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Dans l'Afrique du Sud de l'après-Mandela, la ferme des Webster redoute la fin d’un monde

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  • Dans l'Afrique du Sud de l'après-Mandela, la ferme des Webster redoute la fin d’un monde

    Et cette pluie qui ne tombe toujours pas… Il y a un mois, toute la campagne de Kommadagga, des collines aux vallées, avait séché jusqu'à la roche. Les chèvres de Myke se sont mises à mourir un peu plus vite que d'ordinaire, affaiblies par la sécheresse ou emportées par les chacals.
    Depuis, il a plu, un peu, la terre a reverdi, mais le désastre est là. Sur la belle ferme de 7 000 hectares, il ne reste que 450 chèvres, surtout des mohairs élevées pour la laine, contre près de 1 300 quelques mois plus tôt. « Cela fait vingt ans que je ne suis pas descendu aussi bas », assure Myke Webster, la soixantaine passée, qui se sent aussi menacé que son petit bétail.

    Alentour, les exploitations agricoles tenues par des Blancs tendent à disparaître, remplacées par des réserves de luxe, « des endroits où des touristes paient pour qu'on les mette dans des voitures et qu'on les emmène regarder des animaux », ironise Myke, moins scandalisé par cette évidente crétinerie des gens de la ville que par le fait que les carnivores de ces mêmes réserves, désormais, s'échappent et viennent croquer ses chèvres.

    « JE NE SAIS PAS SI CELA VA TENIR LONGTEMPS »

    Preuve que son désespoir agricole n'est pas aussi profond qu'il y paraît, le mohair, dont l'Afrique du Sud est le premier producteur mondial, a des prix stables. Certes, à la ferme, on a multiplié les échecs. Les autruches, qui mangeaient comme des goinfres, se sont enrhumées au premier courant d'air et sont mortes trop tôt. Les poules et les canards de sa femme, Gill, sont tués par une bête mystérieuse.

    Novembre a donc été un désastre, et voilà que décembre est pire. Car Nelson Mandela vient de mourir. Alors, comme toujours à la ferme, Myke est inquiet et il attend. La pluie, bien sûr. Mais aussi l'enterrement de l'ancien président. Et ce qui adviendra : « C'est lui qui a permis au pays de ne pas basculer, mais, après sa mort, je ne sais pas si cela va tenir longtemps. »

    Gill Webster, dans une boutique de la ville.
    En réalité, voilà qui en dit plus sur le passé que sur le futur. Mandela est sorti de la vie publique depuis plus de quinze ans, et l'Afrique du Sud a bien d'autres ciments que son héros disparu.



    Mais qui aurait cru qu'un jour on serait autant attaché à l'ancienne figure de l'ANC dans ce milieu, celui des fermiers blancs, dans lequel Nelson Mandela était honni au temps où, avant son incarcération, il avait pris la tête d'Umkhonto we Sizwe (« lance de la nation »), le bras armé du parti de l'émancipation des non-Blancs ?

    « COOL » D'ÊTRE BLANC ET SUD-AFRICAIN

    C'est qu'à sa libération, en 1990, il avait prôné, en plus de la réconciliation nationale, l'abandon des projets de confiscation brutale des terres des Blancs. De plus, cet homme finalement bien sympathique attirait les grâces de la planète entière sur l'Afrique du Sud, et chacun pouvait goûter une lampée de l'enivrante potion magique : tout à coup, être blanc et sud-africain n'était plus un motif de honte. C'était « cool », simple, tranquille.

    Mais l'enchanteur Mandela est parti, et son royaume va bien être obligé de se regarder dans le miroir. Ce n'est pas à la ferme des Webster que l'on suivra avec passion les détails de la semaine de deuil. On a déjà coupé la télévision, pour échapper au torrent d'évocations de la vie de Mandela qui a envahi toutes les chaînes sud-africaines (épargnant heureusement la météo).

    Gill en a des frissons : « Il y a un politicien, l'autre jour – ah ! j'ai oublié son nom –, qui a dit qu'il fallait chasser tous les Blancs du pays. Mais où est-ce qu'on irait ? En Angleterre ? C'est impossible. »

    Myke, descendant de colons britanniques, baisse le ton pour dire : « De toute façon, je n'ai pas de passeport anglais. Sur cette ferme, je représente la cinquième génération. Mon fils, c'est la sixième, et les petits-enfants, c'est la septième », compte-t-il soigneusement.

    L'aïeul est arrivé en 1849 de Grande-Bretagne. On ne s'attardera pas trop sur les détails historiques. Myke souhaite imaginer que la région était vide, que personne n'occupait cette place, tout en sachant que cette théorie imposée dans les livres d'histoire du temps de l'apartheid a été un pur mensonge de conquérants.

    « LES STANDARDS SONT DÉPLORABLES »

    Question d'âge, question d'époque, question de caractère, les Webster ont le sentiment de vivre la fin d'un monde. On a volé tellement de fois les câbles du téléphone que la compagnie nationale a renoncé à les remplacer. La gare la plus proche a été fermée, comme le bureau de poste ou l'école locale, où leurs enfants ont étudié jusqu'à leurs 7 ans, avant d'aller en pension.

    Justement : l'école. N'a-t-on pas aperçu sur la route, en venant, un bâtiment assez neuf, tout proche, où figurait ce nom ? « Ah oui, effectivement, ils en ont ouvert une, mais les standards sont déplorables », élude Gill.

    Un ouvrier agricole, lui, se souvient bien, pourtant, que c'est précisément Nelson Mandela qui était venu l'inaugurer, presque en voisin, quand il terminait sa vie tranquillement à Qunu, sa maison du Cap-Oriental.

    Dans les collines de Kommadagga, petits Blancs et petits Noirs n'en sont pas encore à s'asseoir sur les mêmes bancs, et leurs parents à partager les mêmes pans de mémoire, de toute évidence.
    le monde
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