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Rue sombre au 114 bis, Hakim Laâlam

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  • Rue sombre au 114 bis, Hakim Laâlam

    L’illustration de couverture du livre de Hakim Laâlam est déjà un roman. Au premier plan de cette image en noir et blanc, un fauteuil roulant au pied d’un escalier. Le mur nu, à gauche, accentue le gros plan et le met en relief...

    Du fond de la perspective qu’on a devant les yeux émane une lumière diffuse. Le fauteuil vide et les premières marches d’escalier sont éclairées crûment. Montage photographique ? Ou peut-être est-ce une peinture? C’est sans importance, cette illustration ayant le pouvoir de donner une vie métaphorique à une impasse où trône une chaise roulante.

    Le lecteur averti devine qu’il s’agit là d’une sorte de parabole iconique. Les signes visuels précurseurs de l’histoire qui va suivre ainsi posés, il pressent une intrigue surréaliste, une atmosphère tendue et inquiétante. Il entrevoit une scène où le tragique le dispute à l’absurde, où l’émotion dramatisée naît d’une vérité mise en scène par l’auteur et habillée pour la circonstance par l’art du langage. Le pouvoir des mots ? Il s’impose tout de suite avec ce titre surprenant et coloré : Rue sombre au 144 bis.

    Et le même lecteur, bien informé, de se dire : «Pas de confusion possible. Le 144 ne désigne pas le numéro d’une rue, il ne peut s’agir que du fameux article 144 bis du code pénal. Un article taillé sur mesure pour les journalistes qui se seraient rendus coupables d’offense, d’outrage ou d’injure à l’endroit du président de la République !» Voilà donc un titre qui, combiné à une simple image de couverture, jette un nouvel éclairage sur une impasse qui, observée avec un regard un peu décalé, offre désormais à voir des objets en mouvement. Au-delà du sens allégorique de l’ensemble (l’absurdité et le malheur d’une situation telle que symbolosée par ces premiers indices visuels), Hakim Laâlam a su créer les prémices d’un récit dont le charme et la puissance vont forcément reposer sur l’image.

    Dans son roman, la vie sera décrite en mouvement. La lumière venue du haut de l’escalier promet un monde grouillant de vie. Non pas des stéréotypes ou de simples personnifications, mais cette fois une belle expérience émotionnelle avec des personnages vivants (humains) et que le lecteur se fera un plaisir de partager. Dans ce monde-là, par exemple, il y a «ces jeunes autour d’une table de billard, là, en pleine rue, ce marchand ambulant de fruits et légumes dont la fourgonnette était stationnée à même le trottoir, ou encore ce gérant de café s’étant approprié une portion de la voie publique». Hakim Laâlam en parle avec beaucoup de tendresse tout en laissant éclater sa colère et sa révolte lorsqu’il ajoute, à propos de ces jeunes algériens : «Ils avaient juste façonné un monde à eux, un univers parallèle dont ils tentaient de toutes leurs forces et leur ingéniosité de préserver l’intégrité en le faisant le moins possible se rencontrer avec l’univers officiel, le monde de l’Autre et de tous les Autres qui l’avaient précédé.» Deux mondes qui se côtoient, en apparence, et qui se regardent en chiens de faïence.
    E
    n réalité, «deux Algéries presque parallèles, évoluant dans deux dimensions dépourvues de portes communicantes, de passerelles, de fenêtres, de voies d’accès et de rencontres. Sauf par temps de pluie, d’orages, de tempêtes, d’inondations ou de tremblements de terre». Le destin de Selim, le personnage principal du roman, sera frappé du sceau de la tragédie précisément à cause de ce cruel paradoxe, même si la danse avec la mort commence tout au début du récit. Résumons : Selim Batel est un nom de plume, un excellent chroniqueur au journal La Sentinelle. Il est régulièrement convoqué par la justice pour ses écrits considérés trop «critiques» ou «irrévérencieux». Cette fois, ce n’est pas le verdict du juge qui tombe comme un couperet, mais l’annonce de sa mort prochaine. Selim est un mort en sursis, le professeur Maâlag lui ayant confirmé qu’il est atteint d’un cancer qui ne lui laisse que quelques mois à vivre. Entre le calvaire des hôpitaux et des séances de chimiothérapie, il vit son passé défiler en flash-back : les années terribles de la décennie noire, les «virées folles», les soirées improvisées dans les locaux de La Sentinelle, les visites à sa fille Hana souffrant d’une malformation cardiaque...

    Une suite de tableaux sur lesquels plane irrémédiablement l’ombre de «l’Autre», y compris lors du rituel hebdomadaire au journal. «L’Autre n’était jamais vraiment loin. Son spectre rôdait la journée. Baladant ses vents mauvais dans le parking jouxtant les locaux de La Sentinelle, traînant ses oreilles, énormes appendices portés par une armée de serviles serviteurs dans les couloirs du journal et forçant la porte du bureau de Sofiane, dès que leur soirée commençait. Il était l’invité obligé, le serviteur du Soir», écrit l’auteur à propos de ce personnage omnipotent et omniscient. Une allégorie du pouvoir, de tous les pouvoirs qui se sont succèdé depuis l’indépendance ? Ce jour-là, en tout cas, «l’Autre» est de retour au pays après des soins à l’étrangers. Le jour du grand show, du bain de foule pour le Messie en charge «de conduire la tribu vers le salut». Dès lors, l’action devient plus rapide, plus dramatique.

    Tout se précipite vers l’inévitable conclusion finale : la mise à mort dans l’impasse, dans cette rue sombre près de la Place du 1er Mai... Enfin, «Selim tenait l’Autre, le coinçait dans cette impasse», et même s’il sera exécuté de façon absurde il gardera «un sourire presque victorieux (...), enfin apaisé».
    Le récit se termine par cette ouverture de lumière. Une petite fenêtre pour dire que la liberté de la presse et les autres libertés, loin d’être acquises, le seront sans doute le jour où s’imposera une véritable démocratie. L’espoir est au bout de l’impasse, même si, aujourd’hui encore, «tu n’as plus d’autre guide que la lumière des mots» (Fouad Negm). Rien que pour cela, le roman de Hakim Laâlam n’est pas une parabole sur la mort ou sur la vanité du pouvoir et des possessions terrestres. Cette histoire qui mélange la réalité et la fiction est, au contraire, un hymne à la vie, un chant de liberté.
    Ecrit selon les règle de l’harmonie musicale, le texte rend compte le plus étroitement possible de la vie qui palpite autour de soi, qu’elle soit belle ou revêtue de son masque de laideur. En cela, on peut dire que le chroniqueur a su habilement revêtir, pour l’occasion, l’habit du reporter de terrain. D’où tous ces morceaux pris sur le vif, si savoureux : le personnel de l’hôpital, les moustiques, l’inénarrable Lalla Malika, la cheminée de la maison parentale ou encore le juge Pet’sec.

    Tout un univers de sons, de voix, de personnages extravagants, d’objets inanimés qui prennent vie comme par magie. Un récit dont l’intérêt humain est rehaussé par le confort de lecture, c’est-à-dire la lisibilité du texte, les mots simples, les informations factuelles couplées à la fiction... Et si le lecteur s’accroche à l’histoire jusqu’au bout, c’est tout simplement parce que Rue sombre au 114 bis se lit d’abord comme un polar. D’une traite.

    Hakim Laâlam, Rue sombre au 114 bis, roman, Koukou. Editions, Alger 2013, 150 pages, 500 DA


    Hocine Tamou, Le Soir
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