il faut refuser la légitimité de l’identité arabe. Les peuples qui se désignent ou se définissent comme arabes aujourd’hui ne sont pas une illusion. L’histoire et la culture dont ils se vantent, romancées et embellies comme c’est souvent le cas, ne sont pas une invention. Par la même occasion, le concept de nationalisme arabe, de l’identité arabe et de la culture arabe est devenu une référence pratique impérieuse et compréhensive, à la mode, mais qui inclut de force toute personne venant du Moyen-Orient, qu’elle soit arabe ou pas. Sati’ al-Housri a été inconditionnel, sans réserve et à la limite brutal à cet égard. Il affirma que les nationalistes arabes :
ne devraient en aucun cas dire « tant qu’un [arabophone] ne souhaite pas être arabe, et tant qu’il est dédaigneux de son arabité, il n’est donc pas arabe ». Il est arabe, qu’il le veuille ou non ! Qu’il soit ignorant, indifférent, peu consciencieux ou déloyal à son arabité, il est [et demeurera] arabe, mais un Arabe sans sentiments et sans conscience nationale, et peut-être même sans conscience, tout court, mais arabe tout de même.[4]
Michel Aflak fit même appel à la violence et à la cruauté contre les minorités chrétiennes et juives du Moyen-Orient qui s’entêtaient à refuser de se soumettre à l’identité arabe telle qu’il la concevait. Ainsi, il a prêché que les nationalistes arabes devaient être :
impitoyables envers eux-mêmes et impitoyables envers les autres [… et] imprégnés de haine […] jusqu’à la mort, envers toute personne qui incarnait une idée contraire à l’idée du nationalisme arabe. […] Une théorie contraire [à la nôtre] ne part pas de rien : elle incarne des individus qui, eux-mêmes, devraient être anéantis afin que l’idée même [l’idée contraire à la nôtre] puisse être anéantie à son tour.[5]
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