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La vérité sur la pénurie d’ingénieurs en France

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  • La vérité sur la pénurie d’ingénieurs en France

    Ne lui parlez pas du chômage des jeunes. Serge Nicod, patron toulonnais d’une petite entreprise de logiciels de tourisme, s’arrache les cheveux pour en recruter. L’école d’ingénieurs Isen de Toulon, spécialisée dans le numérique, a beau être à quelques pas, il ne parvient pas à attirer les jeunes diplômés. "Ils sont tous happés par les grands groupes de la région, DCNS, Thales, Gemalto, et il n’en reste plus pour rejoindre une PME comme la nôtre", confie-t-il, amer.

    Sa solution? Prendre chaque année un ou deux étudiants en apprentissage et leur proposer un CDI dans la foulée. Problème: la plupart du temps, les nouveaux ingénieurs déclinent l’offre… Le directeur du développement de l’Isen de Toulon, David Brun, le reconnaît: "Chaque semaine, je reçois cinq à six e-mails d’entrepreneurs qui recherchent des jeunes et mettent la pression pour accélérer les formations. Mais on n’est pas des marchands de viande !" Sa filière d’électronique embarquée a le vent en poupe. Ce n’est pas une raison pour surcharger les classes ou diminuer le temps d’enseignement.


    4.500 diplômés en moins

    A Paris, Capgemini a les mêmes problèmes que la PME toulonnaise. "La France ne forme pas assez d’ingénieurs", affirme Jacques Adoue, son directeur des ressources humaines. Il en embauche entre 2.500 et 4.000 par an, et, même avec son étiquette "grande boîte", il peine à séduire les plus pointus. En réaction, il a monté une cellule dite de "sourcing". Soit une équipe de sept personnes à temps plein chargées de scruter la Toile et les réseaux sociaux pour débusquer les perles rares. "C’est notre principal mode de recrutement avec l’embauche des stagiaires", dit-il.

    La France serait-elle frappée par une grave pénurie d’ingénieurs ? Depuis des années, les directeurs des grandes écoles tirent la sonnette d’alarme: 31.000 diplômés par an ne suffisent pas, selon eux, aux besoins de l’économie.

    Et le pire serait à venir. "Il manque 4.500 diplômés par an, assure Christian Lerminiaux, président de la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs. En 2017, il faudra en former 6.500 de plus, et 13.000 en 2022, compte tenu des départs en retraite et de la croissance de l’activité."

    Sur le terrain, des écoles voient leurs élèves s’évaporer. Par exemple, 98% de ceux des Mines d’Alès sont recrutés dans les quatre mois suivant leur sortie. "Pour les jeunes, c’est très bien, mais si l’activité redémarre, il y aura un vrai souci", commente son directeur, Bruno Goubet.

    Un taux de chômage de 4%

    Le problème, c’est que les statistiques officielles ne valident pas ces témoignages locaux. Si le manque de compétences dans l’informatique, l’automatique et l’électronique est criant, ailleurs, rien n’accrédite l’idée d’une pénurie. En mars, la ministre de l’Enseignement supérieur, Geneviève Fioraso, a été interpellée sur le sujet par la députée UMP Michèle Tabarot.

    Après six mois de moulinage de chiffres, la réponse ministérielle est tombée mi-septembre: "Selon un certain nombre d’études, l’hypothèse d’un déficit en élèves ingénieurs peut être invalidée." Pis, des secteurs comme le bâtiment, les travaux publics ou la chimie-biologie "présentent des difficultés d’insertion".

    Ce constat est partagé par l’association Ingénieurs et scientifiques de France, qui note que les recrutements ont baissé de 8% l’an passé et que le taux de chômage a augmenté de 0,5 point. Pour demeurer à un très raisonnable 4%. Et le taux d’insertion des jeunes est en recul. Quelque 70% des diplômés de 2012 avaient décroché un job dans les six mois après leur sortie, contre 80% pour la cuvée précédente.

    Lourdeurs administratives

    D’où vient alors l’impression de rareté ? D’abord, des besoins spécifiques du secteur numérique, où 5.000 ingénieurs feraient défaut chaque année, de l’aveu même de la ministre. Ensuite, du trop long délai de réactivité des écoles aux demandes des employeurs. Il faut au bas mot deux ans pour inaugurer un cursus. Une année pour labelliser la formation auprès de la sourcilleuse Commission des titres d’ingénieur (CTI), et une année pour caler les détails de l’enseignement. "L’engrenage administratif est assez lourd, admet Laurent Carraro, le directeur de l’Ecole nationale supérieure des arts et métiers. Gagner un an serait déjà un grand pas."

    En attendant, les entreprises rongent leur frein. A l’image d’EDF dans le Sud-Est qui prévoit l’embauche de 500 ingénieurs en génie électrique par an jusqu’en 2020, et piaffe de voir la formation des Arts et Métiers d’Aix-en-Provence ouvrir ses portes. Ou de l’Union des industries de carrières qui se languit des ingénieurs en conduite d’exploitation qu’elle a "commandés" à l’école des Mines d’Alès.

    Histoire de gagner du temps, les écoles proposent aux entreprises de prendre les jeunes en apprentissage dès leur scolarité. En dix ans, la part des apprentis a ainsi bondi de 5 à 14%. Mais les contraintes sont pesantes. "Certaines écoles ne proposent pas de contrats en alternance inférieurs à trois ans, regrette Jean-Christophe Gallienne, responsable du recrutement de Solvay France. Nous en proposerions davantage s’ils étaient plus courts et plus souples."
    Enjeu financier

    Pour répondre aux entreprises, le ministère de l’Enseignement supérieur parie aussi sur les 6.000 diplômés des masters universitaires dans les sciences de l’ingénieur. Quitte à susciter la colère des défenseurs de l’école d’ingénieurs à la française. A les entendre, en dehors des formations labellisées "CTI", point de salut. "C’est un peu comme si vous refourguiez une Fiat Mondeo à quelqu’un qui veut une Peugeot 508, cela ne trompe personne", raille un directeur.

    Il faut dire que derrière le choix de booster les masters ou les écoles se cache une bataille de gros sous. Sur fond de rapprochement universités-grandes écoles. En pointant le manque d’ingénieurs, les directeurs de ces écoles espèrent voir leurs moyens augmenter ou profiter d’une partie de la manne des universités. Certains ont déjà fait leur calcul. "Si l’on souhaite former 6.000 ingénieurs de plus par an, cela exige un effort de 60 millions d’euros au minimum", rêve l’un d’eux. Ou comment transformer la pénurie en corne d’abondance.



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