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Les voix pour une voie

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    Les voix pour une voie



    Je crains de voir, à la télévision, des candidats à la présidentielle lever le capot de la voiture qu'ils auront nommé Algérie pour nous expliquer, nous décrire, avec la roublardise dont on soupçonne, parfois à tord, les mécaniciens, d'où vient la panne et quelle pièce il faudra changer ou réparer pour reprendre la route.

    Si vous les écoutez, ils vous feront perdre votre temps et user votre patience. Cinquante ans après, j'espère qu'ils ne pourront plus vous faire passer des vessies pour des lanternes, croire que nous sommes embarqués dans une voiture quand nous savons tous que nous sommes, bel et bien, incarcérés dans des wagons couchés sur le bas coté d'un convoi entrainé par une locomotive folle qui a déraillé. Et que nous attendons toujours des secours qui tardent à venir.

    Par quel tour de passe-passe ces mécaniciens pourront-ils nous faire croire au dépannage express quand nous réclamons, à cor et à cri, des engins lourds pour nous en sortir ? C'est tout le miracle de la politique et du langage politiciens. " Portez votre choix sur moi et je vous dirai ".

    Leur annonce de candidature tient lieu de programme. Les propos sont ponctués de " il faut que " et " nous voulons que ". Non messieurs. Nous voulons un programme. Une feuille de route que nous puissions suivre. Pas à pas. Et vous en faire les comptables.

    Vous demandez un chèque en blanc ? Non, merci, monsieur. Nous en avons déjà signé, plusieurs fois, vous vous souvenez ? Et ce n'était pas des chèques en bois.

    Je vous le demande. Si nous renouvelons les mêmes erreurs, de quoi aurions nous l'air à leurs yeux ? De cruches. Ce ne sera plus de la crédulité ou de la naïveté de notre part, mais d'autre chose que je vous laisse le soin de qualifier. L'autre chose qui me vient à l'esprit n'est pas flatteur. En nous regardant dans un miroir, droit dans les yeux.

    Un honnête mécanicien, modeste, compétent - il en existe - ne vous ferait pas passer une locomotive et ses wagons pour un véhicule léger. Il aurait renoncé. Il vous aurait recommandé de confier le travail à un expert autrement plus compétent que lui. En somme à des ingénieurs. Il aurait ajouté que ces travaux ne s'improvisent pas. Ce n'est pas pour lui, ce travail.

    Ca existe des hommes et des femmes qui rejettent la promotion selon le principe de Peter.

    C'est quoi ce principe, dites-vous ?

    Levez la tête.

    Il gère notre vie.

    Laurence Peter et Raymond Hull expliquaient, en 1969, dans une livre célébré depuis, que tout travailleur qui fait bien son travail, bénéficiera d'une promotion et grimpera les échelons dans sa hiérarchie. Jusqu'à ce qu'il atteigne son niveau d'incompétence. Et là, il s'agrippera à cette position de toutes ses forces pour survivre. Rejoins par d'autres quidams, souffrant d'une même ambition démesurée, ils constitueront une tribu au pouvoir. Et pour les faire bouger de là, les dégommer, comme on dit vulgairement, il y a fort à faire.

    L'incompétence devient alors la norme.

    Principe vérifié.

    Sauf que les deux chercheurs ne l'ont pas appliqué à la politique. Et pourtant, c'est bien là que la théorie, dans toute sa splendeur, est la mieux partagée. Regardez autour de vous. Ou plutôt, encore une fois, en haut. Il s'en trouve qui méritent d'être en platine iridié et déposé au pavillon de Breteuil à Sèvres, comme le mètre étalon, pour servir d'unité de mesure.

    Ca ne date pas d'aujourd'hui.

    J'expliquais, il y a une trentaine d'année, dans un café non loin de la rue de la liberté, à Alger, ce principe à un sculpteur. Pour illustrer mes propos, j'ajoutais que, si on installait un algérien lamda dans le cockpit d'un 747, et qu'on lui dise qu'il faudra qu'il le fasse décoller, il trouvera le moyen de toucher tous les boutons pour tenter de le faire prendre les airs. A ma stupéfaction il me sourit et dit : «bin, moi, j'essaierai».

    Il était sérieux.

    Si notre mécanicien, pour revenir à notre propos, reconnait honnêtement ses limites, il nous recommanderait donc des ingénieurs qui savent ce qu'intervenir, dans ce cas, veut dire. Ils nous diront qu'il faut commencer par évaluer les dégâts. Sélectionner les engins lourds nécessaires. Les tracter sur le lieu de l'accident. Les stabiliser. Décrocher la locomotive des wagons, la soulever puis la remettre sur rails. Puis ce sera le tour des wagons. Les replacer sur la voie qu'ils n'auraient jamais dû quitter si conducteur de la locomotive n'avait pas été prise d'un coup de soleil. Ou submergé de son ego surdimensionné. Ils nous proposeront de réhabiliter l'ensemble du train, dans le garage, avec plein de techniciens au-tour d'eux, représentants tous les corps de métier nationaux. Qui seront partie prenante dans ces travaux. Pour que ce train accidenté, remis à neuf, réponde aux normes de vitesse, de sécurité, de confort, avec, à son bord, un personnel fournissant le meilleur service, du chauffeur au contrôleur en passant par le wagon restaurant.

    Ils n'oublieront pas de s'assurer, ce travail achevé, que les voies sont en bon état malgré le déraillement. Et, lors de la mise sur rail, qu'ils ne se tromperont pas non plus de ligne.

    Il ne faut pas que celle-ci nous conduise là où nous ne voulons pas aller, n'est-ce pas ?

    Car nous sommes bien d'accord sur la destination ?

    Si vous avez un trou de mémoire, et je le comprendrais aisément, tenant compte du traumatisme subi lors de l'accident et la longue attente des secours, je vous comprendrai. C'est pour cela que je vous recom-mande de tirer votre ticket de train de votre pochette. Et vous verrez :

    Le ticket est daté du 1 er Novembre 1954.

    Il fut contrôlé le 20 Aout 1956.

    Avec ces repères, vous ne pouvez pas vous tromper.

    Alors, bon vent.


    par Hadj-Chikh Bouchan


    Le Quotidien d'Oran
    " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "
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