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Nord-Caucase : un « étranger intérieur » de la fédération de Russie

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  • Nord-Caucase : un « étranger intérieur » de la fédération de Russie

    Nord-Caucase : un « étranger intérieur » de la fédération de Russie

    Viatcheslav Avioutskii (Centre de recherches et d’analyses géopolitiques, université Paris-VIII)

    Le plus grave problème géopolitique de la fédération de Russie se pose en Tchétchénie, l'une des six républiques musulmanes de la façade septentrionale du Caucase. On sait que, depuis la disparition de l'Union soviétique, deux guerres ont opposé les indépendantistes tchétchènes à l'armée russe. D'abord de décembre 1994 à l'été 1996 : les forces russes subirent alors de très lourdes pertes, notamment lorsqu'elles entrèrent sans précaution dans la ville de Groznyi, pour tenter de mettre fin aux combats qui opposaient les unes aux autres des factions tchétchènes, en fait les islamistes contre les non-islamistes. Ensuite, bien qu'une solution de compromis ait été trouvée, prévoyant un référendum cinq ans plus tard sur la question de l'indépendance, et bien que les Russes aient évacué Groznyi, laissant agir un gouvernement tchétchène, une nouvelle guerre de Tchétchénie a repris en septembre 1999. Des combattants musulmans se réclamant ouvertement de la puissante confrérie wahhabite d'Arabie Saoudite venaient de fonder une république indépendante islamique dans les montagnes du Daghestan, juste à l'est de la Tchétchénie, qui, de surcroît, était plongée dans un véritable chaos. Les troupes russes durent mener trois mois de terribles combats pour reprendre Groznyi (octobre à décembre 1999).

    La dimension religieuse du conflit fut longtemps passée sous silence par la presse occidentale et, au spectacle du petit peuple tchétchène luttant contre l'armée russe, les journaux français, notamment, exprimèrent leur indignation contre la Russie; des ONG demandèrent même des sanctions internationales : « Groznyi, le crime russe », titre par exemple Libération le 17 décembre 1999. Cette hostilité était d'autant plus grande que cette seconde guerre de Tchétchénie, comme la précédente, fut considérée comme une manœuvre électorale, quel qu'en fût le prix pour les soldats russes : la première aurait été menée pour faire réélire Eltsine, la seconde pour avantager son successeur. « Une guerre pour gagner les élections », titrait Le Monde en première page le 14 décembre 1999. La soudaine démission d'Eltsine, le 31 décembre, et son remplacement par Vladimir Poutine pour assurer l'intérim avant sa prochaine élection furent considérés comme la vraie raison de cette guerre. Deux ans plus tard, celle-ci dure toujours, bien qu'on ne puisse plus invoquer de raisons électorales.

    Déjà en septembre 1999, les très graves attentats dans la banlieue de Moscou, qui firent plus de trois cents morts (les 10 et 13 septembre), avaient été considérés par la presse occidentale comme l'œuvre des « services secrets russes » pour justifier la nouvelle guerre contre la Tchétchénie. C'est en vain que le gouvernement russe avait alors dénoncé l'action de terroristes islamistes étroitement liés à la confrérie wahhabite, dont le rôle s'était grandement accru en Tchétchénie. On savait pourtant que depuis 1995 un chef de guerre, Khattab, d'origine saoudienne, qui avait combattu en Afghanistan contre les Russes et au Kosovo, dirigeait dans le Caucase un groupe d'Arabes combattants du Djihad. Malgré cela, l'opinion occidentale condamnait la Russie, qui dénonçait pourtant les visées des islamistes sur toutes les régions situées au nord du Caucase entre la mer Caspienne et la mer Noire. Mais les attentats du 11 septembre contre les tours du World Trade Center à New York et le Pentagone à Washington ont changé sinon les données du problème tchétchène, du moins la façon de les envisager. Que Vladimir Poutine ait immédiatement proposé son soutien au président Bush a eu pour effet qu'une grande partie de la presse occidentale prend désormais au sérieux ce que les Russes disent depuis plus de deux ans du rôle des islamistes wahhabites, et notamment de celui d'Oussama ben Laden, dans la guerre de Tchétchénie. Celle-ci est un des fronts du Djihad, la guerre sainte, que l'organisation d'Al Qaïda mène au plan mondial. On sait maintenant que de nombreux Tchétchènes sont allés s'entraîner dans les camps d'Al Qaïda en Afghanistan, comme le prouve le nombre de ceux qui y ont été tués ou faits prisonniers après l'intervention américaine contre les talibans.




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    Dernière modification par choucha, 10 février 2014, 06h09.

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    La Tchétchénie dans les plans d'Oussama Ben Laden

    Nous savons que l'État islamique de l'Afghanistan, dirigé par les talibans, avait reconnu, le 23 janvier 2000, la Tchétchénie en tant qu'État indépendant. Le ministre des Affaires étrangères des talibans, Wakil Ahmed Mutawakil, avait de surcroît déclaré que les talibans n'épargneraient pas « leurs efforts pour aider les Tchétchènes dans leur lutte pour l'indépendance ». Le ministère russe des Affaires étrangères avait alors déclaré que cette reconnaissance posait la question des sanctions de l'ONU contre les talibans. Le Kremlin, par son porte-parole Sergueï Yastrjembski, avait même menacé de bombarder les bases d'entraînement des talibans en Afghanistan du Sud. En même temps, les services spéciaux russes ont indiqué que des talibans afghans combattaient aux côtés des indépendantistes tchétchènes dans le Nord-Caucase. Le FSB a informé qu'ils étaient transportés par air de Lahore, Peshawar ou Quetta au Pakistan vers Zahedan et Tabriz en Iran et, de là, en Azerbaïdjan puis enfin à pied dans le Caucase (Izvestia, 9 décembre 1999).

    Selon les sources russes, en mars 2000, Aslan Maskhadov, le président tchétchène, a rencontré Oussama ben Laden à Kandahar, en Afghanistan. Il lui a demandé plus d'aide, sous forme de l'envoi de mercenaires, d'armes, de munitions et de médicaments. Selon certains témoignages, Oussama ben Laden aurait même visité la zone montagneuse de la Tchétchénie contrôlée par les rebelles, deux semaines plus tard (Severny Kavkaz, 11 mars 2000). Il semble que Ben Laden s'est rendu en Tchétchénie en voyage d'inspection pour superviser l'emploi des fonds qu'il avait envoyés auparavant pour financer la guérilla tchétchène. Cette information est passée inaperçue dans les médias occidentaux.

    Cependant, la Tchétchénie, semble-t-il, constituait une partie importante dans le plan de Ben Laden, qui prévoyait la création autour de l'Afghanistan d'un État islamique mondial, le Califat. Le multimillionnaire saoudien envisageait de créer un État islamique unifié dans le Caucase. Ce projet ne constitue qu'une partie d'un plan beaucoup plus important. Il comprend deux étapes. Pendant la première étape, 48 pays d'Asie, d'Afrique et d'Europe, y compris l'Arménie, l'Azerbaïdjan, l'Albanie, la Bosnie, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan, la Palestine, seraient réunis dans le cadre du même État, qui se serait étendu vers 2 100 à l'ensemble de la planète. En février 1998, Ben Laden a créé un Front mondial du Djihad (FMDj), réunissant les islamistes d'Arabie Saoudite, du Pakistan, d'Égypte et du Bangladesh (Al Qaïda, Gamaa islamiya, Djihad islami, Kharkat ul-ansar, Djama'at i-ulema i-islami). Par la suite, le FMDj a intégré de nouveaux membres, tels Al-Djamaa al-islamiya (Libye), Biat al-imam (Jordanie), Djihad (Yémen), Asbat al-ansar (Soudan), Djamaa sirriya (Liban), GIA (Algérie). Les combattants du FMDj ont pris part au conflit du Kosovo aux côtés des Kosovars albanophones. Le FMDj aide les groupements islamiques aux Philippines. Il est actif en Afrique centrale et orientale. Dans l'ex-URSS, c'est-à-dire la CEI, Ben Laden entretient des relations non seulement avec les indépendantistes tchétchènes, mais aussi avec les leaders des oppositions tadjike et ouzbèke.

    Nous savons qu'Al Qaïda avait pour stratégie celle des dominos, visant à déstabiliser les grands ensembles géopolitiques à travers les minorités islamistes. Ainsi, on sait que les talibans et Ben Laden formaient et soutenaient les séparatistes du Cachemire en Inde, les combattants ouïgours dans le Xinjiang en Chine, les islamistes ouzbeks dans la vallée du Ferghana en Ouzbékistan et les combattants de Bassaev et de Khattab en Tchétchénie. Les talibans étaient particulièrement actifs au Cachemire, où ils envoyaient leurs combattants pour aider le Djihad. Par exemple, au printemps 2000, les Hizbul Moudjahidin, mouvement islamiste séparatiste du Cachemire, annonçaient : « Notre objectif est l'établissement d'un Califat islamique à travers le monde entier. Nous ne croyons pas dans les frontières idéologiques et géographiques1. »

    De la lutte pour l'indépendance à la guerre sainte en Tchétchénie

    À l'origine de l'actuel drame tchétchène, il y a en 1990 le mot d'ordre lancé par Boris Eltsine (alors président du Soviet suprême de Russie) à toutes les républiques de l'URSS de proclamer, chacune, leur souveraineté. Ce qu'elles firent – et tout d'abord la Russie –, ou tout au moins leurs dirigeants. Dans la plupart d'entre elles, cette proclamation de souveraineté ne signifiait pas rupture avec l'Union, comme le prouvent les résultats massifs du référendum de mars 1991. En revanche, ce référendum pour le maintien de l'Union ne fut pas organisé dans les républiques de Transcaucasie ni en Tchétchénie. Un « Congrès national du peuple tchétchène » se constitue et proclame que son objectif est d'« aboutir à l'indépendance ».

    Cette radicalisation rapide des idées en Tchétchénie est sans doute à mettre en rapport avec les souvenirs laissés par la déportation massive des Tchétchènes en 1944 vers le Kazakhstan, d'où ils ne furent autorisés à revenir qu'en 1957. Cette radicalisation fut incarnée par le général de l'Armée rouge Doudaev, commandant d'une escadre aérienne en Estonie, et qui, à l'occasion de congés en Tchétchénie, s'y trouvait en août 1991 lors de la tentative de putsch contre Gorbatchev. Alors qu'à Groznyi les dirigeants du Parti communiste faisaient preuve d'attentisme à l'égard des putschistes, Doudaev manifesta immédiatement son soutien à Boris Eltsine, avec qui il noua durant plusieurs années des liens privilégiés. Dès lors, en Tchétchénie, une lutte pour le pouvoir oppose Doudaev à Zavgaev, président du Soviet suprême de Tchétchénie, chacun des deux concurrents ayant le soutien de son clan et de la confrérie religieuse à laquelle il appartient. Clans et confréries religieuses conservent en effet une importance considérable dans les sociétés musulmanes du Caucase. De 1991 à 1994, cette rivalité va progressivement s'étendre à l'ensemble des Tchétchènes, s'envenimer en une série de coups de force électoraux et se transformer en affrontements de plus en plus graves. Et en décembre 1994, c'est pour séparer les adversaires et empêcher une guerre civile que l'armée russe envoyée par Eltsine entre à Groznyi et tombe dans un tragique guet-apens monté par Doudaev et ses partisans, devenus des guerriers islamistes (voir mon article « L'engrenage de la guerre en Tchétchénie », Hérodote, n° 81, « Géopolitique du Caucase », p. 35-69).

    Ce qui est frappant dans l'évolution des problèmes géopolitiques en Tchétchénie, c'est la rapidité avec laquelle, dans une société musulmane soumise depuis soixante-dix ans au régime soviétique, un général d'aviation de l'Armée rouge s'est transformé en islamiste, et une lutte politique pour l'indépendance en djihad. Un mois avant sa mort, le 5 avril 1996, Doudaev (qui fut tué dans le Caucase par un missile russe) expliquait dans un journal kazakh panturquiste, Zaman-Kazakhstan, les raisons de la résistance des combattants tchétchènes face aux forces fédérales, numériquement supérieures : « La seule raison pour cela est notre foi en Allah. Personne ne meurt sans ordre d'Allah. Nous savons au demeurant qu'après ce monde nous nous retrouverons dans un autre monde. Le second monde est plus important que celui-ci. » Doudaev n'a pas hésité à lancer une mise en garde à l'Europe: « L'Europe observe en silence la politique cruelle de la Russie. [...] S'il le faut, nous ferons répandre cette guerre à travers l'Europe tout entière. Progressivement la guerre va se répandre à travers le monde entier, la balance de forces serait basculée. »

    De nombreux actes terroristes (prises d'otages, détournements d'avions et attentats à la bombe) ont frappé aveuglément plusieurs villes russes, notamment Moscou, Bouïnaksk, Volgodonsk, Essentouki, Minéralnye Vody, Nevinnomyssk, tuant et blessant plusieurs milliers de civils. Cependant, les médias occidentaux ont diffusé l'information, provenant des sources tchétchènes, selon laquelle le FSB était commanditaire de ces attentats afin de pouvoir justifier l'introduction des troupes fédérales dans la Tchétchénie. Le degré de violence du terrorisme et de la résistance des indépendantistes tchétchènes a mis en relief la vraie nature de leur combat, qui, après la mort de Doudaev, s'est transformé sous l'influence des wahhabites venus d'Arabie Saoudite en une guerre sainte contre les chrétiens : le Djihad. La mouvance islamiste est devenue prédominante parmi les indépendantistes à partir de 1998, lorsque le wahhabisme s'est largement répandu dans le Nord-Caucase sous l'action du commandant Khattab, lieutenant de Ben Laden. Mais c'est aussi à cette époque que commencent les premiers accrochages entre les soufis et les wahhabites en Tchétchénie et au Daghestan.

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    Dernière modification par choucha, 09 février 2014, 12h39.

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      Le discours des Tchétchènes islamistes

      Il est intéressant de voir la formation du discours islamiste chez les deux idéologues principaux de l'indépendantisme tchétchène, Zelimkhan Yandarbiev et Movladi Oudougov. Jusqu'en 2000, Zelimkhan Yandarbiev, connu comme artisan de la reconnaissance de la Tchétchénie par les talibans et devenu vice-président, représentait officiellement le gouvernement tchétchène à l'étranger, entretenant des liens étroits avec les pays islamiques et y levant des fonds pour la cause indépendantiste. Cependant, après l'établissement des relations officielles avec les talibans, le président tchétchène Maskhadov l'a écarté des affaires, pour éviter de se priver du soutien américain.

      Dans un entretien accordé à l'agence d'information tchétchène MARSHO, Zelimkhan Yandarbiev a commencé par dénoncer le « monde entier, transformé en structures claniques d'États avec les doctrines du terrorisme d'État militaro~politique international ». Il a souligné que seul l'Afghanistan des taliban avait « lancé un défi courageux au système criminel du terrorisme d'État international » et reconnu l'indépendance tchétchène, parce qu'il avait choisi la « voie juste d'aménagement et de vie sur cette terre ». Yandarbiev a condamné ensuite le reste du monde musulman, qui « se retrouva en effet moins souverain en affaires et en actions ». Puis l'ancien vice-président a expliqué la raison de son écartement par Maskhadov, en disant qu'il faisait activement et résolument la propagande du « Djihad mondial, en démontrant que la Tchétchénie se trouve en avant-garde de cette lutte sur la voie d'Allah ».

      Yandarbiev a fait par la suite un parallèle entre l'Afghanistan des talibans et la Tchétchénie de Maskhadov, en déclarant que ces deux États « se retrouvèrent en isolement international en raison de leur volonté de construire un véritable État islamique ». Il a ajouté que le mollah Omar, en décidant de reconnaître officiellement la Tchétchénie, avait dit : « Nous avons pris cette décision en nous basant sur le devoir devant Allah. » Yandarbiev a insisté sur le caractère religieux du conflit tchétchène : « La situation en Tchétchénie est très claire : un Grand Djihad est mené sur la voie d'Allah contre le terrorisme d'État international anti-islamique et le génocide du peuple tchétchène. C'est ici [en Tchétchénie] que se trouve la première ligne du Djihad mondial. » Il a fait savoir que « le syndicat christianosioniste international criminel se révéla sur l'attitude envers la Tchétchénie, il dévoila sa véritable essence de ses prétendus instituts et organisations internationaux – ONU, OSCE et autres2 ».

      Yandarbiev est revenu au sujet qui lui est très cher (complot christiano-sioniste, dirigé contre l'islam): « Presque tout le monde islamique se trouve dans une sorte de dépendance semi-coloniale ou néo-coloniale de la mafia christiano-sioniste, qui terrorise le monde. » Il a lancé une diatribe contre l'Occident, en l'accusant d'être « complice de crimes de la Russie contre le peuple tchétchène ». Pour Yandarbiev, « l'Occident est toujours en calcul de son propre intérêt », il constitue par ailleurs le « pragmatisme » et le « christianisme-sionisme dans sa forme la plus exercée ». Il est revenu une autre fois sur la critique de l'Amérique, en déclarant que « les États-Unis sont un des principaux coupables de tous les malheurs de l'Oumma musulmane ». En parlant des Tchétchènes, il a noté qu'ils font partie de la « nation islamique unique » et qu'il est possible de préserver cette unité, seulement en se fondant sur l'islam coranique et sur la charia inaltérée, en affirmant que « la Russie dans son expression actuelle est notre ennemi jusqu'au jour du Jugement dernier ».

      Pour Movladi Oudougov, la raison de la diabolisation des Tchétchènes par Moscou est qu'ils sont l'obstacle principal à la domination de la Russie sur le Caucase. « Les Tchétchènes ont toujours été porteurs de l'esprit islamique dans le Caucase, et ont toujours joué le rôle de protecteur principal de l'islam », alors que « la Tchétchénie était toujours le grenier du gazawat [guerre sainte] et approvisionnait le front avec des ressources principales, matérielles et humaines, dans la guerre contre la Russie ». « Ces actions [de la nation tchétchène] sont dictées par un refus décisif des Tchétchènes de renoncer à la charia d'Allah. » « Pour les Tchétchènes, les Russes sont et ont toujours été kafirs [païens]. »

      À l'instar de Yandarbiev, Oudougov est conscient que « l'Occident a ses propres intérêts », en ajoutant que « personne jamais ne sera “notre défenseur” jusqu'à ce que nous ne démontrions que nous sommes capables de nous défendre et de punir les agresseurs ». Il a noté que « l'Occident n'interviendra réellement qu'après que la Russie subira une défaite ». Mais Oudougov invite à tirer profit des contradictions existant dans les relations en Occident, y compris celles entre les États-Unis et la Russie. Il a expliqué que « l'Occident tente de jouer le rôle de dirigeant de l'humanité. Cela oblige à respecter les règles de conduite bien définies dans les affaires internationales. Il faut voir jusqu'à quel point ces règles sont capables d'aider les Tchétchènes ». Mais « tout ce qui est en contradiction avec la charia doit être résolument rejeté. Toute la politique envers la Russie devrait être conduite en strict respect de la loi, c'est-à-dire de la charia ! » (Kavkaz Center, 18 juin 2001, wwww. kavkaz. center. org. news). Pour Oudougov, le monde islamique est en train de renaître : la Tchétchénie et l'Afghanistan des talibans se situent au centre de cette renaissance.

      L'extension du conflit et la seconde guerre de Tchétchénie

      La première guerre a duré de 1994 à 1996. Les deux camps, russe et tchétchène, subissent des pertes considérables. Un certain nombre de civils tchétchènes meurent en raison de bombardements, de combats et d'exactions. Ces abus provoquent l'indignation de la communauté internationale. La Russie se plie à la pression de l'Occident et évacue ses troupes, entre septembre 1996 et janvier 1997. Élu en 1997, Aslan Maskhadov remplace Doudaev comme président. Entre 1997 et 1999, la Tchétchénie est, de fait, indépendante, mais elle plonge dans le chaos et Maskhadov n'arrive pas à s'imposer aux différentes factions rivales. Le wahhabisme se répand, les enlèvements de citoyens russes et étrangers par des Tchétchènes se multiplient, des attentats sont perpétrés dans les grandes villes russes. À l'été 1999, les wahhabites tchétchènes, sous la direction de Bassaev, auteur d'une spectaculaire prise d'otages en 1995 à Boudionnovsk, s'infiltrent au Daghestan. Ils y proclament un État islamique indépendant, au milieu des montagnes, mais sur un carrefour routier important et en contact relativement facile avec la plaine. Cette « enclave de Kadar » a été dénommée la « petite Tchétchénie » du Daghestan.

      Les Daghestanais, notamment sous l'influence des confréries soufies, qui refusent l'autorité des wahhabites, repoussent ces nouveaux venus avec l'aide de l'armée fédérale. En septembre 1999, l'armée fédérale entre en Tchétchénie pour mettre fin aux raids que les islamistes lancent sur les villes russes situées, pour certaines, à plusieurs centaines de kilomètres au nord du Caucase. Mais dans Groznyi, les Tchétchènes islamistes, puissamment armés, opposent une résistance acharnée et la ville n'est prise par les Russes qu'après trois mois de terribles combats. Les combattants tchétchènes parviennent à briser l'encerclement et à gagner la montagne, d'où ils lancent des raids contre les villes de la plaine. Pour les Russes, il est difficile de distinguer parmi les Tchétchènes ceux qui sont islamistes et ceux qui ne le sont pas, d'où nombre d'excès lors des interrogatoires de suspects dans des « camps de triage ». La communauté internationale condamne de nouveau les atteintes aux droits de l'homme et plus globalement les actions militaires russes en Tchétchénie.

      De surcroît, la guérilla tchétchène est réfugiée sur le versant sud du Caucase, en Géorgie, chez les Kistines (Tchétchènes de Géorgie), dans les gorges de Pankissi (district Akhmetovski dans la Géorgie orientale). Cette enclave tchétchène échappe à tout contrôle efficace des autorités géorgiennes, qui n'arrivent d'ailleurs pas plus à s'imposer dans d'autres unités autonomes, telles l'Ossétie du Sud et l'Abkhazie. Les Ossètes et les Abkhazes, malgré leur emplacement géographique (leurs zones d'habitation se trouvent sur le versant sud du Grand Caucase), appartiennent géopolitiquement au grand groupe d'ethnies nord-caucasiennes.

      L'affaire abkhaze est révélatrice puisqu'elle démontre qu'une communauté nord-caucasienne est capable de se constituer pour défendre les aspirations indépendantistes de cette petite république musulmane dépendante de la Géorgie. L'Abkhazie, où les Géorgiens étaient peu à peu devenus majoritaires, est de fait devenue indépendante de Tbilissi en 1992. Pendant cette violente guerre où Doudaev joua un rôle important, de nombreux Tchétchènes, Kabardes, Adyghéens, Abazas, Chapsougues, mais aussi Cosaques, ont apporté leur aide aux Abkhazes, en combattant les troupes géorgiennes. En 1993, la Géorgie a évacué ses troupes de la république sécessionniste. Les négociations abkhazo-géorgiennes, menées entre 1993 et 2001, n'ont pas abouti. La paix est restée fragile : des affrontements abkhazogéorgiens surviennent une autre fois en octobre 2001. Tbilissi menace de quitter la CEI et demande le départ du contingent russe de l'Abkhazie. En effet, les militaires russes, stationnés en Abkhazie, constituent le soutien principal des indépendantistes abkhazes. De ce fait, le gouvernement géorgien n'est guère pressé d'agir contre les rebelles tchétchènes installés sur son territoire, d'où ils lancent des raids contre les troupes russes au pied du versant septentrional du Caucase.
      Au versant nord du Grand Caucase, une violente guerre entre les Ossètes du Nord et les Ingouches pour le district Prigorodny, en octobre-novembre 1992, a transformé en enclave l'Ingouchie, isolée entre la Tchétchénie indépendantiste et l'Ossétie du Nord. En 1999-2000, la lutte pour le pouvoir entre les Karatchaïs etles Tcherkesses a mis en cause l'existence d'une des deux républiques bicéphales que le Nord-Caucase compte : la Karatchaevo-Tcherkessie. Même si la guerre entre les Tcherkesses et les Karatchaïs a pu être évitée de justesse, cette république, proche de l'Abkhazie et de la Mingrélie, contrôlée par les zviadistes, hostiles au régime de Chevardnadzé, et des rebelles tchétchènes (groupement de Guelaev), reste, avec la Tchétchénie et le Daghestan, un des foyers d'instabilité du Nord-Caucase.

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      Dernière modification par choucha, 09 février 2014, 12h46.

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        L'extrême complexité géopolitique du Nord-Caucase

        Selon l'opinion très répandue dans les milieux scientifiques et politiques de Moscou, la caractéristique géopolitique principale dans le Nord-Caucase est le conflit entre l'islam et l'orthodoxie, qui est accentué par la vigueur du contraste géographique plaine-montagne soulignant la coupure entre les Slaves orthodoxes et les montagnards caucasiens, essentiellement musulmans. Envisagée à petite échelle, cette région du Caucase fait partie de ce long « arc d'instabilité » séparant le monde chrétien orthodoxe et le monde islamique. Cet arc s'étend entre les Balkans et l'Altaï, en passant par le Nord-Caucase et le Nord-Kazakhstan. En particulier, cette hypothèse est chère à l'idéologue islamiste de Russie Geïdar Djemal, qui réunit le Caucase et les Balkans dans le même bloc géopolitique.

        On peut faire un parallèle entre les Balkans, le Nord-Caucase et le Nord-Kazakhstan. Une frontière militaire, surveillée par des populations slaves (les Granitchars serbes dans les Kraïna des Balkans, les Cosaques du Nord-Caucase et du Nord-Kazakhstan), y fut instaurée par le centre impérial, qu'il soit autrichien ou russe. Cependant, dans le Nord-Caucase et le Nord-Kazakhstan, le limes cosaque a été conservé après l'annexion au XIXe siècle de territoires peuplés par des musulmans. Jusqu'en 1917, ces territoires constituaient de fait dans l'Empire russe un « étranger intérieur » puisque les autorités russes y donnaient la préférence au droit coutumier local (adates) et à la charia pour résoudre la majeure partie des litiges. De surcroît, les musulmans de ces territoires nouvellement rattachés n'étaient pas considérés comme les sujets de l'Empire, ils y avaient un statut particulier d'« allogène », dispensés de service militaire, soumis à une imposition allégée, privés de la liberté de déplacement.

        Après 1917, cet « étranger intérieur » aux multiples ethnies fut intégré dans la fédération de Russie avec un statut particulier de « région autonome » ou de « république autonome », devant préserver sa spécificité ethnique. Les Cosaques, parce qu'ils étaient restés fidèles au tsar, furent l'objet de nombreuses persécutions. Une série de modifications de limites administratives de ces entités autonomes, lorsque les districts à majorité russe ont été rattachés aux unités autonomes, a conduit à une imbrication ethnique, qui est devenue aujourd'hui une cause de conflits.

        Selon une thèse de certains, qui prônent un rôle plus actif de la Russie au Nord-Caucase et même son retour en Transcaucasie, c'est la fin de l'URSS qui a réactivé tout ce nœud gordien de conflits nord-caucasiens. Cependant, il nous semble que leur réactivation résulte du dysfonctionnement du système tout entier de l'aménagement militaro-politique du Nord-Caucase. Ce système, conçu pendant la première moitié du XIXe siècle, était fondé sur l'isolement des ethnies les unes par rapport aux autres. Cela n'a d'ailleurs pu arrêter que très provisoirement les conflits interethniques dans le Nord-Caucase, qui n'avaient jamais cessé jusqu'alors. Mais ce système ne prévoyait pas l'accroissement naturel des populations montagnardes, ni l'attribution à celles-ci des terres arables, indispensables pour leur développement. Dès qu'en 1918 les premiers maillons du système ont sauté et les populations montagnardes ont commencé à traverser le limes cosaque, les vieilles querelles ont resurgi.

        Ce serait une erreur de présenter l'époque soviétique comme une période de coexistence pacifique, fondée sur l'internationalisme. Il suffit d'évoquer les déportations de villages entiers cosaques en 1918 et dans les années vingt, la guerre interethnique sur le Térek de 1918, les déportations de quatre « peuples punis » du Nord-Caucase vers l'Asie centrale et le Kazakhstan en 1943-1944, les émeutes antitchétchènes de 1958 à Groznyi, les manifestations ingouches pour le retour du Prigorodny dans les années soixante-dix et quatre-vingt, pour voir jusqu'à quel point l'image médiatisée par le régime soviétique de l'amitié entre les peuples était du trompe-l'œil.

        En plus de cela, il existait des conflits « masqués » qui se manifestaient dans la politique d'encadrement, dans l'assimilation de petites ethnies aux ethnies apparentées, plus importantes numériquement, dans le refus de doter certains groupes ethniques de l'écriture en leur langue, dans les déplacements forcés de groupes ethniques à l'intérieur de leurs républiques, et enfin dans le départ massif des populations slaves des républiques autonomes du Nord-Caucase.

        La fin de l'URSS a réactivé de nombreux conflits ethniques mis en sommeil par le pouvoir soviétique. Parmi ces conflits, les conflits ethnopolitiques et ethnoterritoriaux sont les principaux. S'il existe un conflit majeur entre les descendants de colons slaves et l'ensemble des populations montagnardes qui s'installent de plus en plus dans la plaine, la plupart des conflits se déroulent entre les ethnies locales.

        Plusieurs conflits ethnopolitiques existent dans le Nord-Caucase. Ainsi, le groupe adygho-abkhaze est opposé de longue date au groupe balkaro-karatchaï, dominé autrefois par les princes tcherkesses et kabardes. La course pour le pouvoir entre les Tchétchènes et les Kabardes dans la Confédération des peuples caucasiens a conduit à la paralysie de cette organisation, qui se trouve en sommeil depuis 1994. En outre, les Tchétchènes s'opposent historiquement aux Daghestanais, ce qui remonte probablement à la prédominance avare dans l'imamat de Chamil, dans lequel les Tchétchènes étaient minoritaires. Une opposition existe également entre les « peuples punis », déportés par Staline en 1943-1944 (Tchétchènes, Ingouches, Tchétchènes-Akkintsy, Balkars et Karatchaïs), et les peuples qui ont été épargnés (Kabardes, Adyghéens, Tcherkesses, Ossètes, Abazas, Nogaïs et Daghestanais).

        La liste des conflits ethnoterritoriaux est longue. En 1992, les Ingouches et les Ossètes ont livré une vraie guerre, courte mais particulièrement violente, à propos du district Prigorodny appartenant à l'Ossétie du Nord, mais qui était rattaché avant 1944 à la Tchétchénie-Ingouchie. En 1991-1992, les Laks au nord du Daghestan se sont affrontés aux Tchétchènes-Akkintsy. Entre 1991 et 1994, les Kabardes et les Balkars se sont opposés à l'intérieur de leur république, qui a failli éclater. En 1999, les Karatchaïs ont eu des accrochages avec les Abazas et les Tcherkesses. D'autres conflits moins intenses existaient au Daghestan (entre les Laks et les Koumyks, entre les Avars et les Tchétchènes-Akkintsy, entre les Laks et les Darguines, entre les Koumyks et les Avars), en Tchétchénie (entre lesTchétchènes et les Nogaïs), dans le territoire de Stavropol (entre les Darguines et les Nogaïs), et dans le district Sounjenski, partagé actuellement entre la Tchétchénie et l'Ingouchie (entre les Tchétchènes et les Ingouches).

        La subdivision des ethnies en de nombreux sous-groupes est une source de conflits

        Les populations autochtones du Nord-Caucase sont traditionnellement classées selon leur langue. Il existe quatre groupes linguistiques principaux : caucasique du Nord-Ouest (adygho-abkhaze), caucasique du Nord-Est (vaïnakh et daghestanais), turcique et iranien (Ossètes). On se bornera ici à évoquer la complexité du groupe caucasique du Nord-Est, car c'est numériquement le plus important et c'est lui dont la complexité a actuellement les plus importantes conséquences géopolitiques.

        Le groupe caucasique du Nord-Est

        Il se subdivise en deux grands groupes : vaïnakh et daghestanais, dont les locuteurs ne se comprennent pas.
        Le groupe vaïnakh est composé des Tchétchènes et des Ingouches, qui habitent essentiellement dans leurs républiques respectives. À leur tour, les Tchétchènes se subdivisent en cinq groupes : les Terkkhoïs (les Tchétchènes du Térek), les Tchétchènes de la Petite Tchétchénie, les Tchétchènes de la Grande Tchétchénie, les Tchétchènes-Akkintsy, qui habitent dans le nord du Daghestan, et les Kistines, qui vivent à l'est de la Géorgie. Les Tchétchènes-Akkintsy sont enclins à se rattacher directement au groupe vaïnakh. Pendant la période soviétique, les Terkkhoïs occupaient traditionnellement les postes dirigeants en Tchétchénie-Ingouchie, étant été considérés comme loyaux par les communistes.

        ETHNIES AUTOCHTONES DU NORD -CAUCASE, EN 1989 (3)




        3. D’après les données du recensement de la population de l’URSS de 1989.



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          Le groupe daghestanais est extrêmement complexe.

          Il est composé des Avars, des Darguines, des Laks, des Tabassarans, des Routouls, des Lezguines, des Agouls et des Tsakhours. Les plus nombreux, les Avars (496 000 personnes habitant le Daghestan en 1989), dépassaient largement les moins nombreux, les Tsakhours (5000 personnes au Daghestan, en 1989). Cependant, cette classification, arrangée par les ethnologues soviétiques, cache une fragmentation ethnique unique dans tout l'espace postsoviétique.

          Chaque ethnie se subdivise en fait en plusieurs sous-groupes. Les locuteurs, appartenant à des sous-groupes définis comme apparentés par l'ethnologie officielle, ont découvert qu'ils ne se comprenaient pas du tout ou avec de grandes difficultés. En effet, les ethnologues ont réduit le nombre d'ethnies dans le Daghestan, en incluant des ethnies peu nombreuses dans des ethnies importantes, capables, selon eux, de les assimiler.
          C'est ainsi, par exemple, que les Avars se subdivisent en fait en Avars proprement dits et en Arguines, mais également en deux autres groupes apparentés. Le premier groupe, Andi, regroupait les Andis, les Botlikhs, les Godoberdines, les Karatines, les Akhvakhs, les Bagoulals, les Tindals et les Tchamalals. Le second groupe, Didoï, comprenait, en plus des Didoïs, les Khvarchines, les Bejtines et les Goundebs. Chacun de ces minuscules groupes ethniques ne dépasse pas 10000 personnes. Il est à noter que les Andis sont les plus proches des Tchétchènes, en constituant une sorte de pont linguistique entre les langues vaïnakhes et daghestanaises. Les Andis, avec les Tchétchènes-Akkintsy du Daghestan, étaient par ailleurs seuls à participer à la première guerre de Tchétchénie ( 1994-1996). On rapporte que des combattants tchétchènes trouvaient souvent refuge chez les Andis, dont les villages se trouvent à proximité de la Tchétchénie. Mais la fameuse « enclave de Kadar », où les wahhabites avaient créé en 1999 un État islamique indépendant, doit cette appellation d'« enclave » au fait qu'il s'agit de villages darguines isolés en zone avare et koumyke.


          CARTE ETHNIQUE DU DAGHESTAN

          La distribution ethnique du pouvoir

          Les élites au pouvoir de toutes les républiques du Nord-Caucase, à l'exception de la Tchétchénie, sont pour le moment loyales à Moscou, les unes plus que les autres, mais toutes dépendent étroitement des subventions que le Centre leur accorde, en raison de la crise économique profonde. Parmi les républiques, il existe sans doute la favorite de Moscou – l'Ossétie du Nord. Cette république, majoritairement chrétienne, n'est pas seulement la plus fidèle au Kremlin dans la région, qui a soutenu toutes les décisions moscovites sans dire un mot, même les plus impopulaires, elle influence aussi la politique russe envers la Géorgie, car la survie de l'Ossétie du Sud, située sur le versant géorgien du Caucase, dépend directement de la présence du contingent militaire russe.

          Le Daghestan, particulièrement frappé par le chômage et la crise économique, ne cache pas non plus son orientation prorusse. Il en va de même pour la Kabardino-Balkarie. L'Adygheïa et la Karatchaevo-Tcherkessie, où les communautés russes sont particulièrement fortes, 75% et 40% de leurs populations totales respectivement, ne montrent pas de signes de rébellion, même si elles ne sont pas toujours enthousiastes à l'égard de la politique de Moscou dans la région, notamment à propos de l'Abkhazie.

          Malgré l'absence dans les républiques nord-caucasiennes de sentiments ouvertement sécessionnistes, à l'exception de la Tchétchénie, chaque république a créé ses propres parlement, Constitution et gouvernement. Ces républiques se comportent souvent comme des États dans l'État, où des règles non écrites de distribution du pouvoir selon les critères ethniques existent. Dans d'autres régions majoritairement russes, on pouvait trouver des gouverneurs d'origine allemande, turcique ou ukrainienne, alors que dans les républiques du Nord-Caucase, après 1991, et parfois bien avant cette date, les dirigeants appartiennent pratiquement tous à l'ethnie éponyme.

          Au Daghestan, où aucune ethnie n'est largement majoritaire, un conseil d'État, organe collégial dans lequel toutes les ethnies possédant les langues écrites étaient représentées, gérait la vie de la république. Mais cela n'empêchait pas une lutte pour le pouvoir entre les ethnies. Ainsi, selon une règle non écrite, à l'époque soviétique le poste du premier secrétaire du comité du PCUS de la république était occupé par un Avar ; le président du praesidium du Soviet suprême daghestanais était un Darguine. Cette distribution du pouvoir existe actuellement : le président du Conseil d'État du Daghestan, Magomedali Magomedov, et le maire de la capitale Makhatchkala, Saïd Amirov, sont darguines, alors que les Avars contrôlent le poste de président de l'Assemblée populaire (Parlement) de la république. Le président du gouvernement (Premier ministre) était un Koumyk, alors que son adjoint était un Avar en 1999 (Gadji Makhatchev). Pendant les cinquante et soixante dernières années, les trois postes suprêmes au Daghestan étaient occupés par les Avars, Darguines et Koumyks. Cela s'expliquait par le poids numérique de ces trois ethnies dans la population totale de la république. Plusieurs ethnies, exclues du partage du pouvoir, tels les Laks, les Lezguines et les Tabassarans, ne cessent pas de critiquer ce système.

          Les conflits intérieurs à l'islam nord-caucasien

          Une autre série de ruptures existe à l'intérieur de l'islam nord-caucasien. Nous avons déjà parlé dans notre article « Engrenage de la guerre en Tchétchénie » (Hérodote n° 81, « Géopolitique du Caucase ») de l'opposition entre les deux confréries soufies, Naqshbandiya et Qadiriya, qui a entraîné au début des années quatre-vingt-dix une opposition politique qui a scindé la société tchétchène. Les Naqshbands, fidèles à Moscou, ont constitué l'opposition anti-Doudaev, alors que les Qadirs ont formé l'entourage proche du président tchétchène. Après la mort de Doudaev, cette opposition s'est estompée face à la menace commune, le wahhabisme. À l'été 1998, les adeptes des deux confréries se sont réunis pour combattre à Goudermès des wahhabites.

          Au Daghestan, l'existence de plusieurs confréries soufies n'a pas débouché sur une lutte ouverte, ce qui n'a pas empêché des luttes byzantines, qui sont si caractéristiques de cette république pluriethnique, dont la stabilité fragile se fonde sur un accord selon le modèle libanais. Dans les structures de la Direction spirituelle des musulmans du Daghestan, les Avars étaient majoritaires pendant les années quatre-vingt-dix, ce qui a provoqué la scission de la DSM en fonction des critères ethniques. Traditionnellement, les Avars occupaient le poste de mufti dans la DSM du Nord-Caucase, puis dans la DSM du Daghestan. Cette domination permettait à beaucoup d'imams koumyks et darguines de contester l'« avarisation » de la DSM.

          Ainsi, S. A. Darbichgadjiev (élu mufti en 1992), M. Darbichev (élu en 1994), S. M. Aboubakarov (élu en 1996) et A. Abdoullaev (élu en 1998) sont avars. Pendant une brève période, entre 1989 et 1992, deux Koumyks réussirent à se faire élire au poste de mufti du Daghestan (M. M. Babatov et B. Issaev). La lutte pour le contrôle de la DSM entre les Avars et les Koumyks continuait encore en 2007.

          Au milieu des années quatre-vingt-dix, parallèlement à la DSM du Daghestan, dominée par les Avars, à Makhatchkala, il existait une DSM koumyke et une DSM lake. À la fin des années quatre-vingt-dix, une DSM du district Nogaï fut organisée à Terekli-Mekteb, alors qu'un Kaziat8 darguine vit le jour à Izberbech. Cependant, les dignitaires avars ont fait preuve de diplomatie en réussissant à réunir les muftis de toutes les DSM ethnorégionales au sein d'un Conseil de coordination. Le président du Conseil, le mufti de la DSM du Daghestan, est de facto mufti de tous les musulmans de la république. Toutefois, la DSM du Daghestan ne contrôle qu'entre 20% et 50% des mosquées daghestanaises.

          Le soufisme au Daghestan a reflété une opposition ethnique à l'intérieur de l'islam, dont nous venons de parler. Pratiquement toutes les confréries soufies dans cette république sont monoethniques. Ainsi, les Darguines, les Koumyks, les Lezguines, les Laks et les Tabassarans sont adeptes de la Naqshbandiya. Les Tchétchènes-Akkintsy et les Andis (sous-groupe des Avars) appartiennent traditionnellement à la Qadiriya. La Shaziliya est répandue essentiellement parmi les Avars et dans une moindre mesure parmi les Koumyks(9).

          Géographiquement, plus de 85% d'adeptes soufis habitaient au nord et à l'ouest du Daghestan. Si on analyse l'implantation géographique de l'islam dans le Nord-Caucase, on peut facilement noter que 52% de toutes les mosquées qui fonctionnaient dans la fédération de Russie se trouvaient dans la seule république du Daghestan (1 585 sur 3 072)10. En comparaison avec le Daghestan, les autres républiques du Nord-Caucase comptent un nombre relativement modeste de mosquées : 400 en Tchétchénie en 1999 (11), 400 en Igouchie en 1999 (12), 68 en Kabardino-Balkarie en 1998 (13), 91 en Karatchaevo-Tcherkessie en 1997 (14). Le nombre total de mosquées dans le Nord-Caucase était de 2544 à la fin des années quatre-vingt-dix.

          La croissance du nombre de mosquées est spectaculaire. Vers la fin des années trente, toutes les mosquées étaient fermées dans le Daghestan (il y en avait 1 702 en 1917). En 1986,27 mosquées y fonctionnaient. En 1992, il y en avait déjà plus de 800(15). En 2000, leur nombre a dépassé 1 500. Selon certaines sources, ces statistiques prennent en compte les mosquées officielles, enregistrées auprès les autorités. Le nombre total des mosquées, enregistrées et non enregistrées, dans le Daghestan pouvait se situer autour de 5000.

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            La forte concentration de mosquées au Daghestan s'explique par le fait que cette région de la fédération de Russie était islamisée la première, bien avant les Tatars de la Volga et les Bachkirs. Dans le Daghestan, l'islamisation se déroula du sud au nord. Selon certaines sources, elle débuta en 733, lorsque Abu Maslama conquit Derbent et le transforma en rempart du Califat arabo-musulman dans le Caucase.
            Aux VIIe-Xe siècles, la ville de Derbent était profondément islamisée, alors que l'islamisation des Lezguines, des Tabassarans et des Routouls était plus superficielle. Aux Xe-XIIIe siècles, les Agouls et les Laks étaient islamisés à leur tour. À la fin du XIVe siècle, les Darguines et les Nogaïs étaient convertis à l'islam, alors que la ville de Koubatchi devint le deuxième rempart de l'islam du Daghestan. Aux XIIIe-XVe siècles, l'islamisation des Koumyks et des Avars se déroula, et à la fin du XVe siècle les Tchétchènes-Akkintsy et les ethnies du groupe Ando-Tsez étaient convertis16. L'islamisation du Daghestan s'acheva à la fin du XVIe siècle par la conversion à l'islam des Didoïs par les Avars musulmans.

            À titre de comparaison, nous pouvons citer les Tchétchènes, dont l'islamisation ne s'est achevée que vers la fin du XVIIIe siècle, et les Ingouches, dont le dernier village a été converti à l'islam dans les années 1870. Au Daghestan, les Avars, les Darguines et les Tchétchènes-Akkintsy pratiquent plus l'islam que les Koumyks, les Nogaïs et les Lezguines.

            Les wahhabites dans le Nord-Caucase

            Le wahhabisme constitue le facteur de conflits le plus important, du moins aux yeux de Moscou, où les médias ne cessent de parler d'une guerre contre la Russie que les wahhabites nord-caucasiens, aidés par leurs sponsors étrangers, sont en train de mener.

            Cependant, le terme « wahhabisme » doit être utilisé avec précaution pour désigner une des mouvances de l'islam nord-caucasien. Le terme al-wahhabiya, dans les pays arabes, désigne les adeptes de Muhammad ibn Abd al-Wahhab. La doctrine wahhabite est fondée sur les principes de la doctrine d'un éminent théologien, Taki ad-din ibn Taymiyya ( 1263-1328), originaire de Syrie. Il appelait à combattre toutes les nouveautés, qui « déviaient » les principes de l'islam pur et originel. Au XVIIIe siècle, Muhammad ibn Abd al-Wahhab s'inspira d'Ibn Taymiyya et fonda la doctrine wahhabite et une confrérie. Celle-ci devint la base de réunification des tribus arabes de la péninsule Arabique lorsqu'elles décidèrent sous la direction des Saoudiens de combattre les Ottomans accusés de corruption. Parmi ceux-ci, les soufis avaient une grande influence. Les wahhabistes arabes livrèrent un combat aux colonisateurs ottomans. Ce furent les premiers affrontements entre wahhabites et soufis. L'ethnologue russe de l'Académie des sciences Yarlykapov affirme même que l'Arabie Saoudite est née dans la lutte contre le soufisme.

            Le champ sémantique de ce terme, qui ne couvrait à l'origine que les adeptes du wahhabisme classique, s'est élargi. Actuellement, en ex-URSS, mais aussi dans les pays islamiques, ce terme désigne toutes les mouvances fondamentalistes et radicales dans le sunnisme. Les premières communautés wahhabites apparurent dans le Nord-Caucase dans les années soixante-dix, mais c'est seulement après 1996 que la presse commence à parler d'une vraie installation du wahhabisme dans le Nord-Caucase. L'enracinement du wahhabisme dans le Nord-Caucase était devenu possible grâce à l'aide abondante de la part de nombreux fonds et organisations islamiques établis dans les pays arabes du Golfe.

            Plusieurs dizaines de fonds et organisations islamiques, dont les filiales internationales de fonds islamiques, étaient actifs au Daghestan en 1990-1999. Plusieurs d'entre eux virent leurs activités interdites : Benevoliks International Foundation (États-Unis), Al-Khaïriya (Émirats arabes unis), Qatar (Qatar)17. Parmi d'autres organisations, on peut évoquer une association assez influente en Arabie Saoudite, Djamaa as-salaf as-salih. On considère que son objectif réside en la propagation de la doctrine salafite ou wahhabite dans le monde. Un certain Daguistani représentait au Daghestan une autre organisation saoudienne, Al-Igassa. Selon les données du FSB, Abdel-Hamid Djafar Daguistani dirigeait le département russe d'Al-Igassa en Arabie Saoudite et était en même temps imam d'une mosquée à Médine.

            Une autre organisation islamique, Djamaa mouslimi, ouvrit une filiale à Makhatchkala. Une personnalité très connue en Arabie Saoudite, Cheikh Mouhammed ben Nasser al-Aboudi, était invitée au Daghestan. Il est à noter que ceux qui finançaient le Parti de renaissance islamique au Daghestan étaient adeptes du wahhabisme, tel Serwah Abed Saah, qui organisa dans les districts Kizilyourtovski et Khassavyourtovski des éditions destinées à faire la propagande du wahhabisme.

            En 1997, une organisation islamique internationale, Al-Harameïn, aidait financièrement des organisations wahhabites daghestanaises qui avaient pour objectif la création sur le territoire de la Tchétchénie et du Daghestan d'un « État islamique », indépendant de la fédération de Russie. Le directeur général d'Al-Harameïn était le cheik Akil ben Abdoul Aziz. Le siège de l'organisation se trouvait à Er-Ryad, en Arabie Saoudite. Les services spéciaux affirment que d'importantes sommes d'argent en devises furent transférées par la filiale de Bakou au centre wahhabite daghestanais Kavkaz, qui se trouvait à Makhatchkala, et à Karamakhi.

            En 2001, plusieurs émissaires d'Al-Harameïn se trouvaient dans les détachements des chefs de guerre tchétchènes, tels Abdel Latpyf ben Abdal Karim-Darian (état-major de Maskhadov), Abou-Omar Mouhammed As-Seïf, Abou Salman Mouhammed, Ad-Dahchi Abou-Sabit.

            Un conflit ouvert oppose les adeptes de l'islam caucasien traditionnel et les militants wahhabites. Les affrontements se sont déroulés en Tchétchénie et au Daghestan, où les structures officielles de l'islam (Direction spirituelle des musulmans, DSM) sont traditionnellement dominées par les soufis. Les leaders musulmans soufis ont condamné sévèrement le wahhabisme, en interprétant l'activisme de ses adeptes comme une menace à leur domination sur les DSM. Et surtout, les wahhabites considèrent comme chirk, signe de paganisme, les danses religieuses et le culte des saints qui sont très pratiqués dans le Caucase. Plusieurs fois, le conflit entre soufis et wahhabites s'est transformé en affrontements ouverts. Selon plusieurs témoignages, les premières tensions entre les wahhabites et les soufis qadirs ont surgi pendant la première guerre de Tchétchénie en 1994-1996. En mai 1997, les adeptes soufis ont eu les premiers accrochages avec les wahhabites dans l'enclave de Kadar (district Bouïnakski), au Daghestan. En juillet 1998, à Goudermès, les wahhabites ont combattu pendant plusieurs jours les combattants du chef de guerre Soulima Yamadaev. Ces affrontements ont failli se transformer en une guerre civile.

            En août 1998, un attentat à la bombe a tué à Makhatchkala le mufti du Daghestan S. M. Aboubakarov, connu pour sa ferme attitude antiwahhabite. Ilavait critiqué sévèrement les activités de Khattab, en déclarant que les wahhabites constituaient un mal potentiel non seulement pour les musulmans du Nord-Caucase mais aussi pour les musulmans de toute la fédération de Russie. Aboubakarov s'était permis de dire devant les journalistes que « le wahhabisme est un pseudo-islam, mais il porte un masque idéologique, c'est un mouvement idéologique et politique avec un enclin extrémiste », en rajoutant que « Khattab n'a pas apporté l'islam en Tchétchénie, mais il l'idéologise sans le connaître profondément ». Le mufti s'est étonné : si Khattab « avait proclamé le gazawat [guerre sainte] au nom d'Allah, pourquoi il n'était pas allé [combattre] en Palestine » ?

            L'opposition du wahhabisme a conduit à la réunification de hauts dignitaires musulmans du Nord-Caucase dans un Centre de coordination des musulmans du Nord-Caucase, composé des muftis du Daghestan, de la Tchétchénie, de l'Ingouchie, de l'Ossétie du Nord-Alanie, de la Kabardino-Balkarie et de la Karatchaevo-Tcherkessie. Selon ses fondateurs, cet organisme devait contenir l'expansion du wahhabisme dans la région. Sous la pression des soufis, le 16 septembre 1999, l'assemblée populaire du Daghestan a adopté une loi sur « l'interdiction de l'activité wahhabite et autre activité extrémiste sur le territoire de la république du Daghestan ».

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              Un avenir plus qu'incertain pour le Nord-Caucase

              Dix ans après le spectaculaire démembrement de l'URSS, la fédération de Russie ne s'est pas disloquée dans une multitude de républiques, de régions et de territoires, comme beaucoup d'experts l'annonçaient au début des années quatre-vingt-dix. Et ce n'étaient pas des spéculations gratuites : après 1991, la fédération de Russie a dû faire face à de nombreuses aspirations sécessionnistes à l'intensité différente de la part non seulement des unités autonomes, tels la Tchétchénie, le Tatarstan ou le Bachkortostan, mais également de la part de plusieurs régions russes. N'étant pas parvenu à venir à bout du séparatisme avec des moyens politiques, Moscou est intervenu militairement pour combattre les indépendantistes tchétchènes, en 1994-1996 et en 1999-2000. L'opinion occidentale a critiqué de nombreuses violations des droits de l'homme au cours de ces interventions militaires, qui n'ont pas donné de résultats concluants. Ces critiques n'ont pas empêché Moscou d'agiter l'épouvantail de l'exemple tchétchène devant les candidats potentiels à la séparation et de calmer pour quelque temps la fièvre séparatiste.

              Le démembrement de la fédération de Russie n'a pas eu lieu, et ce pour plusieurs raisons. D'abord, en comparaison avec l'URSS, la Russie est plus homogène politiquement : dans la plupart des républiques, le vote politique, pour la gauche ou pour la droite, pour les libéraux ou pour les démocrates, domine selon les critères ethniques ou religieux. Ensuite, la majeure partie de la population russe est relativement tolérante à l'égard d'autres ethnies, qui ne constituent par ailleurs que quelque 15% de la population du pays. Enfin, les ethnies non russes sont beaucoup plus russifiées que les anciennes nations soviétiques, tels les Arméniens, les Lituaniens ou les Moldaves. Le plus souvent, elles sont mélangées depuis des siècles avec des Russes et ont choisi les valeurs européennes.

              Cependant, une partie de la fédération de Russie, le Nord-Caucase, est différente. Le vote ethnique y prédomine, même parmi les Russes, les ethnopartis sont nombreux et influents, la tolérance étant mise en question par des ethnonationalismes. Dans le Nord-Caucase, une simple tentative d'organisation d'élections présidentielles directes peut friser la guerre ethnique, comme c'était le cas en Karatchaevo-Tcherkessie en 1999. Dans une autre république nord-caucasienne, en Adyghéie, une minorité ethnique (20% de la population), mais ayant le privilège d'être éponyme, détient 80% de postes clés et exclut, selon les critères linguistiques (non-maîtrise de l'adyghéen), des candidats à la présidence. On peut se demander où ailleurs qu'en Tchétchénie de 1998 un président, soi-disant démocratiquement élu, Maskhadov, se rend en char d'assaut tous les matins à son bureau ? Où ailleurs que dans la capitale du Daghestan, ville de quelque 300 000 habitants, tout déplacement du maire mobilise presque la totalité de la police municipale et paralyse toute circulation, car il a déjà été victime de plusieurs attentats à la bombe, ses concurrents politiques ne lésinant pas sur le choix des moyens.

              À cela nous pouvons ajouter le fait qu'un grand nombre d'ethnies nord-caucasiennes s'opposent régulièrement à la politique extérieure de la Russie : cette dissidence est devenue plus qu'évidente lors de la crise du Kosovo, au printemps 1999, pendant laquelle les musulmans nord-caucasiens ont soutenu les Kosovars musulmans albanophones et désapprouvé fermement l'attitude pro-serbe de Moscou.

              Cela ne constitue que la partie visible d'une sorte d'iceberg ou d'un véritable nœud gordien de conflits interethniques, impossibles à résoudre, ni politiquement, ni militairement. Un paradoxe se dessine : on pourrait dire que plus Moscou s'active dans le Nord-Caucase, plus cette région s'éloigne de la Russie. Ce n'est pas un hasard si les journalistes de la Nezavissimaïa Gazeta, un journal réputé pour son analyse des problèmes interethniques, traitent désormais du Nord-Caucase sous la rubrique consacrée à la CEI, comme les républiques ex-soviétiques devenues indépendantes en 1991, alors que les autres régions de Russie sont traitées dans la rubrique « Les régions de la Russie ».

              Au terme des dix dernières années, les Russes ne voient plus au Nord-Caucase une continuation historico-géographique de la sainte Russie, ni même une région périphérique pouvant être intégrée, mais un « étranger », dangereux et hostile, se trouvant de l'autre côté de la frontière russe « idéale », selon l'expression de Sergueï Panarine ( Diaspora, Moscou, n° 2-3,1999), un « étranger » parlant des langues inintelligibles et vivant selon des lois qui ne sont pas les « leurs ». Certains Russes vont jusqu'à souhaiter que l'on se sépare une fois pour toutes de cette « tumeur maligne », sinon les « métastases de désintégration » gagneront toute la Russie. Ce discours s'inscrit dans une représentation vieille de quinze ans, lorsqu'une partie de l'élite soviétique d'origine russe dénonçait l'exploitation de la Russie par les républiques soviétiques moins développées et réclamait la séparation de celles-ci, en prétextant que leur développement coûtait trop cher au peuple russe.

              Sans se rallier à ces thèses paradoxalement nationalistes, il nous est impossible de ne pas prendre en compte cette nouvelle représentation qui s'est formée dans l'opinion publique russe. Elle ne considère plus la Tchétchénie, et par extension les autres républiques du Nord-Caucase peuplées de musulmans, comme faisant partie de la fédération de Russie, mais comme un second Afghanistan, qu'il est trop coûteux de chercher à retenir. Le peuple russe comprend de moins en moins pourquoi il faudrait sacrifier des milliers de jeunes recrues pour conserver des montagnes et leurs bordures peuplées par des gens qui sont des « étrangers » en Russie et qui souhaitent, pour bon nombre, ne plus faire partie de la fédération de Russie.

              Nous pensons donc qu'il est logique de considérer cette région comme un « étranger intérieur » à la Russie par comparaison avec ce que les Russes appellent couramment l'« étranger proche », c'est-à-dire les anciennes républiques soviétiques devenues indépendantes lors de la dislocation de l'URSS. De cette idée que le Nord-Caucase est en fait un « étranger intérieur » dans la Russie, on peut tirer trois conséquences géopolitiques. Primo, Moscou ne doit pas traiter cet « étranger intérieur » comme les autres « sujets » de la fédération de Russie, le dialogue et les concessions doivent remplacer la présence militaire. Secundo, l'« étranger intérieur » n'est pas en principe intégrable dans l'espace politique russe et il devrait en être séparé, par une frontière efficace limitant vers le nord les territoires des républiques caucasiennes. Tertio, il est souhaitable qu'à l'égard du Caucase Moscou change rapidement sa politique, qui est héritière du colonialisme russo-soviétique. En effet, l'agitation provoquée par les guerres de Tchétchénie, tant en Russie qu'au plan international, peut progressivement inciter d'autres populations à considérer que leur avenir n'a guère de place dans la fédération de Russie. Des « étrangers intérieurs » peuvent se former dans les années à venir autour d'autres ethnies, notamment les Tatars musulmans de la Volga et de l'Oural.

              On peut cependant constater que les Tatars forment aujourd'hui l'ethnie la plus dispersée de la Russie : plus de la moitié d'entre eux vivent en dehors du Tatarstan. Par ailleurs, au Tatarstan, les Tatars ne constituent que la moitié de la population (mais c'était aussi le cas en Tchétchénie), et la communauté n'y est pas exclue de la vie politique : le poste de vice-président du Tatarstan, par exemple, est traditionnellement donné à un Russe. Les ethnopartis tatars, islamistes et radicaux, ne recueillent que quelques pourcentages aux élections et n'arrivent pas (pour le moment) à mobiliser les masses. L'élite tatare au pouvoir, dirigée par le président Mintimer Chaïmiev, ne souhaite pas la séparation et préfère le dialogue constructif avec le Kremlin. Enfin l'islamisation du Tatarstan ne semble pas aussi prégnante que dans le Caucase. Bref, si Moscou accorde une large autonomie au Tatarstan, les arguments séparatistes peuvent s'y trouver.

              En revanche, il n'existe – semble-t-il – aucune solution durable permettant d'arrimer à la fédération de Russie cette « périphérie gangrenée » qu'est le Caucase. Cet « étranger intérieur », avec la réislamisation qui s'y développe depuis la fin des années quatre-vingt, dérive vers un modèle géopolitique moyen-oriental, avec flux pétroliers et rivalités ethniques et religieuses. Moscou a deux solutions, toutes les deux ne servant que de palliatif provisoire, pour le Nord-Caucase. La première consiste en l'abandon pur et simple de cette région, ce qui pourra conduire à la formation d'une Fédération nord-caucasienne, où les luttes ethniques et religieuses ne manqueront pas, les Tchétchènes cherchant à imposer leur autorité aux autres. Le problème pour les Russes sera de limiter vers le nord, par un nouveau limes, l'expansionnisme des musulmans et de préserver dans la plaine les territoires russes de Krasnodar et de Stavropol, où les minorités nord-caucasiennes sont déjà particulièrement actives.

              La seconde « solution » consiste à laisser se poursuivre les conflits actuels, qui risquent de s'étendre à l'ensemble du Caucase et de menacer de plus en plus vers le nord la communauté russe de Stavropol et de Krasnodar. Mais l'exemple tchétchène montre qu'il est impossible de vaincre en pays musulman un mouvement idéologique comme celui des islamistes, qui se réfère à un mélange de mysticisme et de vengeance géopolitique, en rejetant l'exemple d'une civilisation mieux développée. Les conséquences des guerres du Caucase, la diffusion du thème de la lutte de l'islam contre le christianisme, risquent de se propager dans l'ensemble de la CEI et de compromettre les relations de la Russie avec les républiques musulmanes d'Asie centrale. Or celles-ci – on le découvre de plus en plus – sont détentrices de très importantes ressources en pétrole et en gaz, et la Russie a tout intérêt à ce qu'une grande partie des futurs grands flux d'exportation de ces hydrocarbures passent par son territoire, plutôt que de gagner directement l'océan Indien.

              Viatcheslav Avioutskii

              Centre de recherches et d’analyses géopolitiques, université Paris-VIII

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              Dernière modification par choucha, 09 février 2014, 12h25.

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                NOTES

                [ 1] Voir Riyaz PUNJABI, « Kashmir, Realising the Dream of an Islamic Caliphate », World Affairs, New Delhi, avril-juin 2000, p. 58-73.
                [ 2] Zelimkhan YANDARBIEV, « La Russie est notre ennemi jusqu’au jour du Jugement dernier », Kavkaz Center, 12 juillet 2001, www. kavkaz. org. news
                [ 3] D’après les données du recensement de la population de l’URSS de 1989.
                [ 4] Peuples du Daghestan. Recueil d’articles, Éditions de l’Académie des sciences de l’URSS, Moscou, 1955, p. 64.
                [ 5] S. S. AGUICHIRINOVA, La Culture matérielle des Lezguines, XIXe-début XXe siècle, Naouka, Moscou, 1978, p. 5.
                [ 6] Peuples du Daghestan, op. cit., p. 104.
                [ 7] A. MALACHENKO, Repères islamiques du Nord-Caucase, Centre Carneggie de Moscou, Moscou, « Guendalf », 2001, p. 98.
                [ 8] Administration musulmane.
                [ 9] K. KHANBABAEV, « Soufisme comme la base de la société », NG-Religuii(NG-Religions), supplément à Nezavissimaïa Gazeta, 11 juillet 2001.
                [ 10] Daguestanskaïa Pravda (Makhatchkala), 24 février 2001.
                [ 11] M. YUSSOUPOV, « Islam dans la vie socio-politique de la Tchétchénie », Tsentralnaïa Azia i Kavkaz (Asie centrale et Caucase), Lulea, Suède, n° 2 ( 8), 2000, p. 165.
                [ 12] Ibid.
                [ 13] S. AKKIEVA, Troisième congrès des musulmans. Réseau du monitoring et de la prévention des conflits, Moscou, avril 1998, p. 18.
                [ 14] V. A. TICHKOV (éd.), Voies de la paix dans le Nord-Caucase : rapport d’expertise indépendant, Moscou, 1999, p. 52.
                [ 15] V. BOBROVNIKOV, « Daghestan : entre la Russie et l’Orient musulman », Vestnik Evrazii, Acta Eurasica, Moscou, n° 1,1995, p. 130.
                [ 16] « Islam sur le territoire de l’ancien Empire russe », S. M. PROKHOROV, Dictionnaire encyclopédique, Saint-Pétersbourg, filiale saint-pétersbourgeoise de l’Institut d’orientologie de l’Académie des sciences de Russie, Moscou, 1998, p. 31.
                [ 17] Daguestanskaïa Pravda (Makhatchkala), 24 février 2001.
                Dernière modification par choucha, 09 février 2014, 12h17.

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                    La guerre civile en Syrie déstabilise le Caucase

                    La guerre civile en Syrie déstabilise le Caucase

                    Par Clara Weiss
                    19 février 2013

                    La guerre civile en Syrie est en train de plus en plus de déstabiliser le Caucase. Des islamistes tchétchènes qui luttent contre le Kremlin sont en train de soutenir l’opposition islamiste syrienne. La Russie craint qu’un régime islamiste à Damas ne change l’ensemble de l’équilibre de pouvoir dans la région. Dans le même temps, des conflits ethniques risquent de se répandre de la Syrie sur les régions du sud et du nord du Caucase.


                    L’on sait, depuis le milieu de l’année dernière, que l’opposition syrienne comprend jusqu’à 6000 islamistes tchétchènes qui, depuis l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, se battent pour l’indépendance nationale de la Fédération de Russie. En août, une attaque aérienne contre Alep avait causé la mort de Gelaye Rustam, fils d’un éminent seigneur de guerre tchétchène et qui avait combattu quatre ans contre l’armée russe.

                    Depuis 1991, la Russie a mené deux guerres en Tchétchénie contre les séparatistes islamiques. La Deuxième Guerre s’est officiellement terminée en 2009, mais la situation reste tendue depuis. L’année dernière, la situation s’était une fois de plus envenimée et de nombreuses attaques terroristes s'étaient produites en Tchétchénie et dans les républiques voisines du Daguestan et de l’Ingushetie. En octobre, pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Kremlin a envoyé une armée dans la région.

                    Le journal libéral russe Nezasivimaya Gazeta avait commenté à l’époque que la Tchétchénie était en proie à une guerre civile et que l’invasion de l’armée signifiait le début d’une troisième guerre tchétchène. La profonde crise sociale et économique – le chômage atteint plus de 50 pour cent et l’infrastructure est pratiquement détruite – et l’indignation face aux crimes de guerre commis par l’armée russe continuent d’alimenter le soutien pour les islamistes. Sur le million d’habitants de la république montagneuse, au moins 125 000 ont péri dans des guerres depuis le début des années 1990.

                    Ce n’est pas sans raison que le Kremlin craint qu’un gouvernement islamiste en Syrie ne renforce les tendances islamistes au Caucase ainsi que la position de l’impérialisme américain qui pourrait fournir un soutien financier et militaire aux insurgés islamistes.

                    Le flux des réfugiés venant de Syrie, où vivent de nombreux peuples originaires du Caucase, risque aussi d’augmenter les tensions ethniques dans la région. L’opposition islamiste, basée principalement sur les sunnites, commet régulièrement des massacres contre des minorités ethniques et religieuses vivant en Syrie. L’année dernière, au moins 700 000 personnes au total ont fui la Syrie.

                    Parmi les différents peuples du Caucase vivant en Syrie, il y a 100 000 Tcherkesses qui sont mis en danger par la guerre civile. Les Tcherkesses avaient fui le Nord Caucase au milieu de la seconde moitié du dix-neuvième siècle lorsque la région avait été capturée par l’armée du Tsar après une répression sanglante. Depuis la fin de 2011, les représentants des Tcherkesses sollicitent l’aide du gouvernement russe pour émigrer en Russie. Jusqu’ici, toutefois, le Kremlin n'a autorisé l’immigration que de seulement 500 personnes vers la Russie. Les Tcherkesses sont aussi des musulmans et Moscou redoute qu’une installation de Tcherkesses vienne renforcer les tendances islamistes en Tchétchénie.

                    Pour la diaspora venant de l’Arménie, dans le sud du Caucase, la Syrie a été, avec l’Iran, une importante destination pour les réfugiés. La diaspora arménienne en Syrie comprend 80 000 personnes. Elle s’y est surtout réfugiée après le génocide des Arméniens commis par l’Empire ottoman durant la Première Guerre mondiale. L’année dernière quelque 6000 Syriens d’origine arménienne ont fui vers l’Arménie, et bien d’autres espèrent pouvoir s’y établir.

                    Comme bien d’autres minorités ethniques en Syrie, les Arméniens, qui sont pour la plupart des chrétiens, sont considérés comme étant loyaux envers Assad. Bien qu’ils se soient officiellement déclarés neutres dans la guerre civile, certains comptes-rendus disent qu’ils sont ciblés des deux côtés. Les soi-disant rebelles ont incendié un certain nombre d’églises, d’écoles et de résidences dans les districts arméniens et tué plusieurs personnes.

                    En Arménie, qui a été durement touchée par la crise économique mondiale et où le taux de chômage officiel est de 40 pour cent, de nombreux réfugiés vivent dans la pauvreté et sont incapables de trouver un emploi. Dans la capitale arménienne Erevan, les loyers ont déjà grimpé en flèche en raison du grand nombre de réfugiés.

                    L’escalade des guerres impérialistes au Moyen-Orient est en train d’exacerber les conflits ethniques au Caucase. Selon les médias iraniens, l’Azerbaïdjan a aidé à armer l’opposition syrienne. En août de l’année dernière, Téhéran avait accusé l’Azerbaïdjan d’avoir fourni secrètement 500 000 dollars US aux rebelles syriens.

                    Les relations entre l’Iran et l’Azerbaïdjan se sont rapidement détériorées au cours de l’année passée (voir : «Growing tensions between Iran and Azerbaijan.» en anglais). Le gouvernement de Bakou est lourdement impliqué dans les préparatifs de guerre des États-Unis et d’Israël contre l’Iran. C’est pour cette raison que le journal américain Washington Post a qualifié l’Azerbaïdjan d’«anti Iran.»

                    L’Azerbaïdjan entretient d’étroites relations économiques et militaires avec Israël qui est le deuxième plus important importateur de pétrole et de gaz d’Azerbaïdjan. Depuis des années, le régime de Bakou modernise systématiquement ses capacités militaires avec le soutien des États-Unis et d’Israël.

                    Selon le magazine américain Foreign Policy, Bakou a donné à Israël une autorisation d’accès à plusieurs bases aériennes situées le long de la frontière Nord de l’Iran et qui seraient susceptibles d’être utilisées lors d’une frappe aérienne contre Téhéran. En 2011, l'Azerbaïdjan et Israël ont conclu un accord d’armement s’élevant à plus de 1,6 milliard de dollars US ; l’argent permettrait à l’Azerbaïdjan de s’équiper de systèmes lance-missile basés en mer et de drones.

                    Le journal britannique Sunday Times a rapporté en décembre qu’Israël projetait de recourir à une frappe «préventive» contre l’Iran à l’aide de drones armés stationnés en Azerbaïdjan. L’Azerbaïdjan et Israël ont toutefois officiellement démenti cet article.

                    Néanmoins, pour Washington et Tel-Aviv, il est évident que l’Azerbaïdjan serait un facteur important dans une guerre contre l’Iran. La raison n’est pas seulement due à l’importance stratégique de la situation géographique de l’Azerbaïdjan qui est située sur la mer Caspienne riche en énergie et en bordure du nord-ouest de l’Iran. Un autre aspect important est que le nord de l’Iran abrite quelque 20 millions de personnes ayant des racines avec l’Azerbaïdjan. L’Azerbaïdjan même ne compte que 8 millions d’habitants.

                    Les conflits territoriaux entre l’Azerbaïdjan et l’Iran se sont embrasés après l’effondrement de l’Union soviétique et l’indépendance de l’Azerbaïdjan il y a 20 ans. L’impérialisme américain est actuellement en train d’exploiter tout particulièrement ces tensions ethniques et régionales pour promouvoir ses propres intérêts géostratégiques. En tant que partie intégrante de la stratégie de guerre contre l’Iran, Washington est aussi en train d’étudier la sécession du nord de l’Iran.

                    L’été dernier, un membre républicain de la Chambre des représentants des États-Unis de Californie, Dana Rohrabacher, avait adressé une lettre à la secrétaire d’État de l’époque, Hillary Clinton, en appelant à une lutte «pour l’indépendance de l’Azerbaïdjan Sud de l’Iran et la possibilité d’une union avec la République d’Azerbaïdjan». L’ambassadeur américain en Azerbaïdjan s’était empressé d’indiquer clairement que ceci ne représentait que les vues personnelles de Rohrabacher.

                    Depuis plus d’un an, le parlement d’Azerbaïdjan est en train de débattre sur le changement de nom de la république en «Azerbaïdjan Nord», ce qui est une provocation claire et nette contre l’Iran.

                    Avec l’intensification de la guerre civile syrienne et les préparatifs de guerre contre l’Iran, les impérialistes jouent délibérément avec le feu. Le conflit syrien et une guerre contre l’Iran embraseraient l’ensemble du Moyen-Orient, du Caucase et de l’Asie centrale. L’objectif des deux guerres est de déstabiliser la région entière et d’inciter à des conflits ethniques dans le but d’affaiblir la position de la Chine et de la Russie ainsi que de préparer le terrain à un nouveau partage entre les puissances impérialistes de ces régions riches en ressources.

                    WSWS.org : World Socialist Web Site
                    Dernière modification par choucha, 16 février 2014, 03h06.

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