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Algérie-Fiction, l’an 2114

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  • Algérie-Fiction, l’an 2114

    Nous sommes en 2114. Kaci gare sa voiturette électrique au 75e étage d’un parking géant construit sur pilotis au large de la baie d’Alger. Kaci appartient à une dynastie de journalistes dont l’ancêtre fondateur, Kaci aussi, premier du nom, a commencé sa carrière à El Moudjahid en 1965.

    En quittant le parking, une voix électronique s’exprimant en tamazight, langue officielle et nationale, lui rappelle de ne pas laisser ses effets personnels dans son véhicule. Des voleurs intergalactiques peuvent faire escale par ici. Il rejoint la côte par un trottoir mécanique de plus d’un kilomètre roulant à 50 km/heure, puis il emprunte un vaisseau sans conducteur qui glisse, silencieux, sur des pneus en caoutchouc en suivant des aimants enfouis dans le sol. Kaci touche son poignet à l’endroit où une puce électronique lui a été introduite sous la peau et, sur une vitre du vaisseau défilent les dernières informations provenant des quatre coins du monde.

    A la projection d’une vidéo montrant la guerre en Somalie qui dure depuis plus d’un siècle, il presse sur une autre puce greffée dans le lobe de son oreille pour entendre en toute discrétion le commentaire.
    A l’entrée de l’immeuble de son bureau, des portes en verre s’ouvrent dans un feulement grâce au rayon laser greffé cette fois dans ses pupilles. Il emprunte un vieil ascenseur sans câble tracté par des courroies en acier qui propulsent la cabine pressurisé au 120e étage à la vitesse de 10 mètres/seconde.

    Kaci s’assied à son bureau et une voix électronique lui rappelle son emploi du temps : «Ne pas oublier d’appeler votre mère et de lui commander une loubia comme son arrière-grand-mère la faisait dans les années 1950… Ne pas oublier de demander les horaires des ascenseurs pour le prochain voyage aux limites de l’espace… Ne pas oublier de se documenter sur la vie politique en Algérie en l’an 2014».
    Une petite vibration dans l’oreille interne l’avertit d’un appel. Il s’agit de son patron : «Annule tout et passe en priorité l’article sur l’Algérie.» Sur un mur panoramique apparaît un menu. Kaci articule : «Algérie 2014 !» En une fraction de seconde, le cerveau cybernétique lui propose des millions d’occurrences, textes, images, sons, …

    Son patron, féru d’histoire politique, lui a précisé qu’il voulait un article documentaire sur l’élection présidentielle de 2014. Pour avoir déjà travaillé sur cette période qui avait fait l’objet de sa thèse de doctorat, Kaci connaît les grandes lignes de cet épisode de l’histoire algérienne. Il sait que l’Algérie avait alors été l’objet de maintes turbulences politiques. Il sait aussi qu’en 1999, à l’initiative de l’armée qui avait la mainmise sur tout, un certain Abdelaziz Bouteflika dont plus personne ne se souvient, avait pris le pouvoir pour ne plus le lâcher.

    La construction d’une grande mosquée commencée de son vivant comme un témoignage pour l’éternité, avait été interrompue par son successeur ingrat. Ce qui avait toujours épaté Kaci – devait-il en être fier ou au contraire en avoir honte- c’était qu’à cette élection de 2014, contre tout simple bon sens, ses ancêtres avaient tenu à présenter pour la 4e fois, Bouteflika, paralysé, mutique, incapable de proclamer sa propre candidature. Il était curieux de comprendre pourquoi ce genre d’aberration était encore possible en 2014.
    Certes, les moyens d’information n’étaient pas aussi développés qu’aujourd’hui où chacun a accès en temps réel à la moindre information provenant du monde entier. Mais il se souvient quand même qu’à cette époque, sur les réseaux sociaux, des pirates pour la bonne cause, comme Wikileaks et Snowden, tâchaient d’informer le maximum de citoyens du monde de ce qu’il se passait entre les serres du pouvoir. Kaci était littéralement fasciné par cette sorte d’anesthésie qui avait frappé ses ancêtres au point qu’ils acceptent qu’un homme au seuil du grand voyage soit présenté comme un artisan de l’avenir du pays. Il nota la nécessité d’assortir son commentaire de cette remarque : replonger dans le contexte de l’époque.

    Peut-être que l’aberration qui, aujourd’hui, semble évidente connaissant la fin de l’histoire, ne l’était pas suffisamment à l’époque. Mais en cherchant bien, Kaci finit par découvrir des commentaires d’hommes politiques, de journalistes, d’analystes et de citoyens via les réseaux sociaux déjà très développés. Ceux-ci n’étaient pas dupes et dénonçaient vigoureusement cette absurdité.

    Avec le recul du temps, Kaci y voit, lui, une scène burlesque.

    Il aurait pu laisser la tâche à Sanfar 77, le robot humanoïde doté d’un logiciel de traitement de texte et de synthèse, qui aurait plié un tel article en quelques secondes. Mais le robot n’était pas sensible, comme lui, Kaci, aux couleurs, aux odeurs, à l’atmosphère de ces années 2014, année de naissance de son arrière-grand-père. Le robot était incapable de ressentir bien entendu la fascination de Kaci pour l’irrationnel. N’était-ce pas une forme de déraison que de reconduire un grand malade dans des fonctions de Président de la République ? Par commande vocale, il convoqua des vidéos qui se présentèrent cette fois-ci sous forme d’hologrammes. Il aurait presque pu toucher Bouteflika dont l’image en relief se fondait dans les formes futuristes de son bureau. C’était comme s’il se trouvait à ses côtés tandis que Bouteflika, incapable de lever la main, recevait le Premier ministre français. Le cerveau infaillible accompagne l’image de cette mise en garde sonore : attention, image truquée, attention image truquée ! Kaci le savait : ses compatriotes qui détenaient alors le pouvoir déployaient des trésors d’imagination pour passer une fausse image selon laquelle, après un AVC subi à près de 80 ans, leur président s’était rétabli comme si de rien n’était et qu’il continuait à être promis à un bel avenir.

    L’élection eut lieu dans l’incrédulité générale. Elle avait suscité le sarcasme dans le concert des nations. Une autre commande vocale de Kaci, et le cerveau, connecté à tous les réseaux existants, lui confirme en une fraction de seconde que c’était une première dans l’histoire de l’humanité. Le cerveau a consulté, le temps d’un battement de cils, des centaines de milliards de données, et a conclu : jamais on n’avait vu pareille situation. Bien entendu, Kaci accéda à la suite de l’histoire et aux bouleversements qu’avait connus l’Algérie – et le monde — au cours du siècle qui s’était écoulé depuis cette élection. Mais il préféra focaliser uniquement sur l’aberration.

    Ça lui paraissait si énorme qu’il continua à se demander comment cela avait été possible….

    Arezki Metref- Le Soir

  • #2
    Le cerveau infaillible accompagne l’image de cette mise en garde sonore : attention, image truquée, attention image truquée ! Kaci le savait.
    Quelle différence avec ceux qui ont trompé les Algériens au stade du 20 Aout en inscrivant, au laser et dans les nuages, des slogans à la gloire du fis????
    "La chose la plus importante qu'on doit emporter au combat, c'est la raison d'y aller."

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