Don Quijones
Raging Bullshit
Traduit par Carolina Badii pour Investig'Action
L'année 2013 semble être une année trépidante pour le lobby des multinationales ainsi que pour les défenseurs du libre-échange. Alors qu'ils s'activent frénétiquement d'une conférence mondiale sur le libre-échange à une autre, telles des abeilles butinant de délicieuses orchidées, leurs efforts commencent à porter leurs fruits.
Rien que le mois passé, les dirigeants de 12 pays dont les Etats-Unis, l'Australie, le Japon, la Nouvelle-Zélande et le Mexique, ont promis de signer le Trans-Pacific Partnership (TPP) d'ici la fin de l'année. Pendant ce temps, de l'autre côté de la planète, l'Europe a signé un traité majeur de libre-échange les Etats-Unis, le Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP). Malgré le scandale des allégations selon lesquelles la NSA (agence de sécurité nationale) et le GCHQ (centre d'interception des télécommunications étrangères) auraient mis sur écoute des dirigeants européens, la majorité des membres de l'UE sont déterminés à s'assurer que les retombées de ce scandale n'affectent pas les négociations actuelles du TTIP. Ce traité réunirait alors les pays qui concentrent à eux seuls la moitié du PIB de la planète dans une vaste zone de libre-échange.
Cependant le président du Parlement Européen, Martin Schultz, a déclaré qu'il serait peut-être nécessaire de suspendre temporairement les négociations. En fait, ce n'est pas qu'il se soucie du danger de conclure un partenariat étroit avec un pays dont les actions récentes ont bafoué toute notion de confiance mutuelle et de coopération. C'est parce qu'il craint que la poursuite des négociations dans le climat actuel entraîne un mouvement plus général d'opposition au libre-échange :
« Si les faits continuent à prendre de l'ampleur, je crains que les opposants à l'accord de libre-échange ne deviennent majoritaires » a déclaré M. Schultz lors du sommet de l'UE de la semaine dernière. « Je conseille donc de suspendre les négociations dans l'immédiat et de réfléchir à comment éviter qu'un tel mouvement d'opposition se développe ». Tout ceci soulève une question : pourquoi cet engouement soudain pour plus de libre-échange ? Et qui plus est : pourquoi toute cette discrétion ? Pourquoi nos dirigeants tentent-ils désespérément de reconfigurer les méga-structures légales du marché mondial sans même prendre la peine de consulter leurs électeurs ou du moins leur en dire davantage quant au bénéfice à tirer des négociations ?
Après tout, même les statistiques officielles sont claires : les bénéfices à tirer de ces accords sont, dans le meilleur des cas, quasiment nuls. Dans le cas du TTIP, l'UE et les Etats-Unis peuvent s'attendre à recevoir à terme (peut-être après une période d'une dizaine d'années) 100 milliards d'Euros pour augmenter leurs PIB respectifs. Ce sont des sommes qui, il fut un temps, étaient considérées comme astronomiques et pouvaient signifier quelque chose. Mais ce n'est plus le cas aujourd'hui du moins plus depuis que la Fed (Réserve fédérale) et la Bank of England (Banque d'Angleterre) ont mené le système bancaire mondial à recourir à la planche à billets dans des proportions jamais atteintes auparavant.
Pendant ce temps, dans la région Asie-Pacifique, on s'attend à ce que l'accord TPP ouvre des perspectives nouvelles pour les affaires, qu'elles soient petites ou grandes alors que de nouveaux réseaux d'échange se créent entre les économies dont les taux de croissance sont les plus élevés au monde.
Néanmoins même si les bénéfices de ce nouvel accord commercial sont supposés être gigantesques, ils ne peuvent pas être divulgués au public pour le moment. Comme l'a précisé récemment le représentant américain du commerce, Ron Kirk, à l'agence Reuters : à ce stade des négociations il paraît prématuré de rédiger un texte préliminaire afin de recueillir l'avis du public. Mais il n'est pas exclu « qu'il y ait, à un moment donné, lorsque nous nous serons mis d'accord sur le texte comme nous l'avons fait pour d'autres accords, un texte préliminaire ». Le message ne peut être plus clair : comme disait feu le grand Bill Hicks : « Retournez vous coucher, Amérique, Europe, Asie et Australie : nos gouvernements contrôlent la situation. »
Le véritable ordre du jour
Pour les quelques insomniaques qui demeurent encore éveillés, le but du jeu dans cette ère nouvelle du libre-échange (ou plutôt de protection du pouvoir absolu des multinationales) devient de plus en plus claire. Selon Andrew Gavin Marshall, ces nouveaux accords n'ont pas grand chose à voir avec le véritable « commerce » mais concernent, au contraire, l'extension des droits et des pouvoirs des grandes multinationales : les multinationales sont devenues des entités économiques et politiques qui rivalisent avec les plus grandes économies nationales et ont de ce fait revêtu un caractère « cosmopolite ».
Selon un classement publié par Global Trends pour 2012, 58% des 150 entités économiques les plus importantes au monde sont des multinationales. Parmi elles, les principales entreprises pétrolières, de gaz naturel et d'exploitation minière, les banques et les assurances, les géants de la télécommunication, les géants de la grande distribution, les fabricants automobile et les entreprises pharmaceutiques.
L'entreprise qui arrive en tête du classement est la Royal Dutch Shell, qui a enregistré en 2012 un chiffre d'affaires dépassant les PIB de 171 pays faisant d'elle la 26ème puissance économique au monde. Elle arrive devant l'Argentine et Taïwan malgré le fait que Shell n'emploie que 90.000 personnes. En effet, le chiffre d'affaires cumulé des cinq plus grandes compagnies pétrolières (Royal Dutch Shell, ExxonMobil, BP, Sinopec et China National Petroleum) équivalait à 2,9 % du PIB mondial en 2012.
Devrions-nous paraître surpris par ces gigantesques multinationales privées qui en veulent toujours plus pour elles et de ce fait, en laissent moins pour les autres ? Après tout, l'augmentation du chiffre d'affaires est leur raison d'être ; c'est ce qui fait battre leur cœur de sociopathes. « En agissant au travers d'associations d'industries, de lobbies, de groupe d'experts et de fondations, les multinationales mettent en œuvre de vastes projets visant à concentrer les pouvoirs économiques et politiques transnationaux entre leurs mains » écrit A.G. Marshall. « Avec l'ambitieux projet de mise en place d'une zone de libre-échange Europe-Amérique, nous assistons à la mise en place d'un projet international sans précédent, nouveau et global de colonisation corporatiste transnationale »
A la base de ce modèle se trouve la notion selon laquelle les profits et les retours sur investissement priment sur les inquiétudes quant à l'intérêt général. De ce fait, comme le souligne Open Democracy, les règlements de différends entre les investisseurs sous l'effet du TTIP permettraient aux multinationales basées en Europe et aux Etats-Unis de prendre part à (ou de déclencher) des guerres d'usure afin de limiter le pouvoir des gouvernements des deux côtés de l'Atlantique :
Raging Bullshit
Traduit par Carolina Badii pour Investig'Action
L'année 2013 semble être une année trépidante pour le lobby des multinationales ainsi que pour les défenseurs du libre-échange. Alors qu'ils s'activent frénétiquement d'une conférence mondiale sur le libre-échange à une autre, telles des abeilles butinant de délicieuses orchidées, leurs efforts commencent à porter leurs fruits.
Rien que le mois passé, les dirigeants de 12 pays dont les Etats-Unis, l'Australie, le Japon, la Nouvelle-Zélande et le Mexique, ont promis de signer le Trans-Pacific Partnership (TPP) d'ici la fin de l'année. Pendant ce temps, de l'autre côté de la planète, l'Europe a signé un traité majeur de libre-échange les Etats-Unis, le Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP). Malgré le scandale des allégations selon lesquelles la NSA (agence de sécurité nationale) et le GCHQ (centre d'interception des télécommunications étrangères) auraient mis sur écoute des dirigeants européens, la majorité des membres de l'UE sont déterminés à s'assurer que les retombées de ce scandale n'affectent pas les négociations actuelles du TTIP. Ce traité réunirait alors les pays qui concentrent à eux seuls la moitié du PIB de la planète dans une vaste zone de libre-échange.
Cependant le président du Parlement Européen, Martin Schultz, a déclaré qu'il serait peut-être nécessaire de suspendre temporairement les négociations. En fait, ce n'est pas qu'il se soucie du danger de conclure un partenariat étroit avec un pays dont les actions récentes ont bafoué toute notion de confiance mutuelle et de coopération. C'est parce qu'il craint que la poursuite des négociations dans le climat actuel entraîne un mouvement plus général d'opposition au libre-échange :
« Si les faits continuent à prendre de l'ampleur, je crains que les opposants à l'accord de libre-échange ne deviennent majoritaires » a déclaré M. Schultz lors du sommet de l'UE de la semaine dernière. « Je conseille donc de suspendre les négociations dans l'immédiat et de réfléchir à comment éviter qu'un tel mouvement d'opposition se développe ». Tout ceci soulève une question : pourquoi cet engouement soudain pour plus de libre-échange ? Et qui plus est : pourquoi toute cette discrétion ? Pourquoi nos dirigeants tentent-ils désespérément de reconfigurer les méga-structures légales du marché mondial sans même prendre la peine de consulter leurs électeurs ou du moins leur en dire davantage quant au bénéfice à tirer des négociations ?
Après tout, même les statistiques officielles sont claires : les bénéfices à tirer de ces accords sont, dans le meilleur des cas, quasiment nuls. Dans le cas du TTIP, l'UE et les Etats-Unis peuvent s'attendre à recevoir à terme (peut-être après une période d'une dizaine d'années) 100 milliards d'Euros pour augmenter leurs PIB respectifs. Ce sont des sommes qui, il fut un temps, étaient considérées comme astronomiques et pouvaient signifier quelque chose. Mais ce n'est plus le cas aujourd'hui du moins plus depuis que la Fed (Réserve fédérale) et la Bank of England (Banque d'Angleterre) ont mené le système bancaire mondial à recourir à la planche à billets dans des proportions jamais atteintes auparavant.
Pendant ce temps, dans la région Asie-Pacifique, on s'attend à ce que l'accord TPP ouvre des perspectives nouvelles pour les affaires, qu'elles soient petites ou grandes alors que de nouveaux réseaux d'échange se créent entre les économies dont les taux de croissance sont les plus élevés au monde.
Néanmoins même si les bénéfices de ce nouvel accord commercial sont supposés être gigantesques, ils ne peuvent pas être divulgués au public pour le moment. Comme l'a précisé récemment le représentant américain du commerce, Ron Kirk, à l'agence Reuters : à ce stade des négociations il paraît prématuré de rédiger un texte préliminaire afin de recueillir l'avis du public. Mais il n'est pas exclu « qu'il y ait, à un moment donné, lorsque nous nous serons mis d'accord sur le texte comme nous l'avons fait pour d'autres accords, un texte préliminaire ». Le message ne peut être plus clair : comme disait feu le grand Bill Hicks : « Retournez vous coucher, Amérique, Europe, Asie et Australie : nos gouvernements contrôlent la situation. »
Le véritable ordre du jour
Pour les quelques insomniaques qui demeurent encore éveillés, le but du jeu dans cette ère nouvelle du libre-échange (ou plutôt de protection du pouvoir absolu des multinationales) devient de plus en plus claire. Selon Andrew Gavin Marshall, ces nouveaux accords n'ont pas grand chose à voir avec le véritable « commerce » mais concernent, au contraire, l'extension des droits et des pouvoirs des grandes multinationales : les multinationales sont devenues des entités économiques et politiques qui rivalisent avec les plus grandes économies nationales et ont de ce fait revêtu un caractère « cosmopolite ».
Selon un classement publié par Global Trends pour 2012, 58% des 150 entités économiques les plus importantes au monde sont des multinationales. Parmi elles, les principales entreprises pétrolières, de gaz naturel et d'exploitation minière, les banques et les assurances, les géants de la télécommunication, les géants de la grande distribution, les fabricants automobile et les entreprises pharmaceutiques.
L'entreprise qui arrive en tête du classement est la Royal Dutch Shell, qui a enregistré en 2012 un chiffre d'affaires dépassant les PIB de 171 pays faisant d'elle la 26ème puissance économique au monde. Elle arrive devant l'Argentine et Taïwan malgré le fait que Shell n'emploie que 90.000 personnes. En effet, le chiffre d'affaires cumulé des cinq plus grandes compagnies pétrolières (Royal Dutch Shell, ExxonMobil, BP, Sinopec et China National Petroleum) équivalait à 2,9 % du PIB mondial en 2012.
Devrions-nous paraître surpris par ces gigantesques multinationales privées qui en veulent toujours plus pour elles et de ce fait, en laissent moins pour les autres ? Après tout, l'augmentation du chiffre d'affaires est leur raison d'être ; c'est ce qui fait battre leur cœur de sociopathes. « En agissant au travers d'associations d'industries, de lobbies, de groupe d'experts et de fondations, les multinationales mettent en œuvre de vastes projets visant à concentrer les pouvoirs économiques et politiques transnationaux entre leurs mains » écrit A.G. Marshall. « Avec l'ambitieux projet de mise en place d'une zone de libre-échange Europe-Amérique, nous assistons à la mise en place d'un projet international sans précédent, nouveau et global de colonisation corporatiste transnationale »
A la base de ce modèle se trouve la notion selon laquelle les profits et les retours sur investissement priment sur les inquiétudes quant à l'intérêt général. De ce fait, comme le souligne Open Democracy, les règlements de différends entre les investisseurs sous l'effet du TTIP permettraient aux multinationales basées en Europe et aux Etats-Unis de prendre part à (ou de déclencher) des guerres d'usure afin de limiter le pouvoir des gouvernements des deux côtés de l'Atlantique :
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