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Frantz Fanon : Racisme et culture

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  • Frantz Fanon : Racisme et culture

    Extraits de l'intervention de Frantz Fanon au premier Congrès des écrivains et artistes noirs à Paris, septembre 1956.
    Publié dans le numéro spécial de Présence africaine, juin-novembre 1956.

    (…)Si la culture est l'ensemble des comportements moteurs et mentaux né de la rencontre de l'homme avec la nature et avec son semblable, on doit dire que le racisme est bel et bien un élément culturel.(…)

    Cet élément culturel précis ne s'est cependant pas enkysté. Le racisme n'a pas pu se scléroser. Il lui a fallu se renouveler, se nuance, changer de physionomie. Il lui a fallu subir le sort de l'ensemble culturel qui l'informait.(...)

    Le racisme n'est qu'un élément d'un plus vaste ensemble: celui de l'oppression systématisée d'un peuple.(...)

    On assiste à la destruction des valeurs culturelles, des modalités d'existence. Le langage, l'habillement, les techniques sont dévalorisées.(...)

    Progressivement cependant, l'évolution des techniques de production, l'industrialisation, d'ailleurs limitée, des pays asservis, l'existence de plus en plus nécessaire de collaborateurs imposent à l'occupant une nouvelle attitude. La complexité des moyens de production, l'évolution des rapports économiques entraînant bon gré mal gré celle des idéologies déséquilibrent le système. Le racisme vulgaire dans sa forme biologique correspond à la période d'exploitation brutale des bras et des jambes de l'homme. La perfection des moyens de production provoque fatalement le camouflage des techniques d'exploitation de l'homme, donc des formes du racisme.

    Ce n'est donc pas à la suite d'une évolution des esprits que le racisme perd de sa virulence. Nulle révolution intérieure n'explique cette obligation pour le racisme de se nuancer, d'évoluer, partout des hommes se libèrent bousculant la léthargie à laquelle oppression et racisme les avaient condamnés.

    En plein cœur des «nations civilisatrices», les travailleurs découvrent enfin que l'exploitation de l'homme, base d'un système, emprunte des visages divers. A ce stade le racisme n'ose plus sortir sans fards.(…)

    La circulation des groupes, la libération, dans certaines parties du monde, d'hommes antérieurement infériorisés rendent de plus en plus précaire l'équilibre. Assez inattendûment le groupe raciste dénonce l'apparition d'un racisme chez les hommes opprimés. Le «primitivisme intellectuel» de la période d'exploitation fait place au «fanatisme moyenâgeux, voire préhistorique» de la période de libération.(...)

    L'intérêt de cette évolution, c'est que le racisme est pris comme thème de méditation, quelquefois même comme technique publicitaire.

    C'est ainsi que le blues, «plainte des esclaves noirs», est présenté à l'admiration des oppresseurs. C'est un peu d'oppression stylisée qui revient à l'exploitant et au raciste. Sans oppression et sans racisme pas de blues. La fin du racisme sonnerait le glas de la grande musique noire...
    (...)
    L'habitude de considérer le racisme comme une disposition de l'esprit, comme une tare psychologique doit être abandonnée.

    Mais l'homme visé par ce racisme, le groupe social asservi, exploité, désubstantialisé, comment se comportent-ils ? Quels sont leurs mécanismes de défense ?

    Quelles attitudes découvrons-nous ici ?(…)

    Il n'est pas possible d'asservir des hommes sans logiquement les inférioriser de part en part. Et le racisme n'est que l'explication émotionnelle, affective, quelquefois intellectuelle de cette infériorisation.

    Le raciste dans une culture avec racisme est donc normal. L'adéquation des rapports économiques et de l'idéologie est chez lui parfaite. Certes l'idée que l'on se fait de l'homme n'est jamais totalement dépendante des rapports économiques, c'est-à-dire, ne l'oublions pas, des rapports existant historiquement et géographiquement entre les hommes et les groupes. Des membres de plus en plus nombreux appartenant à des sociétés racistes prennent position. Ils mettent leur vie au service d'un monde où le racisme serait impossible. Mais ce recul, cette abstraction, cet engagement solennel ne sont pas à la portée de tous. On ne peut exiger sans dommage qu'un homme soit contre les «préjugés de son groupe».

    Or, redisons-le, tout groupe colonialiste est raciste.

    A la fois «acculturé» et déculturé, l'opprimé continue à buter contre le racisme. Il trouve illogique cette séquelle. Inexplicable ce qu'il a dépassé, sans motif, inexact. Ses connaissances, l'appropriation de techniques précises et compliquées, quelquefois sa supériorité intellectuelle, eu égard à un grand nombre de racistes, l'amènent à qualifier le monde raciste de passionnel. Il s'aperçoit que l'atmosphère raciste imprègne tous les éléments de la vie sociale. Le sentiment d'une injustice accablante est alors très vif. Oubliant le racisme-conséquence on s'acharne sur le racisme-cause. Des campagnes de désintoxication sont entreprises. On fait appel au sens de l'humain, à l'amour, au respect des valeurs suprêmes...

    En fait le racisme obéit à une logique sans faille. Un pays qui vit, tire sa substance de l'exploitation de peuples différents, infériorise ces peuples. Le racisme appliqué à ces peuples est normal.

    Le racisme n'est donc pas une constante de l'esprit humain.

    Il est, nous l'avons vu, une disposition inscrite dans un système déterminé. Et le racisme juif n'est pas différent du racisme noir. Une société est raciste ou ne l'est pas. Il n'existe pas de degrés du racisme. Il ne faut pas dire que tel pays est raciste, mais qu'on n'y trouve pas de lynchages ou de camps d'extermination.(...)

    Découvrant l'inutilité de son aliénation, l'approfondissement de son dépouillement, l'infériorisé, après cette phase de déculturation, d'extranéisation, retrouve ses positions originales.

    Cette culture, abandonnée, quittée, rejetée, méprisée, l'infériorisé s'y engage avec passion. Il existe une surenchère très nette s'apparentant psychologiquement au désir de se faire pardonner.

    Mais, derrière cette analyse simplifiante, il y a bel et bien l'intuition par l'infériorisé d'une vérité spontanée apparue. Cette histoire psychologique débouche sur l'Histoire et sur la Vérité.

    Parce que l'infériorisé retrouve un style autrefois dévalorisé, on assiste à une culture de la culture. Une telle caricature de l'existence culturelle signifierait s'il en était besoin que la culture se vit mais ne se morcelle pas. Elle ne se met pas entre lame et lamelle.

    Cependant l'opprimé s'extasie à chaque redécouverte. L'émerveillement est permanent. Autrefois émigré de sa culture, l'autochtone l'explore aujourd'hui avec fougue. Il s'agit alors d'épousailles continuées. L'ancien infériorisé est en état de grâce.

    Or, on ne subit pas impunément une domination. La culture du peuple asservi est sclérosée, agonisante. Aucune vie n'y circule. Plus précisément la seule vie existante est dissimulée. La population, qui normalement assume çà et là quelques morceaux de vie, qui maintient des significations dynamiques aux institutions, est une population anonyme. En régime colonial ce sont les traditionalistes.

    L'ancien émigré, par l'ambiguïté soudaine de son comportement introduit le scandale. A l'anonymat du traditionaliste, il oppose un exhibitionnisme véhément et agressif.

    Etat de grâce et agressivité sont deux constantes retrouvées à ce stade. L'agressivité étant le mécanisme passionnel permettant d'échapper à la morsure du paradoxe.(...)

    La culture encapsulée, végétative, depuis la domination étrangère est revalorisée. Elle n'est pas repensée, reprise, dynamisée de l'intérieur. Elle est clamée. Et cette revalorisation d'emblée, non structurée, verbale, recouvre des attitudes paradoxales.

    C'est à ce moment qu'il est fait mention du caractère indécrottable des infériorisés. Les médecins arabes dorment par terre, crachent n'importe où, etc.(…)

    Les intellectuels «collaborateurs» cherchent à justifier leur nouvelle attitude. Les coutumes, traditions, croyances, autrefois niées et passées sous silence, sont violemment valorisées et affirmées. La tradition n'est plus ironisée par le groupe, le groupe ne se fuit plus. On retrouve le sens du passé, le culte des ancêtres...

    Le passé, désormais constellation de valeurs, s'identifie à la Vérité.
    Cette redécouverte, cette valorisation absolue d'allure quasi déréelle, objectivement indéfendable, revêt une importance subjective incomparable. Au sortir de ces épousailles passionnées, l'autochtone aura décidé, en «connaissance de cause», de lutter contre toutes les formes d'exploitation et d'aliénation de l'homme. Par contre, l'occupant à cette époque multiplie les appels à l'assimilation, puis à l'intégration, à la communauté.(...)

    La lutte de l'infériorisé se situe à un niveau nettement plus humain. Les perspectives sont radicalement nouvelles. C'est l'opposition désormais classique des luttes de conquête et de libération.

    En cours de lutte, la nation dominatrice essaie de rééditer des arguments racistes mais l'élaboration du racisme se révèle de plus en plus inefficace. On parle de fanatisme, d'attitudes primitives en face de la mort mais, encore une fois, le mécanisme désormais effondré ne répond plus. Les anciens immobiles, les lâches constitutionnels, les peureux, les infériorisés de toujours s'arc-boutent et émergent hérissés.

    L'occupant ne comprend plus.

    La fin du racisme commence avec une soudaine incompréhension.

    La culture spasmée et rigide de l'occupant, libérée s'ouvre enfin à la culture du peuple devenu réellement frère, les deux cultures peuvent s'affronter, s'enrichir.

    En conclusion, l'universalité réside dans cette décision de prise en charge du relativisme réciproque de cultures différentes une fois exclu irréversiblement le statut colonial.



    _
    "Je suis un homme et rien de ce qui est humain, je crois, ne m'est étranger", Terence

  • #2
    Le niveau de la langue du texte n'est pas facile à comprendre jusqu'au bout.
    Je crois avoir compris en partie certaines phrase.
    Le colonisateur essaye toujours de masquer son racisme par des artifices et justifications sophistiqués. Parfois il tente de récupérer à son profit la réaction antiraciste des opprimés?
    L'auteur traite le sujet dans un langage "technique" difficile à maîtriser pour moi.
    Il dit aussi que les moyens de défense contre l'oppression raciste se réfugient dans une forme semi-invisible qui est la tradition (ce qui explique que l'impérialo-sionisme cherche à détruire les traditions, et les religions qui sont restées des remparts solides contre la dépersonnalisation et la soumission des peuples du monde)?)

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