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Yasmina Khadra, Les anges meurent de nos blessures

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  • Yasmina Khadra, Les anges meurent de nos blessures

    L’épilogue du roman Les anges meurent de nos blessures se lit comme un testament philosophique. Turambo, le personnage-narrateur, a une suprême pensée sur la vie avant de s’apprêter à la mort : «J’étais face à un miroir et je ne me voyais pas dedans.»

    Mais il était peut-être de l’autre côté du miroir... Turambo est maintenant presque centenaire. A 93 ans, la grande école de la vie lui a enseigné la philosophie. Forcément. «Philosopher, c’est apprendre à mourir», disait Montaigne, un écrivain et moraliste qu’il n’a pourtant jamais lu. Aussi, avant que «le Grand sommeil nous soustraie aux désordres de toute chose», est-il utile de faire un retour sur notre vie. Aujourd’hui, Turambo sait que, «en regardant de près nos vies, on s’aperçoit que nous ne sommes pas les héros de nos histoires personnelles». 
    Une illusion d’optique ? Oui, dans la mesure où «on prend le rêve pour un défi alors qu’il n’est qu’une chimère, sinon, comment expliquer qu’à la mort comme à la naissance, on soit pauvres et nus ?» Vivre près d’un siècle et se rendre compte que, finalement, on est bien peu de chose. Pendant ce temps, ajoute le narrateur, «l’histoire d’une nation née au forceps était en train de s’écrire, mettant la mienne entre parenthèses. Une histoire où les miracles ne me concernaient plus». Et lorsque lui, le miraculé de la guillotine, s’adresse à son double, cet alter ego qui est le mauvais démon qui l’habite, il s’écrie : «Oui, toi, mon jumeau enténébré, sais-tu pourquoi nous n’incarnons plus que nos vieux démons ? C’est parce que les anges sont morts de nos blessures.»

    Toutes ces blessures, ces atteintes morales, ces «hypothétiques certitudes», cette obstination à marcher «sur nos propres corps afin de cohabiter avec ce qui nous dépasse» marquent d’une manière indélébile le dernier roman de Yasmina Khadra. Les anges meurent de nos blessures est l’histoire d’un homme supplicié par les souvenirs qu’il évoque et qui l’atteignent dans sa chair. 

    A la fin du récit, le narrateur a d’ailleurs «le sentiment que l’on ne s’éteint tout à fait qu’après avoir consumé l’ensemble des souvenirs, que la mort est l’achèvement de tous les oublis». C’est pourquoi, il trouve la force de commettre l’acte ultime et rédempteur : écrire l’histoire de sa vie, de sa jeunesse surtout. Cela donne un récit palpitant, une histoire remarquablement contée par Yasmina Khadra.

    Le roman, complexe, se distingue par une intrigue adroitement menée et pleine de rebondissements. 

    Un drame lyrique (dans le sens littéraire) où s’exprime, sur 400 pages, une manière passionnée, poétique, de sentir, de vivre. Et comme «la douleur est l’auxiliaire de la création» (Léon Bloy), la fresque ainsi peinte sera belle, riche, flamboyante.

    L’histoire se déroule durant l’entre-deux-guerres (mondiales), dans l’ouest de l’Algérie coloniale. Le personnage-narrateur a vécu son enfance dans un bidonville de Sidi Bel-Abbès, le village Turambo dont il a hérité du nom.
    «J’ai grandi dans un bidonville dantesque aux portes de Sidi Bel-Abbès. Dans un patio où les souris avaient la taille des chiots. La faim et les guenilles étaient mon âme et mon corps.» Turambo était donc prédestiné à être misérable toute sa vie. Sauf qu’il était vigoureux, beau, candide et doté d’un direct du gauche exceptionnel. Le récit commence comme dans un décor de théâtre. 

    Le rideau monte. Voici le cadre du protagoniste, à partir duquel l’action doit partir : en ce mois de juin 1937, Turambo a 27 ans, et il se prépare à être guillotiné : «Je m’appelle Turambo et, à l’aube, on viendra me chercher.» Le roman s’ouvre sur les images du héros qu’on conduit à l’échafaud. Il se voit mourir : «Une lumière blanche et tranchante vient de me happer et de me catapulter loin, très loin dans le temps.» Dans les trois chapitres qui suivent et dont chacun s’ouvre sur un prénom de femme, le lecteur découvre l’histoire de Turambo depuis qu’il était un misérable gamin des rues jusqu’à son ascension fulgurante dans le monde de la boxe. 
    Et pourquoi, au faîte de la gloire, il allait connaître la chute terrible qui le fera condamner à mort. Les anges meurent de nos blessures est évidemment une dénonciation de l’ordre colonial inique, mais cette fresque historique est d’abord une histoire à hauteur d’homme : le personnage — poignant — nous livre le récit extrêmement émouvant de son éducation sentimentale. Turambo n’était pas à la recherche de la gloire et de l’argent, mais de l’amour. 
    C’est l’amour de trois femmes (Nora sa cousine, Aïda la prostituée et Irène l’Européenne) qui va le révéler à lui-même. Sauf que l’amour est souvent tragique... Portraits de femmes, du conteur et... portrait d’Oran, une ville qui est elle aussi un personnage à part entière. La faconde de l’auteur rend tous ces personnages attachants et hauts en couleur. 

    Les vraies maîtresses des lieux s’appellent poésie, rêve, philosophie, émotion et sensualité. Une histoire palpitante. Le lecteur s’y accroche et la dévore sans occasion de reprendre son souffle. Yasmina Khadra confirme qu’il est un auteur à la voix persuasive et sait créer la magie qui vous accompagne tout au long de votre merveilleux voyage. Avec ce livre-là, il atteint le sommet de son art.

    .Yasmina Khadra, Les anges meurent de nos blessures, Casbah Editions, Alger 2013, 408 pages, 950 DA

    Hocine Tamou- Le Soir
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