JO de Sotchi - Russie : une menace des jihadistes du Caucase
Par Laurent VINATIER, le 9 janvier 2014
Pour redonner du lustre à leur guerre oubliée, les groupes rebelles du Caucase ont lancé des menaces contre les Jeux olympiques d’hiver de Sotchi. Les 29 et 30 décembre 2013, deux attentats à Volgograd ont été attribués à des jihadistes du Caucase russe.
LE 3 juillet 2013, dans une vidéo postée sur You Tube, Dokou Oumarov, chef autoproclamé de l’« Émirat du Caucase » depuis 2007 – un territoire couvrant, sur le papier, l’ensemble de la bande montagneuse de la mer Caspienne à la mer Noire, au sud-ouest de la Fédération russe – lève le moratoire sur les opérations armées contre les civils en Russie. Le leader tchétchène, aussi connu sous le nom d’Abou Ousman, appelle à tout faire pour contrer la préparation des Jeux olympiques d’hiver de Sotchi en février 2014 et empêcher leur bon déroulement. Quinze mois à peine après la proclamation dudit moratoire, ce retournement est assez logique. L’organisation des JO à proximité de cette zone de guérilla permanente, qui a commencé en Tchétchénie au milieu des années 1990, a repris en 1999, avant de s’étendre, au cours des années 2000, au Daghestan et à l’Ingouchie avant d’atteindre la Kabardino- Balkarie, ne peut qu’attiser les velléités opérationnelles de cet Émirat virtuel. Malgré la suppression immédiate de l’allocution par You Tube, le message a été entendu. En cela l’objectif premier, est atteint : redonner une importance internationale aux groupes islamistes nord caucasiens qui luttent contre la Russie.
Caucase : Les territoires revendiqués par les jihadistes
Tradition insurrectionnelle
Reste à voir si cet appel se traduit en risques réels. Rien n’indique actuellement que les groupes rebelles qui comptent quelques centaines de combattants au total, moins d’un millier en tout cas, sont en mesure de frapper les installations olympiques. Les pressions militaires russes, depuis la reprise du conflit en 1999, ont réduit l’insurrection tchétchène à une guérilla de basse intensité, sur la voie d’une extinction progressive. Elle s’est étendue à toute la région pour éviter de disparaître. L’Émirat du Caucase résiste plus qu’il n’agit, s’inscrivant ainsi dans l’histoire longue des insurrections du Nord-Caucase depuis la fin du XVIIIe siècle.
À cette époque, les Caucasiens, peuples libres, sans États, organisés en clans dirigés par des conseils d’anciens, font face en ordre dispersé aux premières interventions russes dans la région sous l’impulsion de Catherine II (1729-1796). Une idéologie de résistance, essentiellement défensive, se constitue alors dans la région, mais elle ne suffit pas à empêcher la conquête définitive en 1864. Par la suite, les soulèvements se succèdent de façon récurrente, sans aboutir. La rébellion du Caucase, et des Tchétchènes en particulier, ne reprend qu’en 1991. Lorsque la République fédérée de Tchétchénie, partie intégrante de la Fédération russe, profite de l’effondrement soviétique pour proclamer son indépendance le 1er novembre.
La Russie, elle-même déstabilisée, ne réagit vraiment qu’au début de 1994 et déclenche une première guerre. Moscou bat en retraite deux ans et demi plus tard, laissant une impression de victoire aux Tchétchènes. Un accord signé en août 1996 prévoit d’établir définitivement, avant le 31 décembre 2001, le principe de la relation entre la Russie et la Tchétchénie. Durant cette indépendance provisoire, les problèmes, économiques et politiques, s’accumulent cependant au sein de l’État tchétchène en devenir. Deux pouvoirs concurrents apparaissent en 1998. L’un officiel organisé sous l’impulsion d’Aslan Maskhadov, chef de guerre nationaliste, artisan de la reconquête de Grozny en août 1996, élu ensuite président de la nouvelle république. L’autre islamiste, informel et parallèle, constitué autour d’autres héros de guerre et disposant de forces armées irrégulières qui ne reconnaissent pas l’autorité institutionnelle établie. Moscou tente de profiter de ces divisions. Au cours du premier semestre 1999, les tensions montent entre Tchétchènes et Russes. Puis en septembre, saisissant le prétexte d’incursions de combattants tchétchènes au Daghestan afin de venir en aide à des groupes rebelles locaux islamistes, auxquelles succèdent à la mi-septembre plusieurs attentats non vraiment élucidés contre des immeubles d’habitation à Moscou et en province, Vladimir Poutine, Premier ministre à l’époque, déclenche la seconde guerre de Tchétchénie. La victoire militaire russe est cette fois-ci écrasante.
Caucase : Des affrontements meurtriers
Émirs autoproclamés
Dans la période d’incertitudes militaro- politiques qui suit, l’islamisme se renforce dans la résistance tchétchène. La lutte se veut toujours nationaliste, mais explicitée au sein d’un discours religieux. Le coeur du combat indépendantiste est désormais marqué par l’idée d’un islam politique salafiste [1], débarrassé des scories religieuses traditionnelles, notamment de l’influence du soufisme et de ses confréries organisées autour d’un cheikh. Même si Aslan Maskhadov reste au coeur du système combattant en recomposition, c’est une jeunesse islamisée qui se bat désormais en Tchétchénie, renversant par-là les cadres traditionnels politiques et sociaux qui avaient façonné la guérilla jusqu’à cette période.
Puis en mars 2005, Maskhadov, garant de l’unité tchétchène et de ce syncrétisme nationalo-islamiste, disparaît, tué par les forces russes. Un an plus tard, son successeur et homme de confiance est à son tour éliminé. Puis Chamil Bassaev, l’un des héros de la tendance islamiste, meurt en juillet 2006. La direction de la résistance échoit ainsi à Dokou Oumarov, professionnel de la guerre, qui n’a rien d’un idéologue religieux. Il hérite d’un mouvement dont il ne paraît pas immédiatement maîtriser toutes les composantes. Car les opérations ont commencé à déborder au Daghestan, en Ingouchie et en Kabardino-Balkarie, relayées par des chefs locaux, émirs autoproclamés. À l’instar d’Anzor Astemirov, en Kabardino-Balkarie, qui s’est formé auprès des premiers maîtres intellectuels de l’islamisme daghestanais au début des années 1990. Pour autant, ces forces non tchétchènes ne veulent pas être les supplétifs des indépendantistes tchétchènes. Elles demandent donc la constitution d’un émirat recouvrant toute la région. Émirat dont la direction revient cependant au Tchétchène Dokou Oumarov en octobre 2007.
Avec l’Émirat, une nouvelle version de la résistance est mise en oeuvre. « Il s’agit d’imposer la charia comme loi d’État », résume un juriste daghestanais, salafiste lui-même mais modéré. Ce but cependant ne correspond pas à un projet politique précisément construit. Personne, au sein des groupes armés, ne sait comment procéder. La revendication s’appuie avant tout sur un double rejet. Celui de la domination administrative fédérale russe d’abord, assimilée à une occupation des territoires caucasiens. Celui des gouvernants locaux ensuite, représentant Moscou, corrompus et oppressants. Outre ce dénominateur commun, le discours régional de la rébellion lui permet de se mesurer au centre fédéral russe, au moins symboliquement.
SUITE CI-DESSOUS :
Par Laurent VINATIER, le 9 janvier 2014
Pour redonner du lustre à leur guerre oubliée, les groupes rebelles du Caucase ont lancé des menaces contre les Jeux olympiques d’hiver de Sotchi. Les 29 et 30 décembre 2013, deux attentats à Volgograd ont été attribués à des jihadistes du Caucase russe.
LE 3 juillet 2013, dans une vidéo postée sur You Tube, Dokou Oumarov, chef autoproclamé de l’« Émirat du Caucase » depuis 2007 – un territoire couvrant, sur le papier, l’ensemble de la bande montagneuse de la mer Caspienne à la mer Noire, au sud-ouest de la Fédération russe – lève le moratoire sur les opérations armées contre les civils en Russie. Le leader tchétchène, aussi connu sous le nom d’Abou Ousman, appelle à tout faire pour contrer la préparation des Jeux olympiques d’hiver de Sotchi en février 2014 et empêcher leur bon déroulement. Quinze mois à peine après la proclamation dudit moratoire, ce retournement est assez logique. L’organisation des JO à proximité de cette zone de guérilla permanente, qui a commencé en Tchétchénie au milieu des années 1990, a repris en 1999, avant de s’étendre, au cours des années 2000, au Daghestan et à l’Ingouchie avant d’atteindre la Kabardino- Balkarie, ne peut qu’attiser les velléités opérationnelles de cet Émirat virtuel. Malgré la suppression immédiate de l’allocution par You Tube, le message a été entendu. En cela l’objectif premier, est atteint : redonner une importance internationale aux groupes islamistes nord caucasiens qui luttent contre la Russie.
Caucase : Les territoires revendiqués par les jihadistes
Tradition insurrectionnelle
Reste à voir si cet appel se traduit en risques réels. Rien n’indique actuellement que les groupes rebelles qui comptent quelques centaines de combattants au total, moins d’un millier en tout cas, sont en mesure de frapper les installations olympiques. Les pressions militaires russes, depuis la reprise du conflit en 1999, ont réduit l’insurrection tchétchène à une guérilla de basse intensité, sur la voie d’une extinction progressive. Elle s’est étendue à toute la région pour éviter de disparaître. L’Émirat du Caucase résiste plus qu’il n’agit, s’inscrivant ainsi dans l’histoire longue des insurrections du Nord-Caucase depuis la fin du XVIIIe siècle.
À cette époque, les Caucasiens, peuples libres, sans États, organisés en clans dirigés par des conseils d’anciens, font face en ordre dispersé aux premières interventions russes dans la région sous l’impulsion de Catherine II (1729-1796). Une idéologie de résistance, essentiellement défensive, se constitue alors dans la région, mais elle ne suffit pas à empêcher la conquête définitive en 1864. Par la suite, les soulèvements se succèdent de façon récurrente, sans aboutir. La rébellion du Caucase, et des Tchétchènes en particulier, ne reprend qu’en 1991. Lorsque la République fédérée de Tchétchénie, partie intégrante de la Fédération russe, profite de l’effondrement soviétique pour proclamer son indépendance le 1er novembre.
La Russie, elle-même déstabilisée, ne réagit vraiment qu’au début de 1994 et déclenche une première guerre. Moscou bat en retraite deux ans et demi plus tard, laissant une impression de victoire aux Tchétchènes. Un accord signé en août 1996 prévoit d’établir définitivement, avant le 31 décembre 2001, le principe de la relation entre la Russie et la Tchétchénie. Durant cette indépendance provisoire, les problèmes, économiques et politiques, s’accumulent cependant au sein de l’État tchétchène en devenir. Deux pouvoirs concurrents apparaissent en 1998. L’un officiel organisé sous l’impulsion d’Aslan Maskhadov, chef de guerre nationaliste, artisan de la reconquête de Grozny en août 1996, élu ensuite président de la nouvelle république. L’autre islamiste, informel et parallèle, constitué autour d’autres héros de guerre et disposant de forces armées irrégulières qui ne reconnaissent pas l’autorité institutionnelle établie. Moscou tente de profiter de ces divisions. Au cours du premier semestre 1999, les tensions montent entre Tchétchènes et Russes. Puis en septembre, saisissant le prétexte d’incursions de combattants tchétchènes au Daghestan afin de venir en aide à des groupes rebelles locaux islamistes, auxquelles succèdent à la mi-septembre plusieurs attentats non vraiment élucidés contre des immeubles d’habitation à Moscou et en province, Vladimir Poutine, Premier ministre à l’époque, déclenche la seconde guerre de Tchétchénie. La victoire militaire russe est cette fois-ci écrasante.
Caucase : Des affrontements meurtriers
Émirs autoproclamés
Dans la période d’incertitudes militaro- politiques qui suit, l’islamisme se renforce dans la résistance tchétchène. La lutte se veut toujours nationaliste, mais explicitée au sein d’un discours religieux. Le coeur du combat indépendantiste est désormais marqué par l’idée d’un islam politique salafiste [1], débarrassé des scories religieuses traditionnelles, notamment de l’influence du soufisme et de ses confréries organisées autour d’un cheikh. Même si Aslan Maskhadov reste au coeur du système combattant en recomposition, c’est une jeunesse islamisée qui se bat désormais en Tchétchénie, renversant par-là les cadres traditionnels politiques et sociaux qui avaient façonné la guérilla jusqu’à cette période.
Puis en mars 2005, Maskhadov, garant de l’unité tchétchène et de ce syncrétisme nationalo-islamiste, disparaît, tué par les forces russes. Un an plus tard, son successeur et homme de confiance est à son tour éliminé. Puis Chamil Bassaev, l’un des héros de la tendance islamiste, meurt en juillet 2006. La direction de la résistance échoit ainsi à Dokou Oumarov, professionnel de la guerre, qui n’a rien d’un idéologue religieux. Il hérite d’un mouvement dont il ne paraît pas immédiatement maîtriser toutes les composantes. Car les opérations ont commencé à déborder au Daghestan, en Ingouchie et en Kabardino-Balkarie, relayées par des chefs locaux, émirs autoproclamés. À l’instar d’Anzor Astemirov, en Kabardino-Balkarie, qui s’est formé auprès des premiers maîtres intellectuels de l’islamisme daghestanais au début des années 1990. Pour autant, ces forces non tchétchènes ne veulent pas être les supplétifs des indépendantistes tchétchènes. Elles demandent donc la constitution d’un émirat recouvrant toute la région. Émirat dont la direction revient cependant au Tchétchène Dokou Oumarov en octobre 2007.
Avec l’Émirat, une nouvelle version de la résistance est mise en oeuvre. « Il s’agit d’imposer la charia comme loi d’État », résume un juriste daghestanais, salafiste lui-même mais modéré. Ce but cependant ne correspond pas à un projet politique précisément construit. Personne, au sein des groupes armés, ne sait comment procéder. La revendication s’appuie avant tout sur un double rejet. Celui de la domination administrative fédérale russe d’abord, assimilée à une occupation des territoires caucasiens. Celui des gouvernants locaux ensuite, représentant Moscou, corrompus et oppressants. Outre ce dénominateur commun, le discours régional de la rébellion lui permet de se mesurer au centre fédéral russe, au moins symboliquement.
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