Le professeur Mohamed Tazir, ex-directeur général de l’Institut Pasteur d’Algérie (IPA) et chef de service du laboratoire de microbiologie à l’hôpital Mustapha d’ Alger, revient dans cet entretien sur la situation léthargique au plan scientifique de l’IPA et s’élève contre un immobilisme qui perdure et qui pourrait être fatal pour cette honorable institution érigée en Algérie depuis 1895.
-L’Institut Pasteur d’Algérie que vous avez dirigé à deux reprises, 1994/2000 et 2010/2012, était un membre actif du Réseau international des Instituts Pasteur (RIIP). Aujourd’hui, l’institution semble s’éloigner de sa principale vocation, à savoir la recherche scientifique et la formation.
Pourquoi d’après vous ?
Il faut bien dire que la situation actuelle de l’IPA est décevante et même frustrante pour tous les Pasteuriens. Cela nous remplit d’inquiétude pour l’avenir de cette institution stratégique et plus que centenaire. A mon avis, cela résulte principalement de la méconnaissance par les plus hautes autorités de l’importance du rôle qui doit être celui de l’Institut Pasteur d’Algérie, non pas seulement dans la politique de santé publique, mais aussi comme pôle de recherche et de la formation scientifique dans les domaines qui sont les siens.
Plus grave que la méconnaissance de ce rôle, c’est le manque d’écoute, je dirais même l’absence totale d’écoute de la part de l’autorité de tutelle.
J’en ai fait l’amère expérience lorsque j’étais en responsabilité, surtout durant la période 2010/2012.
Il faut ajouter à cela les injonctions administratives, irresponsables et intempestives, qui provoquent des dégâts aux conséquences très souvent désastreuses pour l’institution, et cela dans l’indifférence générale. L’IPA est parmi les tout premiers à avoir été érigé hors de France puisqu’il date de 1895.
Tous les Instituts Pasteur du monde ont évolué dans le temps, ils sont aujourd’hui plus d’une trentaine répartis sur tous les continents, regroupés et travaillant en relation étroite sur d’importants sujets de recherche biomédicale, soit dans le cadre d’accords bilatéraux avec des institutions ou organisations de recherche à l’internationale ou au sein du Réseau international des Instituts Pasteur (RIIP). Les Instituts Pasteur ont tous recentré leurs activités sur leur vraie vocation : la conquête de nouveaux savoirs et la production de connaissances dans les domaines de la biologie et de la biomédecine.
Avec l’appui actif et éclairé de leurs autorités nationales respectives, de grands changements ont été apportés à leur structuration et à leur fonctionnement pour leur permettre de se maintenir aux avant-postes de la recherche scientifique biomédicale, de l’innovation en biotechnologie. L’IPA, malheureusement, n’a pas évolué dans le bon sens. Des tentatives ont bien été amorcées, mais brisées net par, comme je l’ai dit plus haut, le fait de l’ignorance et la méconnaissance de cette institution de la part de ceux qu’on appelle les «décideurs».
Chacun a constaté que la fonction commerciale d’approvisionnement en vaccins, sérums et autres produits biologiques à usage humain pour la santé publique a, au fil des dernières années, complètement occulté le rôle de pôle scientifique de cette institution.
-Quelles sont les raisons de ce découragement ?
A l’origine, l’activité commerciale de l’IPA devait se limiter à l’approvisionnement monopolistique des vaccins et sérums, afin de garantir leur qualité et que soit menée à bien l’exécution des programmes du gouvernement en matière de prévention de la santé publique. Les revenus générés devaient servir principalement à financer les activités de recherche scientifique et de formation. Le statut d’EPIC et l’autonomie financière que confère l’activité commerciale à l’IPA constitue à la fois sa force et sa faiblesse. Cela lui évite en effet les lourdeurs administratives pour l’acquisition d’équipements scientifiques et matériels nécessaires aux activités des laboratoires de diagnostic et de recherche — ce qui n’est pas le cas pour beaucoup d’institutions de recherche — mais en même temps l’expose au risque de dilapidation de moyens financiers précieux lorsque l’équipe dirigeante manque de compétences ou de discernement dans la planification et fixation des objectifs.
L’autorité de tutelle, ces dernières années, préoccupée exclusivement par la disponibilité des vaccins et autres produits biologiques nécessaires à la santé publique, ne s’est plus intéressée aux problèmes fondamentaux et aux difficultés rencontrées par l’IPA
Tant que les vaccins et sérums sont disponibles tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. En dehors du ministère de la Santé, les instances nationales en charge de la politique de recherche scientifique et d’enseignement ne s’intéressent que très peu ou pas du tout au potentiel de cette institution.
La situation peu reluisante actuelle, et c’est peu dire, est due aussi au découragement et à la démission morale de son personnel scientifique, imprégné de l’esprit pasteurien conscient des enjeux et défis à relever sur le plan scientifique. Ils sont aujourd’hui réduits à une poignée de personnes sur le point de partir à la retraite. Il faut dire aussi que notre drame c’est que dans notre pays, les choses sont rarement menées à leur terme dans des délais raisonnables. Une équipe qui arrive ignore et fait table rase des réalisations de la précédente, les bilans ne sont jamais dressés et encore moins analysés, personne ne rend de comptes à personne.
-D’après vous, comment se fait-il que cet immobilisme ait tant perduré et que rien n’ait bougé pendant des années ?
Au début des années 1970, les dirigeants de l’IPA, poussés et appuyés par les autorités politiques, se sont fourvoyés dans un projet gigantesque et volontariste de production de grande ampleur de vaccins et sérums thérapeutiques — projet Nouvel Institut Pasteur d’Algérie (NIPA) — au moment où l’Institut Pasteur de Paris lui-même amorçait son désengagement de la production qui devenait un métier complexe, nécessitant sa prise en charge par une industrie biotechnologique spécifique, très pointue, hautement qualifiée. A partir de 1995, nous avons bien essayé de faire bouger les choses.
Un plan de développement stratégique de l’IPA a été élaboré dès 1996/98 et finalisé. Il a été remis à la tutelle en décembre 1999. Le ministre de la Santé en place, le professeur Yahia Guidoum, avait totalement adhéré aux objectifs que nous nous étions fixés. Il avait encouragé et accompagné cette démarche pour aller de l’avant. Une feuille de route avait été élaborée pour la mise en œuvre du plan stratégique et de développement qui devait, en 2004/2005, aboutir au recentrage de l’IPA sur ses véritables métiers : recherche biomédicale et épidémiologique, enseignement de haut niveau et innovation biotechnologique. Tout cela s’est arrêté en 2000 après le départ du professeur Guidoum du ministère de la Santé.
Ce plan prévoyait l’externalisation ou la filialisation des activités commerciales et de production, par ailleurs très modeste, l’abandon du projet NIPA dont les conclusions d’une étude sérieuse, par un bureau spécialisé, avaient démontré non seulement que le projet était irréaliste, surdimensionné, mais aussi que son infrastructure dépassée ne répondait plus aux normes modernes exigées, tant pour la partie qui concerne les laboratoires de recherche et de diagnostic biologiques que pour les installations de production biotechnologique de vaccins et sérums. Il faut rappeler que le projet du Nouvel Institut Pasteur d’Algérie (NIPA) a été engagé au début des années 1970. Les travaux d’infrastructures ont été arrêtés en 1985 ou 86. Un des multiples experts qui avaient été sollicités l’avait qualifié d’«éléphant blanc». Nous avions alors proposé de garder le site qui occupe une trentaine d’hectares au sein du patrimoine des structures de santé et le reconvertir en grand CHU pour remplacer à court terme celui de Mustapha Bacha, situé au centre de la ville d’Alger et qui devient, on le voit aujourd’hui, ingérable. Nous avions aussi proposé d’y loger la faculté de médecine en même temps que le CHU.
-L’Institut Pasteur d’Algérie que vous avez dirigé à deux reprises, 1994/2000 et 2010/2012, était un membre actif du Réseau international des Instituts Pasteur (RIIP). Aujourd’hui, l’institution semble s’éloigner de sa principale vocation, à savoir la recherche scientifique et la formation.
Pourquoi d’après vous ?
Il faut bien dire que la situation actuelle de l’IPA est décevante et même frustrante pour tous les Pasteuriens. Cela nous remplit d’inquiétude pour l’avenir de cette institution stratégique et plus que centenaire. A mon avis, cela résulte principalement de la méconnaissance par les plus hautes autorités de l’importance du rôle qui doit être celui de l’Institut Pasteur d’Algérie, non pas seulement dans la politique de santé publique, mais aussi comme pôle de recherche et de la formation scientifique dans les domaines qui sont les siens.
Plus grave que la méconnaissance de ce rôle, c’est le manque d’écoute, je dirais même l’absence totale d’écoute de la part de l’autorité de tutelle.
J’en ai fait l’amère expérience lorsque j’étais en responsabilité, surtout durant la période 2010/2012.
Il faut ajouter à cela les injonctions administratives, irresponsables et intempestives, qui provoquent des dégâts aux conséquences très souvent désastreuses pour l’institution, et cela dans l’indifférence générale. L’IPA est parmi les tout premiers à avoir été érigé hors de France puisqu’il date de 1895.
Tous les Instituts Pasteur du monde ont évolué dans le temps, ils sont aujourd’hui plus d’une trentaine répartis sur tous les continents, regroupés et travaillant en relation étroite sur d’importants sujets de recherche biomédicale, soit dans le cadre d’accords bilatéraux avec des institutions ou organisations de recherche à l’internationale ou au sein du Réseau international des Instituts Pasteur (RIIP). Les Instituts Pasteur ont tous recentré leurs activités sur leur vraie vocation : la conquête de nouveaux savoirs et la production de connaissances dans les domaines de la biologie et de la biomédecine.
Avec l’appui actif et éclairé de leurs autorités nationales respectives, de grands changements ont été apportés à leur structuration et à leur fonctionnement pour leur permettre de se maintenir aux avant-postes de la recherche scientifique biomédicale, de l’innovation en biotechnologie. L’IPA, malheureusement, n’a pas évolué dans le bon sens. Des tentatives ont bien été amorcées, mais brisées net par, comme je l’ai dit plus haut, le fait de l’ignorance et la méconnaissance de cette institution de la part de ceux qu’on appelle les «décideurs».
Chacun a constaté que la fonction commerciale d’approvisionnement en vaccins, sérums et autres produits biologiques à usage humain pour la santé publique a, au fil des dernières années, complètement occulté le rôle de pôle scientifique de cette institution.
-Quelles sont les raisons de ce découragement ?
A l’origine, l’activité commerciale de l’IPA devait se limiter à l’approvisionnement monopolistique des vaccins et sérums, afin de garantir leur qualité et que soit menée à bien l’exécution des programmes du gouvernement en matière de prévention de la santé publique. Les revenus générés devaient servir principalement à financer les activités de recherche scientifique et de formation. Le statut d’EPIC et l’autonomie financière que confère l’activité commerciale à l’IPA constitue à la fois sa force et sa faiblesse. Cela lui évite en effet les lourdeurs administratives pour l’acquisition d’équipements scientifiques et matériels nécessaires aux activités des laboratoires de diagnostic et de recherche — ce qui n’est pas le cas pour beaucoup d’institutions de recherche — mais en même temps l’expose au risque de dilapidation de moyens financiers précieux lorsque l’équipe dirigeante manque de compétences ou de discernement dans la planification et fixation des objectifs.
L’autorité de tutelle, ces dernières années, préoccupée exclusivement par la disponibilité des vaccins et autres produits biologiques nécessaires à la santé publique, ne s’est plus intéressée aux problèmes fondamentaux et aux difficultés rencontrées par l’IPA
Tant que les vaccins et sérums sont disponibles tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. En dehors du ministère de la Santé, les instances nationales en charge de la politique de recherche scientifique et d’enseignement ne s’intéressent que très peu ou pas du tout au potentiel de cette institution.
La situation peu reluisante actuelle, et c’est peu dire, est due aussi au découragement et à la démission morale de son personnel scientifique, imprégné de l’esprit pasteurien conscient des enjeux et défis à relever sur le plan scientifique. Ils sont aujourd’hui réduits à une poignée de personnes sur le point de partir à la retraite. Il faut dire aussi que notre drame c’est que dans notre pays, les choses sont rarement menées à leur terme dans des délais raisonnables. Une équipe qui arrive ignore et fait table rase des réalisations de la précédente, les bilans ne sont jamais dressés et encore moins analysés, personne ne rend de comptes à personne.
-D’après vous, comment se fait-il que cet immobilisme ait tant perduré et que rien n’ait bougé pendant des années ?
Au début des années 1970, les dirigeants de l’IPA, poussés et appuyés par les autorités politiques, se sont fourvoyés dans un projet gigantesque et volontariste de production de grande ampleur de vaccins et sérums thérapeutiques — projet Nouvel Institut Pasteur d’Algérie (NIPA) — au moment où l’Institut Pasteur de Paris lui-même amorçait son désengagement de la production qui devenait un métier complexe, nécessitant sa prise en charge par une industrie biotechnologique spécifique, très pointue, hautement qualifiée. A partir de 1995, nous avons bien essayé de faire bouger les choses.
Un plan de développement stratégique de l’IPA a été élaboré dès 1996/98 et finalisé. Il a été remis à la tutelle en décembre 1999. Le ministre de la Santé en place, le professeur Yahia Guidoum, avait totalement adhéré aux objectifs que nous nous étions fixés. Il avait encouragé et accompagné cette démarche pour aller de l’avant. Une feuille de route avait été élaborée pour la mise en œuvre du plan stratégique et de développement qui devait, en 2004/2005, aboutir au recentrage de l’IPA sur ses véritables métiers : recherche biomédicale et épidémiologique, enseignement de haut niveau et innovation biotechnologique. Tout cela s’est arrêté en 2000 après le départ du professeur Guidoum du ministère de la Santé.
Ce plan prévoyait l’externalisation ou la filialisation des activités commerciales et de production, par ailleurs très modeste, l’abandon du projet NIPA dont les conclusions d’une étude sérieuse, par un bureau spécialisé, avaient démontré non seulement que le projet était irréaliste, surdimensionné, mais aussi que son infrastructure dépassée ne répondait plus aux normes modernes exigées, tant pour la partie qui concerne les laboratoires de recherche et de diagnostic biologiques que pour les installations de production biotechnologique de vaccins et sérums. Il faut rappeler que le projet du Nouvel Institut Pasteur d’Algérie (NIPA) a été engagé au début des années 1970. Les travaux d’infrastructures ont été arrêtés en 1985 ou 86. Un des multiples experts qui avaient été sollicités l’avait qualifié d’«éléphant blanc». Nous avions alors proposé de garder le site qui occupe une trentaine d’hectares au sein du patrimoine des structures de santé et le reconvertir en grand CHU pour remplacer à court terme celui de Mustapha Bacha, situé au centre de la ville d’Alger et qui devient, on le voit aujourd’hui, ingérable. Nous avions aussi proposé d’y loger la faculté de médecine en même temps que le CHU.
Commentaire