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Syrie Le miroir des contradictions du monde arabe

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  • Syrie Le miroir des contradictions du monde arabe

    Des colonnes de réfugiés avançant sous le ciel des ténèbres vers un horizon incertain. Ils ont laissé derrière eux des fosses communes où s’entassent des cadavres, des éclopés, sans soins, souffrant le martyre, des enfants, des femmes et des hommes dont les larmes coulent dans un tonneau des Danaïdes.

    La Palestine en 1948 et en 1965 fut la première victime de ces brigands «civilisés» qui vont répéter leur forfait. L’Irak, en 1991 et 2003, fut leur seconde victime. La Syrie aujourd’hui vit le même cauchemar. Ces croisés des temps modernes, conjuguant prétextes et forces brutales, s’engouffrent à chaque fois dans les brèches de pays fragilisés par des pouvoirs coupés de leur peuple.

    Dans ces territoires, devenus arides politiquement, ne poussent que des dictatures engendrant une violence dont la nature et le degré nous saisissent d’effroi. Il faut bien un jour, il est du reste temps de se pencher sur les responsable du bilan de la répression et du sous-développement économique qui ont affaibli ces pays. La noire et aveuglante lumière qui nous parvient de Syrie nous renseigne sur les forces politiques et les idéologies qui ont et qui labourent encore l’espace du monde arabe. Puisque chaos il y a, on est bien obligés de s’interroger sur les courants politiques qui lèvent haut leur étendard sans la moindre analyse critique de leur bilan. Sous la colonisation et ensuite avec les indépendances, les courants nationalistes (baâth en Syrie/Irak), le FLN algérien, le Destour tunisien et l’Istiqlal marocain portèrent le fer à la domination coloniale et dirigèrent les pays devenus indépendants. L’islam, religion et culture «propriété» de tout le monde, ne posait pas véritablement problème. Les limites du nationalisme et surtout ses échecs post-indépendance ouvrirent des boulevards à ceux qui réussirent à transformer la religion, ce «bien commun», en idéologie politique.

    Cette description ci-dessus est une photo de ce qui s’est passé en Irak, en Syrie, en Tunisie, au Maroc et en Algérie.

    Puisque nous connaissons les idéologies et le résultat de la pratique politique de ces courants, on sent, on pressent, d’une façon empirique, que l’espoir attendu par les peuples surgira après un sérieux toilettage des valeurs idéologiques et des institutions qui structurent leurs sociétés et une rigoureuse écriture de l’histoire pour la débarrasser des médiocres analyses philosophiques et théologiques qui gèlent toute réflexion.
    A ces deux courants politiques, forteresses du conservatisme qui veulent enfermer les peuples dans une équation binaire (c’est eux ou nous, disent-ils) de la politique, viennent s’ajouter pêle-mêle d’autres paramètres, étrangers ceux-là. Ces derniers vont jeter du carburant sur un volcan déjà en ébullition. Ils ont pour nom les USA et leur protégé Israël qui bénéficient, ô horreur et paradoxe du renfort, d’une myriade d’Emirats démunis de Constitution mais qui ne jurent que par le fait religieux cuisiné à leur sauce féodale. Ces entités politiques de pacotille, croulant sous la masse des billets verts, excités par le pouvoir de ce dieu-dollar, mais sentant le danger provenant de leurs peuples, ont choisi de tourner le dos à ces derniers pour préserver leurs mesquins privilèges et leurs féodalités moyenâgeuses.
    Les peuples de ces contrées ont pris conscience que l’aventure de la conquête du futur leur serait interdite avec ces seigneurs forts avec les faibles et obséquieux avec les puissants (je me permets de paraphraser Jean de la Fontaine). Ces peuples ont acquis cette certitude quand ils ont assisté à l’innommable agression américaine (avec la complicité de ces féodaux) contre l’Irak. Le même scénario est à l’œuvre à l’heure actuelle en Syrie. En dépit de ces coups, l’horizon de l’avenir reste à portée des peuples du monde arabe qui se sont soulevés en criant le fameux «dégage !». Un cri sorti du lointain de leur histoire pour stopper la fatalité de la misère et mettre un terme à l’obscénité de la hogra, spécialité des dictatures bottées et harnachées.

    Cette poussée des peuples fait trembler les forces conservatrices et leurs maîtres étrangers. Que doivent faire alors ceux qui veulent aller à l’assaut du futur ? Certainement pas faire confiance aux forces qui s’étripent en Syrie et qui ont révélé à la face du monde la nature de leur idéologie et de leurs pratiques politiques. Ces forces formatées par des idées d’un autre âge ne feront qu’enfoncer la Syrie dans l’abîme. Laissons-les dans leur désert.
    L’espoir est ailleurs, là où les peuples se donnent politiquement les moyens d’atterrir dans une planète un peu plus verdoyante. Pour atteindre ce but, ces peuples ont un long chemin à parcourir, la tâche est lourde et des préalables sont nécessaires.
    - Déblayer le terrain parsemé de chausse-trappes où se nichent le chauvinisme, la culture féodale, des âmes sans scrupules manipulant la religion, le tout saupoudré de simplisme où l’essence du politique est réduite à la haine et la peur de l’autre. Ce qui fait la réputation d’un pays et force le respect des autres, c’est assumer et s’enrichir des leçons de l’histoire, c’est chérir la liberté de tous et de chacun et bannir tout pouvoir de droit divin ou par héritage.
    - Déblayer le terrain nécessite de ne plus croire au père Noël déguisé en chef d’orchestre et tirant les ficelles des événements.
    On oublie que l’histoire, ce volcan qui emporte tout sur son passage, ne se fait pas en un jour et nécessite du temps pour s’écrire et pour mesurer son impact sur la société et son environnement. Le processus dans lequel sont engagés les peuples du monde arabe n’obéit à aucune fatalité. Il sera le produit de la capacité de ces peuples à surmonter les embûches que mettront sur leur chemin certaines forces aussi bien intérieures qu’extérieures.
    - Déblayer le terrain c’est saisir les particularités de chaque pays, identifier par exemple les différences entre l’Egypte ou la Tunisie, vieux pays dotés d’une société politique et civile, et la Libye tribalisée et désarmée par un bouffon nommé Kadhafi.
    - Déblayer le terrain, c’est tirer des enseignements fournis par la guerre en Syrie, pays géographiquement au carrefour de trois continents et historiquement berceau de l’héritage de civilisations millénaires. Un pays refusant de se soumettre au diktat d’Israël, dont on exige un traité de paix et de se laisser voler «légalement» le Golan.
    - Déblayer le terrain, c’est cerner les dessous de la militarisation du soulèvement populaire en Syrie, une décision qui a engendré un carnage qui dépasse l’entendement, carnage dont les deux camps partagent la responsabilité de cette macabre comptabilité.
    - Déblayer le terrain, c’est appeler par leurs noms ces légions étrangères prétendant agir au nom de l’islam quand elles ne sont que des marionnettes dans les mains de féodaux plus préoccupés par les biens matériels que de spiritualité. A défaut de ce travail politique et théorique, on a vu surgir des divergences profondes sur la Syrie. Il y a ceux qui donnent la priorité aux facteurs politiques internes (se débarrasser à tout prix de Assad) en fermant les yeux sur le jeu des puissances étrangères.

    Et puis, il y a ceux qui font contre mauvaise fortune bon cœur en «soutenant» Bachar Al Assad pour ne pas mettre en péril le front de résistance à Israël. Ils sont encore hantés et traumatisés par les accords Sykes-Picot de 1916, quand la France et l’Angleterre ont démembré cette région du monde dans laquelle s’est engouffré le mouvement sioniste avec la déclaration de Balfour de 1917 qui revendiqua un «foyer national juif» en Palestine. L’on voit aujourd’hui les conséquences de ce démembrement quand on sait qu’Israël et son parrain US veulent achever le travail initié en 1916 pour dépecer la Syrie et isoler l’Iran pour à la fois faire «plaisir» aux monarchies du Golfe et à Israël. Les tenants de cette position politique refoulent leur aversion de la dictature du Baâth syrien. Ils ferment d’autant plus les yeux sur la répression du régime baâthiste que les éventuels et hypothétiques vainqueurs (salafistes /wahhabites) ne sont nullement des enfants de chœur.

    Et derrière ces enfants de chœur, ils savent qu’il y a les féodaux des pays du Golfe qui se laissent siphonner leur pétrole tout en cultivant des mœurs asphyxiantes.

  • #2
    En face d’eux, il y a ceux qui veulent intégrer le soulèvement syrien au-dit désormais printemps arabe. Sauf que le cas syrien a sa propre singularité. Bien que le soulèvement ait eu des racines populaires, une dynamique véritablement révolutionnaire ne pouvait se mettre en place avec des couches sociales hétéroclites et conservatrices. Le confessionnalisme à lui seul ne pouvait, ne peut fédérer une telle lutte dans une société dont le socle depuis la nuit des temps repose sur une mosaïque de minorités «confessionnelles et ethniques».

    Le changement tactique consistant à militariser le soulèvement fut une faute politique majeure qui s’est traduite par des tueries et l’exil de populations.
    En faisant l’impasse sur les facteurs de politique intérieure, la géopolitique et les alliances régionales, on ne pouvait récolter que déboires et désillusions. Se lamenter aujourd’hui sur la révolution trahie, comme le titre une certaine presse, c’est ajouter à la bêtise politique initiale la honte d’acteurs qui ne veulent pas assumer leurs erreurs et reconnaître leur médiocrité idéologique qui les a empêché de comprendre qu’une révolution n’est pas une simple promenade d’agrément. Non seulement Assad est toujours là, mais il a quelque chance de durer, vu la tournure sur le terrain militaire et le «réalisme» de l’Occident, hier si arrogant et aujourd’hui prêt à s’asseoir en face de Assad, décrété ennemi juré il y a si peu de temps. A la lumière de cette analyse esquissée à grands traits, on peut dire que la Syrie est une sorte de miroir des contradictions qui minent le monde arabe. Le conflit en Syrie est la confirmation que les sociétés évoluent à partir de leurs dynamiques internes.

    L’exemple de Bush, voulant exporter sa «démocratie», est un échec flagrant et pitoyable.

    Vouloir chasser une dictature en faisant appel à des cohortes de volontaires armés militairement et idéologiquement par des puissances étrangères relève d’un aveuglement enfanté par un infantilisme politique.
    L’Irak, la Syrie, la Libye étalent au grand jour la preuve que les forces étrangères, non seulement ne libèrent pas un pays, mais le plongent plutôt dans le chaos intégral.

    Au regard de ce que je viens d’énoncer, il est temps d’abandonner une vision des choses devenue chimère sous l’épreuve du temps. Il est préférable de s’imprégner des idées nouvelles et des rapports de force qui émergent aussi bien dans les sociétés arabes que dans l’environnement mondial. Les médiocres attributs que l’on confère aux tribus** qui font jouer gheïta et zorna pour caresser dans le sens du poil, aux clans méfiants/mafieux qui ont peur de leur ombre, à ceux qui dénaturent la croyance des fidèles en mélangeant politique/religion, toutes ces idéologies rétrogrades ne sont en définitive que poussière qui ne résiste pas et ne résistera pas longtemps au souffle puissant de la marche du monde.

    Les chimères aujourd’hui, ce sont toutes ces constructions idéologiques et mentales qui veulent défier les puissantes vagues de la vie et les aspirations des peuples, une bataille perdue d’avance, et l’histoire avec ses sentences le confirme.
    Les peuples arabes ont payé cher ces désillusions entretenues par les courants politiques qui ont fait hiberner leurs sociétés.
    Laissons ces désillusions aux Occidentaux, soi-disant bien renseignés, qui prédisaient la chute de Assad dans un délai de quelques mois. Moquons un peu cette presse qui prétend représenter la noblesse du journalisme tout en faisant les louanges de la politique de la canonnière d’une époque révolue, quand le soleil ne se couchait jamais sur l’empire britannique. Après l’Irak, cette presse récolte à nouveau le mépris de ses lecteurs si l’on se réfère aux réactions des internautes dans les réseaux sociaux.

    Quant aux spécialistes de ces nombreux instituts de stratégie, ils devraient changer de lunettes pour pouvoir lire le monde d’aujourd’hui. Leurs commentaires où se mêlaient arrogance et manipulation lors de l’attaque du complexe pétrochimique d’In Amenas et leurs délires lors des agressions contre l’Irak démontrent que la ravageuse idéologie dominante contamine même ces «spécialistes» pourtant non dépourvus d’intelligence.


    * Il est cocasse que des «écrits» chez nous reprennent à leur compte la théorie du complot. Il est vrai qu’il y a deux conceptions de l’histoire. La première est «validée» par Hollywood où le héros, un superman, arrive toujours à déjouer tous les complots ourdis contre la «grande» Amérique. La seconde est celle qui préfère «un seul héros, le peuple» inscrit sur tous les murs de l’Algérie en 1962 pour bien montrer que c’est le peuple qui a triomphé de la 5e puissance mondiale de l’époque et non la main de Moscou, comme le claironnaient les services secrets français.

    ** Certains événements chez nous (reportage dans la cité U des filles à Alger, rivalités «ethniques» à Ghardaïa) déclenchent des réactions d’une rare violence où le racisme rivalise avec la vulgarité. Le tribalisme et l’obscurantisme, valeurs suprêmes pour des gens victimes des limites intellectuelles qu’ils se fabriquent eux-mêmes, y sont pour quelque chose.

    Par Ali Akika, cinéaste, LeSoir

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