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Les mille et une nuits de Dubaï

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  • Les mille et une nuits de Dubaï

    Bonjour, Dubai est devenu, ces dernières années, la destination d'expatriés originaire du Proche Orient.
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    Trente ans après le premier choc pétrolier, le 6 octobre 1973, Dubaï, paradis high-tech, est devenu le Singapour du Moyen-Orient. L’or noir n’y joue plus qu’un rôle secondaire et l’émirat a profité de toutes les crises de la région.

    La compagnie aérienne Emirates n’était pas née. C’était l’époque héroïque où les équipages d’Air France, refusant les rapaces en cabine, se mettaient en grève pour une morsure de faucon. Le noble animal ne fréquente plus la classe touriste : il voyage désormais en première, où il occupe à lui seul un siège dûment réservé, et il va faire soigner ses déprimes à Dubaï dans un hôpital ad hoc, une clinique pour faucons mal en point.

    Il y a trente ans, Dubaï n’était rien, ou presque, un petit port perlier vivant de la contrebande d’or avec l’Inde, et sa crique, un doigt de mer enfoncé dans le désert. Et puis le miracle vint.

    Le 6 octobre 1973, les exportateurs arabes de pétrole, sur l’initiative de l’émirat d’Abou Dhabi, décident, en réponse à la guerre du Kippour, de stopper les livraisons vers les pays soutenant Israël. Cet embargo, étendu à l’ensemble des pays consommateurs, provoque l’envolée des prix et le « premier choc pétrolier ». L’Occident découvre Dubaï et Dubaï s’ouvre au monde moderne. En moins d’une génération, pariant sur le commerce plus que sur l’or noir, le minuscule émirat réussit à se poser en plate-forme de transit, d’abord à l’échelle du Golfe, puis du Moyen-Orient, et aujourd’hui de la planète.

    Trente ans, ou même vingt, ou des siècles. Pour le visiteur, c’est tout comme : il ne reconnaît rien. Ni la côte illuminée telle une Riviera, ni les rues à quatre ou six voies, ni les ponts routiers, ni les orgueilleux buildings de verre et de béton, encore moins les palmiers, les pelouses, les parcs qui métamorphosent cette terre aride en oasis luxuriante. Jadis, la route menant de l’aéroport au centre traversait un désert sans fin où chèvres et chameaux paissaient de loin en loin. Quel centre ? Le terminal est désormais situé en pleine ville, et la tour du World Trade Center, mère de toutes les tours, qui, jusqu’au début des années 1980, gardait la périphérie, fichée seule sur le sable comme une vigie démesurée, se perd maintenant dans une futaie de gratte-ciel plus audacieux les uns que les autres.

    Dubaï n’a plus de centre, plus de passé, plus de caractère. De nuit et de haut, elle ressemble à Los Angeles, de jour à Singapour, Miami et Zurich réunis. On pourrait être n’importe où. La cité-État est devenue une « ville monde », où toutes les races, les coutumes et les raisons sociales se côtoient, et la métropole d’une économie globale, paradis de la haute technologie et des ventes hors taxes. Je rêve d’habiter à Dubaï, si quelqu’un a un tuyau…, écrivent par centaines des jeunes, notamment musulmans, sur le site expat.com. Pour la nouvelle génération, Dubaï est un mythe, une enclave moderne au cœur de l’Arabie de toujours, libérale, et riche, très riche. Les Mille et Une Nuits, version techno et cybercafé.

    Le pétrole n’y joue plus qu’un rôle très secondaire. Tout est parti de là pourtant, mais qui s’en soucie encore ? Le « choc pétrolier », ici, c’est de la préhistoire. Dubaï est déjà dans l’« après-pétrole » et l’événement qui mobilise tous les esprits en cet automne 2003 est l’assemblée annuelle du Fonds Monétaire International, pour la première fois dans un pays arabe. Un « saut qualitatif » dans le développement, a commenté Cheik Mohammed Ben Rachid Al-Maktoum, prince héritier et homme fort de l’émirat, en annonçant le lancement du Centre Financier International, une nouvelle zone franche qui veut faire de la cité un autre Beyrouth, à mi-chemin entre Hongkong et Londres. Le chemin est encore long d’ici là, mais nul n’en doute : tôt ou tard, l’ancienne côte des Pirates deviendra une plaque tournante mondiale pour les capitaux comme elle l’est déjà pour les marchandises et le tourisme d’affaires. Bill Clinton lui-même, de passage dans l’émirat, n’a-t-il pas déclaré dernièrement : Dubaï, c’est l’histoire d’un succès qui mérite d’être raconté ?

    Sur Trade Center Road, un chantier bourdonne en 3 × 8. Deux étages sont déjà sortis de terre. Immeuble, villa ? Pour l’heure, ce n’est qu’un cube hérissé de filins où, le soir tombé, s’agitent de curieuses lucioles en cottes fluo sous la silhouette monstrueuse de la grue. Une semaine plus tard, on se frotte les yeux : la carcasse a maintenant quatre paliers. Deux étages en huit jours, qui dit mieux ?

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    Dernière modification par zek, 29 septembre 2006, 12h34.
    Si vous ne trouvez pas une prière qui vous convienne, inventez-la.” Saint Augustin

  • #2
    Au Beach Café

    Il y a un côté magique, dit Michel, en tirant sur sa pipe à eau parfumée à la pomme. Tout va si vite, tu voyages trois semaines et en rentrant, quelque chose a changé, ajoute, pensif, son ami Adel. La dernière fois, je me suis perdu en rentrant chez moi ! C’est comme un jeu de Monopoly, mais en grand, des immeubles entiers se construisent en deux mois et se vendent en trois semaines, renchérit Raoui, qui a vécu ici de 1976 à 1989. J’ai vu ce pays pousser comme des champignons dans le désert après la pluie.

    Le Beach Café n’est qu’un restaurant sans ostentation, caché au fond d’un petit centre commercial. Le patron est égyptien, le directeur libanais, les serveuses roumaines ou bulgares, la cuisine apatride. S’y croisent, en sortant du hall de jeux vidéo voisin, de jeunes locaux, en longue robe blanche, et des adolescents américains, en T-shirts et shorts démesurés. Il y a aussi des familles qui dégustent des grillades, l’œil rivé au plafond, où deux écrans géants diffusent en permanence clips et émissions télévisées. Et des solitaires indifférents, le nez plongé dans leur ordinateur.

    Et puis, il y a la bande à Adel. Ingénieur, né au Caire, il a longtemps travaillé à Houston pour une compagnie de services pétroliers. En 1998, il a été muté à Dubaï et il est resté. Il a ouvert le restaurant grâce à l’appui d’un sponsor local (partenaire dormant obligatoire à Dubaï sauf dans les zones franches). Le Beach Café est devenu le rendez-vous des copains. Égyptiens, Palestiniens, Libanais, Syriens, etc., tous ont passé, comme lui, les trois quarts de leur vie aux États-Unis. Mais l’Amérique les a déçus, voire exclus, après le 11 septembre 2001. Le passeport américain, c’était le rêve de ma vie, maintenant là-bas, je me sens menacé, soupire l’un d’eux.

    Alors, ils reviennent à leurs racines. Raoui, ancien journaliste, a ouvert une boutique d’instruments de musique, Michel, consultant en risque politique est en train de monter une société de conseil. Bassam a suivi la Citibank, qui a déménagé son siège régional de Bahreïn à Dubaï. Il envisage d’y terminer ses jours, comme Faouzi, qui travaille pour une grosse société locale. Jimmy, lui, revient tout juste de Bagdad. Sa famille y possédait autrefois une entreprise d’électricité, qui a périclité sous Saddam Hussein. Il est en train de la remonter, après quinze ans d’exil, depuis Dubaï, où il a établi son siège social.

    Pourquoi Dubaï ? Chacun a son explication du miracle. La liberté, la tolérance, le confort, dit l’un, c’est la meilleure qualité de vie à 2000 kilomètres à la ronde. Les infrastructures, la logistique, les communications sans équivalent, dit l’autre. La famille dirigeante, assure le troisième : contrairement à la plupart de leurs voisins, les émirs ont investi leurs dollars ici, dans le dur, au lieu de les planquer à l’étranger, ce sont des décideurs, cette ville est dirigée comme une société bien gérée. Tous opinent : Cheik Mohammed Al-Maktoum, le génie derrière Dubaï, déboule régulièrement à 9 heures dans les bureaux, raconte Raoui, le fonctionnaire absent est immédiatement viré.

    Michel a une vision plus stratégique : Tous sont marchands jusqu’au bout des ongles et les Maktoum sont les meilleurs marchands. Ils étaient petits, dans un environnement menaçant et ils ont su se rendre utiles afin que personne ne songe à les attaquer. Cela a très bien marché. En fait, ils ont bénéficié de toutes les crises,explique-t-il, en comptant sur ses doigts : un, l’embargo et le premier choc pétrolier ; deux, la révolution iranienne et la guerre Iran-Irak ; trois, l’effondrement de l’URSS ; quatre, l’invasion du Koweït ; cinq, le dernier conflit, en Irak. On pourrait ajouter les guerres civiles du Liban, du Yémen ou de la Somalie, ou la traque des talibans en Afghanistan tant le développement de la cité-État résume l’histoire de la région.

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    • #3
      L’odyssée de l’or noir

      On ne s’attardera pas sur les temps archaïques de l’avant-pétrole, ces années 1960 dont seuls les anciens se souviennent, sans nostalgie déplacée d’ailleurs : quelques maisons en pisé, un souk, un port ensablé, accessible aux seuls boutres à fond plat qui sillonnent le Golfe et la mer d’Oman, sans eau potable, sans électricité, sans médecin, sans route, sans école, c’était invivable et rares étaient ceux qui y survivaient après quarante ans.

      L’aventure débute en 1969 avec les premiers barils extraits. Dubaï, à peine sorti de la tutelle britannique, comprend que ses gisements sont minces et qu’ils ne dureront pas. Le petit État a l’intelligence de lier son sort à celui de son voisin, Abou Dhabi, qui, lui, possède les quatrièmes réserves du monde - mais n’en profite pas encore. En décembre 1971, la Fédération des Émirats Arabes Unis réunit les sept riverains de l’ancienne côte des Pirates. Moins de deux ans plus tard, le « premier choc pétrolier » donne à la jeune fédération les moyens d’amorcer son développement, à une échelle encore fort modeste. Dubaï, grâce à l’appui financier d’Abou Dhabi, drague sa crique et construit un second port en eaux profondes pour les tankers, ainsi qu’un aéroport dont le monde entier fait des gorges chaudes parce qu’il n’est distant que d’une dizaine de kilomètres de celui de Charja, bâti jadis par la Royal Air Force.

      En 1979, la révolution iranienne, suivie un an plus tard de la guerre avec l’Irak, donne raison au petit émirat ambitieux. Non seulement les cours du brut s’envolent une nouvelle fois, mais le port acquiert une position stratégique. Ses marchands entretiennent depuis toujours des relations privilégiées avec le sud de la Perse, dont beaucoup de familles sont issues. Dubaï devient le cordon ombilical de l’Iran de Khomeiny, qu’il approvisionne en marchandises les plus diverses, transistors, machines à laver, armes, pneus, voitures, etc. pour l’essentiel importées d’Asie. Fort de sa neutralité affichée, il fournit aussi, plus discrètement, l’Irak.

      Le chemin est tracé. Sachant que les factions libanaises qui s’étripent à Beyrouth depuis 1975 ont privé le Moyen-Orient de sa capitale économique, la cité marchande saisit sa chance. Un troisième port, adapté aux très gros porte-conteneurs, est creusé, à quelques kilomètres au sud. Au milieu des années 1980, Djebel Ali, devenu le plus grand port artificiel du monde, est entouré d’une zone franche et relié par autoroute à l’aéroport, lui-même agrandi pour accueillir les avions gros-porteurs et la nouvelle compagnie nationale, Emirates.

      Grâce à cette logistique, n’importe quelle marchandise débarquée en conteneurs peut être déballée, reconditionnée et réexpédiée en moins d’une heure par avion… ou par boutre. Car les vieux rafiots, irremplaçables pour se déjouer des hauts-fonds du Golfe (ou des douaniers), continuent leurs juteux trafics de proximité à partir de la crique, où un quai spécial leur a été alloué.

      Jouant sur tous les tableaux, Dubaï devient une plate-forme de réexportation internationale, escale obligée entre l’Orient et l’ensemble du Moyen-Orient, jusqu’au sous-continent indien, l’Afrique de l’Est (Somalie, Éthiopie, Zanzibar), et bientôt l’Europe. L’invasion du Koweït et l’opération Tempête du désert en 1990 renforcent encore son rôle de base arrière. La cité accueille nombre de marchands koweïtiens - dont certains s’implanteront - et une partie des troupes occidentales. Une fois la guerre finie, l’embargo infligé à Bagdad fournit aussi l’occasion de fructueux échanges (une partie du pétrole de contrebande transite par Dubaï). De leur côté, les mouvements islamiques, qui se renforcent, utilisent à leur profit les réseaux commerciaux bien rodés du port, et son fameux marché de l’or, aussi actif qu’incontrôlable.

      Au même moment, l’implosion du bloc soviétique en 1991 précipite vers Dubaï une nouvelle clientèle avide de biens de consommation. À bord de vieux zincs rafistolés dans les anciennes républiques méridionales de l’empire, les Russes, les Ukrainiens, les Arméniens, les Kazakhs débarquent par charters entiers, parfois juste la durée d’un week-end : sans sortir de l’aéroport et de sa fabuleuse zone « tax free » (9000 m2), ils mangent et dorment sur place avant de repartir surchargés de parfums, bijoux, télés et autres appareils électroniques. Emirates, compréhensif, tolère, au départ de Dubaï jusqu’à 17 kg d’excédent de bagages…

      Au milieu des années 1990, l’émirat, devenu le troisième centre de réexportation du monde, derrière Singapour, a bel et bien oublié le pétrole, au terme d’un judicieux partage des tâches au sein de la fédération. Abou Dhabi, le plus puissant et le plus riche, le décharge du poids de l’armée, de la diplomatie, de l’enseignement, de la santé, etc. Ils avaient ainsi plus de liberté financière pour se développer rapidement dans d’autres secteurs, explique Cheik Abdallah Ben Zayed, ministre de l’information des EAU. Dubaï se sent pousser des ailes et se lance dans une frénésie de grands projets qui, au départ simples opérations immobilières, se révèlent de nouvelles sources de croissance. Complexes hôteliers, centres commerciaux, golf, marina, port de plaisance. Construisez, et ils viendront, telle est la devise des patrons de Dubaï. Et « ils » viennent…

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      • #4
        J'étais à Dubai au mois d'août et franchement je n'y trouve rien d'extraordinnaire à part le luxe et des batiments de plus en plus fou construit dans un désert ou il règne une chaleur incroyable.
        C'est dingue il n'y a personne dehors dans les rues, c'est : Hotel - voiture (avec clim)-magasins....

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        • #5
          L’effet 11 septembre

          D’autant plus que l’après-11 septembre 2001 a refroidi le sentiment proaméricain : les riches familles du Golfe qui avaient coutume de passer l’été outre-Atlantique préfèrent désormais les palaces de l’émirat où on ne parle pas de politique, mais de luxe, de calme et de business. D’Arabie saoudite, du Koweït, d’Irak, de Bahreïn, des hommes d’affaires affluent aussi et installent leurs bureaux, attirés par une paix et un style de vie de moins en moins possible chez eux. Le Burg Dubai, en forme de voile tendue vers le large, réputé l’hôtel le plus cher du monde - 7000 euros la nuit pour une suite -, devient la fierté, et sa silhouette, le symbole de l’émirat.

          Au Beach Café, Faouzi, « M. Chiffres », sort son ordinateur de poche : avec 4,5 millions de touristes en 2002 (sans compter les 16 millions de passagers en transit), Dubaï talonne l’Égypte, annonce-t-il, au grand dam de certains autour de la table. Et ce n’est rien au regard des performances commerciales : la zone franche du port compte, dit-il, 2300 compagnies, dont le gotha des multinationales, General Motors, Schneider, Siemens, Chrysler, Daimler, etc. Cela sans compter les autres zones franches comme Internet City, 315 entreprises (IBM, Microsoft, Toshiba) ; et Media City, qui a profité de la dernière guerre en Irak et abrite, outre CNN et le siège de l’agence Reuters au Moyen-Orient, toutes les grandes chaînes de télévision régionales (sauf Al-Jazira, basée au Qatar).

          L’industrie même, avec 800 usines, commence à démarrer : matériaux de construction, alimentation, textile… Côté BTP, la croissance est phénoménale : il faut bien loger la main-d’œuvre, de plus en plus diverse, mais très hiérarchisée - les hommes de peine sont le plus souvent pakistanais, les ouvriers qualifiés, indiens, les contremaîtres, sikhs, les ingénieurs, arabes et les cadres dirigeants occidentaux. La population, qui, en 1968, atteignait péniblement 179000 personnes, frôle désormais le million (dont 71 % d’hommes). 147 nationalités, 90 % d’immigrés, c’est bien le village global, médite Adel, en tétant son narguilé.

          Les « otages » des beaux quartiers

          Dénicher une villa dans un lotissement neuf de la périphérie avec un chauffeur de taxi pakistanais est l’un des problèmes insolubles de Dubaï. On ne risque pourtant pas de se tromper d’autoroute, il n’y en a qu’une, filant tout droit vers Abou Dhabi. On longe la côte, le palais de l’émir entouré de villas cossues que domine le plus haut porte-drapeau du monde (au départ, le drapeau aussi devait être « le plus grand », mais le vent le rendait dangereux), l’ancienne caserne devenue un stade, la zone industrielle et des centres commerciaux à la file, puis ça se gâte. Non que le lotissement soit perdu dans les sables. Au contraire, derrière le portail bien gardé, tel un club de vacances, ce ne sont que pelouses ombragées, palmiers, acacias et haies de bougainvilliers autour de petits lacs. Mais le chauffeur ne connaît pas et il a des excuses : il y a moins d’un an, à la place de ce paradis pour expatriés, il n’y avait rien. C’était un grand chantier, assure Sally en riant de notre stupéfaction. Petite et fine, des yeux bruns inquiets que tempère un sourire chaleureux, elle a vécu partout dans le sillage de son mari, cadre dirigeant dans une multinationale. Ici, c’est Lalaland, comme on dit, le monde des rêves, tout artificiel ! Même les palmiers sont forcés dans des pépinières et livrés adultes, emballés et prêts à l’emploi !

          La vie est pourtant facile, presque trop. Les factures, les formalités, les amendes, tout est réglé par Internet. Vous faites un excès de vitesse, la caméra enregistre, vous ne voyez pas un policier, mais quelques jours plus tard vous recevez un e-mail : c’est tant. Pareil pour l’eau, l’électricité, le renouvellement du visa ou de la carte de résident, etc. Sally exhibe ainsi une carte à puce plastifiée où figurent sa photo et des codes-barres. À la frontière, vous glissez ça dans une borne, le sas s’ouvre, vous posez votre index sur un panneau et hop ! vous passez. Pas de formalité, pas de queue !

          Il n’y a pas d’impôt, pas de taxe. Pas de corruption, enfin, moins qu’ailleurs. Ce sont des faveurs, pas des bakchichs, explique un homme d’affaires palestinien. Quand même, il y a trois ans, le directeur des douanes a écopé de trente-sept ans de prison, pour l’exemple - on murmure qu’il est déjà sorti… C’était un national. Un étranger aurait été expulsé dans l’heure. Car tout le monde n’est pas égal dans le village global. Quand je suis arrivé, raconte un cadre français, on m’a prévenu : si tu as un accrochage avec un Indien, tu as gagné d’avance, si c’est un Européen, ça se discute, si c’est un local, laisse tomber, tu as perdu…

          On peut vivre très confortablement à condition de fermer les yeux, commente Sally, soudain grave, 90 % de la population vit sur la marge du pouvoir. Il n’y a pas moyen de s’intégrer dans la société locale. Un soupir : Nous sommes tous des otages ! Passe-droits, privilèges, tarifs spéciaux, jugements biaisés, les citoyens de Dubaï bénéficient en tous domaines de traitements de faveur qui nourrissent une rancœur soigneusement étouffée. Ici, tu travailles, tu gagnes de l’argent. Tu peux tout faire, sauf de la politique !, nous a dit le chauffeur pakistanais en venant.

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          Si vous ne trouvez pas une prière qui vous convienne, inventez-la.” Saint Augustin

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          • #6
            Gérer une population mercenaire de 147 nationalités, de mœurs, de races et de cultes différents n’est pas facile, surtout dans un État musulman encore imprégné de pratiques tribales et menacé en permanence par un environnement inquiétant. Dubaï est le seul pays de la région qui n’ait jamais subi d’attentat. Ce n’est pas un hasard. Malgré l’opacité des circuits du pouvoir, les monarques, qui, à l’instar des seigneurs du Moyen Âge, dirigent seuls ce meilleur des mondes arabe, s’en tirent jusqu’ici plutôt bien, moyennant un savant dosage de liberté et de contrôle, très efficace.

            La tolérance, base de l’attraction qu’exerce l’émirat, est réelle, mais sous conditions. L’alcool coule sans réserve dans les hôtels, mais seulement là. Certains hypermarchés ont une licence spéciale ; pour y acheter une bouteille, il faut montrer un carnet prouvant : un, qu’on n’est pas musulman, deux, qu’on dispose d’un salaire suffisant. Il faut bien empêcher ces pauvres Indiens de gaspiller toute leur paye en mauvais whisky, explique un porte-parole du gouvernement. Même système pour la viande de porc, les saucisses, etc. En revanche, on trouve du caviar à gogo chez Carrefour, entre safran et olives (35 variétés), et le même à moitié prix dans l’arrière-boutique de certains marchands de tapis - persans. Il y a des codes, explique un jeune expatrié français, éviter les femmes locales, même si elles vous draguent, l’alcool au volant. Un chèque sans provision, c’est la prison assurée. On ne discute pas avec la police et on ne philosophe pas sur le cheik en place. Moyennant quoi on est complètement libre…

            La salle de commandement de la police de Dubaï n’a rien à envier à celle de Paris, affirme un connaisseur, et les sanctions sont sans pitié. Une voiture mal garée est aussitôt enlevée et déposée dans le désert. L’infortuné propriétaire ne saura que trois semaines plus tard où récupérer son épave, rongée par le sable et le vent. Tout candidat à la précieuse carte de résident doit passer une visite médicale. S’il a le SIDA ou toute autre maladie incurable, il est rejeté. L’expulsion est d’ailleurs la peine la plus couramment appliquée. Avant même le 11 septembre 2001, des milliers de militants islamistes ont ainsi été discrètement arrêtés et pour la plupart expulsés. Depuis, les contrôles se sont encore renforcés, notamment dans le domaine financier : même les awalas, ces bureaux de change informels, a priori ingérables, sont désormais enregistrés et mis sous surveillance.

            Palm Island

            Je suis un citoyen du monde, clame Farid. Pourtant, il est né à Djedda ; il est même le fils d’un important homme politique saoudien. Mais, pour ce jeune businessman gâté, formé au moule des meilleures universités américaines, dont la femme, libanaise, a été éduquée à Paris, et dont les enfants fréquentent le lycée français, Dubaï, c’est le monde. C’est un pays neuf, sans culture ni contrainte sociale, au début, je me plaignais, maintenant j’apprécie, dit Mina, son épouse, œil de velours et sourire enchanteur. Ici, la famille, ce sont les amis !, approuve sa voisine, elle aussi mariée à un homme d’affaires saoudien, qui fait la navette deux fois par semaine.

            Karim, lui, dirige un fonds de placement et gère presque tout à partir de Dubaï, par e-mail, téléphone ou fax. Quant à y investir directement, c’est une autre affaire : S’ils m’offrent les mêmes garanties et les mêmes produits qu’en Europe ou aux États-Unis, oui. Mais ce n’est pas encore le cas. Une nuance : depuis l’an dernier, la loi permet aux étrangers d’acheter un terrain dans les nouvelles îles artificielles en cours de construction au large de l’émirat. Une révolution dans les Émirats, où les expatriés se voient offrir, au mieux, des baux de 99 ans. Séduit, Karim a plongé et acheté une maison sur Palm Island, le premier de ces projets un peu fous (120 kilomètres de plages, 50 hôtels, 2 marinas, 2 500 villas à 1 million de dollars pièce). Aujourd’hui, il regrette un peu. Ils ont vendu avant d’avoir maîtrisé tous les problèmes techniques, dit-il, on nous annonce des retards. N’empêche, la première île n’est pas encore livrée - date prévue : 2006 - que la deuxième est déjà en vente. Et ce n’est pas fini, car, après The Palm, se profile déjà The World, un ensemble de 250 îlots qui, ensemble, dessineront un planisphère.

            Palaces, centres commerciaux, piste de ski artificielle, zones franches, métro, les projets succèdent aux projets dans un tourbillon de milliards. Rien ne semble pouvoir troubler le bel optimisme des managers de Dubaï. Pas même la baisse récente de l’aide d’Abou Dhabi, dont on tait l’ampleur, mais qui sera vite compensée par l’appel aux fonds privés, pense-t-on. Rien, sinon la peur des troubles sociaux. Nous vivons au milieu d’une jungle, dit l’amie de Mina, une voiture piégée et tout le monde repart.

            Au cœur des crises du Golfe Persique


            1. 1833 : fondation de Dubaï par la tribu des Al-Maktoum. Deux ans plus tard, les Britanniques mettent sous tutelle la côte des Pirates.

            2. 1968 : les Anglais se retirent. En 1962, du pétrole a été découvert à Abou Dhabi. À Dubaï, le premier gisement - de faible ampleur - sera mis au jour en 1969.

            3. 1971, décembre : les sept émirats de la côte forment la Fédération des Émirats Arabes Unis, sous la houlette de Cheik Zayed, émir d’Abou Dhabi, qui en devient président (réélu depuis par ses pairs tous les quatre ans).

            4. 1973, 6 octobre : après la guerre du Kippour, Cheik Zayed refuse de livrer son pétrole aux pays qui soutiennent Israël. Cet embargo, repris par tous les producteurs arabes, s’étend finalement à l’ensemble de l’Occident et provoque le quadruplement des prix du brut.

            5. 1979 : la révolution iranienne, suivie en 1990 de la guerre avec l’Irak, provoque une nouvelle envolée des cours. Dubaï fournit les deux belligérants et devient une plate-forme de réexportation.

            6. 1990 : l’invasion du Koweït par l’Irak déclenche un conflit international dont Dubaï tire encore une fois profit.

            Par Véronique Maurus
            19 Octobre 2003 LE MONDE
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