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Rien ne justifie la mise sous scellés des archives de la guerre d’indépendance

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  • Rien ne justifie la mise sous scellés des archives de la guerre d’indépendance

    Les historiens présents lors du débat, provoqué par la polémique suscitée par Yacef Saâdi, ont appelé à ouvrir les archives nationales sur la guerre de Libération.


    L’historienne Malika El Korso, enseignante à l’université d’Alger, défend la thèse du «faux» dans l’affaire des lettres évoquées par Yacef Saâdi, chef de la Zone autonome d’Alger (ZAA) durant la guerre de Libération nationale. Des lettres que Yacef Saâdi a attribuées à Zohra Drif, laquelle les aurait adressés à Hassiba Ben Bouali en septembre 1957, au moment où elle était dans une cache à La Casbah d’Alger avec Ali La Pointe, Petit Omar et Bouhamidi. «C’est une trahison», a-t-il affirmé. Selon lui, Zohra Drif aurait livré Ali La Pointe et ses compagnons à l’armée coloniale française. Malika El Korso a précisé que ces deux lettres sont tirées d’un livre de Mohamed Harbi et Gilbert Meynier, Le FLN, documents et histoire (paru en 2004). «Il y a un manque de rigueur scientifique. Les deux historiens soutiennent que les deux lettres auraient été écrites par Zohra Drif à la mi-septembre 1957. Or, à la mi-septembre, Zohra Drif était encore libre. Pourquoi aurait-elle écrit une lettre à Hassiba Ben Bouali ? Zohra Drif avait été arrêtée le 25 septembre 1957 entre 3h et 4h du matin. Dans les copies des lettres qui sont en ma possession, il n’y a aucune date. Donc, attention à ce qu’on nous raconte et à ce qui est publié», a-t-elle déclaré hier, lors d’un débat sur l’histoire et les archives organisé à la salle Atlas, à Alger, par l’Office national de la culture et de l’information (ONCI).

    Malika El Korso, qui mène un travail de recherche sur la participation de la femme algérienne dans le Mouvement national, a trouvé ces deux lettres au Service historique de l’armée de terre (SHAT) au château de Vincennes, à Paris, où il existe plus de 4700 cartons d’archives. «Dans le volumineux carton 1H 1662, j’ai trouvé plusieurs dossiers. L’un d’eux, le 1H 1612-1, portait la mention ‘Documents récupérés dans la cache de Yacef Saâdi lors de son arrestation’. Et dans une des chemises dont le titre était ‘Action psychologique’, figuraient des documents : l’organigrame de l’organisation féminine que Yacef Saâdi et Zohra Drif s’apprêtaient à mettre sur pied avant leur arrestation ainsi que deux lettres adressées à Hassiba Ben Bouali signées, je cite, ‘ta sœur Zohra’. Dans ces différents cartons, on peut retrouver des documents du 5e Bureau de l’action psychologique, par exemple l’appel de Benalla Hadj, dit Si Bouzid, daté du 16 novembre 1956. On y trouve des rapports, des notes confidentielles du FLN/ALN saisies et mises dans un dossier intitulé ‘Documents récupérés sur les rebelles’», a-t-elle noté. Malika El Korso a lu et relu les deux lettres attribuées à Zohra Drif.

    «Une écriture très fine, aérée, qui commence par ‘chère Hassiba’ et se termine par ‘je vous embrasse’. L’historien doit poser la question pour ne pas faillir à son rôle : est-ce que ces deux lettres ont été écrites par Zohra Drif ? Je dois poser cette question malgré toute la sympathie et le respect que nous portons à la moudjahida Zohra Drif et la reconnaissance que nous lui devons. En remettant les deux lettres dans le contexte de ce qu’on a appelé pompeusement la Bataille d’Alger et l’action psychologique, qui était une arme redoutable, et connaissant la personnalité de Zohra Drif et de Hassiba Ben Bouali, j’ai émis trois hypothèses : soit Zohra a écrit ces lettres de son plein gré parce qu’elle ne voulait pas que ‘Petit Omar et Hassiba meurent bêtement’, soit qu’elle ait subi des pressions morales pour rédiger ces deux lettres, soit qu’il s’agit de lettres préfabriquées, écrites par les Renseignements généraux français. Pour moi, c’est la troisième hypothèse qui est la plus plausible, il s’agit d’un faux», a soutenu Malika El Korso après avoir analysé le contenu sémantique des deux lettres. Elle a cité certaines expressions : «Les jeux sont faits», «Je voudrais t’empêcher de mourir bêtement», «Si j’ai agi ainsi c’est qu’il y a beaucoup de raisons», «Accepte au moins de discuter», «Tu ne trahis personne»… «Il s’agit d’expressions qui étaient utilisées par les services d’action psychologique dans les tracts et les discours. A la limite, c’est du copier-coller», a relevé l’historien et archiviste Fouad Soufi.

    «Ne pas avoir honte de son Histoire»

    L’action psychologique de l’armée française peut-elle rebondir cinquante ans après ? «Oui. L’action psychologique a les mêmes effets que les bombes à retardement, les mines antipersonnel ou les essais nucléaires. L’action traverse le temps. Son but est de créer la zizanie et les déchirements comme ceux qu’on constate aujourd’hui», nous a déclaré l’historien Mohamed El Korso, en marge du débat.
    Slimane Hachi, directeur du Centre national de recherche préhistorique, anthropologique et historique (CNRPH), a relevé que les deux lettres attribuées à Zohra Drif avaient été trouvées dans la cache où était Yacef Saâdi. «Donc ces lettres n’auraient pas pu être écrites après l’arrestation de Zohra et Saâdi. Il y a un problème de chronologie et de date. Zohra a dit qu’elle n’avait pas eu à écrire ces lettres puisqu’elle était avec Hassiba Ben Bouali à la mi-septembre 1957. Ces deux lettres sont une fabrication des services», a-t-il noté.

    Abdelmadjid Merdaci, chercheur en histoire et sociologue, a estimé que la polémique actuelle suscitée par Yacef Saâdi est surtout liée à «l’utilisation» qui peut être faite des archives. «Les archives font partie de la souveraineté nationale des Etats. Est-il logique que cinquante après l’indépendance du pays, la connaissance historique sur la guerre de Libération nationale soit encore otage des archives françaises ? Rien ne justifie la mise sous scellés des archives de la guerre d’indépendance», a-t-il affirmé. Il s’est posé des questions aussi sur l’identification, l’évaluation et la classification des archives liées à la guerre d’indépendance. «Il y a comme une privatisation de la mémoire de la guerre. Il y a des familles de grands combattants de la guerre de Libération nationale qui possèdent des archives et qui refusent de les restituer à la communauté nationale. Après l’indépendance, Il y a eu une certaine censure sur tout ce qui a trait à la guerre de Libération nationale. Il y a un certain discours semi-officiel autour du Mouvement national. Mais nous commençons à nous éloigner progressivement de cette situation», a-t-il noté.

    Les Algériens ont, selon lui, le droit de connaître leur histoire. «Nous n’avons pas à avoir peur de notre histoire ni à en avoir honte. La recherche académique permet de dépasser une certaine volonté de brouiller les pistes», a-t-il appuyé.
    Evoquant un précédent travail de collecte de témoignages fait par le ministère des Moudjahidine dans les années 1980, Fouad Soufi a regretté qu’on confonde «les livres de mémoires» des anciens combattants avec l’histoire. «Ces mémoires sont une source pour l’historien. Ce n’est pas de l’histoire. Nous sommes dans la fabrique d’une mémoire au lieu d’écrire l’histoire», a-t-il relevé.

    «Méfiance paralysante»

    Malika El Korso a regretté que les jeunes chercheurs considèrent les archives comme un «sésame ouvre-toi». «Cette fascination des étudiants doctorants pour les archives qui sont en France m’agace. Ils croient détenir une mine d’informations à travers les archives coloniales, militaires ou civiles. Ils pensent régler en deux temps trois mouvements leurs sujets de magistère ou de thèse. L’historien ne doit pas se laisser séduire par les archives», a-t-elle dit. Selon elle, le scoop et le sensationnel sont incompatibles avec la démarche historienne. «L’histoire ne doit pas réagir aux injonctions qui sont celles de l’actualité. L’historien doit avoir du temps, du recul, il ne doit pas s’investir dans le champ politique, il n’est pas juge, n’instruit pas à charge ou à décharge. Il ne sert à rien de brandir un document-massue en disant : j’ai trouvé. La posture de l’historien doit être critique, basée sur la confrontation de plusieurs sources. C’est ce doute scientifique permanent qui fait la spécificité de notre discipline. L’historien n’a pas pour mission de relayer un discours ambiant ou d’asséner des accusations. Son rôle est d’analyser et d’expliquer les documents en fonction d’un certain nombre de paramètres. Il doit vérifier l’authenticité des informations qu’ils renferment, éviter la précipitation. Un seule archive ne suffit pas à déterminer ‘la vérité’. Elle n’est que le point de départ d’un travail historique, qui nécessite un croissement incessant des différentes sources écrites, orales et audiovisuelles, les images, la presse…Il faut savoir interroger le document, récupérer le sens qui y est produit avec une distance critique», a-t-elle noté. Selon l’oratrice, l’historien doit rester vigilant envers son propre subjectivisme et ses idées préconçues. «Il doit éviter l’excès dans la critique et la méfiance paralysante», a-t-elle conseillé.

    «L’histoire n’est pas juge. Elle nous aide à comprendre ce qui s’est passé. Les questions de l’historien créent les archives, pas le contraire. Les archives nous apprennent qu’il n’existe pas de vérité historique. Dès qu’un historien met un point final à son livre, il est déjà dépassé. Il y aura toujours un autre historien qui creuse et trouve des choses dans les archives. Il y a beaucoup de mythes autour des archives françaises. On oublie qu’il s’agit d’archives françaises qui n’ont pas été faites pour nous, sauf les fonds qui sont nés en Algérie et qui appartiennent à l’Algérie », a soutenu Fouad Soufi. Le problème de l’archiviste, selon Omar Hachi, est de trouver dans la masse de documents les pièces qui ont un intérêt historique.

    «Les chercheurs sont souvent pressés alors que les archives ne sont communicables qu’après un certain délai, le plus court est de 25 ans et le plus long de 100 ans», a-t-il précisé. Fouad Soufi rappelle que les Etats-Unis ont déclassifié 50 000 documents pendant dix ans pour permettre aux chercheurs d’y accéder avant de les classifier une nouvelle fois. Il a dénoncé le fait que les Français considèrent les historiens algériens comme «des historiens officiels». «Comme si eux n’avaient pas d’historiens officiels ! En France, des historiens travaillant pour le ministère de la Défense ou pour le Premier ministère accèdent à des archives qui ne sont pas ouvertes aux autres historiens», a-t-il souligné.


    Fayçal Métaoui - El Watan
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