l n'y a pas encore si longtemps, la Turquie semblait avoir trouvé la formule de la réussite en matière de politique étrangère —simple et concise. La philosophie qu'elle venait récemment de faire sienne, «zéro problème avec les voisins», était vantée partout, nationalement comme internationalement.
A peine quelques années plus tard, aux lendemains du Printemps Arabe et de ses conséquences, cette recette qui semblait pourtant fiable commence de plus en plus à relever de l'alchimie. Le premier ministre Recep Tayyip Erdoğan a désormais coupé les ponts qui le reliaient au régime militaire égyptien, il s'en est pris aux monarchies du Golfe pour leur refus de soutenir Mohamed Morsi, le président égyptien destitué, et s'est aussi lancé dans une guerre verbale avec Israël, qu'il accuse d'avoir collaboré au coup d’État responsable de son départ du pouvoir.
Pendant un éphémère instant, l’Égypte a été la pièce maîtresse de la politique étrangère turque dans le monde arabe. Lors de sa visite au Caire en septembre 2011, peu après la révolution qui avait renversé Hosni Moubarak, Erdoğan avait été accueilli en héros, célébré non seulement pour avoir été le premier dirigeant d'envergure à en appeler à la démission du raïs, mais aussi pour son éminente stature de conciliateur régional.
Il n'en est plus rien aujourd'hui: la Turquie et l’Égypte ont rappelé leurs ambassadeurs respectifs et Erdoğan a publiquement vilipendé le nouveau gouvernement du Caire. «Entre Bachar [el-Assad] et [Abdel Fattah al-Sissi, le chef de l'armée égyptienne], il n'y a aucune différence», a-t-il déclaré mi-août. «Ce que je dis, c'est que le terrorisme d’État est en train d'arriver en Égypte.»
[...]
désormais considérée comme un protagoniste partisan et non plus comme un intermédiaire neutre. En Irak, elle a ouvertement défié le gouvernement du Premier ministre Nouri al-Maliki en l'accusant d'attiser les conflits religieux et de négocier derrière son dos des contrats d'exploitations pétrolières avec le gouvernement régional du Kurdistan. En Syrie, elle a offert un soutien sans bornes aux rebelles, en leur laissant champ libre sur son territoire tout en fermant les yeux sur leurs atrocités et en critiquant les États-Unis pour avoir qualifié de groupe terroriste les djihadistes de Jabhat al-Nosra, liés à Al-Qaïda.
Pour l'ancien diplomate turc, Ankara a bien fait de vouloir la chute du Président Bachar el-Assad, mais il déplore aussi sa maladresse à ce sujet, «La Turquie a eu raison de soutenir le peuple opposé au dictateur, mais elle aurait dû s'arrêter là», déclare-t-il. «En coupant tous les ponts avec le régime, la Turquie a perdu l'influence qu'elle pouvait exercer auprès d'Assad.» Et quand la communauté internationale, inquiète que les rangs des rebelles ne gonflent de djihadistes, a rechigné à un soutien plus conséquent, «la Turquie, pour parler comme au football, s'est retrouvée hors-jeu».
Erdoğan a aussi d'autres problèmes de politique étrangère dans d'autres endroits du monde. En Occident, l'image de la Turquie a pris un sérieux coup cet été avec les manifestations du parc Gezi. La décision d'Erdoğan d'y répondre avec sa police antiémeute, des gaz lacrymogènes et des canons à eau a fragilisé ses liens avec l'Union Européenne: fin juin, juste après la répression du mouvement protestataire de Gezi, Bruxelles décidait de reporter à octobre les négociations sur l'adhésion de la Turquie. Et depuis, la presse américaine n'y est pas allée de main morte avec le Premier ministre turc.
Mais la Turquie n'a quasiment rien fait pour réparer les dégâts. Au contraire, des responsables turcs n'ont eu de cesse d'accuser les pays occidentaux d'avoir orchestré les manifestations et diverses «forces obscures» –soit, entre autres, ce qu'Erdoğan appelle énigmatiquement le «lobby» international «du taux d'intérêt»— de les avoir financées. Le nouveau premier conseiller d'Erdoğan, Yiğit Bulut, n'a eu pour sa part aucun scrupule à qualifier l'Union Européenne de «raté attendant son effondrement total», tandis qu'Egemen Bağış, qui est le ministre en charge des négociations d'adhésion, faisait savoir que «si nécessaire, nous pourrions très bien leur dire "du balai"».
Piotr Zalewski
Traduit par Peggy Sastre
A peine quelques années plus tard, aux lendemains du Printemps Arabe et de ses conséquences, cette recette qui semblait pourtant fiable commence de plus en plus à relever de l'alchimie. Le premier ministre Recep Tayyip Erdoğan a désormais coupé les ponts qui le reliaient au régime militaire égyptien, il s'en est pris aux monarchies du Golfe pour leur refus de soutenir Mohamed Morsi, le président égyptien destitué, et s'est aussi lancé dans une guerre verbale avec Israël, qu'il accuse d'avoir collaboré au coup d’État responsable de son départ du pouvoir.
Pendant un éphémère instant, l’Égypte a été la pièce maîtresse de la politique étrangère turque dans le monde arabe. Lors de sa visite au Caire en septembre 2011, peu après la révolution qui avait renversé Hosni Moubarak, Erdoğan avait été accueilli en héros, célébré non seulement pour avoir été le premier dirigeant d'envergure à en appeler à la démission du raïs, mais aussi pour son éminente stature de conciliateur régional.
Il n'en est plus rien aujourd'hui: la Turquie et l’Égypte ont rappelé leurs ambassadeurs respectifs et Erdoğan a publiquement vilipendé le nouveau gouvernement du Caire. «Entre Bachar [el-Assad] et [Abdel Fattah al-Sissi, le chef de l'armée égyptienne], il n'y a aucune différence», a-t-il déclaré mi-août. «Ce que je dis, c'est que le terrorisme d’État est en train d'arriver en Égypte.»
[...]
désormais considérée comme un protagoniste partisan et non plus comme un intermédiaire neutre. En Irak, elle a ouvertement défié le gouvernement du Premier ministre Nouri al-Maliki en l'accusant d'attiser les conflits religieux et de négocier derrière son dos des contrats d'exploitations pétrolières avec le gouvernement régional du Kurdistan. En Syrie, elle a offert un soutien sans bornes aux rebelles, en leur laissant champ libre sur son territoire tout en fermant les yeux sur leurs atrocités et en critiquant les États-Unis pour avoir qualifié de groupe terroriste les djihadistes de Jabhat al-Nosra, liés à Al-Qaïda.
Pour l'ancien diplomate turc, Ankara a bien fait de vouloir la chute du Président Bachar el-Assad, mais il déplore aussi sa maladresse à ce sujet, «La Turquie a eu raison de soutenir le peuple opposé au dictateur, mais elle aurait dû s'arrêter là», déclare-t-il. «En coupant tous les ponts avec le régime, la Turquie a perdu l'influence qu'elle pouvait exercer auprès d'Assad.» Et quand la communauté internationale, inquiète que les rangs des rebelles ne gonflent de djihadistes, a rechigné à un soutien plus conséquent, «la Turquie, pour parler comme au football, s'est retrouvée hors-jeu».
Erdoğan a aussi d'autres problèmes de politique étrangère dans d'autres endroits du monde. En Occident, l'image de la Turquie a pris un sérieux coup cet été avec les manifestations du parc Gezi. La décision d'Erdoğan d'y répondre avec sa police antiémeute, des gaz lacrymogènes et des canons à eau a fragilisé ses liens avec l'Union Européenne: fin juin, juste après la répression du mouvement protestataire de Gezi, Bruxelles décidait de reporter à octobre les négociations sur l'adhésion de la Turquie. Et depuis, la presse américaine n'y est pas allée de main morte avec le Premier ministre turc.
Mais la Turquie n'a quasiment rien fait pour réparer les dégâts. Au contraire, des responsables turcs n'ont eu de cesse d'accuser les pays occidentaux d'avoir orchestré les manifestations et diverses «forces obscures» –soit, entre autres, ce qu'Erdoğan appelle énigmatiquement le «lobby» international «du taux d'intérêt»— de les avoir financées. Le nouveau premier conseiller d'Erdoğan, Yiğit Bulut, n'a eu pour sa part aucun scrupule à qualifier l'Union Européenne de «raté attendant son effondrement total», tandis qu'Egemen Bağış, qui est le ministre en charge des négociations d'adhésion, faisait savoir que «si nécessaire, nous pourrions très bien leur dire "du balai"».
Piotr Zalewski
Traduit par Peggy Sastre
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