Le « grand jeu » de l’Arabie saoudite pour étouffer les «*printemps arabes*»
LE MONDE*|*13.01.2014 à 15h15* Mis à jour le*13.01.2014 à 15h49*|
Par*Christophe Ayad,*Isabelle Mandraud,*Benjamin Barthe,*Hélène Sallon*et*Serge Michel
1ère partie
Le 14 janvier 2011, Ben Ali s'envole pour Djedda, en*Arabie saoudite,*sans sedouter*qu'il y passera les trois années suivantes dans un exil aussi ennuyeux que doré.*Paris*n'a pas voulu de lui, ni aucun autre pays arabe. Seul le géant saoudien a l'argent et la légitimité religieuse pour se*permettre*d'accueillir*le nouveau paria. Seule l'Arabie saoudite*réalise combien ce qui vient de se*passer*en*Tunisie*la menace.
Pendant trois ans, le*pouvoir*saoudien va se*dépenser*sans*compter*pour endiguer*la vague des révolutions arabes ou la*mettre*au service de*ses*ambitions régionales. En*Egypte, la monarchie a remis en selle les militaires à coups de pétrodollars pour*étouffer*les Frères musulmans et les révolutionnaires. En*Syrie, elle soutient les rebelles pour mieux*contrer*l'Iran. Retour sur trois années de tourmente.
LE TEMPS DES PEUPLES
Partie de Sidi Bouzid, au*centre*de*la Tunisie, le 17*décembre 2010, après l'immolation de Mohamed Bouazizi, un jeune vendeur de fruits et légumes désespéré, la révolte ne gagne Tunis, la capitale, que le 11*janvier.
Partout, les postes de*police*et les locaux du parti au*pouvoir*sont brûlés, les portraits du dirigeant arrachés, aux cris de*«*Dégage*!»*En première ligne, les jeunes affrontent les forces de sécurité malgré les tirs à balles réelles, avant que ne se mêlent, au fil des jours, avocats, enseignants, chômeurs, entrepreneurs. Al-Jazira, la chaîne qatarie, diffuse en continu les images de cette contestation populaire et son slogan :*«*Justice, dignité et liberté*!*»*D'Alger au*Caire, des millions de téléspectateurs assistent, médusés, à l'effondrement, en moins de trois semaines, du premier dictateur arabe.
En Egypte, les premières manifestations éclatent le 25 janvier au Caire, à Alexandrie ou à Suez. Puis la place Tahrir, au cœur de la capitale égyptienne, théâtre de heurts meurtriers avec les forces de sécurité, devient le symbole d'une contestation disparate mais déterminée qui associe des femmes, des hommes, des jeunes, des vieux de tous horizons politiques.
« Descends de ta machine et va*rejoindre*les braves de la place Tahrir ! », lance un vieux mécano à un soldat. Les craintes sont grandes, alors qu'Hosni Moubarak a appelé l'armée*à la rescousse. Ici aussi, la foule scande :*«Le peuple veut la chute du régime ».*« En plus d'être*populaires, ces mouvements sont spontanés, ils relèvent d'une logique émeutière et, en conséquence, n'ont pas été conduits au sens strict par un chef, une idéologie ou une organisation*politique*», relèvent les chercheurs Michaël Béchir Ayari et Vincent Geisser, auteurs de*Renaissances arabes*(Editions de l'Atelier, octobre 2011).
Le 11 février, lâché par l'armée, le raïs égyptien est contraint à la démission. Le monde arabe est sidéré, à*commencer*par les dirigeants saoudiens, qui reprochent à Washington de*souffler*sur les braises de la contestation en lâchant un à un ses plus fidèles alliés.
Plus près encore du royaume,*le Yémen, qui possède 1*800*kilomètres de frontière commune avec l'Arabie saoudite, s'est à son tour animé. Le 27 janvier, des milliers de manifestants se rassemblent à Sanaa pour*réclamer*le départ du président Ali Abdallah Saleh.
Après trente-trois ans à la tête de l'Etat, ce dernier veut*modifier*la Constitution pour se*représenter*en 2013. La rébellion se répand d'Aden, notamment parmi les étudiants, jusqu'aux wadis extrêmes de l'Hadramaout. Du jamais-vu. Ali Abdallah Saleh, qui a survécu à un attentat et a dû se*faire*soigner*en Arabie saoudite, se voit contraint à l'automne de*signer, à Riyad, un accord de transition qui le pousse vers la sortie.
Un autre incendie s'allume dans le petit royaume du*Bahreïn, le 14 février. Les jeunes manifestants, à majorité chiite, campent sur la place de la Perle de Manama, pour*contester*la mainmise sur le*pouvoir*de la dynastie sunnite des Al-Kahlifa. Mais, le 2 mars, l'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis envoient des troupes au secours de leur voisin : plus de 1 000 hommes affectés à la*défensedes institutions et des infrastructures stratégiques. Les chars des forces de sécurité bahreïnies évacuent violemment les contestataires accusés d'êtremanipulés par la grande puissance chiite, l'Iran.
Le 18 mars, le monument de la place de Manama (six colonnes arquées qui enserrent une boule blanche représentant une perle), est rasé. La fronde bahreïnie avortée marque la première intervention de Riyad, champion des intérêts sunnites au Moyen-Orient, dans le « printemps arabe ».
Riyad, qui voit s'allumer*des feux dans toute sa sphère d'influence, interviendra dans la foulée une deuxième fois en proposant au*Maroc, à son tour bousculé par des manifestants du Mouvement du 20-Février, et à*la*Jordanie*de*rejoindre*le club très fermé du Conseil de coopération des Etats du Golfe, jusque-là réservé aux pétromonarchies. Une sainte alliance contre-révolutionnaire se dessine.
L'embrasement n'est pourtant pas fini.*La Libye*puis*la Syrie*entrent à leur tour dans le cycle des manifestations-répressions. Mais à la différence des autres, la contestation dans ces deux pays basculera dans la guerre. Le conflit libyen, qui a débuté par des manifestations à Benghazi le 17 février, ne s'achève que le 20*octobre à Syrte par le lynchage du colonel Mouammar Kadhafi, qui, après quarante-deux ans de règne, était le plus vieux dirigeant arabe. Il aura fallu l'intervention de l'OTAN, pour que le conflit s'achève, au prix de milliers de morts.
La tragédie syrienne, elle, commence le 15 mars 2011 par une manifestation à Deraa, une ville située à la frontière avec la*Jordanie, pour*faire*libérer quelques adolescents frondeurs, qui avaient tracé des graffitis antirégimes. Arrêtés, sauvagement torturés, ils ne seront rendus à leur*famille*qu'une semaine plus tard. Trop tard. La révolte contre le*pouvoir*autoritaire de Bachar Al-Assad, qui a succédé à son père Hafez en 2000, gagne d'autres villes. Malgré la peur, les cortèges grossissent.
Partout, les murs se couvrent de slogans et de caricatures. La parole s'est libérée. Dans la rue, on harangue, on crie, on interpelle. Les islamistes, longtemps contraints à la clandestinité, rentrent d'exil et fondent des partis, des plus modérés aux plus radicaux. A la « droite » des Frères musulmans émergent les salafistes. L'Arabie saoudite, qui se méfie de la confrérie, réputée trop politique, finance les salafistes, en espérant*pouvoir*mieux les*contrôler. Des groupes radicaux Ansar Al-Charia naissent en Tunisie, en Egypte, au*Yémen, en*Libye.
Mais, déjà, des pays organisent les premières élections libres. La Tunisie, bientôt imitée par l'Egypte, inaugure ce nouveau cycle le 23 octobre 2011. Des files interminables de votants se forment.
à suivre ...
LE MONDE*|*13.01.2014 à 15h15* Mis à jour le*13.01.2014 à 15h49*|
Par*Christophe Ayad,*Isabelle Mandraud,*Benjamin Barthe,*Hélène Sallon*et*Serge Michel
1ère partie
Le 14 janvier 2011, Ben Ali s'envole pour Djedda, en*Arabie saoudite,*sans sedouter*qu'il y passera les trois années suivantes dans un exil aussi ennuyeux que doré.*Paris*n'a pas voulu de lui, ni aucun autre pays arabe. Seul le géant saoudien a l'argent et la légitimité religieuse pour se*permettre*d'accueillir*le nouveau paria. Seule l'Arabie saoudite*réalise combien ce qui vient de se*passer*en*Tunisie*la menace.
Pendant trois ans, le*pouvoir*saoudien va se*dépenser*sans*compter*pour endiguer*la vague des révolutions arabes ou la*mettre*au service de*ses*ambitions régionales. En*Egypte, la monarchie a remis en selle les militaires à coups de pétrodollars pour*étouffer*les Frères musulmans et les révolutionnaires. En*Syrie, elle soutient les rebelles pour mieux*contrer*l'Iran. Retour sur trois années de tourmente.
LE TEMPS DES PEUPLES
Partie de Sidi Bouzid, au*centre*de*la Tunisie, le 17*décembre 2010, après l'immolation de Mohamed Bouazizi, un jeune vendeur de fruits et légumes désespéré, la révolte ne gagne Tunis, la capitale, que le 11*janvier.
Partout, les postes de*police*et les locaux du parti au*pouvoir*sont brûlés, les portraits du dirigeant arrachés, aux cris de*«*Dégage*!»*En première ligne, les jeunes affrontent les forces de sécurité malgré les tirs à balles réelles, avant que ne se mêlent, au fil des jours, avocats, enseignants, chômeurs, entrepreneurs. Al-Jazira, la chaîne qatarie, diffuse en continu les images de cette contestation populaire et son slogan :*«*Justice, dignité et liberté*!*»*D'Alger au*Caire, des millions de téléspectateurs assistent, médusés, à l'effondrement, en moins de trois semaines, du premier dictateur arabe.
En Egypte, les premières manifestations éclatent le 25 janvier au Caire, à Alexandrie ou à Suez. Puis la place Tahrir, au cœur de la capitale égyptienne, théâtre de heurts meurtriers avec les forces de sécurité, devient le symbole d'une contestation disparate mais déterminée qui associe des femmes, des hommes, des jeunes, des vieux de tous horizons politiques.
« Descends de ta machine et va*rejoindre*les braves de la place Tahrir ! », lance un vieux mécano à un soldat. Les craintes sont grandes, alors qu'Hosni Moubarak a appelé l'armée*à la rescousse. Ici aussi, la foule scande :*«Le peuple veut la chute du régime ».*« En plus d'être*populaires, ces mouvements sont spontanés, ils relèvent d'une logique émeutière et, en conséquence, n'ont pas été conduits au sens strict par un chef, une idéologie ou une organisation*politique*», relèvent les chercheurs Michaël Béchir Ayari et Vincent Geisser, auteurs de*Renaissances arabes*(Editions de l'Atelier, octobre 2011).
Le 11 février, lâché par l'armée, le raïs égyptien est contraint à la démission. Le monde arabe est sidéré, à*commencer*par les dirigeants saoudiens, qui reprochent à Washington de*souffler*sur les braises de la contestation en lâchant un à un ses plus fidèles alliés.
Plus près encore du royaume,*le Yémen, qui possède 1*800*kilomètres de frontière commune avec l'Arabie saoudite, s'est à son tour animé. Le 27 janvier, des milliers de manifestants se rassemblent à Sanaa pour*réclamer*le départ du président Ali Abdallah Saleh.
Après trente-trois ans à la tête de l'Etat, ce dernier veut*modifier*la Constitution pour se*représenter*en 2013. La rébellion se répand d'Aden, notamment parmi les étudiants, jusqu'aux wadis extrêmes de l'Hadramaout. Du jamais-vu. Ali Abdallah Saleh, qui a survécu à un attentat et a dû se*faire*soigner*en Arabie saoudite, se voit contraint à l'automne de*signer, à Riyad, un accord de transition qui le pousse vers la sortie.
Un autre incendie s'allume dans le petit royaume du*Bahreïn, le 14 février. Les jeunes manifestants, à majorité chiite, campent sur la place de la Perle de Manama, pour*contester*la mainmise sur le*pouvoir*de la dynastie sunnite des Al-Kahlifa. Mais, le 2 mars, l'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis envoient des troupes au secours de leur voisin : plus de 1 000 hommes affectés à la*défensedes institutions et des infrastructures stratégiques. Les chars des forces de sécurité bahreïnies évacuent violemment les contestataires accusés d'êtremanipulés par la grande puissance chiite, l'Iran.
Le 18 mars, le monument de la place de Manama (six colonnes arquées qui enserrent une boule blanche représentant une perle), est rasé. La fronde bahreïnie avortée marque la première intervention de Riyad, champion des intérêts sunnites au Moyen-Orient, dans le « printemps arabe ».
Riyad, qui voit s'allumer*des feux dans toute sa sphère d'influence, interviendra dans la foulée une deuxième fois en proposant au*Maroc, à son tour bousculé par des manifestants du Mouvement du 20-Février, et à*la*Jordanie*de*rejoindre*le club très fermé du Conseil de coopération des Etats du Golfe, jusque-là réservé aux pétromonarchies. Une sainte alliance contre-révolutionnaire se dessine.
L'embrasement n'est pourtant pas fini.*La Libye*puis*la Syrie*entrent à leur tour dans le cycle des manifestations-répressions. Mais à la différence des autres, la contestation dans ces deux pays basculera dans la guerre. Le conflit libyen, qui a débuté par des manifestations à Benghazi le 17 février, ne s'achève que le 20*octobre à Syrte par le lynchage du colonel Mouammar Kadhafi, qui, après quarante-deux ans de règne, était le plus vieux dirigeant arabe. Il aura fallu l'intervention de l'OTAN, pour que le conflit s'achève, au prix de milliers de morts.
La tragédie syrienne, elle, commence le 15 mars 2011 par une manifestation à Deraa, une ville située à la frontière avec la*Jordanie, pour*faire*libérer quelques adolescents frondeurs, qui avaient tracé des graffitis antirégimes. Arrêtés, sauvagement torturés, ils ne seront rendus à leur*famille*qu'une semaine plus tard. Trop tard. La révolte contre le*pouvoir*autoritaire de Bachar Al-Assad, qui a succédé à son père Hafez en 2000, gagne d'autres villes. Malgré la peur, les cortèges grossissent.
Partout, les murs se couvrent de slogans et de caricatures. La parole s'est libérée. Dans la rue, on harangue, on crie, on interpelle. Les islamistes, longtemps contraints à la clandestinité, rentrent d'exil et fondent des partis, des plus modérés aux plus radicaux. A la « droite » des Frères musulmans émergent les salafistes. L'Arabie saoudite, qui se méfie de la confrérie, réputée trop politique, finance les salafistes, en espérant*pouvoir*mieux les*contrôler. Des groupes radicaux Ansar Al-Charia naissent en Tunisie, en Egypte, au*Yémen, en*Libye.
Mais, déjà, des pays organisent les premières élections libres. La Tunisie, bientôt imitée par l'Egypte, inaugure ce nouveau cycle le 23 octobre 2011. Des files interminables de votants se forment.
à suivre ...
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