Djoudi Attoumi
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Une lettre que j'ai adressée au capitaine Montagnon, après la lecture de son livre "l'affaire Si Salah".
Monsieur Montagnon,
Je viens de terminer la lecture de votre livre intitulé « l’affaire Si Salah ». J’ai été très intéressé par certains éléments de cette affaire que je connais en partie et qui me tient beaucoup à cœur.
Comme vous demandez vous-même à la fin de votre livre « que les informations permettant d’éclairer un peu mieux cette ténébreuse affaire », je me crois autorisé à vous apporter mon témoignage, pour plus d’objectivité.
Qui peut mieux qu’un Officier de l’ALN, qui de surcroît a côtoyé le colonel Si Salah Zamoum, lors de son passage en Wilaya III, peut apporter un complément d’informations, qui permettra aux uns et aux autres, d’avoir un éclairage nouveau sur cette affaire.
A l’entrée du troisième millénaire, le monde tend à aller vers l’universalisme des conceptions politiques où les pays perdront leurs frontières. Aussi, nous nous devons tous d’oublier nos ressentiments, nos hostilités anciennes, nos rancœurs, pour contribuer, autant que nous sommes, à aider les Historiens à faire œuvre utile. Pour cela, il nous faut mettre de côté, nos passions pour être objectifs, c’est à dire, pour être plus près de la vérité. Est-ce qu’un jour, il n’y aura que la vérité dans cette longue Histoire entre nous ? Je crois que c’est possible, puisque les notions de nationalisme, de patriotisme ou de chauvinisme tendent maintenant à devenir désuètes. L’essentiel est de voir l’homme, comme tel, sans référence à sa nationalité, à la couleur de sa peau ou à sa religion. C’est ce que les autres appellent l’universalisme.
Quarante ans après, tous les acteurs de cette guerre d’Algérie, de votre côté ou du nôtre, dépassent largement la soixantaine ! Nombreux, sont ceux qui sont déjà décédés, tels le Colonel Mohand Oulhadj, les Commandants Mahiouz et Slimani Moh Ouali ; de votre côté, il y a déjà le général Maurice Challe, le capitaine Léger et combien d’autres.
Pour les quelques années qui nous restent encore à vivre, autant les consacrer à nous réconcilier, avec nous-mêmes d’abord et puis entre nous. Nos enfants et plus tard nos petits enfants y gagneront beaucoup.
Sans entrer dans la polémique, je vous dirai que le Colonel Si Mohand Oulhadj n’a jamais eu l’intention de s’associer au processus de la « paix des braves » concocté par le Comité de la Wilaya IV. La Wilaya III n’a jamais « emboîté » le pas à si Salah, comme vous l’écriviez ! Ceux qui vous ont communiqué de telles informations l’ont fait à dessein pour dérouter vos lecteurs.
Vous avez peut-être cru la parole de Mohand Saïd, le fils du vieux. Entre les mains du DOP de Tizi-Ouzou à Iachourène, il s’est certainement évertué à vous dire des choses qui vous plairont pour sauver sa tête. Etait-ce un témoignage spontané ? Ou bien, comme les correspondances qu’il a adressées à son père sous la dictée d’officiers français !
Vous avancez des choses encore plus graves, lorsque vous écrivez que tous les capitaines et les lieutenants de la Wilaya III sont au courant de la démarche et qu’ils sont tous d’accord, sauf les chefs de Tababourte. C’est vrai que de nombreux officiers étaient au courant, mais ils étaient unanimes à condamner la démarche de si Salah.
Cette démarche, je crois être en mesure de dire, sans me tromper, que j’étais parmi les premiers à en être informé implicitement, vers fin juin 1960 dans la forêt de Tala Igouraouène, non loin d’Azazaga où si Salah venait d’arriver au P.C. de la Zone III et d’ailleurs, à la date que vous avez indiquée, c'est-à-dire en juin 1960. Nous sommes restés ensemble plusieurs jours et par conséquent, nous avons eu tout le loisir de nous connaître.
C’est ainsi qu’il m’aborda un jour pour me poser la question suivante :
-Que penses-tu des négociations de Melun ?
-Les négociations de Melun tendent à nous imposer la « paix des braves ». Et pour nous, la « paix des braves » consiste à déposer les armes et à nous regrouper dans des camps. Cette proposition constitue un ralliement pur et simple, que nous, nous n’accepterons jamais, lui répondis-je.
- Et si elles échouent, qu’allons-nous faire ? me répondit-il .
Etonné par cette question d’un Officier supérieur à un subalterne, je lui répondis poliment :
- Nous allons continuer la guerre !
-Continuer la guerre avec quoi ? Me répondit-il d’un air las.
-Je crois que ceux qui ont déclenché la guerre le 1° Novembre 1954 n’ont pas attendu d’avoir les armes pour le faire. Nous ferons comme eux et nous nous continuerons à nous battre avec les moyens dont nous disposons, lui rétorquais-je presque sèchement, à la limite de la correction.
Il baissa la tête pour détourner son regard, d’un air las, peut-être regrettant de n’avoir pas été compris. Mais j’étais quelque peu offusqué par de telles questions venant d’un officier supérieur.
Il était tellement gentil et quelque peu timide que je regrettais un peu le ton que j’ai employé. Je me suis rendu compte qu’il n’avait plus le moral. Et il me semblait bien, si ma mémoire ne me trahit pas, que ce fut grâce à des indiscrétions publiées au Journal « Le Monde » que nous avions appris l’objet de sa visite chez nous.
Et puis une semaine plus tard, nous eûmes la confirmation par un goumier du poste de Tamda, dont l’incident m’a été raconté la semaine d’après par le capitaine Slimani Moh Ouali.
En effet, il me confia qu’il se trouvait dans son village natal, à Tamarzouga, dans les Ait Djenad (près d’Azazga) en compagnie du colonel Si Salah, du Commandant Halimi et de quelques-uns de nos éléments en train de souper. Au moment de relever le Moussebel de garde qui se trouvait à l’entrée du village, ils le retrouvèrent égorgé ! Tout le monde comprit qu’il s’agissait bien sûr de l’œuvre des soldats et tous les présents lui rendirent hommage pour son courage, pour avoir résisté à la torture et de n’avoir pas avoué la présence de responsables importants au refuge.
Mais la surprise fut grande le lendemain, lorsqu’un goumier du Poste de Tamada envoya au capitaine Slimani Moh Ouali, le message suivant : « hier soir, nous étions en déplacement dans le douar et nous avons capturé un garde que le capitaine du poste de Tamda se mit tout de suite à torturer. Le malheureux ne tarda pas à tout avouer et notre capitaine appela tout de suite le colonel Buis à Azazga pour lui faire-part de l’aubaine et de lui demander des renforts. Le colonel ordonna au capitaine de se retirer sans faire de bruit. Et c’est ainsi que le garde, qui était devenu un témoin gênant, a été égorgé par le capitaine lui-même. »
J’ai tenu à vous rapporter tous ces détails pour vous dire que nous étions au courant de toutes les tractations et que personne parmi nous, n’a été emballé par une telle démarche.
Connaissant bien le « vieux », notre colonel et un peu moins Si Salah, je peux vous affirmer qu’il n’y avait que de l’amitié entre les deux hommes, mais jamais de la complicité. La vérité, c’est que lors de la première visite de Si Salah en juin 1960 en Wilaya III, notre Colonel n’a pas du tout été réjouit par la proposition de cessez le feu local. Ce que fit le colonel Si Mohand Oulhadj, c’était en tant qu’officier discipliné qu’il s’était empressé d’aviser le G.P.R.A de cette démarche. D’ailleurs, comme notre dernier poste émetteur a été détruit lors de l’explosion de Bounaamane (près de Port Gueydon) provoquée par une pile bourrée de plastic, le message a été acheminé jusqu’en Wilaya II dans le Nord-Constantinois pour sa transmission..
La réponse parvint aussitôt après avec la consigne suivante : « acheminer le colonel Si Salah vers la Tunisie » ni plus, ni moins ; il n’a jamais été question d’un ordre en vue de l’exécuter !
Le colonel Mohand Oulhadj connaissait bien si Salah. Il sait qu’il n’a jamais été un traître et n’a jamais eu l’intention de se rallier à l’ennemi, car un homme de cette trempe ne pouvait le faire. Mais il était plutôt pris dans un engrenage où il ne pouvait s’en défaire. Il a eu une confiance exagérée en la personne du général De Gaulle et surtout après son entrevue avec lui, il ne pouvait plus reculer, ni le décevoir. Il s’est trouvé lié par la parole donnée et surtout la parole d’un officier supérieur de l’Armée de Libération Nationale. C’est un proverbe kabyle qui disait si bien que « l’homme est tenu attaché à sa langue ». Et puis, il était très sensible aux souffrances du peuple et des combattants.
Nous voulons pour preuve que l’affaire Si Salah n’a jamais été évoquée au cours des réunions de la Wilaya ou de Zone, ni figuré sur aucun P.V. ; elle n’a trouvé aucun écho favorable chez nous. Cependant, notre Wilaya, n’a jamais voulu réagir violemment, comme par exemple la liquidation physique du groupe de la Wilaya IV. Elle a estimé en effet que c’était une affaire intérieure à la Wilaya IV et qu’elle n’avait aucun droit de regard sur les affaires dépassant ses limites territoriales. Il fallait informer la hiérarchie, ce qui a été fait aussitôt.
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Une lettre que j'ai adressée au capitaine Montagnon, après la lecture de son livre "l'affaire Si Salah".
Monsieur Montagnon,
Je viens de terminer la lecture de votre livre intitulé « l’affaire Si Salah ». J’ai été très intéressé par certains éléments de cette affaire que je connais en partie et qui me tient beaucoup à cœur.
Comme vous demandez vous-même à la fin de votre livre « que les informations permettant d’éclairer un peu mieux cette ténébreuse affaire », je me crois autorisé à vous apporter mon témoignage, pour plus d’objectivité.
Qui peut mieux qu’un Officier de l’ALN, qui de surcroît a côtoyé le colonel Si Salah Zamoum, lors de son passage en Wilaya III, peut apporter un complément d’informations, qui permettra aux uns et aux autres, d’avoir un éclairage nouveau sur cette affaire.
A l’entrée du troisième millénaire, le monde tend à aller vers l’universalisme des conceptions politiques où les pays perdront leurs frontières. Aussi, nous nous devons tous d’oublier nos ressentiments, nos hostilités anciennes, nos rancœurs, pour contribuer, autant que nous sommes, à aider les Historiens à faire œuvre utile. Pour cela, il nous faut mettre de côté, nos passions pour être objectifs, c’est à dire, pour être plus près de la vérité. Est-ce qu’un jour, il n’y aura que la vérité dans cette longue Histoire entre nous ? Je crois que c’est possible, puisque les notions de nationalisme, de patriotisme ou de chauvinisme tendent maintenant à devenir désuètes. L’essentiel est de voir l’homme, comme tel, sans référence à sa nationalité, à la couleur de sa peau ou à sa religion. C’est ce que les autres appellent l’universalisme.
Quarante ans après, tous les acteurs de cette guerre d’Algérie, de votre côté ou du nôtre, dépassent largement la soixantaine ! Nombreux, sont ceux qui sont déjà décédés, tels le Colonel Mohand Oulhadj, les Commandants Mahiouz et Slimani Moh Ouali ; de votre côté, il y a déjà le général Maurice Challe, le capitaine Léger et combien d’autres.
Pour les quelques années qui nous restent encore à vivre, autant les consacrer à nous réconcilier, avec nous-mêmes d’abord et puis entre nous. Nos enfants et plus tard nos petits enfants y gagneront beaucoup.
Sans entrer dans la polémique, je vous dirai que le Colonel Si Mohand Oulhadj n’a jamais eu l’intention de s’associer au processus de la « paix des braves » concocté par le Comité de la Wilaya IV. La Wilaya III n’a jamais « emboîté » le pas à si Salah, comme vous l’écriviez ! Ceux qui vous ont communiqué de telles informations l’ont fait à dessein pour dérouter vos lecteurs.
Vous avez peut-être cru la parole de Mohand Saïd, le fils du vieux. Entre les mains du DOP de Tizi-Ouzou à Iachourène, il s’est certainement évertué à vous dire des choses qui vous plairont pour sauver sa tête. Etait-ce un témoignage spontané ? Ou bien, comme les correspondances qu’il a adressées à son père sous la dictée d’officiers français !
Vous avancez des choses encore plus graves, lorsque vous écrivez que tous les capitaines et les lieutenants de la Wilaya III sont au courant de la démarche et qu’ils sont tous d’accord, sauf les chefs de Tababourte. C’est vrai que de nombreux officiers étaient au courant, mais ils étaient unanimes à condamner la démarche de si Salah.
Cette démarche, je crois être en mesure de dire, sans me tromper, que j’étais parmi les premiers à en être informé implicitement, vers fin juin 1960 dans la forêt de Tala Igouraouène, non loin d’Azazaga où si Salah venait d’arriver au P.C. de la Zone III et d’ailleurs, à la date que vous avez indiquée, c'est-à-dire en juin 1960. Nous sommes restés ensemble plusieurs jours et par conséquent, nous avons eu tout le loisir de nous connaître.
C’est ainsi qu’il m’aborda un jour pour me poser la question suivante :
-Que penses-tu des négociations de Melun ?
-Les négociations de Melun tendent à nous imposer la « paix des braves ». Et pour nous, la « paix des braves » consiste à déposer les armes et à nous regrouper dans des camps. Cette proposition constitue un ralliement pur et simple, que nous, nous n’accepterons jamais, lui répondis-je.
- Et si elles échouent, qu’allons-nous faire ? me répondit-il .
Etonné par cette question d’un Officier supérieur à un subalterne, je lui répondis poliment :
- Nous allons continuer la guerre !
-Continuer la guerre avec quoi ? Me répondit-il d’un air las.
-Je crois que ceux qui ont déclenché la guerre le 1° Novembre 1954 n’ont pas attendu d’avoir les armes pour le faire. Nous ferons comme eux et nous nous continuerons à nous battre avec les moyens dont nous disposons, lui rétorquais-je presque sèchement, à la limite de la correction.
Il baissa la tête pour détourner son regard, d’un air las, peut-être regrettant de n’avoir pas été compris. Mais j’étais quelque peu offusqué par de telles questions venant d’un officier supérieur.
Il était tellement gentil et quelque peu timide que je regrettais un peu le ton que j’ai employé. Je me suis rendu compte qu’il n’avait plus le moral. Et il me semblait bien, si ma mémoire ne me trahit pas, que ce fut grâce à des indiscrétions publiées au Journal « Le Monde » que nous avions appris l’objet de sa visite chez nous.
Et puis une semaine plus tard, nous eûmes la confirmation par un goumier du poste de Tamda, dont l’incident m’a été raconté la semaine d’après par le capitaine Slimani Moh Ouali.
En effet, il me confia qu’il se trouvait dans son village natal, à Tamarzouga, dans les Ait Djenad (près d’Azazga) en compagnie du colonel Si Salah, du Commandant Halimi et de quelques-uns de nos éléments en train de souper. Au moment de relever le Moussebel de garde qui se trouvait à l’entrée du village, ils le retrouvèrent égorgé ! Tout le monde comprit qu’il s’agissait bien sûr de l’œuvre des soldats et tous les présents lui rendirent hommage pour son courage, pour avoir résisté à la torture et de n’avoir pas avoué la présence de responsables importants au refuge.
Mais la surprise fut grande le lendemain, lorsqu’un goumier du Poste de Tamada envoya au capitaine Slimani Moh Ouali, le message suivant : « hier soir, nous étions en déplacement dans le douar et nous avons capturé un garde que le capitaine du poste de Tamda se mit tout de suite à torturer. Le malheureux ne tarda pas à tout avouer et notre capitaine appela tout de suite le colonel Buis à Azazga pour lui faire-part de l’aubaine et de lui demander des renforts. Le colonel ordonna au capitaine de se retirer sans faire de bruit. Et c’est ainsi que le garde, qui était devenu un témoin gênant, a été égorgé par le capitaine lui-même. »
J’ai tenu à vous rapporter tous ces détails pour vous dire que nous étions au courant de toutes les tractations et que personne parmi nous, n’a été emballé par une telle démarche.
Connaissant bien le « vieux », notre colonel et un peu moins Si Salah, je peux vous affirmer qu’il n’y avait que de l’amitié entre les deux hommes, mais jamais de la complicité. La vérité, c’est que lors de la première visite de Si Salah en juin 1960 en Wilaya III, notre Colonel n’a pas du tout été réjouit par la proposition de cessez le feu local. Ce que fit le colonel Si Mohand Oulhadj, c’était en tant qu’officier discipliné qu’il s’était empressé d’aviser le G.P.R.A de cette démarche. D’ailleurs, comme notre dernier poste émetteur a été détruit lors de l’explosion de Bounaamane (près de Port Gueydon) provoquée par une pile bourrée de plastic, le message a été acheminé jusqu’en Wilaya II dans le Nord-Constantinois pour sa transmission..
La réponse parvint aussitôt après avec la consigne suivante : « acheminer le colonel Si Salah vers la Tunisie » ni plus, ni moins ; il n’a jamais été question d’un ordre en vue de l’exécuter !
Le colonel Mohand Oulhadj connaissait bien si Salah. Il sait qu’il n’a jamais été un traître et n’a jamais eu l’intention de se rallier à l’ennemi, car un homme de cette trempe ne pouvait le faire. Mais il était plutôt pris dans un engrenage où il ne pouvait s’en défaire. Il a eu une confiance exagérée en la personne du général De Gaulle et surtout après son entrevue avec lui, il ne pouvait plus reculer, ni le décevoir. Il s’est trouvé lié par la parole donnée et surtout la parole d’un officier supérieur de l’Armée de Libération Nationale. C’est un proverbe kabyle qui disait si bien que « l’homme est tenu attaché à sa langue ». Et puis, il était très sensible aux souffrances du peuple et des combattants.
Nous voulons pour preuve que l’affaire Si Salah n’a jamais été évoquée au cours des réunions de la Wilaya ou de Zone, ni figuré sur aucun P.V. ; elle n’a trouvé aucun écho favorable chez nous. Cependant, notre Wilaya, n’a jamais voulu réagir violemment, comme par exemple la liquidation physique du groupe de la Wilaya IV. Elle a estimé en effet que c’était une affaire intérieure à la Wilaya IV et qu’elle n’avait aucun droit de regard sur les affaires dépassant ses limites territoriales. Il fallait informer la hiérarchie, ce qui a été fait aussitôt.
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