ENTRETIEN AVEC RÉGINE VILLEMONT
Quarante ans après la création du mouvement indépendantiste du Sahara occidental, le Polisario, la question de cette région située au sud du Maroc a occupé, cette année et particulièrement ces dernières semaines, une place importante dans l’actualité diplomatique et géopolitique. Visite de l’envoyé spécial de l’ONU, escalade des tensions avec Alger, rencontre du roi Mohammed VI avec Barack Obama... JOL Press a recueilli un point de vue, un point de vue partisan, celui de Régine Villemont, présidente de l’association des amis de la République arabe sahraouie et démocratique (RASD).
Fin octobre-début novembre, quelques jours après la visite de Christopher Ross – l’envoyé spécial de l’ONU dans la région – la tension au sujet du Sahara occidental est montée d’un cran entre Alger et Rabat.
JOL Press : Pouvez-vous nous rappeler les intérêts de l’Algérie au Sahara occidental ?
Régine Villemont : La lecture du conflit dans le Sahara occidental ne passe pas forcément par les intérêts de l’Algérie dans la région. L’Algérie a un territoire très vaste, elle a énormément de ressources en gaz et en pétrole, elle n’a pas tellement « besoin » du Sahara occidental.
Le problème entre le Maroc et l’Algérie, c’est que la question non résolue du Sahara bloque le développement de l’Union du Maghreb arabe (UMA), qui serait peut-être plus susceptible d’améliorer les relations économiques entre les différents pays du Maghreb. Cette absence d’évolution de l’UMA freine certaines potentialités de développement des intérêts algériens.
Au niveau politique, c’est vrai que l’Algérie, dans les années 70, s’est toujours positionnée en faveur des luttes pour l’autodétermination, que ce soit en Afrique ou en Amérique latine. Elle a continué en soutenant le peuple du Sahara occidental qui demandait aussi son autodétermination et luttait contre l’occupation marocaine. La position algérienne sur cette question-là est restée constante.
Le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, a par ailleurs déclaré en novembre qu’il était nécessaire de mettre en place « un mécanisme de suivi et de surveillance des droits de l’Homme au Sahara », accusant le Maroc de « violations massives et systématiques » des droits de l’Homme dans ces « territoires occupés ».
JOL Press : Dans quelle mesure les droits des Sahraouis sont-ils en effet bafoués ?
Régine Villemont : Il faut rappeler que les Sahraouis ont été chassés de chez eux. En occupant le territoire [à partir de 1975, ndlr], le Maroc a brisé leur unité : certains sont restés, d’autres sont partis et ceux qui sont partis n’ont pratiquement jamais pu revenir. S’ils revenaient, ils devaient faire allégeance au roi, ce qui était pour eux inenvisageable. Ceux qui sont restés ne pouvaient même pas dire qu’ils étaient Sahraouis pendant le règne d’Hassan II [le père de Mohammed VI, ndlr], et le territoire était entièrement sous contrôle.
Après la mort du roi Hassan II, les choses se sont un peu apaisées en direction des Sahraouis. Le business s’est développé dans la région, les Marocains viennent en plus grand nombre mais ils continuent de contrôler l’essentiel du fonctionnement économique et administratif du Sahara occidental.
Aujourd’hui, les Sahraouis sont devenus pratiquement minoritaires chez eux, ils ne contrôlent pas grand-chose, ils sont complètement dépendants de la tutelle marocaine. Et tous ceux qui proclament publiquement qu’ils sont pour l’autodétermination voire l’indépendance du Sahara occidental, ou qui disent qu’ils sont Sahraouis et non Marocains, risquent de perdre leur emploi ou de ne pas pouvoir faire d’études. Et quand ils se rassemblent et manifestent dans la rue, ils risquent de se faire tabasser et d’aller en prison. Nous avons souvent des échos de Sahraouis qui se retrouvent à l’hôpital après avoir été tabassés, y compris des femmes.
Beaucoup de quartiers de Laâyoune [ville la plus importante du Sahara occidental, ndlr] sont encombrés de casernes et d’installations de police. C’est une ville sous contrôle. Par ailleurs, à Dakhla [au sud de la région, ndlr], zone très riche pour la pêche, les Sahraouis sont vraiment minoritaires. Il y a beaucoup d’industriels ou de pêcheurs marocains qui viennent exploiter les ressources de pêche.
[Un accord de pêche entre le Maroc et l’UE, adopté à une large majorité par le parlement européen le 10 décembre, a notamment été contesté par le Polisario et par certains manifestants Sahraouis qui accusent le Maroc d'exploiter à son profit les ressources du Sahara occidental, ndlr.]
Le 7 novembre, Mohammed VI a prononcé un discours pour célébrer le 38ème anniversaire de la « Marche verte » [qui marquait la fin de l’occupation espagnole au Sahara occidental, ndlr]. Il a notamment donné une vision d’un Sahara occidental qui serait le « prolongement africain » du royaume marocain.
JOL Press : La position du roi sur cette question s’inscrit-elle dans la droite lignée de celle de son père, Hassan II ?
Régine Villemont : Le père de Mohammed VI a conduit son pays de manière autoritaire voire tyrannique, avec des moyens à la fois archaïques et modernes, pour mettre au pas les syndicats, les militaires et les Sahraouis, et créer une unité nationale un peu factice pour sauver son trône en occupant le Sahara occidental.
La vision de son fils n’a pas vraiment bougé : il reste toujours campé sur sa position de garder le Sahara occidental et de considérer que cette région fait partie intégrante du Maroc, en dépit des résolutions de l’ONU et des batailles menées par les Sahraouis. Son discours renouvelle toujours cette volonté, même s’ils ont commencé à parler d’autonomie ou mis en place une Instance Éthique et Réconciliation (IER) pour essayer d’en finir avec ce qui s’est passé dans les « années de plomb » [période allant des années 60 à 80, sous le règne d’Hassan II, marquées par la violence et la répression contre les opposants, ndlr].
Dans le même temps, le roi a rappelé dans son discours sa volonté de développer le Sahara occidental. Le Conseil économique, social et environnemental marocain (CESE) a notamment publié en novembre son « Nouveau modèle de développement pour les provinces du Sud », un projet commandé par le roi il y a un an.
JOL Press : Que faut-il retenir de ce projet ?
Régine Villemont : J’ai pu en discuter avec une des responsables d’une association de Sahraouis qui habite Laâyoune. Ce qu’elle observe, c’est que ce projet-là suit strictement la thèse de la marocanité du Sahara. L’administration marocaine ne prend pas la peine d’interroger les opposants à ce projet : c’est un développement qui est pensé de manière tout à fait unilatérale. Pour eux, c’est encore une manière de se maintenir et de prolonger le statu quo. La plupart des Sahraouis considèrent ce projet-là comme une manœuvre, plutôt qu’un projet qui pourrait développer le Sahara occidental. Et le Maroc a-t-il réellement les moyens de soutenir ce projet ? La question reste posée.
Fin novembre, Mohammed VI a rencontré Barack Obama lors d’une visite à Washington. Le président américain a profité de cette entrevue pour aborder la question du Sahara occidental. Beaucoup de médias ont déclaré à cette occasion que le président américain « soufflait le chaud et le froid » à ce sujet, soutenant d’un côté le plan d’autonomie marocain pour le Sahara occidental, et rappelant de l’autre côté les devoirs du Maroc en matière de droits humains.
Quarante ans après la création du mouvement indépendantiste du Sahara occidental, le Polisario, la question de cette région située au sud du Maroc a occupé, cette année et particulièrement ces dernières semaines, une place importante dans l’actualité diplomatique et géopolitique. Visite de l’envoyé spécial de l’ONU, escalade des tensions avec Alger, rencontre du roi Mohammed VI avec Barack Obama... JOL Press a recueilli un point de vue, un point de vue partisan, celui de Régine Villemont, présidente de l’association des amis de la République arabe sahraouie et démocratique (RASD).
Fin octobre-début novembre, quelques jours après la visite de Christopher Ross – l’envoyé spécial de l’ONU dans la région – la tension au sujet du Sahara occidental est montée d’un cran entre Alger et Rabat.
JOL Press : Pouvez-vous nous rappeler les intérêts de l’Algérie au Sahara occidental ?
Régine Villemont : La lecture du conflit dans le Sahara occidental ne passe pas forcément par les intérêts de l’Algérie dans la région. L’Algérie a un territoire très vaste, elle a énormément de ressources en gaz et en pétrole, elle n’a pas tellement « besoin » du Sahara occidental.
Le problème entre le Maroc et l’Algérie, c’est que la question non résolue du Sahara bloque le développement de l’Union du Maghreb arabe (UMA), qui serait peut-être plus susceptible d’améliorer les relations économiques entre les différents pays du Maghreb. Cette absence d’évolution de l’UMA freine certaines potentialités de développement des intérêts algériens.
Au niveau politique, c’est vrai que l’Algérie, dans les années 70, s’est toujours positionnée en faveur des luttes pour l’autodétermination, que ce soit en Afrique ou en Amérique latine. Elle a continué en soutenant le peuple du Sahara occidental qui demandait aussi son autodétermination et luttait contre l’occupation marocaine. La position algérienne sur cette question-là est restée constante.
Le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, a par ailleurs déclaré en novembre qu’il était nécessaire de mettre en place « un mécanisme de suivi et de surveillance des droits de l’Homme au Sahara », accusant le Maroc de « violations massives et systématiques » des droits de l’Homme dans ces « territoires occupés ».
JOL Press : Dans quelle mesure les droits des Sahraouis sont-ils en effet bafoués ?
Régine Villemont : Il faut rappeler que les Sahraouis ont été chassés de chez eux. En occupant le territoire [à partir de 1975, ndlr], le Maroc a brisé leur unité : certains sont restés, d’autres sont partis et ceux qui sont partis n’ont pratiquement jamais pu revenir. S’ils revenaient, ils devaient faire allégeance au roi, ce qui était pour eux inenvisageable. Ceux qui sont restés ne pouvaient même pas dire qu’ils étaient Sahraouis pendant le règne d’Hassan II [le père de Mohammed VI, ndlr], et le territoire était entièrement sous contrôle.
Après la mort du roi Hassan II, les choses se sont un peu apaisées en direction des Sahraouis. Le business s’est développé dans la région, les Marocains viennent en plus grand nombre mais ils continuent de contrôler l’essentiel du fonctionnement économique et administratif du Sahara occidental.
Aujourd’hui, les Sahraouis sont devenus pratiquement minoritaires chez eux, ils ne contrôlent pas grand-chose, ils sont complètement dépendants de la tutelle marocaine. Et tous ceux qui proclament publiquement qu’ils sont pour l’autodétermination voire l’indépendance du Sahara occidental, ou qui disent qu’ils sont Sahraouis et non Marocains, risquent de perdre leur emploi ou de ne pas pouvoir faire d’études. Et quand ils se rassemblent et manifestent dans la rue, ils risquent de se faire tabasser et d’aller en prison. Nous avons souvent des échos de Sahraouis qui se retrouvent à l’hôpital après avoir été tabassés, y compris des femmes.
Beaucoup de quartiers de Laâyoune [ville la plus importante du Sahara occidental, ndlr] sont encombrés de casernes et d’installations de police. C’est une ville sous contrôle. Par ailleurs, à Dakhla [au sud de la région, ndlr], zone très riche pour la pêche, les Sahraouis sont vraiment minoritaires. Il y a beaucoup d’industriels ou de pêcheurs marocains qui viennent exploiter les ressources de pêche.
[Un accord de pêche entre le Maroc et l’UE, adopté à une large majorité par le parlement européen le 10 décembre, a notamment été contesté par le Polisario et par certains manifestants Sahraouis qui accusent le Maroc d'exploiter à son profit les ressources du Sahara occidental, ndlr.]
Le 7 novembre, Mohammed VI a prononcé un discours pour célébrer le 38ème anniversaire de la « Marche verte » [qui marquait la fin de l’occupation espagnole au Sahara occidental, ndlr]. Il a notamment donné une vision d’un Sahara occidental qui serait le « prolongement africain » du royaume marocain.
JOL Press : La position du roi sur cette question s’inscrit-elle dans la droite lignée de celle de son père, Hassan II ?
Régine Villemont : Le père de Mohammed VI a conduit son pays de manière autoritaire voire tyrannique, avec des moyens à la fois archaïques et modernes, pour mettre au pas les syndicats, les militaires et les Sahraouis, et créer une unité nationale un peu factice pour sauver son trône en occupant le Sahara occidental.
La vision de son fils n’a pas vraiment bougé : il reste toujours campé sur sa position de garder le Sahara occidental et de considérer que cette région fait partie intégrante du Maroc, en dépit des résolutions de l’ONU et des batailles menées par les Sahraouis. Son discours renouvelle toujours cette volonté, même s’ils ont commencé à parler d’autonomie ou mis en place une Instance Éthique et Réconciliation (IER) pour essayer d’en finir avec ce qui s’est passé dans les « années de plomb » [période allant des années 60 à 80, sous le règne d’Hassan II, marquées par la violence et la répression contre les opposants, ndlr].
Dans le même temps, le roi a rappelé dans son discours sa volonté de développer le Sahara occidental. Le Conseil économique, social et environnemental marocain (CESE) a notamment publié en novembre son « Nouveau modèle de développement pour les provinces du Sud », un projet commandé par le roi il y a un an.
JOL Press : Que faut-il retenir de ce projet ?
Régine Villemont : J’ai pu en discuter avec une des responsables d’une association de Sahraouis qui habite Laâyoune. Ce qu’elle observe, c’est que ce projet-là suit strictement la thèse de la marocanité du Sahara. L’administration marocaine ne prend pas la peine d’interroger les opposants à ce projet : c’est un développement qui est pensé de manière tout à fait unilatérale. Pour eux, c’est encore une manière de se maintenir et de prolonger le statu quo. La plupart des Sahraouis considèrent ce projet-là comme une manœuvre, plutôt qu’un projet qui pourrait développer le Sahara occidental. Et le Maroc a-t-il réellement les moyens de soutenir ce projet ? La question reste posée.
Fin novembre, Mohammed VI a rencontré Barack Obama lors d’une visite à Washington. Le président américain a profité de cette entrevue pour aborder la question du Sahara occidental. Beaucoup de médias ont déclaré à cette occasion que le président américain « soufflait le chaud et le froid » à ce sujet, soutenant d’un côté le plan d’autonomie marocain pour le Sahara occidental, et rappelant de l’autre côté les devoirs du Maroc en matière de droits humains.
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