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UNE POLÉMIQUE LITTÉRAIRE FRANCO-ALGÉRIENNE -«Fils du pauvre»

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  • UNE POLÉMIQUE LITTÉRAIRE FRANCO-ALGÉRIENNE -«Fils du pauvre»

    Écrit par Abdellali Merdaci*

    Depuis quelques mois, Ali Feraoun, le fils de l’écrivain Mouloud Feraoun, se réapproprie bruyamment la mémoire de son père, tombé sous les balles de l’OAS, le 15 mars 1962. Dans son argumentaire, il est difficile de démêler vérités et contre-vérités. Le Fils est-il dans la tentation de réécrire un parcours à la mesure d’une autre histoire que celle vécue par le Père ? Ce procès où il convoque abruptement l’éditeur français, pied-noir d’Algérie, Emmanuel Roblès, qui a balisé le parcours de l’écrivain kabyle, et les « gens du FLN », pendant la guerre d’indépendance, offre-t-il des éléments d’appréciation tangibles, utiles à l’histoire littéraire et à l’étude biographique ?
    La Fondation Mouloud Feraoun pour l’éducation et la culture, qu’il préside, dont il est aussi le porte-parole, part, aujourd’hui, en 2014, en guerre contre des personnes qui ne sont plus là pour répondre de leurs engagements. Mais comment douter de l’accompagnement sincère, amical et professionnel de Roblès et de son coaching littéraire, comment aussi perdre le sens des choix politiques résolument discutés et revendiqués par Feraoun dans son Journal, 1955-1962 ? Dans un droit de réponse adressé à El Watan (9 février 2014), Jacqueline Roblès-Macek, « unique ayant droit d’Emmanuel Roblès », Jean-Philippe Ould Aoudia, président de l’Association Les Amis de Max Marchand, Mouloud Feraoun et de leurs Compagnons, et un collège d’éminents universitaires, Martine Mathieu (Bordeaux), Guy Dugas (Montpellier), Hamid Nacer-Khodja (Djelfa), s’insurgent contre Ali Feraoun qui « attaque de façon ignoble Roblès ». Il est nécessaire de rappeler et expliciter les principales incriminations du président de la Fondation Mouloud Feraoun pour l’éducation et la culture.


    Emmanuel Roblès, traitre et assassin ?

    Dans les propos d’Ali Feraoun, s’exprimant, le 11 janvier 2014, dans une conférence publique à Haïzer, dans la wilaya de Bouira, consciencieusement reproduits dans l’édition algéroise d’El Watan par son correspondant Ali Cherarak (« Mouloud Feraoun, un écrivain qu’on ne cessait d’assassiner », 13 janvier 2014), il y a plus qu’une accusation, une profanation mémorielle : « Si on parle de l’assassinat de Feraoun, son entrée dans les éditions le Seuil, ça a été déjà une trahison et un assassinat. Et c’est Roblès qui l’a fait. » Le fils de l’écrivain solde ainsi une longue amitié entre Mouloud Feraoun et Emmanuel Roblès, née au décours des années 1930 sur les bancs de l’École normale de Bouzaréah, qui a résisté à toutes les épreuves d’une histoire coloniale intempérante et impétueuse, et une fidélité à son souvenir, lorsque survient la mort de l’auteur de La Terre et le sang, qui lui forge un destin dans l’Algérie indépendante. Dans la diatribe d’Ali Feraoun, le traitement de deux textes de son père par l’éditeur Seuil et son directeur de collection Emmanuel Roblès est ouvertement mis en cause :
    Le Fils du pauvre (1954) et L’Anniversaire (ouvrage refusé en 1959). En termes d’avancée dans la carrière littéraire, ces deux romans comptent, parce qu’ils situent pour l’auteur une stratégie d’entrée et de confirmation dans le champ littéraire parisien, déjà assuré par le succès de librairie de La Terre et le sang (1953) et Les Chemins qui montent (1957), et par une élogieuse réception critique. Ils signent, l’un, un problématique succès, l’autre, un inattendu échec.

    - Le Fils du pauvre (1950-1954).

    Les difficultés d’écriture de la première mouture du « Fils du pauvre » sont connues ; le roman est probablement passé par une demi-douzaine de compositions avant qu’il ne soit proposé, en 1946, par l’auteur, au jury de la section indigène du Grand Prix littéraire de l’Algérie, qui l’avait éliminé dès le tour préliminaire. La grande vertu de Mouloud Feraoun était de croire en sa vocation d’écrivain, dusse-t-il en payer, en 1950, le prix d’une édition à compte d’auteur, aux Cahiers du Nouvel humanisme (Le Puy) après avoir été échaudé par les Éditions latines (Paris). Le roman avait été porté à bout de bras, dans un fervent enthousiasme, par Fanny Landi-Benos, qui l’avait chroniqué dans son émission littéraire du poste algérois. Le Fils du pauvre. Menrad, instituteur kabyle, couronné, en 1951, par le prix littéraire de la Ville d’Alger, était une revanche pour l’instituteur du bled après l’avanie que lui a fait subir le jury du prix littéraire gouvernemental. Lorsque Emmanuel Roblès, écrivain reconnu et éditeur au Seuil, découvre le texte, il en propose à son ami la publication dans sa collection « Méditerranée », une collection presque marginale dans le champ littéraire parisien des années 1950. Le texte de l’édition princeps de 1950 a été révisé par Aimé Dupuy, historien de la littérature française et directeur de l’École normale de Bouzaréah, mais l’étude comparative des versions de 1950 et de 1954 révèle une nouvelle correction de près de quatre cents erreurs de morphologie, de syntaxe, de style et de ponctuation. Le texte, adapté aux normes de l’édition parisienne avec le concours de Roblès, paraît, en 1954, amputé de sa partie la plus spécifiquement sociale, qui retrace la période trouble de la Seconde Guerre mondiale, reprise, en 1972, dans L’Anniversaire (« Fouroulou Menrad », pp. 103-141). Le retard que prenait la publication du « Fils du pauvre » s’expliquait par les réserves du directeur du Seuil, Paul Flamand, évoquées dans des correspondances entre Feraoun et Roblès, en partie éditées dans Lettres à ses amis (1969). Ce qui a été retenu du premier « Fils du pauvre », c’est surtout le récit d’une réussite scolaire édifiante, soutenue par l’effort et l’abnégation, d’un petit Indigène kabyle sans capitaux sociaux, renforçant le mythe de l’école républicaine française rassembleuse, promouvant ses élèves de toutes provenances, races et croyances. Cet aspect a probablement été négocié par les éditeurs avec l’auteur. Et, c’est précisément cette seconde mouture expurgée du « Fils du pauvre », première œuvre de débutant, continuellement remise sur le métier, de 1939 à 1954, qui a le plus de retentissement dans le début de carrière d’écrivain de Feraoun, pourtant consacré, en 1953, par le respectable Prix populiste pour La Terre et le sang.

    - L’Anniversaire (1972).

    Selon la déclaration d’Ali Feraoun consignée par Ali Cherarak, le manuscrit de L’Anniversaire, remis à l’éditeur au début de l’année 1959, aurait été recalé par Roblès au motif que « cette histoire ne peut pas faire l’objet d’un roman, mais n’est qu’une petite nouvelle ». Le fait est que le manuscrit de ce quatrième roman de Feraoun n’a pas convaincu les Éditions du Seuil. Il a été refusé, début mars 1959, non pas par le directeur de la collection « Méditerranée », absent de Paris, mais par Paul Flamand, en raison de ce qu’il ne dit pas. Dans une lettre à Flamand, datée du 18 mars 1959, Feraoun affirme sa liberté de conscience, en reconnaissant implicitement les limites de son roman : « Tout ce vous n’y avez pas trouvé, je ne l’ai pas mis à dessein » (Lettres à ses amis, p. 151). Explication spécieuse de leur refus par les éditeurs de Feraoun ? Je ne pense pas que les qualités d’écriture du roman soient en cause. Il y aurait une autre explication plus conforme aux attentes de Flamand et Roblès, aux positions et aux dispositions de l’auteur et à l’évolution qu’il entendait donner à sa carrière, marquée de l’estampille régionaliste. Avec L’Anniversaire, Feraoun s’engage dans un roman urbain qui ne correspond pas à ce qu’il a jusqu’alors écrit, qui a pu rebuter. Le romancier montagnard, habituellement assigné aux scènes champêtres et rurales, change, non pas de thème, l’union mixte déjà éprouvée, mais de cadre géographique et surtout d’esthétique. Est-ce cela qui a effarouché Flamand et Roblès à la lecture du surprenant tapuscrit de Feraoun qui leur faisait perdre un romancier kabyle racontant la Kabylie ? Aux Éditions du Seuil, en ces années 1950, il y avait aussi Mohammed Dib et Kateb Yacine, chacun tenant une posture bien définie dans le jeu littéraire, plus spécialement rapporté à cette littérature algérienne émergente dans le champ littéraire parisien. Or, Feraoun pouvait aussi, en écrivant L’Anniversaire, un roman se passant à Alger, au moment de la crise politique coloniale de mai 1958, rechercher une autre forme de positionnement dans l’écriture littéraire, pour asseoir une nouvelle légitimité et rompre avec cette spécialisation d’auteur provincial, perceptible, au tout début, dans son recrutement par les Éditions du Seuil. Est-ce aussi une politisation du roman, toute curieuse chez l’écrivain kabyle, mais qui était, par contre, acceptée chez Dib (« Algérie », 1952-1957, Un Été africain, 1959) et Kateb (Nedjma, 1956) ?
    Feraoun a abordé ce refus avec Roblès et, en toute hypothèse, il n’aura pas pesé sur leur amitié et leur confraternité de normaliens ; une lettre de Feraoun du 6 avril 1959 en fait brièvement état : « Tu sais que Flamand m’a renvoyé le manuscrit avec une lettre gentille, moins sévère que la tienne où il me donne des conseils » (id., p. 153). Il semble qu’il a été convenu entre le directeur du Seuil, le directeur de collection et l’auteur de réécrire le texte. Dans une note infra-paginale, au courrier de Feraoun, du 18 mars 1959, à Paul Flamand, Roblès a cru devoir observer ce qui a été une résolution personnelle de l’auteur : « En fait Mouloud Feraoun avait repris entièrement son manuscrit intitulé L’Anniversaire, mais de la seconde version nous n’avons que les trois premiers chapitres » (id. p. 152). En vérité, il s’agit de quatre chapitres, représentant 27 pages, publiés à titre posthume dans l’ouvrage éponyme, paru en 1972 (pp. 7-33), qui appuient la volonté de Feraoun de sortir du carcan (presque) imposé du régionalisme littéraire kabyle. Il est permis de supposer que cette divergence d’approches entre l’auteur et l’éditeur aurait, s’il était resté en vie, précipité son départ de la maison de la rue Jacob, comme cela sera le cas pour Dib et Kateb.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

  • #2
    Toutefois, Mouloud Feraoun avait conservé le manuscrit refusé par les Éditions du Seuil. Dans sa conférence, à Haïzer, Ali Feraoun fait de cette histoire d’amour contrariée entre un Indigène et une Française une lecture symptomatique, estimant qu’« il ne peut y avoir de mariage entre la France et l’Algérie ». Aussi bien en 1959 qu’en 2014, cette interprétation peut paraître forcée. Le roman sera publié par ses fils Ali et Rachid aux éditions Yamcom, à Alger, en 2007, sous le titre La Cité des roses. C’est ce refus de l’œuvre du père qu’Ali Feraoun n’arrive pas à excuser, plus de cinquante ans après les faits, alors que l’auteur a été, sur ce point-là de ses relations avec sa maison d’édition, particulièrement résilient.


    Le FLN, ennemi commode ?

    Après Roblès, Ali Feraoun incrimine le FLN. Le correspondant d’El Watan, à Bouira, relève cette vive répartie du président de la Fondation Mouloud Feraoun pour l’éducation et la culture :
    « Quand le journal de Feraoun est sorti en 1962, les gens du FLN ne l’ont pas aimé. Ils n’ont pas aimé que Feraoun dénonce les complots qu’ils étaient en train de faire depuis 1958 ». Supputation du conférencier ou vérité historique établie ? Comment objectiver une situation d’hostilité du FLN envers Feraoun en l’absence de tous archives ou témoignage de l’organisation clandestine, d’une singulière opacité sur ses relations avec le champ culturel de la période de la guerre et ses acteurs les plus visibles ? Mais, relativement au parcours politique de l’écrivain, les faits sont suffisamment inscrits dans le cours de l’histoire de la guerre d’indépendance. En 1955, à la demande de la direction du FLN, Mouloud Feraoun, comme beaucoup d’élus indigènes, remet son mandat de membre du conseil municipal de Fort National, mais il continue à entretenir une relation étroite avec les autorités coloniales, notamment le sous-préfet d’arrondissement et le général Olié, chef des opérations militaires françaises en Kabylie. Écrivain le plus consacré des années 1950, Feraoun démissionne, certes, mais ne rejoint pas le FLN, comme le feront beaucoup de cadres de l’UDMA, du PCA et de l’AOMA. Ni ses idées.
    Faudra-t-il, un jour, ouvrir sereinement le débat sur le rôle des intellectuels, des artistes et des écrivains dans la guerre et dans le mûrissement de l’idée nationale ? À cette aune, l’auteur du Journal, 1955-1962 s’était proprement enfermé dans ses atermoiements au moment où les mots sublimes de Zhor Zerari, Leila Djabali, Annie Steiner, et de bien d’autres, magnifiaient le combat et le sacrifice de ceux qui sont partis dans le silence des charniers d’une des plus terribles guerres coloniales de l’histoire de l’humanité. La mort violente de l’homme, assassiné par l’OAS, quelques jours avant la signature du cessez-le-feu qui marque la fin de la guerre, le 19 mars 1962, amende un parcours d’incertitudes politiques de l’écrivain. Feraoun croyait à une Algérie qui ne serait ni française (il finira, après y avoir longtemps souscrit, par en rejeter les illusions) ni algérienne dont il n’acceptait pas les représentations consomptives. Il rêvait d’une Algérie hybride, qui ressemblait un peu à celle de Camus, qu’emportait irrémédiablement la guerre. La survie post-mortem de l’écrivain kabyle échappe au FLN, parti-État, tout comme à l’Organisation nationale des Moudjahidine, censeur vigilant des commémorations publiques, arcboutée sur d’imprescriptibles principes. Dans la première décennie de l’Indépendance, Feraoun est consacré « écrivain national » par l’École algérienne, par ses instituteurs de Bouzaréah, qui ont porté sur le pavois et aux frontons de leurs écoles un des leurs. Et c’est jusqu’à l’avant-garde intellectuelle du parti de célébrer la grâce de l’écrivain-martyr. L’un de ses représentants, Mostefa Lacheraf, obscurément perspicace dans l’outrance, ne faisait-il pas coïncider, dans un entretien avec Les Temps modernes, en 1963, la naissance de la littérature algérienne de langue française avec la parution, en 1950, de la première mouture du « Fils du pauvre », couvrant d’ombre (et d’opprobre !) une période essentielle dans la formation de la littérature algérienne, rassemblant 256 titres d’ouvrages d’Algériens, tous genres confondus, publiés depuis la dernière décennie du XIXe siècle, souvent, à l’image de l’œuvre romanesque d’Omar Samar, d’une remarquable qualité d’écriture ?


    Une résurgence victimaire ?

    Signe de temps changeants et de réaménagements du champ littéraire algérien, Mouloud Feraoun, que l’on ne saurait tenir pour le fondateur de la littérature algérienne de langue française, est entré dans une zone d’oubli. Est-ce aussi contre cela que réagit son fils, dans l’excès et dans une posture d’héritier abusif ? Ces polémiques malhabiles, ces accusations, à l’emporte-pièce, jamais étayées contre des personnes ou des institutions, qu’Ali Feraoun agite sporadiquement, ne restitueront pas à l’auteur du « Fils du pauvre » sa dimension originale d’écrivain dans ce qu’est devenue l’Algérie littéraire du XXIe siècle et ne lui garantissent pas un retour de faveur et de nouveaux lecteurs. Cette évaluation – a posteriori – de l’itinéraire littéraire et politique du père par le fils est-elle servie par de données nouvelles, jusqu’alors méconnues ?


    - Sur le plan littéraire. Dans les deux cas, pour Le Fils du pauvre, en 1954, comme pour L’Anniversaire, en 1959, il est malaisé de crier à la trahison de l’éditeur Roblès dont la constance agissante auprès de Feraoun pour l’ensemble de son œuvre ne peut être démentie. La seconde mouture du « Fils du pauvre » avait été consentie par Mouloud Feraoun et il n’a – à aucun moment – fait part de ressentiment envers l’éditeur. L’auteur et le texte entraient potentiellement pour les Éditions du Seuil dans une veine classiquement admise du provincialisme littéraire. Derrière la vraie réussite des romans La Terre et le sang et Les Chemins qui montent (1957), il y a la même tonalité de la montagne kabyle et le semblable créneau littéraire, dans lesquels Feraoun n’aura pas de compétiteur. Convient-il d’imputer à Roblès l’échec littéraire insurmontable de Feraoun, cette première mouture de L’Anniversaire, qui devait l’orienter vers d’autres horizons littéraires, qu’il jugera « aussi définitive qu’impubliable » (Lettre à Paul Flamand, 18 mars 1959) ? Dans sa correspondance, Feraoun insiste, à plusieurs dates, sur la précieuse aide que lui apporte Roblès, son premier lecteur avisé. C’est bien cette loyauté du condisciple, de l’ami et de l’éditeur qu’Ali Feraoun conteste cruellement aujourd’hui. S’il est vrai que L’Anniversaire inscrit pour Feraoun la recherche d’un autre positionnement dans la littérature et dans le littéraire, qui a pu susciter quelques frictions entre lui et Flamand et Roblès, rien ne devrait interdire à Ali Feraoun, en sa qualité de témoin, de discuter publiquement les choix de carrière de son père et le rôle qu’ont pu y tenir ses éditeurs ; mais rien ne devrait aussi justifier de tomber dans l’injure, le discrédit et l’atteinte morale.


    - Sur le plan politique. Que Feraoun ait été distant d’avec le FLN et l’ALN, qu’il en ait dénoncé les « complots », en 1958, avant ou après, est un fait qui reste à analyser. Il faudrait en finir avec sa douteuse célébration révolutionnaire et ses surenchères de gloire, qui, souvent, prend un tour caricatural. J’ai lu sous la plume d’un respectable universitaire algérois que l’écrivain était un « fellaga » et Ali Feraoun, lui-même, n’hésite pas, dans un entretien avec Nassima Oulebsir à l’affubler des oripeaux du maquisard : « On reprochait à mon père de ne pas s’être engagé dans la Révolution. Or, aujourd’hui, je détiens la preuve qu’il était membre de l’ALN » (El Watan Week end, 16 mars 2012). L’homme a été capable de faire, assez tôt, le choix de la France et de le vivre dans sa communauté. Sur le rapport de Mouloud Feraoun à la colonie, à la France, au FLN et à l’avenir de l’Algérie, les positions sont suffisamment tranchées dans son « Journal ». Au moment où les historiens français continuent à évoquer dans de sérieux travaux ce qu’ont été les positions politiques pendant l’occupation allemande de la France d’écrivains, entres autres Pierre Benoit, Louis-Ferdinand Céline, Jacques Chardonne, Paul Morand, Lucien Rebatet, Alain Laubreaux, Pierre Drieu la Rochelle, mais aussi Jean Cocteau, Jean Paulhan, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Margueritte Duras, la tendance, en Algérie, est un lourd silence, suscitant, ici et là, des biographies adroitement crayonnées aux couleurs des temps nouveaux. Beaucoup d’écrivains, d’artistes et d’intellectuels ont tourné le dos à leur peuple en guerre. La mort douloureuse de Mouloud Feraoun, décrétée par l’OAS, devrait-elle arrêter la vérité de la recherche historique et renflouer le mur d’hypocrisie ? Ali Feraoun a décidé, confusément, du moment de la sanction de l’Histoire sur le parcours littéraire et politique de son père. La résurgence victimaire du Père ordonnée par le Fils devrait-elle, désormais, figurer la seule réponse, avec son humeur rancie et son cortège d’accusations putrides, à la connaissance de l’écrivain, de ses œuvres et de ses engagements politiques ? Mais cette sanction de l’Histoire ne lui appartient pas. Il est plus que jamais indispensable que les historiens des champs politiques et littéraires prennent la responsabilité d’en reconstruire le récit. En toute objectivité, loin des haines proclamées.


    *Écrivain-universitaire (Constantine).

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