Lundi 11 novembre, la Cour pénale internationale (CPI) a rejeté la demande de mise en liberté provisoire de Laurent Gbagbo. Pourtant, ils sont de plus en plus nombreux à espérer que l'ancien président ivoirien sera bientôt autorisé à quitter La Haye. Il y a quelques mois encore, cela paraissait impensable.
Article publié dans N°2755 de Jeune Afrique (en vente du 27 octobre au 9 novembre)
À Abidjan, l'image fait fantasmer ses partisans. Pascal Affi Nguessan, le président du Front populaire ivoirien (FPI), relâché en août après plus de deux années en prison, imagine déjà les scènes de joie qui ne manqueraient pas de saluer la libération de Laurent Gbagbo. Lui-même n'a-t-il pas été accueilli dans l'allégresse dans son village de Bongouanou début août ? Ne lui a-t-on pas offert pagnes et moutons pour célébrer son retour ? À Paris, un ancien conseiller politique de Gbagbo promet, avec le même enthousiasme, des mouvements de foule "plus grands que si Didier Drogba ramenait la Coupe du monde en Côte d'Ivoire". Depuis Accra, où il s'est installé, Justin Koné Katinan, le porte-parole de l'ancien président, assure que, si son mentor était libéré, des centaines de cadres du FPI rentreraient au pays "puisqu'ils n'auraient plus de raison d'être en exil". Gbagbo lui-même s'y verrait déjà, si l'on en croit l'un de ses proches : "Il est en train de faire ses valises !"
Sauf que tous vont sans doute un peu vite en besogne, et que Gbagbo, hôte bien involontaire de la prison de Scheveningen, aux Pays-Bas, depuis le mois de novembre 2011, n'ignore pas que la partie s'annonce serrée. Qu'espèrent donc ses supporteurs ? Que la Cour pénale internationale (CPI) trébuche, que les juges désavouent la procureure Fatou Bensouda et que les charges soient purement et simplement abandonnées faute d'un dossier d'accusation suffisamment solide. Quelles chances ont-ils de voir leur souhait exaucé ? Quasiment aucune, aurait-on dit il y a quelques mois, tant il paraissait improbable que Laurent Gbagbo, accusé de crimes contre l'humanité lors des violences postélectorales commises entre décembre 2010 et avril 2011 et confié aux bons soins de la CPI par son successeur, puisse échapper aux rigueurs de la justice internationale.
>> Lire aussi : la CPI refuse de libérer Laurent Gbagbo
Une liberté provisoire en attendant une nouvelle audience
On aurait tort, pourtant, de ne voir là que la preuve d'un optimisme délirant. En juin dernier, les juges ont sommé Fatou Bensouda de revoir son dossier au motif que les éléments apportés lors de la première audience de confirmation des charges, en février 2013, ne les avaient pas convaincus. Pour la procureure, ce fut un camouflet. Pour les pro-Gbagbo, une raison d'espérer. "Nous avons gagné la bataille de la crédibilité, se réjouit l'un des défenseurs de l'ancien président. Ça a été un long travail, mais même les juges trouvent que Fatou Bensouda s'enferme dans une position politique."
Même s'il sous-estime l'opiniâtreté des équipes de la procureure, il attend beaucoup de la prochaine décision de la Cour qui, d'ici au 11 novembre, se prononcera sur les conditions du maintien en détention de Laurent Gbagbo. Habiba Touré, l'un des avocats de la famille Gbagbo, précise que, si l'ancien président devait être libéré en novembre, "ce serait vraisemblablement dans le cadre d'une liberté provisoire, en attendant la nouvelle audience de confirmation des charges prévue en janvier ou en février 2014". Laurent Gbagbo pourrait dans l'intervalle se rendre dans un pays signataire du traité de Rome, fondateur de la CPI - et de préférence sur le continent, ajoute Me Touré. Une liste des pays susceptibles d'accueillir l'encombrant suspect a été établie par les avocats de Gbagbo - au premier rang desquels Me Altit - et soumise à la Cour. Mais elle est confidentielle, et c'est aux juges qu'il appartiendra de prendre une décision.
À Abidjan pourtant, les suppositions vont bon train. La Côte d'Ivoire ? Inenvisageable compte tenu des relations entre Gbagbo et les autorités ivoiriennes. L'Ouganda ? Pourquoi pas. Yoweri Museveni a promis à Gbagbo de lui faire bon accueil. Mais il n'a jamais fait mystère de son aversion pour la CPI (même si l'Ouganda en est membre), et la Cour exige que les pays d'accueil s'engagent à transférer leur hôte à La Haye chaque fois que celui-ci sera convoqué pour une audience. Pas sûr que Kampala lui inspire cette confiance. L'Afrique du Sud est une autre possibilité - sans doute la plus sérieuse à l'heure actuelle. Selon l'ancien conseiller de Gbagbo cité plus haut, des contacts ont été pris avec Pretoria, qui est signataire du traité de Rome. "De nombreux chefs d'État africains sont d'accord pour que Gbagbo vienne chez eux, promet un proche de l'ex-président, mais ils ne tiennent pas forcément à ce que cela se sache dès maintenant." Peut-être... Mais on imagine mal un pays géographiquement proche de la Côte d'Ivoire se porter candidat et prendre le risque d'héberger sur son sol un potentiel fauteur de troubles.
Gbagbo : attendu comme le christ
Rien de tout cela ne tempère l'optimisme des plus fervents adeptes de l'ancien président, dont le nom est invoqué jusque dans ces églises où le FPI croit pouvoir miser sur une intervention divine. "On invoque le Seigneur parce que notre Gbagbo a été victime d'une machination. Nous sommes sûrs qu'il sera bientôt parmi nous comme le Christ", prédit, exalté, un cadre du parti. En Côte d'Ivoire, certains se prennent même à rêver d'une libération rapide et définitive de leur ancien champion. Est-ce juridiquement possible ? Oui. Fatou Bensouda, que les juges ont renvoyée à sa copie, doit présenter de nouveaux éléments de preuve avant le 15 novembre. En juillet, elle s'est rendue en Côte d'Ivoire pour étoffer son dossier. Mais rien ne dit qu'elle sera cette fois plus convaincante et, à l'issue de la seconde audience de confirmation des charges, en début d'année prochaine, les juges pourraient ordonner la fin de la procédure. À moins qu'un procès, s'il devait finalement avoir lieu, n'aboutisse à un acquittement. Dans les deux cas, Laurent Gbagbo serait libre d'aller où il veut. Enfin presque... Pascal Affi Nguessan a beau affirmer qu'"un Ivoirien ne peut pas être contraint à l'exil et que la logique voudrait que Gbagbo revienne en Côte d'Ivoire", il n'y a pas, à Abidjan, que ses partisans qui l'attendent.
"C'est vrai que ce qui se passe à La Haye nous préoccupe beaucoup, concède un conseiller du président Ouattara. C'est vrai aussi que, si Gbagbo devait être libéré, nous préférerions qu'il ne revienne pas au pays. Et puis, ici, il y a toujours une procédure pendante devant la justice." La menace est claire... et ne tombera certainement pas dans l'oreille d'un sourd. Car l'intervention de la CPI n'a fait que suspendre les poursuites engagées en Côte d'Ivoire ; elle ne les a pas annulées. En août 2011, alors qu'il était en résidence surveillée à Korhogo, Gbagbo avait été inculpé pour crimes économiques après avoir été entendu par Simplice Koffi, à l'époque procureur de la République - et la justice ivoirienne est bien décidée à le lui rappeler si l'envie lui prenait de revenir au pays.
Article publié dans N°2755 de Jeune Afrique (en vente du 27 octobre au 9 novembre)
À Abidjan, l'image fait fantasmer ses partisans. Pascal Affi Nguessan, le président du Front populaire ivoirien (FPI), relâché en août après plus de deux années en prison, imagine déjà les scènes de joie qui ne manqueraient pas de saluer la libération de Laurent Gbagbo. Lui-même n'a-t-il pas été accueilli dans l'allégresse dans son village de Bongouanou début août ? Ne lui a-t-on pas offert pagnes et moutons pour célébrer son retour ? À Paris, un ancien conseiller politique de Gbagbo promet, avec le même enthousiasme, des mouvements de foule "plus grands que si Didier Drogba ramenait la Coupe du monde en Côte d'Ivoire". Depuis Accra, où il s'est installé, Justin Koné Katinan, le porte-parole de l'ancien président, assure que, si son mentor était libéré, des centaines de cadres du FPI rentreraient au pays "puisqu'ils n'auraient plus de raison d'être en exil". Gbagbo lui-même s'y verrait déjà, si l'on en croit l'un de ses proches : "Il est en train de faire ses valises !"
Sauf que tous vont sans doute un peu vite en besogne, et que Gbagbo, hôte bien involontaire de la prison de Scheveningen, aux Pays-Bas, depuis le mois de novembre 2011, n'ignore pas que la partie s'annonce serrée. Qu'espèrent donc ses supporteurs ? Que la Cour pénale internationale (CPI) trébuche, que les juges désavouent la procureure Fatou Bensouda et que les charges soient purement et simplement abandonnées faute d'un dossier d'accusation suffisamment solide. Quelles chances ont-ils de voir leur souhait exaucé ? Quasiment aucune, aurait-on dit il y a quelques mois, tant il paraissait improbable que Laurent Gbagbo, accusé de crimes contre l'humanité lors des violences postélectorales commises entre décembre 2010 et avril 2011 et confié aux bons soins de la CPI par son successeur, puisse échapper aux rigueurs de la justice internationale.
>> Lire aussi : la CPI refuse de libérer Laurent Gbagbo
Une liberté provisoire en attendant une nouvelle audience
On aurait tort, pourtant, de ne voir là que la preuve d'un optimisme délirant. En juin dernier, les juges ont sommé Fatou Bensouda de revoir son dossier au motif que les éléments apportés lors de la première audience de confirmation des charges, en février 2013, ne les avaient pas convaincus. Pour la procureure, ce fut un camouflet. Pour les pro-Gbagbo, une raison d'espérer. "Nous avons gagné la bataille de la crédibilité, se réjouit l'un des défenseurs de l'ancien président. Ça a été un long travail, mais même les juges trouvent que Fatou Bensouda s'enferme dans une position politique."
Même s'il sous-estime l'opiniâtreté des équipes de la procureure, il attend beaucoup de la prochaine décision de la Cour qui, d'ici au 11 novembre, se prononcera sur les conditions du maintien en détention de Laurent Gbagbo. Habiba Touré, l'un des avocats de la famille Gbagbo, précise que, si l'ancien président devait être libéré en novembre, "ce serait vraisemblablement dans le cadre d'une liberté provisoire, en attendant la nouvelle audience de confirmation des charges prévue en janvier ou en février 2014". Laurent Gbagbo pourrait dans l'intervalle se rendre dans un pays signataire du traité de Rome, fondateur de la CPI - et de préférence sur le continent, ajoute Me Touré. Une liste des pays susceptibles d'accueillir l'encombrant suspect a été établie par les avocats de Gbagbo - au premier rang desquels Me Altit - et soumise à la Cour. Mais elle est confidentielle, et c'est aux juges qu'il appartiendra de prendre une décision.
À Abidjan pourtant, les suppositions vont bon train. La Côte d'Ivoire ? Inenvisageable compte tenu des relations entre Gbagbo et les autorités ivoiriennes. L'Ouganda ? Pourquoi pas. Yoweri Museveni a promis à Gbagbo de lui faire bon accueil. Mais il n'a jamais fait mystère de son aversion pour la CPI (même si l'Ouganda en est membre), et la Cour exige que les pays d'accueil s'engagent à transférer leur hôte à La Haye chaque fois que celui-ci sera convoqué pour une audience. Pas sûr que Kampala lui inspire cette confiance. L'Afrique du Sud est une autre possibilité - sans doute la plus sérieuse à l'heure actuelle. Selon l'ancien conseiller de Gbagbo cité plus haut, des contacts ont été pris avec Pretoria, qui est signataire du traité de Rome. "De nombreux chefs d'État africains sont d'accord pour que Gbagbo vienne chez eux, promet un proche de l'ex-président, mais ils ne tiennent pas forcément à ce que cela se sache dès maintenant." Peut-être... Mais on imagine mal un pays géographiquement proche de la Côte d'Ivoire se porter candidat et prendre le risque d'héberger sur son sol un potentiel fauteur de troubles.
Gbagbo : attendu comme le christ
Rien de tout cela ne tempère l'optimisme des plus fervents adeptes de l'ancien président, dont le nom est invoqué jusque dans ces églises où le FPI croit pouvoir miser sur une intervention divine. "On invoque le Seigneur parce que notre Gbagbo a été victime d'une machination. Nous sommes sûrs qu'il sera bientôt parmi nous comme le Christ", prédit, exalté, un cadre du parti. En Côte d'Ivoire, certains se prennent même à rêver d'une libération rapide et définitive de leur ancien champion. Est-ce juridiquement possible ? Oui. Fatou Bensouda, que les juges ont renvoyée à sa copie, doit présenter de nouveaux éléments de preuve avant le 15 novembre. En juillet, elle s'est rendue en Côte d'Ivoire pour étoffer son dossier. Mais rien ne dit qu'elle sera cette fois plus convaincante et, à l'issue de la seconde audience de confirmation des charges, en début d'année prochaine, les juges pourraient ordonner la fin de la procédure. À moins qu'un procès, s'il devait finalement avoir lieu, n'aboutisse à un acquittement. Dans les deux cas, Laurent Gbagbo serait libre d'aller où il veut. Enfin presque... Pascal Affi Nguessan a beau affirmer qu'"un Ivoirien ne peut pas être contraint à l'exil et que la logique voudrait que Gbagbo revienne en Côte d'Ivoire", il n'y a pas, à Abidjan, que ses partisans qui l'attendent.
"C'est vrai que ce qui se passe à La Haye nous préoccupe beaucoup, concède un conseiller du président Ouattara. C'est vrai aussi que, si Gbagbo devait être libéré, nous préférerions qu'il ne revienne pas au pays. Et puis, ici, il y a toujours une procédure pendante devant la justice." La menace est claire... et ne tombera certainement pas dans l'oreille d'un sourd. Car l'intervention de la CPI n'a fait que suspendre les poursuites engagées en Côte d'Ivoire ; elle ne les a pas annulées. En août 2011, alors qu'il était en résidence surveillée à Korhogo, Gbagbo avait été inculpé pour crimes économiques après avoir été entendu par Simplice Koffi, à l'époque procureur de la République - et la justice ivoirienne est bien décidée à le lui rappeler si l'envie lui prenait de revenir au pays.
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