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Voler en phase et en forme V

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    La formation en V réduit le coût énergétique du vol en escadrille, que ce soit pour les avions comme pour les oiseaux migrateurs. C'est ce que viennent de confirmer Steven Portugal, du Collège vétérinaire de l’Université de Londres, et des collègues en étudiant le vol d'ibis chauves.

    L’intérêt de la formation en V découle de la façon dont le profil d’une aile perturbe l’écoulement de l'air autour d'elle. Considérons un oiseau seul en vol. Une portance, c'est-à-dire une force exercée vers le haut sur l'aile, se crée parce que l’air s'écoulant au-dessus du profil est davantage accéléré que celui s'écoulant au-dessous de l'aile. L'explication la plus souvent donnée de ce phénomène est que cette différence induit, au-dessus du profil, une aspiration (selon le théorème de Bernoulli, l'accélération des filets d'air produit une baisse locale de pression, donc une aspiration) et, au-dessous du profil, une poussée directe vers le haut. Par rapport à l’air immobile dans lequel se déplace l’oiseau, l'aile crée donc un double mouvement d’air, dirigé vers l’arrière au-dessus du profil et vers l’avant au-dessous ; plus cette circulation est intense, plus forte est la portance.

    Aux extrémités des ailes, toutefois, ce double mouvement s’enroule en des tourbillons fuyant vers l’arrière : ce sont les « tourbillons marginaux ». Ces deux tubes d’air tourbillonnant vers l’arrière de part et d’autre du sillage constituent la plus grande part de la turbulence, donc de la résistance à l’avancement. Par ailleurs, la progression du profil dans l’air se traduisant par une déflexion vers le bas des filets d’air du sillage, il est clair que tout oiseau ou pilote suiveur a plutôt intérêt à éviter cette zone d’air descendant, ce qui explique la position latérale choisie le plus souvent dans les escadrilles.

    L'observation montre toutefois que les oiseaux volent aussi souvent en file et que, dans ce cas, le suiveur tend à opposer ses battements d'ailes à ceux du meneur (quand les ailes du premier sont en haut, celles du deuxième sont en bas). Cela se comprend si l'on remarque que, en raison du battement, le sillage est une alternance de vagues d'air fortement descendantes (quand les ailes descendent) et faiblement descendantes (quand les ailes remontent). Pour maintenir son altitude en dépensant moins d'énergie, le suiveur a intérêt à s'appuyer sur un flux d'air moins descendant, donc à battre des ailes vers le bas quand, une longueur d'onde plus en avant, le meneur est en train de remonter les siennes. Des oiseaux qui se suivent tendent ainsi à battre des ailes en opposition de phase.

    Quand, par ailleurs, les oiseaux volent en suivant des axes décalés, ils peuvent profiter des petites zones d’air ascendant qui se trouvent de part et d’autre des tourbillons marginaux ; cela explique que les oiseaux suiveurs tendent à se placer de telle sorte que l’extrémité de l'une de leurs ailes se situe dans le sillage de l’extrémité d’une des ailes de son prédécesseur. Toutefois, ces petites zones d'air ascendant montent et descendent : quand un oiseaux bat des ailes, les tourbillons marginaux montent et descendent, dessinant dans l'air une courbe ressemblant à une sinusoïde. Pour profiter de l'air tourbillonnant ascendant, les oiseaux suiveurs doivent donc se placer approximativement à une longueur d'onde (le chemin parcouru pendant un battement d'aile complet) de l'oiseau qu'il suivent et battre des ailes en phase avec le meneur, c'est-à-dire en même temps que lui.

    C'est d'abord cela que S. Portugal et ses collègues ont voulu vérifier. Pour ce faire, ils ont équipé 14 ibis chauves d’un appareil GPS et de systèmes de mesure de la position, de la vitesse et de la direction. Puis les chercheurs ont enregistré ces grandeurs au cours de chaque battement d’ailes pendant 43 minutes de vol en escadrille, et ont analysé les séries statistiques produites afin de déterminer vers quel comportement tendent les oiseaux.

    L'étude révèle, comme on s'y attendait, que les oiseaux tendent parfois à adopter les positions décalées et le comportement désignés comme optimaux par la théorie aérodynamique en vol décalé, c'est-à-dire environ une longueur d'onde en retrait et les ailes battant à peu près de concert. Par exemple, pendant une période de sept minutes consécutives, les ibis se sont trouvés à 45° les uns des autres, avec un décalage latéral d'environ 90 centimètres. Cette distance correspond à la longueur de l’aile, mais avec une zone de recouvrement d'environ 11 centimètres, qui pourrait correspondre à la zone d’air ascendant aux extrémités des tourbillons marginaux. Les chercheurs ont constaté que les quatre premiers oiseaux au moins tendent à battre des ailes en phase avec l’oiseau qui les précède, afin de suivre les oscillations du tourbillon marginal.

    Toutefois, il arrive aussi qu’un certain chaos se répande dans la formation. On voit alors les ibis planer un moment avant de tenter de se réajuster, voire de se déplacer dans l'escadrille, de se placer un moment en file, de chercher leur place, etc. Les chercheurs ont par exemple observé que pendant une autre période de sept minutes, les oiseaux se sont mis à changer de position, certains semblant rechercher leur position préférée. Il arrivait alors qu’un oiseau se place juste derrière un autre, et il tendait alors à battre des ailes en opposition de phase avec celui qui le précédait, comme le veut la théorie aérodynamique.

    Pour les chercheurs, les oiseaux volant en V, du moins les ibis chauves, ajustent leurs mouvements d’ailes pour s’adapter aux conditions aérodynamiques qu’ils rencontrent. Ce comportement les rapproche, lors de périodes longues, des positions et phases qui, d’après les études théoriques, minimisent l’énergie dépensée. Celle-ci est-elle considérable ? Avec des collègues, Henri Weimerskirch, du CNRS, a montré dans le cas des pélicans, au vol beaucoup plus stable, que le gain d'énergie est de quelque pour cent, ce qui est considérable quand on sait qu'une migration transcontinentale dure plusieurs semaines. L'observation suggère que les oiseaux s'ajustent instinctivement aux meilleures conditions individuelles de vol en fonction de ce qu'ils ressentent dans le flux d'air. Pour autant, un certain apprentissage est à l'évidence nécessaire afin de rendre l'escadrille stable.

    Manifestement, les ibis observés par S. Portugal et ses collègues soit sont inexpérimentés, soit ont rencontré des conditions instables, soit ont des vols plus instables que les oies ou les pélicans, qui, eux, volent en formations aussi parfaites que celles formées par les meilleurs pilotes d'escadrille. Or, explique H. Weimerskirch, on a observé que les oies sauvages qui mènent leurs escadrilles sont en général les plus âgées et donc expérimentées, ce qui confirme ce que savent tous les pilotes : la régularité du meneur favorise la stabilité de l'escadrille. Maintenant qu'un lien entre aérodynamique et économie d'énergie en formation de vol est établi, de nouvelles recherches sont nécessaires pour déterminer ce qui rend telle ou telle espèce plus ou moins performante dans son économie collective d'énergie en vol.

    François Savatier
    Pour la Science
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