Annonce

Réduire
Aucune annonce.

LETTRE ADRESSEE au capitaine Montagnon, après la lecture de son livre "l'affaire Si Salah"-Djoudi Attoumi

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • LETTRE ADRESSEE au capitaine Montagnon, après la lecture de son livre "l'affaire Si Salah"-Djoudi Attoumi

    Djoudi Attoumi
    -
    Une lettre que j'ai adressée au capitaine Montagnon, après la lecture de son livre "l'affaire Si Salah".

    Monsieur Montagnon,

    Je viens de terminer la lecture de votre livre intitulé « l’affaire Si Salah ». J’ai été très intéressé par certains éléments de cette affaire que je connais en partie et qui me tient beaucoup à cœur.

    Comme vous demandez vous-même à la fin de votre livre « que les informations permettant d’éclairer un peu mieux cette ténébreuse affaire », je me crois autorisé à vous apporter mon témoignage, pour plus d’objectivité.

    Qui peut mieux qu’un Officier de l’ALN, qui de surcroît a côtoyé le colonel Si Salah Zamoum, lors de son passage en Wilaya III, peut apporter un complément d’informations, qui permettra aux uns et aux autres, d’avoir un éclairage nouveau sur cette affaire.

    A l’entrée du troisième millénaire, le monde tend à aller vers l’universalisme des conceptions politiques où les pays perdront leurs frontières. Aussi, nous nous devons tous d’oublier nos ressentiments, nos hostilités anciennes, nos rancœurs, pour contribuer, autant que nous sommes, à aider les Historiens à faire œuvre utile. Pour cela, il nous faut mettre de côté, nos passions pour être objectifs, c’est à dire, pour être plus près de la vérité. Est-ce qu’un jour, il n’y aura que la vérité dans cette longue Histoire entre nous ? Je crois que c’est possible, puisque les notions de nationalisme, de patriotisme ou de chauvinisme tendent maintenant à devenir désuètes. L’essentiel est de voir l’homme, comme tel, sans référence à sa nationalité, à la couleur de sa peau ou à sa religion. C’est ce que les autres appellent l’universalisme.

    Quarante ans après, tous les acteurs de cette guerre d’Algérie, de votre côté ou du nôtre, dépassent largement la soixantaine ! Nombreux, sont ceux qui sont déjà décédés, tels le Colonel Mohand Oulhadj, les Commandants Mahiouz et Slimani Moh Ouali ; de votre côté, il y a déjà le général Maurice Challe, le capitaine Léger et combien d’autres.

    Pour les quelques années qui nous restent encore à vivre, autant les consacrer à nous réconcilier, avec nous-mêmes d’abord et puis entre nous. Nos enfants et plus tard nos petits enfants y gagneront beaucoup.

    Sans entrer dans la polémique, je vous dirai que le Colonel Si Mohand Oulhadj n’a jamais eu l’intention de s’associer au processus de la « paix des braves » concocté par le Comité de la Wilaya IV. La Wilaya III n’a jamais « emboîté » le pas à si Salah, comme vous l’écriviez ! Ceux qui vous ont communiqué de telles informations l’ont fait à dessein pour dérouter vos lecteurs.

    Vous avez peut-être cru la parole de Mohand Saïd, le fils du vieux. Entre les mains du DOP de Tizi-Ouzou à Iachourène, il s’est certainement évertué à vous dire des choses qui vous plairont pour sauver sa tête. Etait-ce un témoignage spontané ? Ou bien, comme les correspondances qu’il a adressées à son père sous la dictée d’officiers français !

    Vous avancez des choses encore plus graves, lorsque vous écrivez que tous les capitaines et les lieutenants de la Wilaya III sont au courant de la démarche et qu’ils sont tous d’accord, sauf les chefs de Tababourte. C’est vrai que de nombreux officiers étaient au courant, mais ils étaient unanimes à condamner la démarche de si Salah.

    Cette démarche, je crois être en mesure de dire, sans me tromper, que j’étais parmi les premiers à en être informé implicitement, vers fin juin 1960 dans la forêt de Tala Igouraouène, non loin d’Azazaga où si Salah venait d’arriver au P.C. de la Zone III et d’ailleurs, à la date que vous avez indiquée, c'est-à-dire en juin 1960. Nous sommes restés ensemble plusieurs jours et par conséquent, nous avons eu tout le loisir de nous connaître.
    C’est ainsi qu’il m’aborda un jour pour me poser la question suivante :

    -Que penses-tu des négociations de Melun ?
    -Les négociations de Melun tendent à nous imposer la « paix des braves ». Et pour nous, la « paix des braves » consiste à déposer les armes et à nous regrouper dans des camps. Cette proposition constitue un ralliement pur et simple, que nous, nous n’accepterons jamais, lui répondis-je.

    - Et si elles échouent, qu’allons-nous faire ? me répondit-il .
    Etonné par cette question d’un Officier supérieur à un subalterne, je lui répondis poliment :

    - Nous allons continuer la guerre !

    -Continuer la guerre avec quoi ? Me répondit-il d’un air las.

    -Je crois que ceux qui ont déclenché la guerre le 1° Novembre 1954 n’ont pas attendu d’avoir les armes pour le faire. Nous ferons comme eux et nous nous continuerons à nous battre avec les moyens dont nous disposons, lui rétorquais-je presque sèchement, à la limite de la correction.

    Il baissa la tête pour détourner son regard, d’un air las, peut-être regrettant de n’avoir pas été compris. Mais j’étais quelque peu offusqué par de telles questions venant d’un officier supérieur.

    Il était tellement gentil et quelque peu timide que je regrettais un peu le ton que j’ai employé. Je me suis rendu compte qu’il n’avait plus le moral. Et il me semblait bien, si ma mémoire ne me trahit pas, que ce fut grâce à des indiscrétions publiées au Journal « Le Monde » que nous avions appris l’objet de sa visite chez nous.

    Et puis une semaine plus tard, nous eûmes la confirmation par un goumier du poste de Tamda, dont l’incident m’a été raconté la semaine d’après par le capitaine Slimani Moh Ouali.

    En effet, il me confia qu’il se trouvait dans son village natal, à Tamarzouga, dans les Ait Djenad (près d’Azazga) en compagnie du colonel Si Salah, du Commandant Halimi et de quelques-uns de nos éléments en train de souper. Au moment de relever le Moussebel de garde qui se trouvait à l’entrée du village, ils le retrouvèrent égorgé ! Tout le monde comprit qu’il s’agissait bien sûr de l’œuvre des soldats et tous les présents lui rendirent hommage pour son courage, pour avoir résisté à la torture et de n’avoir pas avoué la présence de responsables importants au refuge.

    Mais la surprise fut grande le lendemain, lorsqu’un goumier du Poste de Tamada envoya au capitaine Slimani Moh Ouali, le message suivant : « hier soir, nous étions en déplacement dans le douar et nous avons capturé un garde que le capitaine du poste de Tamda se mit tout de suite à torturer. Le malheureux ne tarda pas à tout avouer et notre capitaine appela tout de suite le colonel Buis à Azazga pour lui faire-part de l’aubaine et de lui demander des renforts. Le colonel ordonna au capitaine de se retirer sans faire de bruit. Et c’est ainsi que le garde, qui était devenu un témoin gênant, a été égorgé par le capitaine lui-même. »

    J’ai tenu à vous rapporter tous ces détails pour vous dire que nous étions au courant de toutes les tractations et que personne parmi nous, n’a été emballé par une telle démarche.

    Connaissant bien le « vieux », notre colonel et un peu moins Si Salah, je peux vous affirmer qu’il n’y avait que de l’amitié entre les deux hommes, mais jamais de la complicité. La vérité, c’est que lors de la première visite de Si Salah en juin 1960 en Wilaya III, notre Colonel n’a pas du tout été réjouit par la proposition de cessez le feu local. Ce que fit le colonel Si Mohand Oulhadj, c’était en tant qu’officier discipliné qu’il s’était empressé d’aviser le G.P.R.A de cette démarche. D’ailleurs, comme notre dernier poste émetteur a été détruit lors de l’explosion de Bounaamane (près de Port Gueydon) provoquée par une pile bourrée de plastic, le message a été acheminé jusqu’en Wilaya II dans le Nord-Constantinois pour sa transmission..

    La réponse parvint aussitôt après avec la consigne suivante : « acheminer le colonel Si Salah vers la Tunisie » ni plus, ni moins ; il n’a jamais été question d’un ordre en vue de l’exécuter !

    Le colonel Mohand Oulhadj connaissait bien si Salah. Il sait qu’il n’a jamais été un traître et n’a jamais eu l’intention de se rallier à l’ennemi, car un homme de cette trempe ne pouvait le faire. Mais il était plutôt pris dans un engrenage où il ne pouvait s’en défaire. Il a eu une confiance exagérée en la personne du général De Gaulle et surtout après son entrevue avec lui, il ne pouvait plus reculer, ni le décevoir. Il s’est trouvé lié par la parole donnée et surtout la parole d’un officier supérieur de l’Armée de Libération Nationale. C’est un proverbe kabyle qui disait si bien que « l’homme est tenu attaché à sa langue ». Et puis, il était très sensible aux souffrances du peuple et des combattants.

    Nous voulons pour preuve que l’affaire Si Salah n’a jamais été évoquée au cours des réunions de la Wilaya ou de Zone, ni figuré sur aucun P.V. ; elle n’a trouvé aucun écho favorable chez nous. Cependant, notre Wilaya, n’a jamais voulu réagir violemment, comme par exemple la liquidation physique du groupe de la Wilaya IV. Elle a estimé en effet que c’était une affaire intérieure à la Wilaya IV et qu’elle n’avait aucun droit de regard sur les affaires dépassant ses limites territoriales. Il fallait informer la hiérarchie, ce qui a été fait aussitôt.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

  • #2
    Le colonel Mohand Oulhadj avait du respect pour le colonel Si Salah, le maquisard du 1° Novembre. Vous-mêmes, vous rapportez que « sa foi révolutionnaire ne saurait accepter la trahison (page 40) et qu’il aimait affirmer à ses interlocuteurs « nous ne ne sommes pas des traîtres ».Ce que nous ne pouvons accepter, c’est lorsque vous avancez des choses tout à fait contraire, telles « nous sommes nombreux qui voulons nous rendre ; Crois-tu que nous serons bien traités ? Que feriez-vous de nous ? » (page 89) « Est-ce que nous garderons la vie ? Crois-tu que nous servirons dans l’armée française, comme officiers ? » (page 90).

    Je crois que ce serait salire sa mémoire que d’avancer de telles choses ! Ceux qui lui ont prêté de tels propos et qui vous les ont rapportés ne sont pas objectifs. Si réellement il avait tenu de tels propos, qui est-ce qu’il l’empêcherait de se rallier purement et simplement à l’armée française, d’autant plus qu’il s’était rendu compte qu’il avait échoué dans son entreprise ? Et qu’il risquait même sa vie en Wilaya IV ? Il savait que trois de ses « amis » ont été exécutés, comme Si Halim et Abdellatif. Au contraire, il a persévéré, même s’il se voyait condamné à mort. Il me semblait qu’il se considérait comme un incompris et qu’il voulait aller jusqu’au bout de sa logique.

    A travers votre livre, j’ai remarqué certaines contradictions dans la mesure où dans certains cas, vous le montrez comme un révolutionnaire « qui veut un changement en Algérie, à l’exclusion des Laquière et Borgeaud » et de l’autre, vous le présentez, comme celui qui avait l’intention de servir dans l’armée française, comme officier et pourquoi faire ? Certainement pas pour combattre ses frères ? Ni participer aux parades du 14 juillet !

    A son niveau, Si Salah n’a jamais été effleuré et à aucun moment par l’idée de trahison. Son éducation, son passé et ses propres convictions ont fait de lui un révolutionnaire convaincu. Sa fidélité à ses compagnons d’armes et au peuple, ne pouvait le lui permettre.

    Certes, vous pouvez rétorquer que lui-même était un personnage controversé. Mais je ne saurais l’accepter, car c’est à travers votre livre qu’il apparaissait ainsi. Il ne pouvait pas être pour l’Algérie algérienne et servir dans l’armée française ou trahir la cause qu’il a défendue depuis le l° novembre 1954.

    La vérité, c’est qu’il avait reçu des assurances ou qu’il était séduit par le projet d’autodétermination du peuple. Il ne pouvait choisir une autre voix que celle-là, c’est-à-dire, celle de l’honneur. Pour lui, le principe de l’indépendance de l’Algérie était irréversible. Il croyait brûler les étapes pour y arriver.

    Il y a une chose sûre chez le colonel Si Salah, c’est qu’effectivement, il avait en aversion « ceux de l’Extérieur », « les politiques ». Chacun de nous dans les maquis avait ce sentiment, depuis le début de l’année 1959, c’est-à-dire, à partir du moment où les convois d’armes ne parvenaient plus à franchir les barrages électrifiés. Certains parmi nous ont même vu à travers cette impossibilité à franchir les barrages, comme un abandon des maquisards de l’intérieur. L’idée d’un complot ne nous avait pas échappé alors ; les affrontements de 1962 entre ceux des frontières et les maquisards de l’intérieur l’ont confirmée. C’est ainsi que le Président Benkheda parlera d’un coup d’Etat militaire par l’armée des frontières venue s’accaparer du pouvoir.

    Déjà, le 25 février 1960, Si Salah écrivait une lettre à Ferhat Abbas, Président du G.P.R.A. dans laquelle il lui fit part des souffrances des combattants et de la population : « la réception de notre lettre sera certainement pour vous, quelque chose d’insolite…… Cela vous confirmera que notre initiative est opportune et heureuse…. Elle contribuera à chasser les incompréhensions réciproques, à éclairer certaines inquiétudes légitimes issues de la coupure entre vous et nous, à resserrer les liens qui n’auraient jamais dû se relâcher…..qui influeraient heureusement sur le devenir de la Révolution et du futur Etat Algérien….cette première prise de contact doit-être un fait capitale pour l’issue heureuse des combats……. » conclura-t-il.

    Le jour-même, il adressa une correspondance au commandant Mustapha Benoui, chef de la Wilaya I pour lui proposer « une concertation entre les deux Wilayas……Le Conseil de la Wilaya IV s’étant réuni, a décidé en conséquence de vous envoyer un de ses membres….. et afin de discuter de certains problèmes d’actualité qui nécessitent un échange de vue réciproque… Naturellement, il ne serait pas prudent de citer les questions qui nous tiennent à cœur, mais Si Halim vous les expliquera dans les moindres détails….Je suis convaincu qu’il résultera du bien pour l’Algérie…. »

    Toujours le même jour, une troisième lettre fut adressée à l’un de ses amis, à savoir le lieutenant Si Abdeslam en Wilaya I dans laquelle il exposait les difficultés des maquis et la nécessité de trouver une solution. « .. L’union, chose fondamentale de notre Révolution …. L’œuvre que nous avons entreprise est grande et noble……Il a fallu des échanges de vue entre les hommes lucides et résolus pour déclencher la Révolution que nous menons….Les hommes de bonne volonté qui sauveront l’Algérie…….Le peuple et l’A .L.N. soutiens et garants de la représentativité du G.P.R.A. espèrent vivement que leurs aspirations soient comprises et exaucées…. »

    Je suis sûr qu’à la lecture de ces correspondances, vous aurez une autre idée du Colonel Si Salah. Vous remarquerez les multiples contacts avec le G.P.R.A, la Wilaya I et d’autres Wilayas qui avaient certainement pour objectif de les associer à son projet.


    Enfin, à la même période, il envoya un émissaire en la personne du Commandant Si Lakhdar en tant « que chargé de mission auprès du G.P.R.A » et qui aura pour tâche d’expliquer « aux politiques de l’Extérieur, la situation des combattants et du peuple » et probablement de les inviter à une fin heureuse des combats. Mais je ne saurais dire pour l’instant, ce qu’était devenu cet émissaire.

    Il a donc mené une activité politique intense, tant en direction de l’intérieur que de l’Extérieur. A travers l’analyse de ces correspondances, il ressort que :
    - Le Colonel Salah Zamoum était très préoccupé par les souffrances des combattants et du peuple. Il était exaspéré par un délaissement total de la part des responsables de l’extérieur.
    - Il voulait profiter de la nouvelle donne, à savoir la reconnaissance du peuple algérien au droit à l’autodétermination pour précipiter les négociations avec la France pour avancer l’échéance de la paix et faire l’économie de milliers de morts et des souffrances, tant du côté des combattants que du côté du « peuple », terme qu’il aimait souvent utiliser.
    - Il sentait que les combats étaient arrivés à leur terme, puisque l’objectif de l’autodétermination du peuple était atteint.
    - Il ne voulait pas faire « cavalier seul » en essayant d’associer les Wilayas I et III.

    Je voudrai ajouter que je n’étais pas loin de l’endroit où il était tombé le 21 Juillet 1961. En effet, la veille, c’est-à-dire le 20, je reçus un message de la Zone II me demandant de recevoir le colonel Si Salah et ses compagnons pour mettre à leur disposition un guide qui les conduira jusqu’aux « portes de fer », dans la région des Bibans, pour se diriger vers la Tunisie. Notre éclaireur aperçut juste à la tombée de la nuit un détachement qui se faufilait à quelques 1 000 mètres de lui. Il n’a pu les interpeller, craignant avoir à faire à un commando de chasse dont les mouvements étaient fréquents dans les parages.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

    Commentaire


    • #3
      Nous étions à Agouni Lahoua, au flanc sud du Djurdura, entre le col de Tizi Nekouilal et le col de Tirourda, plus précisément au-dessus de Ait Ouakour. Deux heures après, nous entendîmes une fusillade et des explosions. Il y avait quelques fusées éclairantes. Nous comprîmes alors qu’il s’agissait d’eux et nous apprendrons plus tard qu’ils étaient tous morts. Cependant, des informations contradictoires nous sont parvenues. Certains avançaient que tout le groupe a été anéanti et que Si Salah a été « liquidé » par ses compagnons. D’autres diront qu’il y au eu deux rescapés dont Si Ahmed Oucherarak, alors chef de la Région II et qui malheureusement tomberont quelques jours plus tard. Heureusement qu’auparavant, ils avaient affirmé que Si Salah était tombé les armes à la main. D’ailleurs, il portait toujours sa carabine U.S. J’en fus heureux qu’il soit mort ainsi. Son honneur était sauf, à la satisfaction de tous ceux qui l’ont connu et des siens. A l’indépendance, il sera réhabilité, mais tardivement, c’est-à-dire vers 1990.

      Vous n’avez pas oublié « d’écorcher » le Colonel Amirouche en lui imputant le fait « qu’il ne portait pas dans son cœur les citadins et les intellectuels ». Ceci n’est pas vrai puisqu’il s’est toujours entouré dans son P.C., de gens instruits et diplômés. Il aimait toujours prendre conseil auprès d’eux et leur vouait une grande considération. Parmi eux, il y avait le Dr Benabid et son cousin Me Benabid, Avocat et ancien Vice-Président de l’assemblée algérienne, Aissani Md Said, pour lequel André Mandouze a tout fait pour le délivrer des mains de ses tortionnaires. Il était blessé et capturé lors de la mort du Colonel Amirouche. Lagaillarde qui le connaissait bien pour avoir été son camarade à la Fac de Droit, l’a kidnappé pour l’exécuter, pas loin du tunnel des Facultés. Il faut signaler que Me Benabid, lors de son départ au maquis, n’a pas manqué d’adresser une lettre ouverte au Général De Gaulle, pour lui donner les raisons de son départ au maquis et l’impossibilité de voir aboutir la politique de pacification..

      Pendant l’année 1958, la plupart des étudiants et des lycéens qui avaient rejoint les maquis deux années auparavant à cause de la grève, ont été promus au grade d’Aspirant. Il s’agit entre autres, de : Amzar Bachir, Imadalou Larbi, les frères Amrane, Makhlouf Mékrez, Mohand Rachid Mokraoui et bien d’autres encore. Je pourrai vous citer près d’une vingtaine d’entre eux. Instruits, jeunes et politisés, ils furent des officiers de valeur. Par conséquent, Amirouche ne s’était pas trompé, car il les avait choisis lui-même, pour les avoir connus. D’ailleurs, tous ceux que j’ai cités plus haut sont tombés les armes à la main. Il y a également ceux qui sont encore vivants et qui peuvent apporter leur témoignage ; ce sont Mouloud Belmouffok, Hamel Lamara, Saada Messous, Adjaoud Rachid, Ait Ahmed Ouali, Mékacher Salah et d’autres encore. Je suis sûr qu’ils ne partagent pas votre point de vue sur cette question.

      Personnellement, j’ai eu l’occasion de l’approcher et de l’accompagner pendant plusieurs jours dans ses déplacements, en qualité de Secrétaire et de garde du corps. Je n’ai eu qu’à m’en féliciter pour son comportement avec nous. Au contraire, il était pour nous à la fois, un père, un frère, un chef et un ami. Lorsque Amirouche demandait des volontaires pour une mission quelle qu’elle soit, ce sont tous les djounoud qui sont volontaires. Il a toujours vécu au milieu de ses hommes et a toujours été humble. Il mangeait toujours le dernier et ne dormira que lorsque tout le monde sera installé. Il était strict sur la discipline, la propreté, l’hygiène, la tenue. Nous savions qu’on ne pouvait pas badiner avec lui.

      Le Colonel Amirouche a toujours été prévoyant. Il placera toujours l’intérêt suprême de la Révolution avant tout. Afin de préparer les cadres de l’Indépendance, il « expédiera » à l’Extérieur, des centaines de jeunes pour continuer leurs études ou suivre une formation professionnelle. A l’indépendance, ils rentreront tous avec leurs diplômes pour servir le pays. Nombreux seront ceux qui furent des cadres supérieurs de l’Etat, et même des ministres parmi eux. Aujourd’hui, ils rendent tous hommage à Amirouche pour leur avoir permis d’occuper des postes importants dans l’administration algérienne.

      Le colonel Bencherif non plus n’a pas été épargné. Vous avancez vertement qu’il avait rejoint la Wilaya IV « en transport en commun ». C’est vraiment exagéré ! Vous imaginez le Colonel Bencherif avec ses hommes dans un autocar, prendre la direction de la Wilaya IV, pour demander au conducteur de « marquer l’arrêt dans les gorges de Palestro » pour rejoindre le P.C. de la Wilaya IV !!! C’est dire que vos informateurs ont donné libre cours à leur imagination.

      En vérité, il a traversé les deux lignes Challes et Maurice en y laissant des plumes bien sûr. Il avait même perdu quelques-uns de ses hommes. Akli Bourebaa, actuellement retraité de la ville de Bougie vient, de me raconter comment il a croisé le Colonel Bencherif et ses hommes au Djebel Lagradj au moment de la traversée.

      Par ailleurs, en Avril 1961, lorsque je rejoignis la vallée de la Soummam, de retour de la haute Kabylie, des djounoud m’ont raconté avoir rencontré, non loin de Maillot, le Colonel Bencherif avec une section de Moudjahidin qui, (détail frappant), portaient tous des têtes de morts, symbole du sacrifice. Ce groupe a bien traversé la Soummam en leur compagnie. Le Colonel Bencherif est toujours vivant et pourra vous éclairer sur les djebels traversés. Il a d’ailleurs écrit un livre qu’il a intitulé « L’AURORE DES MECHTAS » que je vous avoue n’avoir pas lu.

      C’est beaucoup de mérite pour lui d’avoir traversé les deux barrages électrifiés, réputés infranchissables et d’avoir parcouru l’Algérie de l’Est jusqu’au centre. Le plus grand mérite c’était d’avoir accepté de rejoindre la Wilaya IV, au moment où d’autres se plaisaient à vivre loin des zones opérationnelles. Nous saurons par la suite qu’il a été capturé et condamné à mort. « Le Sous-Lieutenant félon Béncherif » n’a pas été exécuté. Il a eu de la chance. Les raisons qui l’ont épargné du poteau d’exécution sont plus loin que celles que vous avanciez.

      J’espère que vous constaterez que j’ai été objectif et que vous ne m’en voudriez pas d’avoir apporté en toute liberté, toutes ces observations. Il est vrai que j’ai peut-être utilisé des termes un peu forts ; vous m’en excuserez pour cela et également pour le fait que les observations ont été rapportées pêle-mêle, mais c’est peut-être mieux ainsi.

      J’espère que toutes ces informations vous apporteront un « éclairage nouveau sur cette ténébreuse affaire Si Salah», comme vous l’avez souhaité. Mais je voulais surtout rendre hommage au colonel Si Salah pour lequel, j’ai beaucoup d’admiration. L’Histoire retiendra qu’il n’a pas trahi et qu’il est mort les armes à la main. C’est une notion très importante dans notre société.

      Etant chercheur moi-même sur tout ce qui concerne la guerre d’Algérie, je viens d’achever « Mon Journal de Guerre 1956 – 1962 » que je me propose d’adresser aux éditions «Pygmalion » Il s’agit de faits rapportés fidèlement, et en essayant d’être objectif, ce qui n’est pas facile. Je pense qu’en le consultant, vous aurez plus d’informations qui pourraient vous intéresser. D’ailleurs je me suis permis de vous citer dans ce livre et j’espère que vous ne verrez pas d’inconvénients.

      Puisque vous êtes Historien vous-même, je suis disposé à échanger des informations concernant la guerre d’Algérie, du moins en ce qui concerne la Wilaya III. De mon côté également, certaines questions me tiennent à cœur et que je me proposerai de vous poser plus tard.

      Je vous prie d’accepter, l’expression de mes meilleures salutations, ainsi que tous mes meilleurs vœux à vous et à votre famille, à l’occasion de la nouvelle année.

      Djoudi ATTOUMI
      P.S : j’ai bien reçu votre courrier par internet. La lettre que je vous transmets ce jour a été préparée après lecture de votre livre. Je n’ai pas voulu changer le contenu, car il s’agit des réflexions « à chaud » que j’ai préféré garder telles quelles, pour vous les livrer, comme je les ai préparées.
      jeudi · Bougie, Algeria
      The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

      Commentaire

      Chargement...
      X