Excellent article dans médiapart à l'ocasion de l'anniversaire de la marche pour l'égalité.
Débat franco-français mais qui peut intéresser de ce coté de la méditerranée il me semble.
Il manque la fin de l'article qui c'est perdu dans une sauve garde...je le posterai inch'Allah si je réussit à le récupérer
Débat franco-français mais qui peut intéresser de ce coté de la méditerranée il me semble.
Envoyé par Médiapart
Samia Chala: «Quand la France découvrira que les Arabes sont une richesse...»
PAR RACHIDA EL AZZOUZI ET ANTOINE PERRAUD ARTICLE PUBLIÉ LE SAMEDI 16 NOVEMBRE 2013
Samia Chala est réalisatrice. La chaîne LCP diffusera le 18 novembre Les marcheurs, chronique des années beurs, documentaire dont elle est co-auteure à propos de la Marche pour l'égalité de 1983, improprement baptisée “Marche des Beurs”. On doit aussi à Samia Chala une approche dérangeante et pénétrante: Madame la France, ma mère et moi, qui sera projetée le 27 novembre au cinéma parisien La Clef, à l'occasion du festival “Maghreb des films”.
Elle s'y présente ainsi : « Féministe, laïque, croqueuse d’islamistes, j’ai vécu en Algérie jusqu’à l’âge de trente ans. J’ai quitté mon pays dans les années 90, au moment de la guerre civile. Exilée à Paris, j’ai découvert avec curiosité “Madame la France”, comme disent les vieux immigrés. Mais avec les incessants débats sur le voile, la laïcité, l’islam, les musulmans..., mon histoire d’amour avec “Madame la France ” s'est singulièrement compliquée. »
À Mediapart, nous avons tenté d'y voir plus clair, au cours d'un dialogue approfondi, sans concession, pour comprendre le voile de l'autre côté du morceau d'étoffe, pour découvrir la partie de cache-cache qui se joue avec le passé colonial, pour entendre ce qui se revendique, pour saisir comment germe la tradition face à une modernité dégradante...
MEDIAPART : Vous en venez à réclamer le droit de porter le voile, si le cœur vous en dit...
SAMIA CHALA : Ça me paraît le b.a.-ba de la liberté. Je me bats pour que les gens puissent s’habiller comme ils l’entendent. Ce n’est pas pour autant mon modèle. Je ne le souhaite pas pour ma fille. Mais il existe déjà tant d’exemples, dans le domaine vestimentaire, qui ne sont pas ma tasse de thé... Ainsi, je n’aimerais pas que ma fille porte ces tenues archimoulantes qui transforment les collégiennes en caricatures, voire en objets sexuels : pour autant, je ne réclame pas une loi interdisant les Lolitas au collège !
La marchandisation traite les filles en objets déballés ; l’islam patriarcal en objets emballés...
Je me suis engagée, en Algérie, pour le droit de disposer de son corps, qui reste pour moi une valeur du féminisme. J’étais contre le port obligatoire du voile. Mais ici, en France, j’ai été choquée par la pression exercée contre les filles voilées, au nom du même droit à disposer de son corps. Pour moi, il n’y a pas contradiction : c’est le même combat.
La tolérance, en l’occurrence, induit davantage qu’un simple libéralisme vestimentaire...
J’ai rencontré des femmes bac plus l’infini. Au nom de quoi devrais-je interdire à ces êtres brillantissimes de renoncer à ce que leur foi les pousse à faire ? En qualité de quoi leur dénierais-je quoi que ce soit en les décrétant aliénées ? Les sociétés maghrébines ont évolué, nous ne sommes plus dans les années 1970 : ces femmes ne sont pas obligées, pour la plupart, de porter le voile. C’est leur décision, même si l’influence familiale joue, comme dans tout pays où chacun transmet des valeurs à ses enfants.
Croyez-vous que cette liberté relative puisse être généralisée, que l’obligation de porter le voile ait disparu ?
Longtemps, de chaque côté de la Méditerranée, les femmes ont vécu dans un système patriarcal verrouillé. Elles étaient logées à peu près à la même enseigne en Algérie comme en Espagne, au Maroc comme en France. Dans la seconde moitié du XXe siècle, les évolutions ont été incomparables. Il y avait, au Maghreb, dans les années 1970, une infime minorité de femmes en grande partie libérées, vivant au diapason de l’Occident - fac, ciné-club et révolution...
Avant l’émergence de l’islam politique, la condition des femmes n’était pas forcément meilleure qu’aujourd’hui. Elles vivaient, pour la majorité, dans la soumission, au sein de sociétés qu’avait figées la colonisation. Si bien qu’il y a deux siècles de
différence, au moins, entre ce qu’a connu ma mère et ce que j’ai pu vivre : nous sommes au-delà du simple choc de générations.
Face à la misère économique et à l’humiliation de la colonisation, les femmes musulmanes se sont arc-boutées, drapées, cachées, pour échapper à la violence de conquérants prêts à dénuder, à prostituer, à ravaler. Cette recherche d’une protection a bien sûr débouché sur une forme d’immobilisme ou de sclérose - parfaitement analysée par Frantz Fanon-, qui a empêché les bonds qualitatifs en faveur de la condition féminine.
Vous convenez de cet archaïsme, qui a fait que le voile est devenu aliénation...
Ça, c’est le discours des féministes blanches. Même si elles portent majoritairement le voile, les Algériennes sont plus émancipées qu’il y a trente ans. Tout simplement parce qu’elles ont accédé à l’école et à l’université. L’affranchissement m’apparaît évident, même si certains signes, jugés régressifs, ne plaisent pas à une petite minorité bourgeoise, lettrée, occidentalisée. En Algérie, aujourd’hui, sur les plages, les femmes se baignent avec le voile. On peut se focaliser sur un bout de tissu. Moi, je trouve heureux que les femmes soient dehors, à l’aise dans l’espace public, au lieu d’être massivement confinées comme naguère.
Je reconnais cependant qu’il faut mener le combat pour que les femmes qui souhaitent se baigner en maillot puissent le faire en toute liberté : c’est loin d’être gagné !
Vous êtes donc contre l’obligation : de porter le voile en Algérie, de ne pas le porter en France. Ici, opposée au voile, existe une interdiction - laïque donc étatique. Mais vous ne pouvez pas sous- estimer la contrainte en faveur du voile -archaïque donc plus diffuse. Le débat concerne donc ces deux formes de coercition, sans minorer l’une ou l’autre...
Je vous répète que le voile n’est pas un modèle que je préconise. Mais l’interdire me semble inefficace, confus et révélateur : la façon dont cette question a été médiatisée dans une France en crise d’identité, n’a fait que donner envie à plus de femmes encore de porter le voile! Vous nous humiliez sous couvert d’extirper notre prétendue aliénation. Comment ne pas ressentir une telle injustice ? J’ai quitté l’Algérie en étouffant sous le manque de liberté. Je rêvais d’une France où existerait la liberté de penser comme de se vêtir. Nous nous disions, entre nous : «A Paris, tu peux même marcher nue, personne ne te regarde ! » Et voici que vous inventez, au fil des années, des injonctions vestimentaires, en nous les faisant subir ! Qu’est-ce que c’est que cet abcès de fixation sur le voile ?!
Mais pourquoi s’accrocher au voile jusqu’à faire de cette forme d’éteignoir un signe de rébellion ?
Quand tu es en France, quand on te fait comprendre, matin, midi et soir, que tu n’es pas ici chez toi, que reste-t-il ? Le pays d’origine ? Tu n’y es pas plus chez toi qu’en France. Alors tu t’inventes ou tu te réinventes une identité : tu t’accroches à ce qui te reste, la religion, ta religion ; coûte que coûte, avec de plus en plus de force à mesure qu’on te la conteste. Et le nombre grandissant de filles françaises - parce qu’elles sont françaises - qui décident de porter le voile, sonne d’abord et avant tout l’échec de “l’intégration à la française”. L’État et la société devraient s’interroger sur cette déconvenue nationale, au lieu de vaticiner sur l’intégrisme barbare et barbu prétendument à l’œuvre.
Regardez la marche dite des Beurs de 1983 : il n’y avait pas un voile, ni un foulard dans les quartiers. Qu’est-ce qui a été manqué? L’égalité. D’où ce bras d’honneur, qui signale la faillite de la gauche française, et que vous refusez de voir comme tel...
Alors que nous sommes condamnés à vivre ensemble aujourd’hui, je revendique de trouver criminelle la façon dont le débat sur le voile a été monté en épingle, en France, par le personnel politique et les grands moyens de communication. Ils opposent “musulmans” et “Français de souche” - personnellement je me sens française depuis 1830 et mes aïeux ont été embarqués dans deux guerres mondiales, alors qu’on arrête de me bassiner, même si je suis immigrée algérienne depuis vingt ans ! Nous avons besoin de respect et d’égalité.
PAR RACHIDA EL AZZOUZI ET ANTOINE PERRAUD ARTICLE PUBLIÉ LE SAMEDI 16 NOVEMBRE 2013
Samia Chala est réalisatrice. La chaîne LCP diffusera le 18 novembre Les marcheurs, chronique des années beurs, documentaire dont elle est co-auteure à propos de la Marche pour l'égalité de 1983, improprement baptisée “Marche des Beurs”. On doit aussi à Samia Chala une approche dérangeante et pénétrante: Madame la France, ma mère et moi, qui sera projetée le 27 novembre au cinéma parisien La Clef, à l'occasion du festival “Maghreb des films”.
Elle s'y présente ainsi : « Féministe, laïque, croqueuse d’islamistes, j’ai vécu en Algérie jusqu’à l’âge de trente ans. J’ai quitté mon pays dans les années 90, au moment de la guerre civile. Exilée à Paris, j’ai découvert avec curiosité “Madame la France”, comme disent les vieux immigrés. Mais avec les incessants débats sur le voile, la laïcité, l’islam, les musulmans..., mon histoire d’amour avec “Madame la France ” s'est singulièrement compliquée. »
À Mediapart, nous avons tenté d'y voir plus clair, au cours d'un dialogue approfondi, sans concession, pour comprendre le voile de l'autre côté du morceau d'étoffe, pour découvrir la partie de cache-cache qui se joue avec le passé colonial, pour entendre ce qui se revendique, pour saisir comment germe la tradition face à une modernité dégradante...
MEDIAPART : Vous en venez à réclamer le droit de porter le voile, si le cœur vous en dit...
SAMIA CHALA : Ça me paraît le b.a.-ba de la liberté. Je me bats pour que les gens puissent s’habiller comme ils l’entendent. Ce n’est pas pour autant mon modèle. Je ne le souhaite pas pour ma fille. Mais il existe déjà tant d’exemples, dans le domaine vestimentaire, qui ne sont pas ma tasse de thé... Ainsi, je n’aimerais pas que ma fille porte ces tenues archimoulantes qui transforment les collégiennes en caricatures, voire en objets sexuels : pour autant, je ne réclame pas une loi interdisant les Lolitas au collège !
La marchandisation traite les filles en objets déballés ; l’islam patriarcal en objets emballés...
Je me suis engagée, en Algérie, pour le droit de disposer de son corps, qui reste pour moi une valeur du féminisme. J’étais contre le port obligatoire du voile. Mais ici, en France, j’ai été choquée par la pression exercée contre les filles voilées, au nom du même droit à disposer de son corps. Pour moi, il n’y a pas contradiction : c’est le même combat.
La tolérance, en l’occurrence, induit davantage qu’un simple libéralisme vestimentaire...
J’ai rencontré des femmes bac plus l’infini. Au nom de quoi devrais-je interdire à ces êtres brillantissimes de renoncer à ce que leur foi les pousse à faire ? En qualité de quoi leur dénierais-je quoi que ce soit en les décrétant aliénées ? Les sociétés maghrébines ont évolué, nous ne sommes plus dans les années 1970 : ces femmes ne sont pas obligées, pour la plupart, de porter le voile. C’est leur décision, même si l’influence familiale joue, comme dans tout pays où chacun transmet des valeurs à ses enfants.
Croyez-vous que cette liberté relative puisse être généralisée, que l’obligation de porter le voile ait disparu ?
Longtemps, de chaque côté de la Méditerranée, les femmes ont vécu dans un système patriarcal verrouillé. Elles étaient logées à peu près à la même enseigne en Algérie comme en Espagne, au Maroc comme en France. Dans la seconde moitié du XXe siècle, les évolutions ont été incomparables. Il y avait, au Maghreb, dans les années 1970, une infime minorité de femmes en grande partie libérées, vivant au diapason de l’Occident - fac, ciné-club et révolution...
Avant l’émergence de l’islam politique, la condition des femmes n’était pas forcément meilleure qu’aujourd’hui. Elles vivaient, pour la majorité, dans la soumission, au sein de sociétés qu’avait figées la colonisation. Si bien qu’il y a deux siècles de
différence, au moins, entre ce qu’a connu ma mère et ce que j’ai pu vivre : nous sommes au-delà du simple choc de générations.
Face à la misère économique et à l’humiliation de la colonisation, les femmes musulmanes se sont arc-boutées, drapées, cachées, pour échapper à la violence de conquérants prêts à dénuder, à prostituer, à ravaler. Cette recherche d’une protection a bien sûr débouché sur une forme d’immobilisme ou de sclérose - parfaitement analysée par Frantz Fanon-, qui a empêché les bonds qualitatifs en faveur de la condition féminine.
Vous convenez de cet archaïsme, qui a fait que le voile est devenu aliénation...
Ça, c’est le discours des féministes blanches. Même si elles portent majoritairement le voile, les Algériennes sont plus émancipées qu’il y a trente ans. Tout simplement parce qu’elles ont accédé à l’école et à l’université. L’affranchissement m’apparaît évident, même si certains signes, jugés régressifs, ne plaisent pas à une petite minorité bourgeoise, lettrée, occidentalisée. En Algérie, aujourd’hui, sur les plages, les femmes se baignent avec le voile. On peut se focaliser sur un bout de tissu. Moi, je trouve heureux que les femmes soient dehors, à l’aise dans l’espace public, au lieu d’être massivement confinées comme naguère.
Je reconnais cependant qu’il faut mener le combat pour que les femmes qui souhaitent se baigner en maillot puissent le faire en toute liberté : c’est loin d’être gagné !
Vous êtes donc contre l’obligation : de porter le voile en Algérie, de ne pas le porter en France. Ici, opposée au voile, existe une interdiction - laïque donc étatique. Mais vous ne pouvez pas sous- estimer la contrainte en faveur du voile -archaïque donc plus diffuse. Le débat concerne donc ces deux formes de coercition, sans minorer l’une ou l’autre...
Je vous répète que le voile n’est pas un modèle que je préconise. Mais l’interdire me semble inefficace, confus et révélateur : la façon dont cette question a été médiatisée dans une France en crise d’identité, n’a fait que donner envie à plus de femmes encore de porter le voile! Vous nous humiliez sous couvert d’extirper notre prétendue aliénation. Comment ne pas ressentir une telle injustice ? J’ai quitté l’Algérie en étouffant sous le manque de liberté. Je rêvais d’une France où existerait la liberté de penser comme de se vêtir. Nous nous disions, entre nous : «A Paris, tu peux même marcher nue, personne ne te regarde ! » Et voici que vous inventez, au fil des années, des injonctions vestimentaires, en nous les faisant subir ! Qu’est-ce que c’est que cet abcès de fixation sur le voile ?!
Mais pourquoi s’accrocher au voile jusqu’à faire de cette forme d’éteignoir un signe de rébellion ?
Quand tu es en France, quand on te fait comprendre, matin, midi et soir, que tu n’es pas ici chez toi, que reste-t-il ? Le pays d’origine ? Tu n’y es pas plus chez toi qu’en France. Alors tu t’inventes ou tu te réinventes une identité : tu t’accroches à ce qui te reste, la religion, ta religion ; coûte que coûte, avec de plus en plus de force à mesure qu’on te la conteste. Et le nombre grandissant de filles françaises - parce qu’elles sont françaises - qui décident de porter le voile, sonne d’abord et avant tout l’échec de “l’intégration à la française”. L’État et la société devraient s’interroger sur cette déconvenue nationale, au lieu de vaticiner sur l’intégrisme barbare et barbu prétendument à l’œuvre.
Regardez la marche dite des Beurs de 1983 : il n’y avait pas un voile, ni un foulard dans les quartiers. Qu’est-ce qui a été manqué? L’égalité. D’où ce bras d’honneur, qui signale la faillite de la gauche française, et que vous refusez de voir comme tel...
Alors que nous sommes condamnés à vivre ensemble aujourd’hui, je revendique de trouver criminelle la façon dont le débat sur le voile a été monté en épingle, en France, par le personnel politique et les grands moyens de communication. Ils opposent “musulmans” et “Français de souche” - personnellement je me sens française depuis 1830 et mes aïeux ont été embarqués dans deux guerres mondiales, alors qu’on arrête de me bassiner, même si je suis immigrée algérienne depuis vingt ans ! Nous avons besoin de respect et d’égalité.
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