La justice, entre instrumentalisation de la politique et instrumentation des institutions ?
«Si Amar, vous m’avez proposé “amicalement” d’extirper Chakib Khelil de l’affaire Sonatrach 2»
El Watan le 08.02.14 | 10h00 4 réactions
Depuis le mois de septembre 2013, et plus précisément depuis le remaniement ministériel, vous avez, M. Saadani Amar, de façon récurrente, exprimé des critiques à l’encontre de la justice algérienne dans sa gestion de l’affaire Sonatrach 2.
Montant graduellement en intensité, passant des simples insinuations à propos de prétendues erreurs de procédure, vous en êtes arrivé, dans votre déclaration du 3 février 2014, à franchir un autre cap en prétendant que la justice été instrumentalisée dans ce dossier et, ajoutez vous, dans celui de l’extradition, fin 2013, de A. Khalifa.Cette attitude qui ne suscitait, jusqu’ici, aucune réaction ne peut plus laisser indifférent. Car en donnant, en filigrane, un mobile politique à cette prétendue instrumentalisation de la justice, à savoir contrarier une éventuelle aspiration du président de la République à un nouveau mandat, c’est le ministre de la Justice en charge du secteur, au moment des procédures citées, qui est ainsi interpellé.
Interpellé parce que les proportions ainsi données au débat autour de la lutte contre la corruption pervertissent tout le discours politique du président de la République depuis son intronisation au pouvoir, en 1999, et dénaturent gravement la noblesse des missions des institutions légales de l’Etat algérien et à la manière de servir de ses loyaux commis.
A cet égard, j’aimerais rappeler que j’ai rejoint M. Bouteflika, en octobre 1998, avec conviction car j’ai toujours lutté pour deux idées essentielles : celle du consensus national et celle de l’Etat de droit.
J’ai eu, d’ailleurs, l’occasion d’exposer ces idées dix ans auparavant, dans une interview accordée au journal En Nasr, en février 1989, alors que j’étais procureur général à Constantine et où j’avais déclaré que «le consensus national (el wifak el watani) est la plateforme de toute construction de l’Etat de droit» et où j’avais, pour la première fois, défini les sept axes fondamentaux de l’Etat de droit.
Ce n’est donc pas un hasard si Abdelaziz Bouteflika, dès son intronisation comme président de la République, m’a fait l’honneur de piloter, au titre de la présidence de la République, les deux plus importants dossiers, à savoir la concorde civile et la réforme de la justice, et de me confier la lourde charge de traduire cela dans sa politique en me confiant la responsabilité du ministère de la Justice à deux reprises, en 2002/2003 et en 2012/2013, afin d’élaborer un programme complet d’actions normatives (législatives et réglementaires) et d’actions opérationnelles pour les années 2002/2012 à travers une véritable programmation judiciaire et d’en proposer l’approfondissement et la consolidation dans le programme en 2012.
Je compléterais ces indications pour dire que je vous ai connu, Si Amar Saadani, lors de la campagne électorale de 1999 et vous savez mieux que quiconque ma loyauté dans l’exercice de mes responsabilités. Vous savez, pour avoir eu à l’éprouver, que ni l’amitié, ni les privilèges, ni les honneurs d’une fonction ne constituent pour moi un motif de renoncement à mes convictions. N’est-ce pas, Si Amar, vous qui êtes venu, le jour même de votre installation à la tête du FLN, me «proposer amicalement de préserver mon poste de ministre de la Justice en m’engageant à extirper M. Chakib Khelil de l’affaire Sonatrach 2 «comme on extirpe un cheveu d’une pâte» (selon votre expression). Ma réponse, vous le savez, fut de fermer mon portable jusqu’à après la fête de l’Aïd El Adha, c’est-à-dire bien longtemps après le remaniement ministériel.
En rappelant cela à Si Amar Saadani, je n’insinue nullement qu’il était mandaté par quiconque pour me marchander, car je sais pour avoir appris à le connaître que le président Bouteflika ne marchande jamais les prérogatives de ses ministres, en tout cas pas celles que j’ai eu l’honneur d’exercer, lui qui, se référant parfois au général de Gaulle, rappelle que «tout ce qui grouille et grenouille n’a pas de valeur».
Ceci d’autant plus que le président de la République avait solennellement et publiquement apporté son soutien à l’action de la justice dans l’affaire Sonatrach 2 en affirmant sa totale confiance en elle.
Faut-il rappeler que depuis 1999, dans pratiquement tous ses discours dédiés, le président Bouteflika a appelé à une lutte implacable contre la corruption, interpellant parfois directement les magistrats pour leur dire de réveiller leurs consciences.
Alors, à mon tour de vous demander, Si Amar, si vous êtes conscient que toutes vos déclarations sur la justice comportent implicitement une contradiction au discours et à l’action du président de la République dans la lutte contre la corruption.
Ainsi, lorsque vous affirmez, dans d’autres occasions médiatiques, qu’Interpol a refusé d’exécuter les mandats de justice décernés dans l’affaire Sonatrach 2 à cause des erreurs de procédure, vous portez (sans le savoir ?) atteinte à la crédibilité du président de la République. En effet, d’abord, il s’agit là d’une contrevérité puisque par courrier du 3 août 2013, le DGSN avait informé officiellement le ministre de la Justice de l’exécution de tous les mandats, sans exception, transmis par la justice ; ensuite et surtout, il s’agit d’une ignorance car tous les juristes du monde savent qu’Interpol, sous réserve de s’assurer de la qualité de l’autorité émettrice du mandat, n’a pas prérogative de censurer les décisions de justice des pays membres sauf si les autorités du pays émetteur des mandats refusent de donner la garantie que l’extradition sera bien, demandée en cas d’arrestation de la personne objet du mandat. Ainsi, en affirmant faussement que le BCN Algérie refusait de transmettre les mandats d’arrêt, vous mettez en cause, implicitement et juridiquement, les autorités politiques du pays et non sa justice.
De même, Si Amar, lorsque vous vous interrogez sur le timing de l’extradition d’A. Khalifa par l’Angleterre, vous insinuez, bizarrement, que cela peut gêner le président de la République alors que, je l’affirme ici de façon responsable, en connaissance de cause et sans violer la réserve qui s’impose dans ce cas, l’extradition de A. Khalifa n’aurait pas été obtenue sans l’investissement personnel du président Bouteflika.
Si Amar, vous êtes en train de tirer au jugé, au risque de toucher des cibles amies. Alors, de grâce, arrêtez les dégâts.
Le président Bouteflika mérite une solidarité d’une autre dimension. D’ailleurs, il est légitime dans ce cas de s’interroger si réellement votre but est de servir Bouteflika ou même l’Algérie. La réponse ne peut être au moins qu’ambiguë si l’on se réfère à vos attaques contre ceux qui sont en charge de la lutte contre la corruption étrangère qui est traitée par les Etats, de plus en plus, comme une véritable menace pour leur sécurité nationale, au même titre que le crime transnational organisé dont elle est devenue un des segments les plus dangereux et contre lequel la lutte ne peut être menée que par des services secrets qui ont, seuls, vocation et aptitude à enquêter à l’étranger. L’intérêt de tout Etat est donc de renforcer les capacités et les compétences de ses services secrets dans la lutte contre la corruption, particulièrement celle étrangère.
A cet égard, j’aimerais rappeler que des enquêtes économiques ont toujours été menées par les services secrets depuis l’indépendance de notre pays, sauf que les affaires étaient présentées à la justice par la police judiciaire de la Gendarmerie nationale. Il a fallu attendre 1990 pour qu’un groupe de travail sur la restauration de l’autorité de I’Etat, mis en place au niveau du ministère de la Justice sur instruction du chef de gouvernement, le défunt Kasdi Merbah, propose, parmi ses recommandations, d’attribuer légalement aux officiers et agents nommément désignés par les services la qualité d’officiers et d’agents de police judiciaire, ce qui introduisait alors, pour la première fois, la transparence et permet désormais le contrôle de la justice sur les enquêtes des services ce qui constitua, en son temps, une avancée dans l’édification de l’Etat de droit.
La mise en place d’un véritable service de police judiciaire au niveau des services, sous la mandature de A. Bouteflika, fut une consolidation de cette démarche d’édification de l’Etat de droit. Bien sûr, l’histoire n’est jamais linéaire et l’évolution des idées et des faits est toujours marquée par des corrections dans un sens ou dans l’autre. L’histoire, quant à elle, retiendra les causes qui en ont produit l’effet. Celles de Kasdi Merbah furent, après les événements d’Octobre 1988, l’érosion de l’autorité de l’Etat qu’il fallait rétablir.
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«Si Amar, vous m’avez proposé “amicalement” d’extirper Chakib Khelil de l’affaire Sonatrach 2»
El Watan le 08.02.14 | 10h00 4 réactions
Depuis le mois de septembre 2013, et plus précisément depuis le remaniement ministériel, vous avez, M. Saadani Amar, de façon récurrente, exprimé des critiques à l’encontre de la justice algérienne dans sa gestion de l’affaire Sonatrach 2.
Montant graduellement en intensité, passant des simples insinuations à propos de prétendues erreurs de procédure, vous en êtes arrivé, dans votre déclaration du 3 février 2014, à franchir un autre cap en prétendant que la justice été instrumentalisée dans ce dossier et, ajoutez vous, dans celui de l’extradition, fin 2013, de A. Khalifa.Cette attitude qui ne suscitait, jusqu’ici, aucune réaction ne peut plus laisser indifférent. Car en donnant, en filigrane, un mobile politique à cette prétendue instrumentalisation de la justice, à savoir contrarier une éventuelle aspiration du président de la République à un nouveau mandat, c’est le ministre de la Justice en charge du secteur, au moment des procédures citées, qui est ainsi interpellé.
Interpellé parce que les proportions ainsi données au débat autour de la lutte contre la corruption pervertissent tout le discours politique du président de la République depuis son intronisation au pouvoir, en 1999, et dénaturent gravement la noblesse des missions des institutions légales de l’Etat algérien et à la manière de servir de ses loyaux commis.
A cet égard, j’aimerais rappeler que j’ai rejoint M. Bouteflika, en octobre 1998, avec conviction car j’ai toujours lutté pour deux idées essentielles : celle du consensus national et celle de l’Etat de droit.
J’ai eu, d’ailleurs, l’occasion d’exposer ces idées dix ans auparavant, dans une interview accordée au journal En Nasr, en février 1989, alors que j’étais procureur général à Constantine et où j’avais déclaré que «le consensus national (el wifak el watani) est la plateforme de toute construction de l’Etat de droit» et où j’avais, pour la première fois, défini les sept axes fondamentaux de l’Etat de droit.
Ce n’est donc pas un hasard si Abdelaziz Bouteflika, dès son intronisation comme président de la République, m’a fait l’honneur de piloter, au titre de la présidence de la République, les deux plus importants dossiers, à savoir la concorde civile et la réforme de la justice, et de me confier la lourde charge de traduire cela dans sa politique en me confiant la responsabilité du ministère de la Justice à deux reprises, en 2002/2003 et en 2012/2013, afin d’élaborer un programme complet d’actions normatives (législatives et réglementaires) et d’actions opérationnelles pour les années 2002/2012 à travers une véritable programmation judiciaire et d’en proposer l’approfondissement et la consolidation dans le programme en 2012.
Je compléterais ces indications pour dire que je vous ai connu, Si Amar Saadani, lors de la campagne électorale de 1999 et vous savez mieux que quiconque ma loyauté dans l’exercice de mes responsabilités. Vous savez, pour avoir eu à l’éprouver, que ni l’amitié, ni les privilèges, ni les honneurs d’une fonction ne constituent pour moi un motif de renoncement à mes convictions. N’est-ce pas, Si Amar, vous qui êtes venu, le jour même de votre installation à la tête du FLN, me «proposer amicalement de préserver mon poste de ministre de la Justice en m’engageant à extirper M. Chakib Khelil de l’affaire Sonatrach 2 «comme on extirpe un cheveu d’une pâte» (selon votre expression). Ma réponse, vous le savez, fut de fermer mon portable jusqu’à après la fête de l’Aïd El Adha, c’est-à-dire bien longtemps après le remaniement ministériel.
En rappelant cela à Si Amar Saadani, je n’insinue nullement qu’il était mandaté par quiconque pour me marchander, car je sais pour avoir appris à le connaître que le président Bouteflika ne marchande jamais les prérogatives de ses ministres, en tout cas pas celles que j’ai eu l’honneur d’exercer, lui qui, se référant parfois au général de Gaulle, rappelle que «tout ce qui grouille et grenouille n’a pas de valeur».
Ceci d’autant plus que le président de la République avait solennellement et publiquement apporté son soutien à l’action de la justice dans l’affaire Sonatrach 2 en affirmant sa totale confiance en elle.
Faut-il rappeler que depuis 1999, dans pratiquement tous ses discours dédiés, le président Bouteflika a appelé à une lutte implacable contre la corruption, interpellant parfois directement les magistrats pour leur dire de réveiller leurs consciences.
Alors, à mon tour de vous demander, Si Amar, si vous êtes conscient que toutes vos déclarations sur la justice comportent implicitement une contradiction au discours et à l’action du président de la République dans la lutte contre la corruption.
Ainsi, lorsque vous affirmez, dans d’autres occasions médiatiques, qu’Interpol a refusé d’exécuter les mandats de justice décernés dans l’affaire Sonatrach 2 à cause des erreurs de procédure, vous portez (sans le savoir ?) atteinte à la crédibilité du président de la République. En effet, d’abord, il s’agit là d’une contrevérité puisque par courrier du 3 août 2013, le DGSN avait informé officiellement le ministre de la Justice de l’exécution de tous les mandats, sans exception, transmis par la justice ; ensuite et surtout, il s’agit d’une ignorance car tous les juristes du monde savent qu’Interpol, sous réserve de s’assurer de la qualité de l’autorité émettrice du mandat, n’a pas prérogative de censurer les décisions de justice des pays membres sauf si les autorités du pays émetteur des mandats refusent de donner la garantie que l’extradition sera bien, demandée en cas d’arrestation de la personne objet du mandat. Ainsi, en affirmant faussement que le BCN Algérie refusait de transmettre les mandats d’arrêt, vous mettez en cause, implicitement et juridiquement, les autorités politiques du pays et non sa justice.
De même, Si Amar, lorsque vous vous interrogez sur le timing de l’extradition d’A. Khalifa par l’Angleterre, vous insinuez, bizarrement, que cela peut gêner le président de la République alors que, je l’affirme ici de façon responsable, en connaissance de cause et sans violer la réserve qui s’impose dans ce cas, l’extradition de A. Khalifa n’aurait pas été obtenue sans l’investissement personnel du président Bouteflika.
Si Amar, vous êtes en train de tirer au jugé, au risque de toucher des cibles amies. Alors, de grâce, arrêtez les dégâts.
Le président Bouteflika mérite une solidarité d’une autre dimension. D’ailleurs, il est légitime dans ce cas de s’interroger si réellement votre but est de servir Bouteflika ou même l’Algérie. La réponse ne peut être au moins qu’ambiguë si l’on se réfère à vos attaques contre ceux qui sont en charge de la lutte contre la corruption étrangère qui est traitée par les Etats, de plus en plus, comme une véritable menace pour leur sécurité nationale, au même titre que le crime transnational organisé dont elle est devenue un des segments les plus dangereux et contre lequel la lutte ne peut être menée que par des services secrets qui ont, seuls, vocation et aptitude à enquêter à l’étranger. L’intérêt de tout Etat est donc de renforcer les capacités et les compétences de ses services secrets dans la lutte contre la corruption, particulièrement celle étrangère.
A cet égard, j’aimerais rappeler que des enquêtes économiques ont toujours été menées par les services secrets depuis l’indépendance de notre pays, sauf que les affaires étaient présentées à la justice par la police judiciaire de la Gendarmerie nationale. Il a fallu attendre 1990 pour qu’un groupe de travail sur la restauration de l’autorité de I’Etat, mis en place au niveau du ministère de la Justice sur instruction du chef de gouvernement, le défunt Kasdi Merbah, propose, parmi ses recommandations, d’attribuer légalement aux officiers et agents nommément désignés par les services la qualité d’officiers et d’agents de police judiciaire, ce qui introduisait alors, pour la première fois, la transparence et permet désormais le contrôle de la justice sur les enquêtes des services ce qui constitua, en son temps, une avancée dans l’édification de l’Etat de droit.
La mise en place d’un véritable service de police judiciaire au niveau des services, sous la mandature de A. Bouteflika, fut une consolidation de cette démarche d’édification de l’Etat de droit. Bien sûr, l’histoire n’est jamais linéaire et l’évolution des idées et des faits est toujours marquée par des corrections dans un sens ou dans l’autre. L’histoire, quant à elle, retiendra les causes qui en ont produit l’effet. Celles de Kasdi Merbah furent, après les événements d’Octobre 1988, l’érosion de l’autorité de l’Etat qu’il fallait rétablir.
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