Mozart in the houma
Quasi inexistante dans les médias audiovisuels, la musique classique universelle est surtout apparue dans notre société lors de tristes occasions.
Les Algériens se souviennent encore des quarante jours de deuil national en 1978, suite au décès du président Boumediène, où la radio en avait diffusé à foison. Pourtant, ce répertoire réunit aujourd’hui un grand nombre de passionnés et de curieux en Algérie. Il suffit de se rendre au Festival international de musique symphonique d’Alger pour se rendre compte de l’extraordinaire engouement qu’il suscite.
Changement notoire, le public du classique ne se recrute pas forcément dans des milieux favorisés ni au sommet de la pyramide des âges. La multiplication des médias et des événements culturels aidant, un grand nombre de jeunes se découvrent une passion pour cette musique. Une passion qui en amène beaucoup à pratiquer un instrument et change totalement la vie de certains. A l’occasion des Journées de la musique classique de Sétif, nous avons eu l’occasion de le constater avec quelques musiciens qui nous racontent leurs parcours atypiques et révélateurs à plus d’un titre.
Un enseignant à l'Institut régional de formation musicale (IRFM) de Batna nous prévient que les élèves qui persévèrent dans la musique viennent souvent de milieux modestes car, faute d’autres occupations, ils consacrent tout leur temps à la musique. Beaucoup d’entre eux rencontrent le classique par hasard, avant de continuer par passion. Le public ne comprend pas toujours la musique classique occidentale. Beaucoup de gens se retrouvent par hasard dans les salles de concert, juste pour passer le temps. «Cela dit, il y a des jeunes désœuvrés, par exemple, qui ont quitté l’école et trouvent leur voie dans la musique parce qu’ils l’ont écoutée par pur hasard dans une salle de concert et ont été touchés par ce qu’ils ont entendu», raconte Ammar, contrebassiste de Guelma. Pour Bilal, jeune et brillant clarinettiste, son histoire avec Mozart a bouleversé sa vie. De Batna à Vienne, il n’y a qu’un pas qu’il a franchi grâce à son talent et au prix de centaines d’heures de répétition.
Il se souvient : «Je suis venu à la musique classique grâce à Mozart. J’avais écouté sa ''Marche turque'' dans un documentaire à la télévision. Je ne connaissais rien du classique, mais j’aimais bien cette mélodie et je l’avais même en sonnerie sur mon portable. Après, j’ai commencé à chercher d’où venait cette musique. Et cela m’a mené aux portes de l’Institut de Batna. J’avais arrêté mes études au lycée et me suis donc inscrit en première année. On m’avait mis à la guitare. En deuxième année, j’ai choisi la clarinette et c’était une révélation pour moi. C’était l’instrument préféré de Mozart. J’ai découvert plus tard son concerto ''K622'' composé en hommage à cet instrument. Et, aujourd’hui, je le joue sur scène. Mon professeur a vu que je travaillais avec passion et m’a beaucoup encouragé. Récemment, j’ai passé un concours et j’ai été sélectionné pour une bourse d’étude au Conservatoire de Vienne.»
Outre la formation musicale, les instituts et les conservatoires assument un rôle d’éducation et d’insertion sociale. La rencontre de professeurs dévoués et pédagogues peut marquer des jeunes gens à vie. Réda, élève du même Institut, nous raconte : «Au début, je me suis inscrit à l’IRFM sans conviction. A l’époque, j’écoutais du rap, j’étais très loin de la musique classique. Seulement, je voulais apprendre un métier pour en vivre plus tard. Après ma deuxième année je n’y croyais plus et j’étais sur le point de passer le concours pour devenir policier. Mais mon professeur m’a convaincu de persévérer avec une phrase. Il m’a demandé : ''Tu fais de la musique pour toi ou pour les autres ?'' J’ai compris alors que la musique n’est pas un simple gagne-pain et qu’il fallait m’investir personnellement. Je suis resté et je ne le regrette pas.
Aujourd’hui, en quatrième année, on participe à beaucoup de festivals, on découvre notre pays, on rencontre d’autres musiciens et on se forme sur tous les plans. Bref, on vit notre musique.» Ce jeune contrebassiste nous confie : «Mon plus grand plaisir est d’aller à l’Institut tôt le matin, avant l’arrivée des élèves pour répéter dans le calme.» Djibran Belahmeur, professeur de guitare classique au Conservatoire de Constantine, nous confirme que la pratique et le goût de la musique classique n’ont rien à voir avec les différences de milieux sociaux : «Comme la formation ne coûte pas cher, on trouve des élèves de toutes les classes sociales. Les élèves brillants ne viennent pas forcément de familles de mélomanes, ni des milieux aisés en particulier. Un de mes meilleurs élèves est né dans un orphelinat et un autre, dont le père est en prison, vient d’un milieu difficile qui est à des années lumière de la musique classique… C’est une question de sensibilité et non de conditions ou d’environnement.»
La majorité des élèves s’accorde à dire que le milieu où ils vivent n’est pas toujours favorable à la musique classique («le classique s’arrête aux portes de l’Institut», résume l’un d’eux) ni la formation à la hauteur de leurs attentes. Mais l’autodidactie et les nouvelles technologies arrivent, tant bien que mal, à pallier ces manques. Mohamed Alia, informaticien de métier et guitariste de vocation, en est un bel exemple : «Dans mon adolescence, j’écoutais beaucoup de classique (Chopin, Bach…). J’étais attiré par cette musique. Ma famille n’était pas du tout dans la musique, mais moi ça me parlait. J’ai commencé la guitare assez tardivement, à 17 ans. Comme tout le monde, j’ai commencé par les ''Jeux interdits''. Et tout de suite après j’ai enchaîné avec ''Asturias'' d’Isaac Albeniz qui est une pièce virtuose, bien au-dessus de mon niveau de l’époque. Je n’avais pas de professeur pour me guider. J’ai tout fait tout seul. J’ai appris les rudiments de la technique classique et la lecture de partitions dans une méthode pour guitare signée Djawad Fasla.
Les compositeurs espagnols (Tarrega, Albeniz…) étaient mes préférés. Après, j’ai découvert la richesse polyphonique de Jean Sébastien Bach. Je ne jouais plus que ça pendant 5 ou 6 ans. Apprendre une musique aussi complexe sans professeur n’était pas évident. Mais il y avait la chaîne Mezzo. Je guettais le passage des récitals de guitare. J’enregistrais les concertistes et les repassais seconde par seconde, des centaines de fois, jusqu’à assimiler leur technique. Certes, je perdais beaucoup de temps. Mais je réussissais quand même à trouver la technique correcte. En l’absence de partitions, je reproduisais des pièces classiques complètes à l’oreille. Si j’avais un prof, j’aurais avancé plus rapidement. Mais j’ai la rage d’apprendre qui me permet de surmonter les obstacles. Avec l’arrivée d’Internet, je pouvais accéder à toutes les partitions que je voulais !». Cette formation sans maître ouvre également la voie à des parcours hors des sentiers battus. Ainsi, Mohamed Alia se spécialise actuellement dans le flamenco.
En tant qu’enseignant, il a formé beaucoup de guitaristes classiques à Sétif, dont «deux ont remporté un concours national de musique instrumentale à Bordj Bou Arr'ridj», annonce-t-il fièrement.
Les musiciens classiques se trouvent en butte à certaines idées reçues, comme celle qui voudrait que ce genre musical nous soit étranger et qu’il devrait être laissé aux musiciens européens qui se placent dans une longue tradition. Or, la musique classique européenne s’est depuis longtemps déjà universalisée et la mondialisation a accru ce phénomène. La scène internationale ne manque pas de virtuoses chinois ou brésiliens qui n’ont, historiquement, pas plus de rapport avec le classique que les Algériens. «Comme le jazz, cette musique possède l’avantage d’être ouverte à toutes les influences. Beaucoup de grands compositeurs se sont inspirés de leurs musiques populaires nationales», souligne Djibran qui a d’ailleurs fondé le groupe Ethnosphère qui mêle mélodies algériennes et harmonie classique.
Il raconte la genèse de cette formation : «La question de l’identité s’est posée dans mon parcours de musicien. Qu’est-ce que je peux apporter comme algérien dans le monde du classique? J’ai rencontré un ami qui jouait du chaâbi et du malouf mais comprenait aussi le classique. Le dialogue était possible entre nous. Le classique est un répertoire, mais c’est aussi une technique. Pourquoi ne pas mettre cette technique au service de notre riche patrimoine musical ? C’est ainsi qu’on a fondé le groupe Ethnosphère. Au début, les puristes de la musique constantinoise étaient réticents. Mais les choses ont évolué, notamment grâce au festival Dimajazz. De plus, avec internet, les jeunes écoutent ce qui se fait dans le monde. Aujourd’hui, certains interprètes de malouf viennent même me demander de les accompagner à la guitare classique.»
Quasi inexistante dans les médias audiovisuels, la musique classique universelle est surtout apparue dans notre société lors de tristes occasions.
Les Algériens se souviennent encore des quarante jours de deuil national en 1978, suite au décès du président Boumediène, où la radio en avait diffusé à foison. Pourtant, ce répertoire réunit aujourd’hui un grand nombre de passionnés et de curieux en Algérie. Il suffit de se rendre au Festival international de musique symphonique d’Alger pour se rendre compte de l’extraordinaire engouement qu’il suscite.
Changement notoire, le public du classique ne se recrute pas forcément dans des milieux favorisés ni au sommet de la pyramide des âges. La multiplication des médias et des événements culturels aidant, un grand nombre de jeunes se découvrent une passion pour cette musique. Une passion qui en amène beaucoup à pratiquer un instrument et change totalement la vie de certains. A l’occasion des Journées de la musique classique de Sétif, nous avons eu l’occasion de le constater avec quelques musiciens qui nous racontent leurs parcours atypiques et révélateurs à plus d’un titre.
Un enseignant à l'Institut régional de formation musicale (IRFM) de Batna nous prévient que les élèves qui persévèrent dans la musique viennent souvent de milieux modestes car, faute d’autres occupations, ils consacrent tout leur temps à la musique. Beaucoup d’entre eux rencontrent le classique par hasard, avant de continuer par passion. Le public ne comprend pas toujours la musique classique occidentale. Beaucoup de gens se retrouvent par hasard dans les salles de concert, juste pour passer le temps. «Cela dit, il y a des jeunes désœuvrés, par exemple, qui ont quitté l’école et trouvent leur voie dans la musique parce qu’ils l’ont écoutée par pur hasard dans une salle de concert et ont été touchés par ce qu’ils ont entendu», raconte Ammar, contrebassiste de Guelma. Pour Bilal, jeune et brillant clarinettiste, son histoire avec Mozart a bouleversé sa vie. De Batna à Vienne, il n’y a qu’un pas qu’il a franchi grâce à son talent et au prix de centaines d’heures de répétition.
Il se souvient : «Je suis venu à la musique classique grâce à Mozart. J’avais écouté sa ''Marche turque'' dans un documentaire à la télévision. Je ne connaissais rien du classique, mais j’aimais bien cette mélodie et je l’avais même en sonnerie sur mon portable. Après, j’ai commencé à chercher d’où venait cette musique. Et cela m’a mené aux portes de l’Institut de Batna. J’avais arrêté mes études au lycée et me suis donc inscrit en première année. On m’avait mis à la guitare. En deuxième année, j’ai choisi la clarinette et c’était une révélation pour moi. C’était l’instrument préféré de Mozart. J’ai découvert plus tard son concerto ''K622'' composé en hommage à cet instrument. Et, aujourd’hui, je le joue sur scène. Mon professeur a vu que je travaillais avec passion et m’a beaucoup encouragé. Récemment, j’ai passé un concours et j’ai été sélectionné pour une bourse d’étude au Conservatoire de Vienne.»
Outre la formation musicale, les instituts et les conservatoires assument un rôle d’éducation et d’insertion sociale. La rencontre de professeurs dévoués et pédagogues peut marquer des jeunes gens à vie. Réda, élève du même Institut, nous raconte : «Au début, je me suis inscrit à l’IRFM sans conviction. A l’époque, j’écoutais du rap, j’étais très loin de la musique classique. Seulement, je voulais apprendre un métier pour en vivre plus tard. Après ma deuxième année je n’y croyais plus et j’étais sur le point de passer le concours pour devenir policier. Mais mon professeur m’a convaincu de persévérer avec une phrase. Il m’a demandé : ''Tu fais de la musique pour toi ou pour les autres ?'' J’ai compris alors que la musique n’est pas un simple gagne-pain et qu’il fallait m’investir personnellement. Je suis resté et je ne le regrette pas.
Aujourd’hui, en quatrième année, on participe à beaucoup de festivals, on découvre notre pays, on rencontre d’autres musiciens et on se forme sur tous les plans. Bref, on vit notre musique.» Ce jeune contrebassiste nous confie : «Mon plus grand plaisir est d’aller à l’Institut tôt le matin, avant l’arrivée des élèves pour répéter dans le calme.» Djibran Belahmeur, professeur de guitare classique au Conservatoire de Constantine, nous confirme que la pratique et le goût de la musique classique n’ont rien à voir avec les différences de milieux sociaux : «Comme la formation ne coûte pas cher, on trouve des élèves de toutes les classes sociales. Les élèves brillants ne viennent pas forcément de familles de mélomanes, ni des milieux aisés en particulier. Un de mes meilleurs élèves est né dans un orphelinat et un autre, dont le père est en prison, vient d’un milieu difficile qui est à des années lumière de la musique classique… C’est une question de sensibilité et non de conditions ou d’environnement.»
La majorité des élèves s’accorde à dire que le milieu où ils vivent n’est pas toujours favorable à la musique classique («le classique s’arrête aux portes de l’Institut», résume l’un d’eux) ni la formation à la hauteur de leurs attentes. Mais l’autodidactie et les nouvelles technologies arrivent, tant bien que mal, à pallier ces manques. Mohamed Alia, informaticien de métier et guitariste de vocation, en est un bel exemple : «Dans mon adolescence, j’écoutais beaucoup de classique (Chopin, Bach…). J’étais attiré par cette musique. Ma famille n’était pas du tout dans la musique, mais moi ça me parlait. J’ai commencé la guitare assez tardivement, à 17 ans. Comme tout le monde, j’ai commencé par les ''Jeux interdits''. Et tout de suite après j’ai enchaîné avec ''Asturias'' d’Isaac Albeniz qui est une pièce virtuose, bien au-dessus de mon niveau de l’époque. Je n’avais pas de professeur pour me guider. J’ai tout fait tout seul. J’ai appris les rudiments de la technique classique et la lecture de partitions dans une méthode pour guitare signée Djawad Fasla.
Les compositeurs espagnols (Tarrega, Albeniz…) étaient mes préférés. Après, j’ai découvert la richesse polyphonique de Jean Sébastien Bach. Je ne jouais plus que ça pendant 5 ou 6 ans. Apprendre une musique aussi complexe sans professeur n’était pas évident. Mais il y avait la chaîne Mezzo. Je guettais le passage des récitals de guitare. J’enregistrais les concertistes et les repassais seconde par seconde, des centaines de fois, jusqu’à assimiler leur technique. Certes, je perdais beaucoup de temps. Mais je réussissais quand même à trouver la technique correcte. En l’absence de partitions, je reproduisais des pièces classiques complètes à l’oreille. Si j’avais un prof, j’aurais avancé plus rapidement. Mais j’ai la rage d’apprendre qui me permet de surmonter les obstacles. Avec l’arrivée d’Internet, je pouvais accéder à toutes les partitions que je voulais !». Cette formation sans maître ouvre également la voie à des parcours hors des sentiers battus. Ainsi, Mohamed Alia se spécialise actuellement dans le flamenco.
En tant qu’enseignant, il a formé beaucoup de guitaristes classiques à Sétif, dont «deux ont remporté un concours national de musique instrumentale à Bordj Bou Arr'ridj», annonce-t-il fièrement.
Les musiciens classiques se trouvent en butte à certaines idées reçues, comme celle qui voudrait que ce genre musical nous soit étranger et qu’il devrait être laissé aux musiciens européens qui se placent dans une longue tradition. Or, la musique classique européenne s’est depuis longtemps déjà universalisée et la mondialisation a accru ce phénomène. La scène internationale ne manque pas de virtuoses chinois ou brésiliens qui n’ont, historiquement, pas plus de rapport avec le classique que les Algériens. «Comme le jazz, cette musique possède l’avantage d’être ouverte à toutes les influences. Beaucoup de grands compositeurs se sont inspirés de leurs musiques populaires nationales», souligne Djibran qui a d’ailleurs fondé le groupe Ethnosphère qui mêle mélodies algériennes et harmonie classique.
Il raconte la genèse de cette formation : «La question de l’identité s’est posée dans mon parcours de musicien. Qu’est-ce que je peux apporter comme algérien dans le monde du classique? J’ai rencontré un ami qui jouait du chaâbi et du malouf mais comprenait aussi le classique. Le dialogue était possible entre nous. Le classique est un répertoire, mais c’est aussi une technique. Pourquoi ne pas mettre cette technique au service de notre riche patrimoine musical ? C’est ainsi qu’on a fondé le groupe Ethnosphère. Au début, les puristes de la musique constantinoise étaient réticents. Mais les choses ont évolué, notamment grâce au festival Dimajazz. De plus, avec internet, les jeunes écoutent ce qui se fait dans le monde. Aujourd’hui, certains interprètes de malouf viennent même me demander de les accompagner à la guitare classique.»
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